Janelle Monáe est brillante.
The ArchAndroid est l'album de l'année et cela ne souffre aucune discussion*. C'est déjà assez rare en soi, rare de ne pas hésiter sur son album favori de toute une année. Ce petit florilège de compliments placés en exergue ne sont que quelques illustrations des éloges adressés depuis quelques mois à Janelle Monáe. Stop ! N'en jetez plus. Son talent est une évidence et ça se remarque.
Ainsi 2010 marque l'avènement d'une
fembot, une femme robot, dans le paysage de la pop mondiale. A moins qu'il ne s'agisse d'une
thrival ? Mais derrière cette musique éblouissante, le récit futuriste qui sert de fil
The ArchAndroid et une comm' verrouillée, sans prétendre révéler le moindre secret de fabrication, il est temps d'essayer de jeter un œil en cuisine et découvrir l'équipe qui l'entoure. Si on peut bien sûr essayer de comprendre le sens de son concept-album, il faut aussi reconnaître que celui-ci s'avère un bon prétexte pour se cacher derrière une fiction et ne rien révéler à la presse.
Bref rappel des faits : Janelle Monáe Robinson voit le jour le 1er décembre 1985 à Kansas City, fille d'une concierge et d'un éboueur
crack-addict. Elle commence des études à New York, au sein de la prestigieuse American Musical and Dramatic Academy, voie royale pour Broadway, mais ne finit pas son cursus, préférant s'installer à Atlanta et se concentrer sur sa musique. Elle y fonde la Wondaland Arts Society et sort en 2007, un premier EP,
Metropolis-Suite I : The Chase.
Inclassable ? Un ArchAndroid-en-ciel de styles
Greg Tate ne s'y est pas trompé (
cf. citation en exergue), Janelle Monáe est inclassable et semble même en faire une question de principe. Mais malgré les barrières qu'elle tombe, elle a toujours un train d'avance et, à la traîne, demeure toujours étiquetée R&B. Par défaut. D'où notre question à la découverte des premiers titres lors de la sortie de l'album : ça existe le R&B alternatif ?
The ArchAndroid est un album que vous pourrez écouter en boucle, dans son intégralité, ou bien par tranches. Il y aura toujours un titre qui correspondra à votre humeur du moment. Musicalement, l'album est à la fois accessible et aventureux, avec un certain nombre de morceaux tout à fait adaptés, pour ne pas dire formatés, au format radio, c'est-à-dire à celui d'une musique commerciale, notamment R&B, sans que l'on y voit un caractère péjoratif tant Janelle Monáe n'y perd pas son âme. Ces morceaux les plus accessibles sont en effet très réussis, énergiques, accrocheurs en même temps que suffisamment complexes, et surtout font office de balises qui permettent par ailleurs toutes les audaces sur les autres titres, en brassant les styles les plus variés : jazz, funk, rock, folk, classique (?), what else ?
Entre "Tightrope", le très très funk et irrésistible premier single porté par un clip hyper-entraînant, avec chorégraphie et nouvelle danse de rigueur, et "BaBopBye Ya", le clou du spectacle en toute fin d'album, il y a peu en commun. Entre le presque punk "Come Alive (War of the Roses)" et les ouvertures orchestrales des Suites II & III, de même. Et le reste à l'avenant.
Le choix des invités est également révélateur : Saul Williams, le poète incandescent, Big Boi qui l'a révélée et Of Montreal, pour un duo en parfaite symbiose avec Kevin Barnes.
Le paradoxe de The ArchAndroid est d'évoquer une société totalitaire, froide, où les sentiments sont prohibés, tout en donnant envie de se lover dans sa musique. A la fois le poison et son antidote. La description d'un monde épouvantable mais, au sein duquel Janelle invente des bulles des douceur, des espaces où il fait bon être. Au cœur de la métropole grise et oppressante, elle trouve la porte qui donne sur la clairière de "Mushrooms and Roses", ou "Neon Valley Street" et invente dans la foulée un environnement bucolique de synthèse. Elle déclarait à The Quietus : "je suis plus créative quand je suis entourée d'arbres. Je peux méditer dans le parc en bas du studio". Un environnement bucolique de synthèse, c'est ça.
The ArchAndroid est un album incroyablement dense qui a la durée d'un double-LP et qui est d'ailleurs un double-album dans le sens où il est divisé en deux parties :
Suite II et Suite III (même si ce découpage est imperceptible à l'écoute).
Le format du double-album se prête assez bien à cette approche élargissant le panorama, brassant les styles. Ce genre de tentatives a parfois sévèrement été critiqué, à cause justement de cette diversité. Comme si on leur reprochait un manque de cohérence, un côté "touche-à-tout, bon à rien", brouillon, ou parfois tape-à-l'œil. Pourquoi Janelle échappe-t-elle à ces critiques ? Parce que son geste est à la fois artistique, en tant que démonstration du talent incroyable d'une
tiny jeunette de vingt-cinq ans, et politique, au sens où elle cherche à abolir les cloisonnements historiques de la société américaine. Elle ne veut rien s'interdire. Ainsi quand elle balance un morceau presque punk ou plane sur des harmonies vocales folk, elle marque encore son territoire. Dans l'Amérique contemporaine, c'est un véritable manifeste. Elle repousse les limites comme pour montrer qu'elle les a déjà dépassées.
Les aventures de l'androïde Cindi Mayweather, concept-album
Metropolis-Suite I : The Chase EP, sorti en 2007, était le premier volet d'un récit centré sur Cindi Mayweather, androïde de modèle Alpha Platinum 9000, alter-ego de Janelle.
The ArchAndroid , Suites II & III est la suite de ses aventures. Ce concept-album est donc imaginé comme une variation sur le
Metropolis de Fritz Lang dont l'action se déroule en 2719 (1927 en verlan, année de sortie du film), époque où franchement il ne fait pas bon vivre.
Comme dans le
Metropolis de Fritz Lang, on retrouve une figure messianique, une androïde, la séparation de la société en deux groupes distincts et inégaux... Dans
The ArchAndroid, Cindi Mayweather découvre qu'elle est l'élue, destinée à amener l'amour et la liberté aux androïdes. Pour conter les épreuves qu'elle doit traverser, l'album se veut un
emotion picture, mêlant narration cinématique et refrains entêtants.
Au-delà des classiques questions de
race et
gender, pourtant loin d'être réglées, Janelle Monáe choisit d'évoquer une nouvelle altérité, celle de l'androïde, le nouveau paria, la nouvelle victime du stigmate dont la vie est bridée par les interdits. Et l'androïde lui fournit même une parade quand on essaie de la récupérer. On l'a dit gay, elle répond : "
la communauté lesbienne a essayé de me revendiquer. Mais je ne sors qu'avec des androïdes. Rien de tel qu'un androïde - eux au moins ne vous trompent pas" ("
The lesbian community has tried to claim me. But I only date androids. Nothing like an android—they don’t cheat on you").
Une chose est sûre, Janelle Monáe est une véritable
control freak et, malgré sa signature sur Bad Boy Records, le label de Diddy, et la distribution par Warner, elle cherche à préserver son indépendance. Elle affiche sa conscience politique en s'habillant de noir et blanc, en hommage à la classe ouvrière dont elle est issue, et assume une forme de féminisme. On peut ainsi lire l'affirmation suivante sur le site de sa structure Wondaland Arts Society : "
Nous croyons que les femmes sont bien plus intelligentes que les hommes. Et qu'elles s'efforcent d'agir en conséquence". Janelle se choisit pour modèles des femmes fortes ou extravagantes, d'où son admiration pour Katharine Hepburn, comme elle le confiait récemment au
Monde, "
la première à marcher en pantalon sur les tapis rouges d'Hollywood, à redéfinir la liberté d'habillement des femmes". Après tout, si la référence à Katharine Hepburn, plutôt qu'à Audrey, n'est guère fréquente ces temps-ci, elle colle assez bien à Miss Monáe : elle se distingue de ses consœurs actuelles de la même manière que Katharine Hepburn des siennes en son temps. Non pas femme fatale au décolleté pigeonnant, mais peste un peu garçonne, avec du caractère et qui porte pantalon. Cet "uniforme" instantanément identifiable qui est le sien, iconique, smoking, nœud-pap' et
pompadour, code couleur immuable, dépasse les apparences et ose la rupture des codes en vigueur dans le R&B. Dans un genre où on mettra en avant un physique avantageux de
bimbo bling-bling, elle opte pour une tenue pudique ne laissant pas apparaître une once de peau : radical. Fine mouche, elle sort ainsi du lot tout en prétextant que cette discrétion vise à ne pas faire écran entre elle et sa musique, afin qu'aucun détail ne vienne nous en distraire.
Ne pas nous distraire de la musique mais aussi de l'histoire que raconte le concept-album
The ArchAndroid. Une histoire qui se déroule donc en l'an 2719 et où nous suivons les tribulations de Cindi Mayweather, l'androïde n°57821, qui est l'élue. Dans son essai pour
The Quietus, "Janelle Monáe: A New Pioneer Of Afrofuturism", John Calvert insistait sur l'importance de ce concept de libération. Selon lui, à travers cette fiction, c'est le thème de l'esclavage qui remonte. Quand on vous dépouille de toute forme d'identité nationale, familiale, religieuse, que l'on vous prive de votre passé, que reste-t-il comme territoire à s'approprier pour s'inventer une histoire ? Le futur. La figure de l'androïde renvoie également à l'esclave, comme lui, il est une machine, un simple outil de production du capitalisme, ce qui sous-entend que
The ArchAndroid pourrait se lire d'un point de vue marxiste, comme cela est souvent évoqué en raison de l'influence du
Metropolis de Fritz Lang sur l'œuvre de Janelle, même si elle cite également Philip K. Dick, Octavia Butler ou
Le Meilleur des Mondes d'Aldous Huxley comme références ayant inspiré son récit.
Quant à l'histoire narrée par The ArchAndroid, même si spéculations et interprétations de l'œuvre vont bon train sur quelques forums, quelle portée lui accorder ? Elle joue avec les codes et les passages obligés de tout récit de science-fiction. Par la force des choses, on peut aussi penser qu'elle s'approprie les archétypes, sans se borner aux stéréotypes. Le futur décrit comme totalitaire est un de ces passages obligés. Mais toute approche futuriste raconte en métaphore une histoire contemporaine quand elle ne règle pas ses comptes avec le passé. Ainsi, la romance contrariée entre l'androïde Cindi Mayweather et l'humain (Sir) Anthony Greendown, plus qu'aux sempiternels Roméo et Juliette, pourrait renvoyer à un mythe fondateur américain, Pocahontas. Ainsi, au pays du happy end obligatoire, une terrible convention exigeait que jamais une histoire d'amour mixte ne se finisse bien dans un film américain, même après l'abolition du sinistre Code Hays. Qu'en est-il de l'amour entre Cindi et Greendown, échappera-t-il à cette malédiction ? A considérer les dernières paroles du morceau final, on peut en douter :
"I see beyond tomorrow
This life of strife and sorrow
My freedom calls and I must go"
Mais cette fuite en avant de l'héroïne n'est peut-être que l'ouverture annonçant de nouvelles aventures, une sequel, la Suite IV ?!
La Matrice Wondaland Arts Society
Les aventures de Cindi Mayweather si elles incitent aux spéculations de fans, au même titre que ceux de... que sais-je,
Harry Potter,
Twilight, etc..., sont finalement un écran de fumée, un os à ronger tendu aux
teenagers. Il y a intrigue, certes, mais les véritables investigations devraient plutôt se tourner vers la matrice d'où est issue cet album et dont se revendique Janelle, la Wondaland Arts Society. D'ailleurs doit-on vraiment adopter une lecture marxiste du récit de Janelle Monáe ? N'est-ce pas une élucubration
funk-a-logique de journalistes qui voient plus loin que le bout de la copie qu'on leur demande ? Car on pourrait aussi bien essayer de comprendre la posture et le travail de Janelle Monáe comme intrinsèquement...
capitaliste, même si ce capitaliste est lui-même...
futuriste. Ou simplement contemporain. Dans cette perspective, on verra une habile stratégie commerciale dans la mise en scène d'une nouvelle héroïne, au look immédiatement identifiable,
iconique disais-je plus haut. Janelle ne baisse jamais la garde, est en permanence en représentation, incarnant son personnage jusqu'au bout des ongles et de la
pompadour. Si vous écoutez une interview, n'attendez pas la moindre confession ou anecdote un peu spontanée. Elle joue son rôle avec la froide détermination d'une...
androïde, portée par une ambition démesurée. Artiste dans l'âme et bourreau de travail parce que le travail est la seule façon de parvenir à ses fins. Il est ainsi instructif de lire la présentation de sa structure, la Wondaland Arts Society, qui oscille entre les statuts de l'entreprise et le manifeste artistique.
"
Nous suivons Steve Jobs comme Berry Gordy suivait Henry Ford" !!! Ce qui donne en détail et en anglais : "
we are watching Steve Jobs the way Berry Gordy watched Henry Ford. We believe in Moore's Law, in time pacing, in micro-chunking, in nanofying, in monetizing, optimizing everything, and shipping products. We're like a cross between Guy Kawasaki and James Brown". Ou comment mettre un sévère coup de vieux à la Motown !
Quant à la vision qu'ils donnent d'eux-mêmes, de leur vision de l'art et de la musique, on y retrouve une part d'idéalisme naïf mêlé à une ambition dévorante... "
Nous, à Wondaland, sommes des inventeurs. Nous portons le smoking tous les jours et plongeons dans des piscines pendant nos performances (...) Nous croyons que les chansons sont des vaisseaux spaciaux. Nous croyons que la musique est l'arme du futur. Nous croyons que les livres sont des étoiles. Nous croyons qu'il n'existe que trois formes de musique : la bonne musique, la mauvaise musique et le funk.
Nous avons créé notre propre Etat, notre propre République. Il y a de l'herbe ici. L'herbe pousse et sort des toilettes, des bibliothèques, pousse au sol et au plafond. L'herbe nous aide à nous sentir bien. Dans notre état, il n'y a pas de lois, il y a seulement de la musique. C'est le funk qui dicte sa loi. Et le punk dirige les cours de justice et de la bourse.
Dans cet Etat, il n'y a pas de nourriture. Nous mangeons des livres et les assaisonnons de vin et de barbapapa. Quand vous voulez connaître les nouvelles, vous lisez une BD (...)
Nous avons déjà construit plusieurs villes. Nous sommes toujours à la recherche d'une nouvelle ville où habiter. Nous avons récemment déménagé d'Atlantis pour nous installer à Métropolis, une cité que nous avons nous-mêmes conçu. C'est la plus grande ville du monde mais vous ne pouvez la voir qu'en fermant les yeux". Etc, etc...
Naïf ? Mignon ? Mais un lieu où les livres sont une nourriture est toujours digne d'estime, surtout si les livres sont de bon goût et qu'on trouve sur les étagères de Wondaland les romans de Zadie Smith, Percival Everett ou Junot Diaz, sans oublier les classiques Joyce, Kafka, Borges...
A vrai dire, Janelle la joue collectif. Toujours, elle parle au pluriel et utilise le "
we". Ce "
nous" dont elle fait partie est justement la Wondaland Arts Society, petite structure indépendante rassemblant artistes de tous poils et disciplines. Quant à Janelle, le parrainage d'Outkast et la signature sur le label de Sean "Diddy" Combs, Bad Boy Records, nous distraient de l'essentiel, le processus créatif au sein de Wondaland. Lequel semble effectivement un travail d'équipe. Si on a facilement repéré la grande silhouette de Kellindo Parker, guitariste portant perruque, les deux piliers du travail de composition et de production sont étrangement absents de la plupart des chroniques (françaises) de l'album. Alors que Janelle écrit les paroles, quasiment tous les morceaux sont pourtant signés de Nathaniel Irvin III,
aka Nate Rocket Wonder, et Charles Joseph II,
aka Chuck Lightning. Ensemble, ils forment par ailleurs le duo Deep Cotton, invité sur un titre de The ArchAndroid, "57821". Les deux personnalités sont complémentaires. Comme en témoigne Chuck Lightning : "
j'ai appris que nous étions semblables malgré nos différences. N8 est plutôt PC alors que je suis Mac. Il est branché fast-food, chansons et pop-charts. Je suis plutôt tapas, albums et underground. Quand il monte dans ma voiture, il monte les aigus car il est fasciné par les cordes et les mélodies. Quand je monte en voiture, je balance des basses parce que j'aime bien sentir la musique. Mais ceci posé, nous sommes complémentaires".
Dans cette petite vidéo, les voici au travail sur le titre "Come Alive (War of the Roses)", dans les locaux de Wondaland. L'écriture et la composition de l'album y apparaissent comme un véritable processus collectif, une collaboration tendue vers un seul but commun, sans interférences d'ego : faire un sacrée bonne musique qui éclate tous les carcans.
Outre le duo essentiel Nate Wonder-Chuck Lightning,
aka Deep Cotton, on retrouve l'apport déterminant de Roman GianArthur. Comme nous étions impressionnés par le morceau "BaBopBye Ya", nous avons cherché les crédits parmi les notes de pochette pour découvrir que celui-ci en avait signé la composition et les arrangements pour orchestre. Cet autre membre du collectif Wondaland est par ailleurs frère de Nate Wonder. Kevin Barnes, leader du groupe Of Montreal, proche de Janelle et Wondaland, nous prévenait : "
Roman GianArthur va être le grand truc de 2011, c'est un génie musical, un arrangeur brillant, auteur, interprète... Il faut aussi probablement très bien la cuisine. Vous allez voir, quand ils vont entendre son album, les gens en laisseront tomber leurs provisions" ! Chuck Lightning raconte le rituel quotidien de la maison : "
les journées à Wondaland commencent quand Roman GianArthur s'assied devant le grand piano et joue sa sélection du jour. Parfois, c'est Debussy, parfois Stevie Wonder. Georgie Fruit, aka Kevin Barnes, peut éventuellement le rejoindre. Comment un seul piano peut-il avoir autant de funk ?"
Plus surprenant encore, le morceau aurait été composé en 1976 par leur père Nathaniel Irvin II dont on peut se demander s'il n'est pas le véritable gourou de Wondaland. Mais laissons le suspense pointer le bout de son nez, l'influence du Dr. Irvin sera le prochain volet de nos investigations.
Greg Tate, en observateur avisé et mentor de Janelle, est persuadé qu'elle et sa clique iront loin : "
je pense qu'ils sont tout à fait capables d'avoir un impact sur la vie intellectuelle et la culture pop de leur génération, principalement parce qu'il se consacrent à leur art, aux idées mais aussi aux aspects commerciaux y étant associés avec la même implication".
Si Janelle Monáe a un talent incroyable, elle a su trouver les personnes qui partagent sa vision. Leur communion artistique a déjà produit ce chef d'œuvre. Wondaland se propulse à la façon d'une fusée, après avoir largué dans l'espace son premier étage,
The ArchAndroid, on attend impatient de découvrir les albums de Deep Cotton et Roman GianArthur.
Quant à "BaBopBye Ya", ce morceau clôt l'album majestueusement. Longue pièce en trois mouvements de presque 9 minutes, il déploie un véritable souffle orchestral pour fournir un écrin à la voix de Janelle, peut-être le titre où elle peut délivrer sa plus brillante performance vocale. Si on considère que Janelle Monáe œuvre dans une veine afro-futuriste, la dimension rétro est également très présente. Elle puise son inspiration dans des références qui ne sont pas de son âge : Katharine Hepburn, Fritz Lang, les
tuxedos... Sur ce bouquet final, j'avais cru percevoir l'influence de
The Rubaiyat of Dorothy Ashby, album inspiré d'Omar Khayyam, produit et arrangé par Richard Evans. C'est le ton délibérément rétro de son chant qui me fait penser à cet essai de jazz imprégné d'
Exotica, et aussi cette allusion au vin...
"
The only love my heart approaches
Your tender eyes fill mine with roses
I drink your wine
And never will my heart dry inside
Or be denied "
Je me trompe probablement en croyant déceler cette influence. De même quand, plus loin, un dialogue violon-piano me rappelle Astor Piazzola et son Quinteto Tango Nuevo. Mais ça ne fait que renforcer la richesse et le pouvoir d'évocation de "BaBopBye Ya".
Ce serait injuste de reprocher sur pareil titre à Janelle et son équipe un côté démonstratif, un "tour de force", car on sent la fierté de jeunes gens, presque encore surpris d'avoir accompli un tel travail. Dans l'extrait vidéo ci-dessous, ils rappellent combien cette pièce est un élément essentiel de
The ArchAndroid.
The ArchAndroid est donc un album créé dans une intense effervescence artistique qui révèle au monde l'incroyable talent de Janelle Monáe. Tout pimpante, elle capte la lumière et rayonne. Car il faut aussi reconnaître que la fascination pour cet album tient également à la curieuse séduction de son auteur. Son visage enfantin contraste avec sa froide détermination. On est admiratif de la voir à ce point dédiée à son art et cela mérite le respect. Elle n'est certes pas modeste, son aplomb et son assurance peuvent gêner mais il émane de cette femme-enfant une telle volonté qu'on est conquis. Perfectionniste, inébranlable, elle se donne les moyens de ses ambitions.
Dépouillé de tout son
decorum, son message est on ne peut plus simple et s'adresse aux jeunes gens, notamment de couleur. Janelle Monáe leur dit qu'il faut prendre confiance, ne pas se laisser brider par ses peurs, s'y confronter et s'affirmer tel que l'on est. Positif et fier. Elle assume ainsi vouloir être un modèle. Sa coiffure a beau être extravagante, ce sont ses cheveux naturels, précise-t-elle. Janelle Monáe est unique. Brillante.
L'avis du Dr. Funkathus : un élixir radical, un effet feel good instantané, notamment sur "Tightrope" donc. A ce sujet, le Dr. vous conseille toutefois de bien réviser vos pas de danse si vous voulez faire bonne figure lors du réveillon.