jeudi 31 mars 2011

Neneh Cherry, "I've Got You Under My Skin"


Annoncer la prochaine compilation Red Hot m'a remémoré ce morceau présent sur le premier volume, Red Hot + Cool, constitué de reprises de Cole Porter : ce double-LP s'ouvrait magistralement avec Neneh Cherry qui balançait un rap sur "I've Got You Under My Skin". La couleur était donnée, si l'œuvre de Cole Porter occupe une place de choix dans le Great American Songbook, Neneh l'inscrit dans son temps et n'en garde plus que le refrain pour mieux marteler son message de prévention. Sorti en 1990, Red Hot + Cool est le premier projet discographique d'une organisation luttant contre le sida en communicant sur ce fléau et en essayant de récolter des fonds pour la recherche. Bonne opération, cette compilation se vendit à plus d'un million d'exemplaires.

Le contexte mérite d'être rappelé, vingt après. En 1990, le sida tue et fait des ravages. Les malades et les séropositifs sont encore victimes de préjugés imprégnés de superstition et de religiosité malsaine. Sont stigmatisés, rejetés. L'autre pièce de ce contexte n'est autre que Neneh Cherry elle-même. Elle venait de sortir, un an plus tôt, son premier album Raw Like Sushi. L'année suivant cette reprise, c'est Massive Attack qui allait sortir son premier album, Blue Lines. A cette époque-là, Neneh Cherry s'est déjà bien acoquinée avec cette "clique sauvage" bristolienne, The Wild Bunch. Qu'on ne s'étonne pas de trouver des similitudes dans le son puisque c'est son mari Camero McVey, aka BoogaBear, avec Jonny Dollar, qui produisit les deux albums. On le retrouve ici, toujours avec son acolyte, pour épauler Baby Afrika Bambaataa des Jungle Brothers, crédité comme producteur du morceau.

Avec le recul, on pourra trouver ça peut-être un peu... rudimentaire. Ou, disons, minimaliste. Et bass heavy ! Et l'attaque de Neneh déchire toujours autant, même après toutes ces écoutes. D'ailleurs, à l'époque, j'avais même acheté le Maxi 45Tours.

Le clip est réalisé par le fidèle Jean-Baptiste Mondino, souvent à l'œuvre pour offrir des images à la Belle. Il faut noter également que, même si c'était souvent sur papier glacé, il est un des rares à avoir imposé, dans une société hygiéniste, une esthétique du moite et de la sueur. Mais, bien sûr, Neneh Cherry n'avait pas besoin de ces artifices pour être canon.


L'an dernier, nous avions évoqué la participation de Neneh Cherry au groupe Rip Rig + Panic, avant qu'elle se lance dans sa carrière solo... A lire ici...


PS : Quand vous lirez ces lignes, vous vous direz que c'est de circonstance d'écrire sur Red Hot, Sidaction oblige. Eh bien, figurez-vous que c'est pourtant une coïncidence. Annoncer la sortie en juin de Red Hot + Rio 2, il y a deux jours, m'a simplement fait souvenir de ce morceau de Neneh et j'ignorais jusqu'à ce matin que le Sidaction tombait ce week-end. D'où ce post-scriptum du lendemain...

mercredi 30 mars 2011

Caetano Veloso, le petit lion et les enfants...


Pour donner un avant-goût de la prochaine compilation Red Hot + Rio 2, dont la sortie est prévue pour le mois de juin, on a pu écouter la reprise de "O Leãozinho" interprétée par Zach Condon, alias Beirut. Nous émettions quelques réserves. Forcément car...

... L'exercice s'avérait délicat puisqu'à mes yeux l'original est intouchable. C'est en effet le premier morceau de Caetano que j'aie écouté et il m'a d'emblée donner envie de découvrir toute l'œuvre de son auteur... et d'aller à Bahia, Brésil, rêve que je mis dix ans à réaliser.

Après avoir écouté la reprise de Zach Condon dans le précédent message, aujourd'hui nous n'aurons pas d'autre ambition que de proposer l'original. Les images ne sont pas de très bonnes qualités, le son non plus. Et pour corser le tout, elles ont pris un sacré coup de vieux, avec ces vilaines surimpressions. Mais leur intérêt tient au fait qu'elles ont été tournées à l'époque de la sortie de "O Leãozinho", paru en 1977 sur l'album Bicho.  Elles sont extraites de l'émission Fantastico, diffusée sur Globo.


Outre qu'elle était la première chanson de Caetano que j'aie connue, dès j'ai découvert "O Leãozinho", je me suis dit que ce serait une chanson idéale à faire découvrir aux enfants. La chanson du petit lion. Pourquoi cette chanson me semblait-elle à ce point destinée aux enfants ? Peut-être parce que j'ai passé un an, en fin de maternelle, à ne dessiner exclusivement que des lions ? (Et que je n'ai toujours pas renoncé à me défaire de ma crinière ?)

Je ne me suis jamais renseigné sur la genèse du morceau mais j'ai toujours imaginé que Caetano avait composé le morceau en regardant son fils Moreno qui devait avoir quelque chose comme cinq ans à cette époque. Mais quand je pensais que "O Leãozinho" serait une chanson idéale pour des enfants, c'était en imaginant le jour où j'en aurais moi-même. Ce serait un des morceaux qui forgera leur découverte de la musique, me disais-je. Mieux encore, j'essaierai même de leur jouer le morceau du mieux possible, ce qui vu mon niveau à la guitare représentait déjà un sacré challenge, la difficulté étant le pouce qui joue une sorte de basse boogie.

Le temps a passé. Le premier est né. Quand il était tout bébé, âgé de deux ou trois mois seulement, je lui faisais parfois écouter l'album Joia, qui me semble également accessible à de jeunes oreilles. Mais jamais, je crois, il n'a écouté "O Leãozinho". Le second est né et il n'a pas non plus écouté "O Leãozinho". Il n'est jamais trop tard, ils sont encore petits.

En attendant, grâce à cette chanson, un des premiers mots de portugais que j'ai appris, c'est juba. Qui veut dire crinière. D'une grande utilité, vous vous en doutez !

lundi 28 mars 2011

Red Hot + Rio 2 : Hommage au Tropicalisme en juin


Appliquant sa devise "Fighting AIDS through Popular Culture", cela fait plus de vingt ans que l'association Red Hot entend financer la recherche sur le sida en sortant des compilations thématiques de bonne facture. Après un Red Hot + Rio, en 1996, consacré à la bossa nova à travers les compositions de Tom Jobim, cette fois-ci, pour ce deuxième opus consacré à la musique brésilienne, Rio Hot + Rio 2, ce sont les Tropicalistes qui sont à l'honneur. Pour cette sortie annoncée en juin, on retrouvera bien sûr parmi les participants, les Caetanophiles américains déclarés de longue date, Beck et Devendra Banhart. Alors qu'avec Liz Taylor, la lutte contre le sida vient de perdre une de ses ambassadrices les plus fidèles, le projet méritait bien cette annonce anticipée en nos colonnes.

J'ai un peu perdu le fil de toutes leurs initiatives mais j'avais acheté, au format double-LP, leurs deux premières compilations, Red Hot = Blue, consacrée au répertoire de Cole Porter, en 1990, puis Stolen Moments : Red Hot + Cool, en 1994, qui à la façon du projet Jazzmatazz de Guru, provoquait des rencontres entre jazzmen et rappeurs. De fait, ce genre d'initiatives est souvent inégale, quelques titres se détachant, les autres étant vite relégués dans l'oubli. Sur Red Hot + Cool, je garde le souvenir ému de "I've Got You Under my Skin" interprété par Neneh Cherry, alors qu'elle était au sommet de son charisme. J'aimais aussi la reprise de "I Love Paris" par les Négresses Vertes, sympa au-delà de mon indécrottable chauvinisme parigot. Pour Stolen Moments : Red Hot + Cool, c'est la collaboration entre Me’Shell NdegéOcello et Herbie Hancock sur un titre en forme d'oxymore, "Nocturnal Sunshine", qui cassait la baraque. Pour cette autre contribution française, au milieu d'un casting haut de gamme, notre MC Solaar national n'était pas ridicule, accompagné par Ron Carter, en interprétant "Un Ange en Danger", après avoir déjà participé brillamment au premier Jazzmatazz avec "Le Bien, Le Mal".

Quant à Red Hot + Rio, le premier volet, en 1996, il est dans mon souvenir très inégal. J'aurai la politesse de ne pas épiloguer sur les contributions internationales qu'il serait même charitable pour les intéressés d'oublier.

Par la suite, j'ai trouvé plutôt réussi l'exercice délicat consistant à reprendre Fela Kuti sur Red Hot + Riot, en 2002. On y retrouvait notamment quelques Soulquarians certainement ravis de réaliser leur fantasme de se confronter à l'afrobeat du maître mais plus réservés quant à la perspective d'aller s'y confronter sur le terrain, à Lagos, comme le regrettait à l'époque leur ami Femi.

Je ne m'attarderai pas sur Dark Was the Night*, essentiellement indie, que je n'ai pas écouté dans son intégralité, même si j'y avais apprécié les contributions d'Andrew Bird et My Brightest Diamond, évoquée ici même il y a quelques jours.

En 2008, un projet Red Hot + Rio II avait déjà vu le jour à New York. Il s'agissait d'un concert où l'on reprenait Jorge Ben et Tim Maia et où les participants s'appelaient Moreno Veloso, CéU, Otto, Curumin, Kassin, João Parahyba et autre Bebel Gilberto. Aucun disque ne vint cependant immortaliser ces interprétations.

Changement de cible pour ce Red Hot + Rio 2, le disque, c'est cette fois l'œuvre des Tropicalistes qui est re-visitée, Caetano, Gil, Tom Zé, les Mutantes... J'ignore encore le répertoire définitif du projet et tous ses interprètes. Les seuls noms connus pour l'instant sont ceux d'Of Montreal, aperçu par ici il y a quelques jours, Dirty Projectors, José Gonzalez, John Legend ou... Madlib. Pour ce nouvel épisode, il apparaît comme une évidence que les plus "caetanophiles" des Américains soient également conviés, j'ai nommé Beck et Devendra Banhart. Le premier crie sur tous les toits son enthousiasme pour Caetano depuis plus d'une dizaine d'années, il avait même composé un morceau intitulé "Tropicalia" pour son album Mutations en 1998. Interrogé alors par Vibrations, il regrettait le manque d'ouverture sur le Monde de ses compatriotes. "Nous, Américains, avons besoin d’un emballage pratique et agréable à regarder. Personne ici n’achètera un album original de Caetano Veloso. Comment voulez-vous qu’un Américain débourse 15, 20$ pour un disque qui présentera sans doute sur sa pochette une photo plus ou moins floue de Caetano le torse nu et velu ? Impossible". Hormis le fait que le torse de Caetano n'est pas velu, Beck a probablement raison sur le fond du problème. D'où le rôle essentiel de David Byrne et ses compilations parues sur son propre label Luaka Bop. Mais c'est une chose de faire connaître la musique brésilienne à un public international, c'en est une autre de s'en inspirer pour produire une musique stimulante.



On sait bien qu'il ne suffit pas de se réclamer d'un artiste pour s'en approprier le talent. Il en va ainsi de l'inspiration de Caetano Veloso revendiquée par Devendra Banhart, alors que la dévotion de celui-ci s'est jusqu'à présent surtout signalée par des accoutrements hippies plutôt que par des enregistrements dignes de son mentor. 

Jane Birkin pire que "Friday" ! Zach Condon, aka Beirut, incarne un autre cas de figure. Originaire de Santa Fé, au Nouveau Mexique, il démontre que la globalisation a du bon, lorsqu'elle se traduit par une ouverture facilitée sur le reste du Monde. Il s'est dédié avec talent à une relecture des musiques d'Europe de l'Est, quand il ne dévoilait pas son côté francophile ou ses immersions mexicaines. Sur Red Hot + Rio 2, c'est lui qui se colle au "O Leãozinho" de Caetano Veloso. Exercice délicat. Il n'aura aucun mal à faire mieux que Jane Birkin qui l'avait interprété en duo avec Caetano. En personne. Il n'a pas eu honte ? C'est même incompréhensible que personne dans l'entourage de Birkin ne l'ait dissuadée de laisser sortir pareil attentat. Si toute la Toile décerne actuellement la palme de la pire chanson à "Friday" de je ne sais plus quelle teenager américaine, je l'incite vivement relativiser son jugement à l'aune de ce massacre. 

Là où le bât blesse, c'est que sur le site même de Red Hot, "O Leãzinho" soit présenté comme en morceau de 1977, exact, composé pour la compilation Beleza Tropical, Vol. 1 !!! J'ai moi-même découvert la chanson grâce à cette compilation sélectionnée par David Byrne mais, bon sang, faut-il encore répéter que "O Leãzinho" figure sur l'album Bicho ? Que Caetano enregistrait déjà depuis vingt ans quand David Byrne le fit découvrir à ses compatriotes ? Mon Dieu, ce que regrettait Beck il y a dix ans n'a pas bougé d'un iota ! Zach aura beau s'enthousiasmer à base de "je pense honnêtement que le portugais brésilien est la plus belle langue sur cette planète pour sa musicalité", sa version visiblement appréciée des critiques anglo-saxons, me laisse presque indifférent. Je vous laisse juge...



Je ne saurais pourtant conclure sur cette note sceptique la présentation d'une telle organisation œuvrant pour la bonne cause, aussi inviterai-je les amateurs de musique brésilienne et lusophone à découvrir un autre album, Onda Sonora : Red Hot + Lisbon où la fine fleur brésilienne, portugaise, cap-verdienne, angolaise, mozambicaine, multiplie les duos et collaborations pour nous offrir quelques réussites. La distribution laisse rêveur : Cesaria Evora, Bonga, Madredeus, Marisa Monte, Caetano Veloso, Arto Lindsay, Vinicius Cantuária, Funk 'n Lata, Djavan, Ketama, General D, Carlinhos Brown, Arnaldo Antunes, Banda Dida Femininá, Paulo Bragança, DJ Spooky, Lura, Simentera, etc... et même Durutti Column... Même à moitié réussies, je suis sûr que vous aurez la curiosité un jour d'écouter ces rencontres musicales, pourquoi pas en achetant l'album et soutenant une initiative caritative de si bon goût ?


_________________________________

* Il y en a eu aussi pas mal d'autres, voir leur catalogue...

Red Hot.org, le site.

samedi 26 mars 2011

The Dø, farouche et grâcieux comme une biche


Ce fut un coup de cœur immédiat. Vous allez croire que j'ai vécu sur une île déserte depuis quelques années mais, pas trop branché sur la pop et l'indie, je viens seulement de découvrir The Dø, en lisant des critiques et interviews à l'occasion de la sortie de leur nouvel album Both Ways Open Jaws. Critiques élogieuses qui me donnèrent l'envie d'écouter leur musique. A commencer par leur premier album, A Mouthful, disponible à la médiathèque. Et d'enchaîner avec cette nouvelle livraison, histoire de se convaincre définitivement d'aller les découvrir sur scène puisque, simultanément à la lecture des critiques, j'apprenais qu'ils seraient prochainement sur Montpellier. J'étais donc sur le point de casser ma tirelire pour aller voir The Dø ce soir, 26 mars, au Rockstore, près de 30€ tout de même, quand j'apprenais que malheureusement, c'était complet. Allez, la frustration sera vite compensée par le soulagement d'avoir réaliser cette économie de fin de mois et avril me laissera l'embarras du choix pour aller assister à d'autres concerts. 


The Dø est un duo à la scène, couple à la ville, composé de Dan Levy et Olivia Merihlati, d'origine finlandaise, D+O = DO, tout simplement. Un nom simple qui couvre l'infini des possibilités musicales puisque le do est la première et la dernière note de la gamme, son alpha et omega. Un nom qu'on devrait toujours écrire en minuscules, la barre du d rappelant alors celle d'une note de musique. Quant au ø, s'il évoque les langues scandinaves, il n'existe pas en finnois mais représente ici la note sur la portée, si ce n'est que sur un clavier vous ne trouverez pas de barre horizontale en travers d'un o et que, par défaut, c'est cette barre en diagonale qui s'en approche le plus.

Dan et Olivia, outre leur talent, ont le physique avantageux qui leur ouvrirait les couvertures des magazines, si ce genre de considération n'était juste à mille lieues de leurs préoccupations. Mais, à ce propos, avez-vous cherché des images de The Dø à partir de Google ? Âmes sensibles s'abstenir, passés les quelques photos du groupe, on tombe vite sur des biches, voire surtout des dépouilles de biches, trophées de chasseurs. Doe en anglais, signifie biche mais il est étonnant de constater la proportion parmi ces images de biches mortes, tuées, éventrée, pendues. Le rapprochement est peut-être forcé mais, dès lors, je ne peux m'empêcher de retrouver les caractéristiques de cet animal dans la musique de The Dø, gracieuse, fragile, farouche, sauvage... Comme le dit Olivia Perihlati, "il y a un côté animal" dans ce nouvel album. Mais si The Dø devait être une biche, ce serait une biche qui sort les crocs. Le titre Both Ways Open Jaws évoque une sauvagerie animale, celle qui a la gueule ouverte, les crocs ruisselants de bave. "Pendant trois ans, on a aussi pris des coups dans la gueule, on s’est rendu compte que le milieu n’était pas un milieu facile, que des gens avaient les dents longues… D’où, un peu, le titre de l’album : ils ont des dents longues, mais on peut mordre aussi".

The Dø, duo autosuffisant, reclus jusqu'à l'autarcie pour composer et enregistrer sa musique, s'est lancé un nouveau défi pour casser ses habitudes : quitter le cocon de leur studio parisien, leur "do-mi-si-la-do-ré" et s'enfermer dans une vieille maison du Lubéron. Pas n'importe quelle maison non plus, celle de feu Maurice Ronet et sa femme, fille de Charlie Chaplin. Ils décrivent cette aventure dans un entretien-fleuve, vraiment très fleuve, accordé aux Inrocks.

"Dan : On a loué un camion et on est parti dans le sud de la France, et puis on a commencé à enregistrer. On avait aussi besoin de cette coupure, de cette nouveauté. On est partis tous les deux, on a bourré le camion d’instruments et de machines, on ne savait pas où on allait, s’il y avait de l’électricité, si les pièces allaient sonner. C’était dans le Lubéron, c’était une maison gigantesque, l’électricité, c’était n’importe quoi, il n’y avait qu’une prise qui marchait….
Olivia : On a même failli ne pas y arriver, avec le chemin escarpé, le camion rempli. Il y avait une crevasse immense…
Dan : On s’est dit qu’on ne pourrait jamais arriver en bas… Mais tout ça fait partie de The Dø. On n’aime pas le luxe, on aime se mettre en danger. Le fait de se dire qu’on prend tout de notre studio, qu’on prend un camion et qu’on va enregistrer un album alors que personne ne nous a renseignés sur l’endroit, c’est un risque".

Bien sûr, ils ont pu décharger leur camion, composer, enregistrer. Et, franchement, il y a pire que le Lubéron pour trouver l'inspiration. Surtout dans une maison immense ayant appartenu à Maurice Ronet.



Leur musique possède une évidence incroyable. J'étais tenté d'écrire que ce couple était touché par la grâce. Cela aurait été sans doute un peu exagéré. Disons plutôt qu'ils sont inspirés. Incroyablement inspirés. Je n'ai même pas envie de savoir si on les décrit indie, électro-pop ou que sais-je encore... Ensemble, ils ont trouvé un style original qui a synthétisé des pans entiers de musiques les plus diverses, certaines vieilles de plus d'un siècle. Leur premier album s'ouvrait sur "Playground Hustle", avec fifre et tambour, et tout de suite m'évoquait un genre de musique en voie de disparition, celle de quelqu'un comme Otha Turner, ce bluesman du Mississipi qui était un des derniers représentants de ce type de fife and drums, où la flûte n'est guère qu'une tige de bambou et qu'il appelait tout bonnement cane. Puis le morceau évolue et prend d'autres chemins, des effets viennent troubler le son, l'emmener ailleurs. De même, sur ce nouvel album, "The Calendar" pourrait avoir été inspiré par les field recordings country-folk d'Alan Lomax, mais au lieu de sembler désuet, c'est d'une fraîcheur inouïe. Et, là encore, la chanson suit sa voie sans se cantonner à cette seule influence.


Quand vous vous présentez en duo, la voix a sacrément intérêt à être à la hauteur, capter l'attention. Olivia Merihlati a trouvé sa voix. Si sur "The Calendar", elle semble surgir du fond des âges, ailleurs, on lui trouvera des intonations plus contemporaines, laquelle pourrait, au détour d'une chanson, nous rappeler celle de Björk. Ailleurs encore, si elle se lance dans une sorte de rap, c'est à M.I.A. qu'on pensera. Sur les ballades, sa voix sera sur un fil, mince filet au bord de la rupture, très haut et fragile, comme sur ce sublime "Dust It Off" qui ouvre ce nouvel album. Elle incarne la musique de The Dø, tout simplement.

Ce qui m'a frappé d'emblée avec The Dø, et caractérise en partie le son du groupe, plutôt qu'un
beat, c'est cette batterie, bavarde sans être virtuose. Comme sur "Playground Hustle" ou "Slippery Slope", tous deux présentés ici en vidéo. C'est souvent cette batterie qui donne à leur musique un son organique, charnel, là où tant d'autres se seraient contentés de mettre des boucles. A ce sujet, Dan Levy expliquait aux Inrocks, "je voulais plus de 'bas'. Plus de grosse caisse, plus de basses, des choses qu’on n’avait pas sur le premier parce qu’il avait été enregistré à l’arrache".


C'est un détail à mes yeux, j'ai oublié de préciser qu'il s'agit d'un groupe français mais qu'il chante en anglais. Quelle importance ? "Il faut perdre l'orgueil de la langue", comme l'écrivait Patrick Chamoiseau.

Alors que Both Ways Open Jaws vient juste de sortir, ils le jugent plus difficile d'accès que 
A Mouthful, qui rencontra un beau succès surprise, leur chanson "On My Shoulders" étant même utilisée dans une publicité. Pour les avoir découverts tous deux en même temps, je les appréhende encore comme un tout renfermant une grande variété d'influences et d'inspirations, tout en conservant une certaine homogénéité. Chez d'autres, cela pourrait passer pour brouillon, sans cohérence, ici, c'est le contraire, The Dø a trouvé ce que d'autres, toute leur carrière durant, s'échineront à chercher en vain, leur musique.


C'est donc à regrets que je raterai leur concert montpelliérain, d'autant qu'ils seront accompagnés d'un vrai groupe de six musiciens... Dommage, je ne verrai pas leur reprise du "Tightrope" de Janelle, interprétée dans une version très ralentie, comme qui dirait "sous Lexomil", mais qui, à sa façon très personnelle, retrouve sur la fin l'élan incroyable de l'original... Je ne pourrai pas m'exclamer "oh, la vache !" à la fin de "Slippery Slope", comme cette jeune femme qu'on entend dans cette captation du morceau au Trianon, il y a quelques jours, "oh, la vache, déjà sur l'album il est énorme ce morceau, mais alors là, putain ! Oh, la vache !"... Comme elle, je pense que j'aurais été très enthousiaste, tant pis. Peu de dates sont prévues pour présenter ce nouvel album. Bruxelles, Bourges, Laval... Et les Arènes de Nîmes en juillet pour ceux qui, comme moi, souhaiteraient profiter d'une session de rattrapage...

vendredi 25 mars 2011

Of Montreal est-il vraiment weird ?


Il existe des groupes surprenants, of Montreal en fait partie. Mais est-il pour autant vraiment weird, à savoir bizarre, ou fait-il juste le malin ? Le groupe de Kevin Barnes s'apprête à sortir The Controllosphere, un EP dont les titres sont issus des sessions produites par Jon Brion lors de l'enregistrement de leur dernier album False Priest, album que nous avions beaucoup aimé l'an dernier.

Dans le même temps, David Barnes, frère de Kevin, sort un livre d'art, What's Weird ?.


David Barnes est également responsable des visuels du groupe. On reconnaîtra son style, chargé, coloré, qui ne laisse pas l'ombre d'un espace vide.


Le titre choisi pour être illustré par un clip, "Black Lion Massacre", est résolument sans concession. Pas du genre single. Un instru noisy, basique. Mais, au moins, il y a de l'action. Une vraie poursuite, rendue oppressante par la musique. L'homme en noir s'enfuit. A ses trousses, l'homme invisible. Qui finit même par lui mettre une sacrée rouste.

Noisy mais Kevin Barnes qui décrit le disque comme folk, et c'est bien son droit, nous a pourtant prévenu : "il y a beaucoup de moments bruyants qui représentent ma tentative de communiquer, dans un langage sous-humain, tout ce qui ne peut être exprimé par notre langue terrienne et toutes sortes de mécanismes de bouche".

Seuls les deux derniers titres, sur les cinq qui compose le EP, se rapprochent des titres retenus sur False Priest. D'ailleurs, pour être franc, ça me donne plutôt envie de le ré-écouter.


Peut-être serait-il honnête de laisser à Kevin Barnes le soin de présenter ce projet, in extenso et en version originale...

"Here's your folk record, I hope you like that I've carried on the tradition of such folk luminaries as Abu Bakr Khairat, Benny Moré and Nawal Al Zoghbi. These songs were written in Sunlandia, that's where most of the folk songs are written now a days, and they were recorded up there, as well as in LA with Jon Brion, with no small contribution from Matt Chamberlain (drum du lum and yerba matte enthusiast) and K Ishibashi (my most modern classical friend). It is my hope that you can tolerate listening to this short EP in one sitting and appreciate it like a fine dining experience. Furthermore, the force that threw the green fuse anointed this protest album. It is a protest statement against the pneuma possessive. In fact this album is the voice of a desirous spirit that is aware of its positive zero chance of fulfillment or salvation or respite. There are many noisy moments that represent my attempt to communicate, in a sub human language, all that cannot be expressed with our earth tongue and all manners of mouth mechanisms. This little EP is a freak out record, have you ever seen anyone dancing to folk music? Well, like my fellow folk singing brother Bob Dylan once said, 'I'd dance with you Maria, but my hands are on fire.' Though, in this case, the world is roughly one year from extinction...or not."

mardi 22 mars 2011

Et en plus Aloe Blacc danse très bien : "Loving You is Killing Me", la nouvelle vidéo


Hier soir, Aloe Blacc était en concert à la Cigale. Il réalise actuellement une grande tournée européenne de près de quarante dates. Montpellier hélas ne figure pas sur le parcours. Et même si le concert de la Cigale affichait complet, les Parisiens auront droit à une séance de rattrapage dans un mois, le 24 avril, au Trianon. 


A défaut, on se contentera de sa nouvelle vidéo où il envoie le pas de danse. Sa silhouette nous rappellerait presque celle de Sam Cooke, même élégance. Si ce n'est que Sam Cooke ne savait pas danser, ce qui devait bien être la seule chose qu'il ne fasse pas avec classe. Il avait pourtant essayé de s'y mettre, pour parfaire encore ses prestations sur scène, et prit donc des cours de claquettes mais, décidément, ce n'était pas son truc. Ses amis le lui firent diplomatiquement comprendre. Autre point commun, comme Sam Cooke, Aloe Blacc est un garçon cultivé qui lit (Thoreau, Ralph Waldo Emerson, les existentialistes). Et la voix ? Faut pas exagérer non plus.

Dans ce clip de "Loving You is Killing Me", minimaliste au possible, un fond blanc, une chaise basse pour seul accessoire, Aloe Blacc partage la vedette avec un gamin danseur, Miles Brown, aka Baby Boogaloo. Le gamin n'a que six ans mais il a déjà sa chaîne YouTube et a été invité à faire démonstration de ses talents dans plusieurs émissions de télé. Il n'échappe pas à la manie qu'on les enfants vedettes américains de cabotiner. J'ai souvent ici vanté les mérites du label Stones Throw qui a publié Good Things, l'album d'Aloe Blacc, insisté sur leurs exigences artistiques, leur politique de sortir des vinyls en tirage très limité, mais cette fois-ci, on peut légitimement se demander si, avec ce clip, on n'assiste pas à une tentative plus commerciale. Le genre de truc qui va ouvrir des portes à l'artiste, toucher un nouveau public, le grand public, celui qui trouvera adorable et mignon, si adorable et si mignon, de voir un enfant danser. Allez, je ne vais pas faire la fine bouche, d'autant que j'ai un jeune public à la maison friand de ce genre de performance, surtout si Baby Boogaloo se lance dans un tribute à Michael Jackson !

Pour revenir au clip, j'ignorais qu'Aloe Blacc dansait aussi bien. Cela suffit à faire le spectacle et à donner envie de le revoir. C'est comme le "Tightrope" de Janelle Monae. Quand on sait bien danser, pas besoin d'effets spéciaux ! Il danse vraiment très bien et, dans le clip, fait même un saut périlleux arrière. Un saut périlleux arrière ! Ah, ah, je suis pris d'un doute, avec mon fond toujours sceptique, je me demande si finalement ils n'ont pas eu recours aux effets spéciaux sur ce coup-là... Parce que sinon, avec toutes les publications autour de ce nouveau clip, les attachés de presse nous auraient averti qu'Aloe Blacc dans sa nouvelle vidéo faisait un saut périlleux arrière, les journalistes l'auraient interrogé : "mais où donc avez-vous appris à faire des sauts périlleux arrière ?". Non ? Vous croyez pas que ça se saurait ? Ou peut-être que c'est finalement assez commun si vous avez fait de la danse hip hop, mouais...

Cette vidéo nous offre l'occasion de réparer un manque, celui de n'avoir pas trouvé le temps de parler de Good Things, on me le demandait, "alors, quand est-ce que tu parles d'Aloe Blacc ?" Voilà, c'est chose faite, pas plus tard qu'aujourd'hui. Good Things est un album très réussi qui participe de ce retour de la soul tout en traitant de sujets contemporains. Côté mise en forme, on y retrouve les orfèvres Leon Michels et Jeff Silverman, toujours capable de faire sonner un disque à la fois vintage et contemporain. Car s'il chante soul, une musique pour lui intemporelle, une des forces d'Aloe Blacc est d'inscrire ses thèmes dans la réalité sociale de son pays. Ainsi l'album a par exemple été porté par le single "I Need a Dollar", qui entrait en résonance avec la situation de crise. 

Le succès de Good Things pourrait être l'occasion de redécouvrir son premier album, Shine Through. Bien qu'inégal, je crois que c'est encore celui que je préfère, beaucoup plus varié au niveau de ses influences, plus expérimental. D'ailleurs, la comparaison avec Sam Cooke évoquée plus haut y trouvait un nouvel argument puisque Aloe Blacc reprenait "A Change is Gonna Come", retitré "Long Time Coming". La reprise la plus originale du chef d'œuvre de Sam Cooke que je connaisse.

Un dernier mot, "Loving You is Killing Me" est extrait de Good Things mais ne figure pourtant pas sur la version de l'album que j'ai, remplacé par un autre titre, "Hey Brother".


lundi 21 mars 2011

Pourquoi le Site internet de Maria Bethânia crée une gigantesque polémique


Une polémique agite le Brésil depuis quelques jours. Depuis qu'on y apprit que Maria Bethânia allait pouvoir toucher près de 1,3 millions de reais, soit près de 550 000 €, pour mettre en ligne un site sur internet. La somme laisse effectivement rêveur.

Il faut préciser que la polémique n'est pas tant liée à la somme en elle-même mais à sa provenance et à la façon dont un tel négoce fut rendu possible. Pour obtenir une telle levée de fond, le projet de Maria Bethânia a été approuvé par le CNIC, la Commission Nationale d'Encouragement de la Culture (la Comissão Nacional de Incentivo à Cultura). Cette commission a notamment pour rôle de sélectionner les projets qui, selon elle, mérite de bénéficier de la Loi Rouanet. Cette loi a été créée pour inciter les entreprises à devenir des mécènes culturels sous couvert d'avantages fiscaux, toutes leurs donations étant déductibles d'impôt. Intention louable en soi mais qui suscite la critique suivante : ce sont ceux qui en auraient le moins besoin qui en profitent le plus, à savoir les artistes déjà les plus célèbres. Au hasard, pour ne citer qu'eux, Caetano Veloso ou ici sa sœur Maria Bethânia. Cette dernière avait déjà bénéficié de profits remarquables grâce à la Loi Rouanet lors de la tournée qu'elle effectua, en 2007, avec Omara Portuondo et qui rapporta 1,8 million de reais.

Pour être honnête, contrairement à ce qu'on entend parfois, c'est un site internet et non un blog que va créer Maria Bethânia. Il s'appelera O Mundo Precisa de Poesia (le Monde a besoin de Poésie, ndla). Elle l'alimentera quotidiennement d'une vidéo où elle dira un texte ou une poésie. Pour l'accompagner, l'anthropologue Hermano Vianna assurera la coordination du projet et le réalisateur Andrucha Waddington dirigera les vidéos.

J'ai suffisamment d'admiration pour les Veloso, Caetano et Maria Bethânia, pour m'autoriser la critique. Je n'oublierai jamais que leurs vieux albums furent mes portes d'entrée sur la musique brésilienne dans toute sa richesse et sa diversité. Pour dire combien ces artistes me sont importants, je dirai simplement que je regrette encore de n'avoir pu descendre du car à Santo Amaro, leur ville natale, lors de sa brève halte sur la route de Cachoeira. Pour l'anecdote, dans ce même car, j'étais justement en train de lire le livre de Caetano, Verdade Tropical, éminemment de circonstance. Ceci posé, je me permets donc de dire que Caetano est désormais d'une prétention et d'une arrogance stupéfiantes, n'envisageant plus sa place dans la musique brésilienne autrement que comme celle de nombril autour duquel tourne tout le reste. A l'inverse, je voyais encore Maria Bethânia comme une belle personne. Il y a quelques années, le documentaire de Georges Gachot qui lui était consacré, Musica é Perfumé en témoignait. Alors, je ne sais que penser, j'ai du mal à reconnaître l'image que je me faisais d'elle dans ce portrait la montrant âpre au gain. Pour moi, ça ne colle pas mais les faits sont têtus...


Si une partie du public et des médias crie au scandale, d'autres préfèrent décortiquer le projet pour démontrer qu'il n'y a rien de choquant dans tout cela. On apprend déjà que Maria Bethânia elle-même ne touchera que la moitié de la somme, soit 600 000 R$, plus 36 000 pour des "recherches", soit un total d'environ 268 000 €, le reste étant partagé entre les autres intervenants et les divers coûts de production. Les gens sont choqués en se disant qu'un blog ne coûte quasiment rien mais les tournages, par exemple, sont plus onéreux. Un article relativisait la somme en calculant que chaque vidéo ne coûterait finalement que 3 480 R$, soit même pas 1500 €, une broutille. Andrucha Waddington, le réalisateur à venir de ces vidéos, s'offusque même des réactions en rappelant que "la finition  audiovisuelle des vidéos sera de première qualité. Les gens s'étonnent quand on parle de ça parce que c'est destiné à internet, comme si c'était quelque chose de mineur. (...) Si ça avait été un film ou un documentaire qui ne serait vu que par cinq mille personnes, on n'aurait rien trouvé à y redire".

Certes, certes mais ce qui choque visiblement le plus, c'est le biais par lequel elle a obtenu ses fonds, cette fameuse Loi Rouanet, synonyme de niche fiscale. D'autant que la commission du Ministère de la Culture aurait rejeté dans un premier temps son projet et que c'est Juca Ferreira, alors ministre de la Culture, qui fit annuler sa décision pour finalement avaliser le projet. Une forme de passe-droit qui donne un argument de poids à ceux qui considèrent que cette loi ne profite qu'aux artistes déjà reconnus... Ana de Hollanda, l'actuelle ministre de la Culture, a tenté de désamorcer la polémique, en vain. J'ignore le bilan de la Loi Rouanet, j'ignore si elle a permis de soutenir des artistes débutants ou plus confidentiels. Je crains qu'elle ne soit une bonne illustration du proverbe "on ne prête qu'aux riches".

Toutefois, si le projet a reçu l'aval du CNIC pour trouver des mécènes, selon Jorge Furtado, cinéaste gaucho, "rien ne garantit qu'après être allé mendier auprès de l'élite entreprenariale brésilienne, le plus fréquemment illettrée, les producteurs du blog réussissent à rassembler une telle somme. Le plus probable est qu'ils soient obligés de revoir le projet à la baisse". Farouche défenseur de la Bethânia, Furtado dénonce dans cette polémique les préjugés encore liés aux Nordestins et Bahianais dans lesquels se vautre et se complaît le "ghetto blanc pauliste de droite qui pense que la poésie n'est que charabia".

Depuis toujours, Maria Bethânia intègre la poésie dans ses spectacles et albums, mais depuis qu'est née cette polémique sur son "blog", une représentation de son spectacle de lectures, Bethânia e as Palavras, spectacle qui a inspiré le projet de site, programmé à Vitoria en octobre, est dores-et-déjà annulée.

En attendant que Maria Bethânia s'exprime, cette polémique a au moins le mérite de déclencher une avalanche de commentaires sur les forums. Les avis contradictoires s'y confrontent joyeusement. Personnellement, j'ai du mal à reconnaître cette grande dame dans le portrait à charge présenté par certains. Si elle avait été à ce point attirée par l'argent, elle aurait fait des disques plus commerciaux et, surtout, ne se serait pas échinée à faire découvrir au public brésilien les grands poètes lusophones...

Aux dernières nouvelles, je n'ai encore jamais demandé la moindre subvention pour soutenir le grand projet culturel qu'est ce blog.


Pour en savoir plus...
Un article de Globo qui essaie de présenter les enjeux nichés dans cette polémique.
Anti : un texte très polémique de mon ami Juremir Machado da Silva qui écrit sur son blog publié par le quotiien de Porto Alegre, O Correio do Povo : "comment peut-on dépenser 1,3 millions de R$ dans un blog de poésie ? Uniquement en payant les lecteurs".
Pro : La défense acharnée de Jorge Furtado, qui soutient ardemment le projet de Maria Bethânia, sur le site Casa de Cinema de Porto Alegre, allant jusqu'à dire qu'après cette confusion, c'est le Gouvernement qui devrait financer le projet et lui offrir un beau bouquet de roses pour sa mauvaise gestion de l'affaire...

samedi 19 mars 2011

Assis Valente, sambas allègres et destin tragique


Assis Valente aurait pu avoir cent ans aujourd'hui. S'il n'était pas mort depuis... 1958 ! Il convient d'emblée de le présenter, son nom n'évoquant probablement rien pour vous : Assis Valente fut un grand auteur de sambas, certains d'entre eux devenant avec le temps des standards de la musique brésilienne, certains composés notamment pour Carmen Miranda. Malgré ces succès, son destin fut pourtant tragique puisqu'il se suicida.

Il est de coutume de célébrer la grandeur de l'œuvre de tel ou tel musicien-songwriter pour avoir su traduire en chansons douloureuses les affres et épreuves de sa vie, mais n'est-il pas au contraire plus noble encore de n'en rien laisser paraître et, toujours, composer des chansons allègres malgré des gouffres de désarroi ? Définitivement, Assis Valente appartient à cette seconde catégorie.

Même s'il s'installe à Rio dès ses dix-huit ans, Assis Valente est bahianais. Originaire de Santo Amaro da Purificação, petite ville provinciale au cœur du Reconcavô où sont nés Caetano Veloso et Maria Bethânia. Assis Valente est peut-être originaire de Santo Amaro mais il racontait être né sur le sable brûlant du chemin reliant Bom Jardim à Patioba, sa mère accouchant au milieu du trajet. Cette enfance et cette jeunesse bahianaises furent particulièrement dures. Perdant ses parents très tôt, il fut placé dans une famille où les conditions de vie du personnel de maison étaient, paraît-il, encore proches de l'esclavage. Mais cette famille lui offrit au moins la possibilité d'étudier, le soir. Il la quitta pour suivre un cirque tournant dans l'intérieur de l'état, rejoignit ensuite la capitale Salvador où il travailla dans une pharmacie, suivit des cours de dessin industriel avant de se spécialiser comme prothésiste dentaire, métier qu'il exercera toute sa vie. Jusqu'à sa perte.

Arrivé à Rio en 1927, il reprit son métier de prothésiste, avant de commencer à composer des sambas au début des années trente. Encouragé par Heitor dos Prazeres, il n'eut pas longtemps à attendre avant que ses chansons soient interprétées. Si Carmen Miranda lui permit d'obtenir une belle reconnaissance comme auteur de sambas, la première à avoir interprété une de ses compositions fut Aracy Cortes. Cette proche de Pixinguinha n'a jamais atteint la notoriété internationale de Carmen Miranda mais sa place dans l'histoire de la musique brésilienne est également considérable. C'est donc elle qui enregistra la première une chanson d'Assis Valente, en l'occurence "Tem Francesa no Morro", en 1932.


Assis Valente est donc l'auteur de quelques uns des succès de Carmen Miranda. Dorival Caymmi et lui étaient les deux Bahianais qui allaient fournir à la diva le répertoire de ses premiers succès. D'Assis Valente, elle a interprété une bonne vingtaine de compositions dont les plus populaires sont "Camisa Listrada", "Deixa Comigo" ou "E o mundo não se acabou". Pourtant leur collaboration se termina sur un malentendu qui laissa Assis meurtri. Car Assis Valente composait toujours des chansons sur-mesure, adaptées à leur interprète.

La distance commença à s'instaurer quand Carmen Miranda partit pour les Etats-Unis faire carrière à Hollywood, qu'elle se trouva de nouveaux collaborateurs et qu'il se sentit abandonné. En 1940, au retour de son premier séjour américain, Assis Valente  s'empressa de lui composer deux nouveaux morceaux, "Recenseamento" et "Brasil Pandeiro". Elle chanta le premier  mais refusa "Brasil Pandeiro" qu'il avait composé en pensant à elle, en lui disant : "Assis, ça je ne le prend pas. Tu restes borocoxô", terme familier qui signifie sans grâce, sans entrain ni brillant. Violent ! Ce fut le coup de grâce.

Carmen Miranda refusa "Brasil Pandeiro". C'était pourtant un samba d'exaltation tout dédié à sa gloire. Car depuis leur première rencontre Assis Valente vénérait littéralement Carmen Miranda. Les paroles de "Brasil Pandeiro" sont truffées de références directes à celle-ci. Le musicologue Abel Cardoso Júnior pense qu'elle refusa de chanter ce titre, soit par modestie, soit pour ne pas avoir l'air de cabotiner, justement parce que les paroles l'exaltaient trop. Toujours est-il qu'Assis Valente fut profondément marqué par ce refus, certains allant jusqu'à dire qu'il fit basculer sa vie dans une amertume et un ressentiment qui ne le quitteraient plus.

L'inconvénient, quand on est auteur-compositeur sans être interprète, c'est que parfois on ignore votre nom, qu'on ignore que vous êtes l'auteur de cette chanson que l'on aime pourtant beaucoup. Il en va ainsi d'Assis Valente. J'aimais déjà beaucoup "Brasil Pandeiro" ou "Uva de Caminhão", depuis même plusieurs années, avant de découvrir qu'il en était l'auteur. Par ailleurs, il serait incongru de le comparer à Tino Rossi sous prétexte que, comme lui, il est l'auteur de la chanson de Noël la plus indispensable de son pays, "Boas Festas" au Brésil.

Carioca d'adoption, il sut croquer ses contemporains, jouer avec leurs mots, leurs expressions à la mode, moquer leurs anglicismes. Assis Valente, comme tout bon sambiste, était un portraitiste fidèle et ironique de sa génération, en même temps qu'ils sut saisir avec acuité les transformations de Rio.

Mais si Assis Valente composa toute sa vie, parfois au rythme d'une chanson par jour, son activité première, son métier, était toujours prothésiste. Mais alors qu'on s'imagine qu'un prothésiste gagne bien sa vie, Assis Valente a toujours été poursuivi par les dettes. Jusqu'à ce qu'il mette fin à ses jours. Une première fois, en 1941, il fait une tentative de suicide. Il se jette depuis le Corcovado mais miraculeusement (à moins qu'au regard de ses intentions, ça ne soit malencontreusement) reste accroché à une branche, avant d'en être décroché et sauvé par les pompiers. L'année suivante, il fit une nouvelle tentative, avec une lame de rasoir cette fois-ci. Encore raté.

Assis Valente avait beau travailler, gérer son laboratoire de prothèses dentaires, il s'endettait toujours plus. Pour essayer de rembourser ses dettes, il lui arrivait en désespoir de cause de vendre une chanson qu'un autre signerait, pratique courante mais si peu glorieuse.

C'est le 10 mars 1958 qu'il mit fin à ses jours. Cette journée fatale est bien documentée puisqu'on connaît son emploi du temps à l'heure près. Il quitta son appartement de la rue Santo Amaro, au nom rappelant ses origines, se rendit à son laboratoire où il resta jusqu'à treize heures trente. Puis, vers quinze heures, il passa à la Sbacem, l'organisme gérant les droits d'auteur, en espérant toucher quelque reliquat de ses droits. Il était si nerveux qu'on lui donna un cachet calmant. A seize heures trente, il téléphona à ses salariés pour leur dire ce qu'ils devraient faire après sa mort, puis ensuite à son éditeur et à l'ambassadeur pour les prévenir qu'il allait se suicider. Vicente Vitale essaya alors de prévenir la police, sans succès. On sait qu'à dix-sept heures cinquante-cinq, très précisément, il avala du formicide mélangé à du guaraná. On retrouva dans la poche un message destiné à la police précisant qu'il s'était donné la mort parce qu'il était accablé de dettes. Il y demandait à Ary Barroso de bien vouloir payer ses loyers en retard et au public d'acheter son dernier disque. Ce message se terminait sur ces mots déchirants : "je vais arrêter d'écrire car je suis en train de pleurer de saudade de tous et de tout" ("vou parar de escrever, pois estou chorando de saudade de todos, e de tudo").

Pour illustrer son œuvre en ce jour de centenaire, nous avons choisi "Brasil Pandeiro" et "Uva de Caminhão", interprétés respectivement par les Novos Baianos et Olívia Byington. Des artistes que nous n'avons pas encore eu l'occasion d'évoquer sur l'Elixir. Ca viendra...


Si Carmen Miranda n'a pas voulu chanter "Brasil Pandeiro", les Novos Baianos se sont chargés de lui offrir un beau succès posthume sur leur deuxième album Acabou Chorare, en 1972. Lors de mon premier voyage au Brésil, à Bahia bien sûr, je tenais absolument à ramener le CD mais il me fallut courir plusieurs disquaires avant de le trouver. Mon titre préféré de l'album a tout de suite été "Brasil Pandeiro". Dans cette vidéo, nos hippies bahianais, Moraes Moreira, Galvão, Baby Consuelo et toute la bande, sont filmés dans leur communauté installée à Jacarepaguá, dans les environs de Rio. Baby Consuelo, avec son air complètement allumé, y vole quelque peu la vedette à ses amis. Ces images sont tirées d'un documentaire leur étant consacré et qui vient d'être mis en ligne dans son intégralité sur l'excellent blog Flabbergasted Vibes, ici.


Pour ce second extrait, un autre titre favori de Valente, "Uva de Caminhão". Créé par Carmen Miranda, repris par Aracy Cortes, il est ici interprété par Olívia Byington, une chanteuse que j'apprécie particulièrement et qu'on finira bien par présenter comme il se doit sur l'Elixir. Olívia Byington a enregistré le morceau sur son album Anjo Vadio, en 1980. Elle le présente ici sur scène, visiblement quelques années plus tard. Si Assis Valente le décrivait comme un samba-revista, le morceau présente toutes les caractéristiques d'un chorinho avec cette accélération redoutable dans la deuxième partie, laquelle exige une certaine aisance pour suivre la cadence. Et Olívia Byington s'offre même quelques petits pas de danse pour illustrer le morceau.

Si son endettement est la raison de son suicide, toute sa vie, dans une société brésilienne, rigide dans ses préjugés, Assis Valente dut se coltiner le double stigmate d'être homosexuel et noir dans une société machiste et raciste, et fut sans cesse ballotté entre une humeur volontiers badine et blagueuse et un tempérament dépressif. Assis Valente fut un magnifique représentant de cette vraie noblesse du peuple brésilien, celle qui ne laisse rien paraître de ses tourments.


jeudi 17 mars 2011

My Brightest Diamond, la libellule et le cheval de trait (Shara Worden 4/4)


Il faut, pour conclure et justifier ce cycle de brefs billets consacrés à Shara Worden, revenir à l'origine, à la découverte de son univers. A l'origine de ma curiosité, avant qu'il y ait la musique, il y eut une image, la photo qui orne la pochette de Bring Me the Workhorse. Où on voit la tête de l'artiste derrière un cheval, qu'on suppose de trait, en accord avec le titre de l'album, sa main lui caressant l'encolure. Cette simple image m'a attiré, le poil luisant de l'animal, le contraste avec la peau claire de Shara Worden, renforcé par le fond noir, m'ont donné envie de découvrir ce qui cela pouvait bien dissimuler comme musique.


Cette musique se crée à partir d'une voix lyrique pour laquelle des cordes tissent un écrin délicat. Mais jamais on n'y sombre dans le soyeux, toujours on reste dans la tension, la sècheresse. La batterie rappelle que c'est peut-être aussi un disque de rock. La guitare électrique également. Leur accord a un effet vivifiant, comme de se plonger sous une cascade d'eau glacée. Si c'était un plat, il n'y aurait probablement pas une goutte de graisse, à peine une larme de sucre, peut-être pas d'épices mais des arômes forts.

A sa sortie, My Brightest Diamond avait été comparé à Antony & The Johnsons et Jeff Buckley. Comme chez ces autres artistes, la voix tient un rôle essentiel dans sa musique. Mais comme ce n'est pas le règne de la fantaisie et que ce n'est pas la légèreté qui préside au travail de Shara Worden, toujours nous sommes à deux doigts de tomber dans le pathos. Les critiques, que ce soit celles des Inrocks ou de Pitchfork, avaient souligné ce risque. Toujours, l'exercice funambule est à deux doigts de perdre l'équilibre pour tomber dans l'emphase, le pompier, être un peu trop over-the-top, à manquer de subtilité, se prendre trop au sérieux.

Shara Worden connaît les risques. Musicienne accomplie, chanteuse lyrique au solide bagage, elle trace sa voie et My Brightest Diamond lui permet de concilier sa formation classique à la tension du rock. Sa musique est tout sauf neutre, ambitieuse et brillante.

A vrai dire, il y a surtout deux morceaux que j'apprécie particulièrement sur ce premier album. "Gone Away" où, histoire de boucler la boucle avec le premier volet de notre cycle dédié à Shara Worden, on pourrait déceler un thème "pénélopien", l'absence de l'aimé, parti sans même laisser un mot, et "Dragonfly" dont a été tiré le clip ci-dessous. La chanson la plus légère de l'album, où une libellule prisonnière d'une toile d'araignée lui demande de la libérer pour s'envoler au loin avec elle. On dira ce qu'on veut, c'est quand même assez sublime...


My Brightest Diamond, Bring Me The Workhorse (Asthmatic Kitty, 2006)

La critique de l'album sur Pitchfork, celle de l'album suivant A Thousand Shark's Teeth sur Les Inrocks...

mercredi 16 mars 2011

La Mer et les Cités Lointaines (Shara Worden 3/4)


Shara Worden, aka My Brightest Diamond, vient de participer à un nouveau projet qui sort à la fin du mois sur le label New Amsterdam Records, comme Penelope présentée avant-hier. Il s'agit de Letters to Distant Cities, véritable œuvre multimédia où, outre la musique, on y découvrira la poésie de Mustafa Ziyalan et une série de 24 photographies de Murat Eyuboglu, sous forme de cartes postales. Egalement, un petit film que nous présentons aujourd'hui où on retrouve Shara Worden au bord d'une mer froide, toute peinte de blanc.


Pour la musique de l'œuvre, on retrouvera, en plus de Shara Worden, Clare Muldaur Manchon, de Clare & The Reasons, et le multi-instrumentiste Rob Moose. Le reste du CD présentera sous forme de spoken word des poèmes de Mustafa Zilayan. Né au bord de la Mer Noire, il a été médecin dans un village rural anatolien avant, aujourd'hui, d'être installé comme psychiatre à New York. Son compatriote, et également poète, Murat Nemet-Nejat décrit ainsi son ambitieuse poésie : "dans le travail de Zilayan, on peut voir l'élan de la langue turque au XXe siècle pour représenter une réalité sociale allant au-delà des frontières. Cela souligne la nature prophétique de la poésie turque devenant un médium qui exprime une sensibilité globale - les dislocations psychiques que la globalisation provoque dans la conscience".

Comme vous pouvez vous en douter, le thème de ce projet n'est pas léger léger, il traite de la solitude urbaine...

Les recueils de Mustafa Zilayan ne sont pas traduits en français, aussi voilà un extrait d'un des poèmes de Letters to Distant Cities :

"She'd save
tarred puppies,
write letters to distant cities,
run ahead, keep her eyes peeled for them,
whisper to every tree, every shadow
along the sidewalks, along the streets,
try to collect the scattered stars
every time her head bumped into the Milky Way"

Les photographies en noir et blanc de Murat Eyuboglu ont pris pour modèle la ravissante Jamie Ansley. Auteur pour le théâtre, poète, actrice, elle se produit comme clown médical dans les hôpitaux new-yorkais depuis une dizaine d'années et souhaite intégrer cette expérience dans son travail de drama therapy, une forme d'art-thérapie.

Murat Eyuboglu a également réalisé les vidéos qui illustrent les deux chansons du projet. C'est déjà lui qui avait tourné "The Lotus Eaters" pour l'album Penelope, présenté ici. Le film illustrant "Invisible", interprété par Clare & The Reasons, sortira le 21 mars. En attendant, voici "The Sea" où l'on retrouve Shara Worden sur un rivage brumeux... De belles images même si...



... je ne peux m'empêcher de conclure ce billet sans laisser affleurer une pointe de mauvais esprit et me faire la remarque que, parfois, la vie d'artiste est difficile... Surtout quand on essaie d'avoir l'air inspirée et mystérieuse en cachant son visage derrière une vieille souche de bois flotté ou en frappant deux galets...
________________________

Letters to Distant Cities (New Amsterdam Records) sortira le 29 mars.

Quelques photos de Murat Eyuboglu sur son site...

mardi 15 mars 2011

Shara Worden, invitée par Prefuse 73 : titre en téléchargement gratuit (Shara Worden 2/4)

Shara Worden est à l'honneur ici cette semaine. Après sa participation à Penelope, l'album composé par Sarah Kirkland Snider, la voici invitée par Guillermo Scott Herren, aka Prefuse 73, sur un album dédiée aux voix féminines, The Only She Chapters, à sortir chez Warp fin avril. Outre Shara, on retrouve Zola Jesus, Trish Keenan de Broadcast, emportée depuis par une pneumonie, Niki Randa, Faidherbe (c'est, semble-t-il, une jeune Alsacienne prénommée Clémence qui se cache derrière ce pseudo historique ou RATPesco-parisien), et quelques autres...


Prefuse 73 est un musicien américain, d'origine catalane par son père et cubaine par sa mère, et désormais installé à Barcelone. Il a été une figure du mouvement abstract hip hop, quand il ne se lançait pas dans projets électro-folk psychédéliques ou des trucs de cet acabit que nous qualifierons d'expérimentaux par commodité.

Quand il doit présenter ce nouveau projet, son auteur semble bien embarrassé, comme s'il ne voulait fâcher personne... "Cet album est étrange pour moi. Le processus comprend toutes ces chanteuses, ces voix féminines, et la musique a été enregistrée très différemment de mon travail habituel. Cela peut être vu comme une rupture par rapport à d’autres albums, mais ce n’est pas une rupture destinée à laisser les gens exclus ou perplexes. C’est juste une manière différente d’interpréter ma musique et c’est une invitation pour quiconque voudrait l’écouter".

Ce qui nous vaut de parler de cet album aujourd'hui, alors que je n'avais guère écouté Guillermo Scott Herren, que ce soit sous le nom de Prefuse 73 ou celui de Savath & Savalas, c'est que le titre enregistré avec Shara Worden, "The Only Hand to Hold" est disponible en téléchargement gratuit (en mp3 320kbps, qui plus est). Il suffit pour cela de préciser votre adresse e-mail...

lundi 14 mars 2011

La Nouvelle Pénélope (Shara Worden 1/4)


La semaine s'ouvre sous la pluie, le ciel est gris et les musiques présentées ces jours-ci vont refléter cet assombrissement momentané en lui conférant sa dimension esthétique. Entre une nouvelle vidéo pour une chanson inédite, un titre à télécharger gratuitement avec Prefuse 73, nous aurons plusieurs fois croisé le nom de Shara Worden ces dernières semaines. Cela méritait bien un cycle d'une demi-semaine, histoire d'évoquer ses différents projets. Première partie où, pour la toute première fois, la musique classique trouve sa place dans l'Elixir. Enfin, classique, ça se discute, comme nous le verrons plus loin...

Alors qu'elle n'avait pas participé à sa première version, sous forme de théâtre musical, Shara Worden, plus connue sous le nom de My Brightest Diamond, est venue, sous son nom propre, prêter sa voix à l'enregistrement de ce projet presque essentiellement féminin : Penelope. Un cycle de chansons composé par Sarah Kirkland Snider, dont les textes sont l'œuvre d'Ellen McLaughlin, poète et dramaturge, et interprété par Shara Worden et l'ensemble Signal. Une relecture féministe de cet archétype, en quelque sorte.

Cette Pénélope moderne voit un jour revenir son mari à sa porte, après vingt ans où il fut engagé dans quelque guerre sans fin. Il n'est plus que l'ombre de lui-même et elle entreprend, pour lui faire recouvrer sa mémoire, de lui lire L'Odyssée d'Homère. Avec cette histoire, miroir de la leur, elle cherche à le faire revenir à lui...

Penelope a été retenu parmi les dix meilleurs albums de Classique de 2010 par Time Out New York dont le critique Steve Smith allait jusqu'à considérer l'œuvre comme la plus émouvante de l'année : "un puissant mélange d'aisance classique et d'énergie alt-pop, ce cycle de chansons rêveur était la plus émouvante création de l'année".

Que Sarah Kirkland Snider et Shara Worden aient reçu une formation classique des plus rigoureuses est une évidence. Que Signal soit un orchestre de musique de chambre également. Pour autant, leur Penelope appartient-elle à la musique classique ? Qu'on s'interroge démontre la porosité entre les genres et l'aléatoire des étiquettes. Pour ne pas avoir à se prononcer NPR Music a placé Penelope parmi les cinq meilleurs Genre-Defying Albums de 2010. Alors entre le classique et l'inclassable, il y a un vaste champ où de nombreux artistes trouvent leur inspiration, aveugles aux barrières que d'autres souhaiteraient planter alentour. C'est en tout cas l'approche développée par le label à l'origine du projet, New Amsterdam Records, fondé justement par Sarah Kirkland Snider. De plus, dans cette distinction classique-pop, on peut se demander si certains joyaux du songwriting pop ne seront-ils pas le répertoire classique de demain ? Qu'il soit classique ou inclassable, voici un album qui devrait ravir les nostalgiques des envolées mélancolique de This Mortal Coil et des sombres ambiances de 4AD.

Sarah Kirkland Snider et Shara Worden
Quant au petit film illustrant la chanson "The Lotus Eaters", si le décor, son rivage au ciel gris, ses hautes herbes battues par le vent, créent l'ambiance adéquate, Murat Eyuboglu, son réalisateur, enfonce pourtant un peu trop le clou et souligne de façon trop démonstrative le propos. Esthétisant mais presque pompier... Je vous laisse apprécier...


La critique de Pitchfork...
Le site de Penelope...

dimanche 13 mars 2011

Mulatu Astaké en Cosmic Groove Session


Une figure de marque était de passage hier soir sur Montpellier, un de ces rares musiciens dont on puisse dire qu'ils ont inventé un style musical à eux seuls, ici l'éthio-jazz. Voici donc Mulatu Astatké en Cosmic Groove Session sur la scène du JAM.

Les quatre soirées de cette saison abordent chacune un style différent. Après la soul, avec Charles Bradley et Lee Fields, avant l'afro-beat avec le Souljazz Orchestra et Kokolo, avant le funk de Brass Construction, voici donc l'éthio-jazz de Mulatu Astatké.

Les musiques éthiopiennes ont le vent en poupe. Depuis quelques années, elles ont fait naître des vocations un peu partout dans le monde, comme quelques années auparavant l'afro-beat qui avait déclenché semblable fièvre. Un phénomène très surprenant, surtout que cette musique est à la fois exotique et inscrite dans une période donnée. Car quand on parle de cette influence éthiopienne, il faudrait plus exactement préciser qu'il s'agit de celle d'un certain âge d'or éphémère et révolu, quand la musique éthiopienne s'ouvrait aux influences étrangères. Sans rentrer dans les détails, on sait que ce phénomène trouve sa source dans la série de compilations intitulée Ethiopiques, lancée par Francis Falceto en 1998. Ou même, avant cela, dans la réédition, en 1986, par Crammed Discs d'un album de Mahmoud Ahmed, album qui est également à l'origine du coup de cœur de Falceto pour la musique éthiopienne. Qu'ensuite le choix de Jim Jarmusch d'utiliser quelques morceaux de, justement, Mulatu Astatké dans la B.O. de Broken Flowers, en 2004, a servi de caisse de résonance et a donné une audience infiniment plus large à sa musique. En soulignant qu'il fallait tout le sens musical de Jarmusch pour sentir que cette musique collerait bien à l'ambiance de son film et qu'il a probablement dû batailler pour convaincre des studios qu'on imagine réticents sur le sujet.

Depuis lors, des vocations ont vu le jour : en Europe, aux Etats-Unis, on ne compte plus les groupes s'étant fait une spécialité de ce groove si particulier ou en intégrant une ou deux pièces à son répertoire. Au point qu'on ait l'impression que c'est presque devenu un passage obligé.

Mulatu Astatké a su profiter de cet engouement nouveau. Et alors qu'il approche des soixante-dix ans, il a sorti deux albums fantastiques ces dernières années. Le premier dans la série Inspiration Information lancée par le label Strut où il rencontrait The Heliocentrics pour mettre un son plus électrique à sa musique et, plus récemment, un disque plus jazz, Steps Ahead.

Certains des musiciens qui accompagnaient Mulatu pour ce concert ont participé à cet album. Ils appartiennent peut-être à cette génération ayant découvert récemment, grâce aux rééditions, la musique éthiopienne. Tous jeunes et excellents. Aucun éthiopien, semble-t-il. Une formation originale où on trouvait un trio rythmique, basse, batterie et percussions, un clavier, deux souffleurs, trompette, saxophones, flûte et, plus étonnant, un violoncelliste.


Et Mulatu, leader discret qui aurait pu être le père de tous ces jeunes gens inspirés. Un leader qui est entouré d'un vibraphone, d'un clavier et de congas et qui semble se régaler d'entendre son groupe jouer ses compositions. La dernière, nous dit-il, "I wrote for myself and it's called 'Mulatu'". Cela pourrait sembler pompeux de nommer une composition à son nom mais venant de lui, on n'y perçoit aucune trace de prétention.

S'il leur laisse tout l'espace nécessaire à leurs interventions respectives, on sent le respect qu'il inspire, cette façon qu'ils ont de chercher son regard. Mulatu Astatké est un maître et si la musique éthiopienne a fait naître de nombreuses vocations ces dernières années, c'est à lui seul que l'on doit sa dimension jazz. Francis Falceto est absolument clair à ce sujet : "l’expression 'ethio-jazz' appartient à et relève strictement de Mulatu Astatqé, seul. A part ce cas d’espèce, aucun musicien éthiopien, et surtout aucun chanteur, ne revendiquera une quelconque appartenance au jazz". Si Mulatu a inventé l'éthio-jazz, on sent dans sa musique, comme c'est le cas pour quasiment tous les musiciens africains modernes qu'ils soient congolais, sénégalais ou donc éthiopiens, l'influence latine, ou plus exactement afro-cubaine. Cette pulsation et les langueurs de ce groove éthiopien si particulier, nous donne un formidable moment de musique.

Entre les interventions de ces brillants solistes et le groove collectif, la musique de Mulatu nous a captivé sans que notre attention en perde un seul instant. De nous avoir délivré musique si merveilleuse et envoûtante, nous lui pardonnerons l'absence de rappel. Absence de rappel qu'on mettra sur le compte de son grand âge.


samedi 12 mars 2011

Pomelo Y Moi


L'album de Toro Y Moi, Underneath the Pine possède assurément une des pochettes les plus intrigantes de ces derniers mois. Loin de moi l'intention de craner mais j'avais tout de suite deviné le clé du mystère, deviné ce qui s'échappe des lèvres sur la photo, comme une prolifération de minuscules dents animales. L'image était suffisamment marquante pour que Ryan Dombal aille interroger Chaz Bundick, aka Toro Y Moi, dans le cadre de la rubrique Take Cover du magazine Pitchfork.


Si cette photo retient l'œil, elle est née d'une sorte d'accident bienheureux, un cadeau d'anniversaire improbable. Avant d'aller plus loin et de vous donner la réponse, savez-vous ce qui s'échappe de ses lèvres ?

"La fille qui m'interviewait au Fun Fun Fun Festival, au Texas, l'an dernier, m'offrit un pomelo pour mon anniversaire - c'est comme un énorme pamplemousse de la taille de ta tête. Je me suis demandé : 'mais qu'est-ce que c'est que ça ?' car je n'en avais jamais vu auparavant. De retour à mon hôtel, j'ai commencé à m'amuser avec en le mettant dans ma bouche et j'ai pris une photo dans le miroir de la salle de bain. Ma copine était dans la chambre et me demandait : 'mais qu'est-ce que tu fabriques ?' (rires).

Je trouvais que la texture était vraiment cool et ressemblait beaucoup à des parties du corps féminin; alors que tu ne penses pas le pomelo comme un fruit féminin jusqu'à ce que tu le pèles et commences à en ouvrir les quartiers. J'ai aimé l'aspect parce que je n'avais jamais montré mon côté presque-pervers. (...) Et je savais que je voulais une pochette qui fasse 70's, quelque chose de psychédélique et surréaliste. J'ai parlé à quelques artistes pour voir s'ils pouvaient faire quelque chose pour moi mais, à l'arrivée, j'ai simplement fini par m'amuser avec cette photo sur Photoshop jusqu'à ce que ça finisse par ressembler à un dessin. Et l'image avait également un rapport avec les chansons, dans leur façon d'être intimes avec une vibe rétro. Aussi quand j'ai trouvé la photo, je l'ai immédiatement montré à mon label et la femme de Todd Hyman (fondateur de Carpak Records) a dit : 'oh, c'est répugnant' (rires). Et je me suis dit, 'OK, c'est bon signe' ".

Et quand on lui demande si ce n'est pas dérangeant d'avoir un gros plan de son visage sur la pochette, Chaz Bundick répond : "Oui, mais j'avais l'impression que le fruit distrairait tellement du reste qu'on ne ferait même pas attention à mon visage. Quand je la regarde maintenant, je me dis que j'aurais peut-être dû me raser. Mais j'aime le brillant sur les lèvres et le jus qui coule du fruit - c'est vraiment un truc à la Ohio Players. Sur toutes leurs pochettes, ils ont cet élément sexuel".

Euh, et les gens, ça leur plaît ?
"Je reçois environ un tweet par jour dans le genre : 'cette pochette me donne envie de gerber' (rires). Mais c'est juste un fruit !"

Parce que Pitchfork est un magazine qui fait très bien son travail, Ryan Dombal a même retrouvé les images où Chaz se voit offrir ce pomelo pour son anniversaire et a donc mis la vidéo en ligne avec son interview. Je la glisse également ci-dessous... Mais, à propos, à part pour la photo, qu'en a-t-il fait de son pomelo, l'a-t-il mangé ? "C'est très amer et difficile à peler. J'en ai mangé peut-être un quart..."


L'intégralité de l'interview ici...

vendredi 11 mars 2011

Reste-t-il encore assez de place à Ninja de Die Antwoord ?


Il y a quelques mois, nous traduisions une interview que Ninja, leader du groupe sud-africain Die Antwoord, avait accordé au magazine Pitchfork. Il y évoquait notamment le court-métrage qu'ils s'apprêtaient à tourner avec Harmony Korine et n'hésitait pas à confier, gros malin, qu'il s'en était fait tatouer le titre, Wat Kyk Jy, sur le pénis.

Le film va être prochainement présenté au public à Austin, dans le cadre du festival SXSW. Il dure seize minutes et il y est question de gangsters en chaise-roulante, armés de pistolets et fumant de gros joints, dans une ambiance semble-t-il très white trash. Ou très zef, comme le dirait Ninja. Et c'est justement le couple Ninja-Yo-Landi qui incarne ces gangsters vivant aux marges de la civilisation*. D'Harmony Korine, réalisateur de films tordus, scénariste pour Larry Clark de Kids et Ken Parks, on pouvait effectivement s'attendre à ce genre d'ambiance déjantée.


Pas de chance pour Ninja, plutôt que Wat Kyk Jy, Harmony Korine a finalement appelé son film Umshini Wam. Nous aurions aimé voir la tête de Ninja au moment où il découvrait que le titre avait changé. L'histoire ne dit pas s'il a rajouté cette nouvelle inscription à côté de la première. Ou s'il lui restait de la place pour le faire !
__________________________________

* Le synopsis est le suivant : "Big dreams, big blunts, big rims, and big guns. It's time to get gangsta gangsta. Ninja and Yo-Landi are wheelchair-bound lovers and real gangstas. They live in the outskirts of civilization, they shoot guns for fun, smoke massive joints, and sleep in the woods. They don't have any bling to show for their gangsta cred, but the world deserves to know who they are. They're tramps, and their wheels are starting to fall off. Ninja become despondent over their vagabond existence, but Yo Landi won't let him give up. What ensues is straight up gangsta mayhem, the realist of the real, true gangsta shit".