Le passage de Big Boi par la France nous donne l'occasion de reprendre notre série Les 10 du Millénaire, à savoir une sélection très subjective des albums qui m'auront le plus marqué depuis le passage à l'an 2000. Et, incontestablement, Speakeboxxx/The Love Below, le double album d'Outkast rentre dans ce palmarès.
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En quelques albums, de Southernplayalisticadillacmuzik à Stankonia, Outkast, le duo d’Atlanta, a su brillamment conjuguer le hip-hop le plus créatif au succès commercial. En réponse aux rumeurs de séparation, Speakerboxxx/The Love Below a été un des événements de la rentrée musicale de septembre. Une éclatante réussite, et même mieux, à boire et à manger en rations généreuses (deux albums pour le prix d’un), morceaux raffinés et gros beats roboratifs. Leurs divergences artistiques ont fourni à Big Boi et André 3000 la base et le principe général du projet : un double-album sous la forme de deux disques distincts, un parfait recto-verso directo-versatile. Imaginons un instant John Lennon et Paul McCartney, à force de conflits, pratiquer la scission des Beatles pour, chacun dans son coin, composer sa face de la galette en vinyl et y exposer sa vision du songwriting. C’est ce qu’ont réalisé les deux lascars, leurs George et Ringo n’étant plus que docile software. On voit parfois de jeunes groupes se partager l’affiche d’un disque pour réaliser ce que l’on appelle un split album. C’est ce que fait Outkast, sauf qu’ici c’est peut-être une façon de retarder la séparation, le split. En se renvoyant ainsi dos-à-dos dans une saine émulation, Outkast a-t-il su faire fructifier de la plus créative manière qui soit leur incompatibilité de vue, ou bien n’est-ce que la position de départ des duellistes avant l’affrontement ?
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C’est encore de la marmite-matrice P-Funk que sortent les titres les plus dansants de Speakerboxxx, l’album de Big Boi. Contrairement à ce que pourraient imaginer nos amis brésiliens, ce Boi n’a rien à voir avec le bœuf, ni avec la grande fête agraire dont il est la vedette, le Bumba Meu Boi. Non, Big Boi, lui, "tape le bœuf" avec ses ordinateurs et balance un gros son boombastic. Big Boi la joue directe et pousse les curseurs dans le rouge : le rap a besoin de grosses basses, de bons beats et de speakers costauds, des enceintes capables de supporter ces fréquences et le volume. Pas plus qu’il ne se lasse du funk, Big Boi endosse une nouvelle fois la panoplie gangsta du bad boy et ne se lasse pas de jouer le mac, mais à la différence de ses confrères, ce pimp-là possède une conscience sociale : funky mais pas idiot.
Il est assez rare aujourd’hui de voir les artistes en général et hip-hop en particulier, changer de formule alors que celle-ci cartonne. C’est pourtant ce que fait André 3000 sur The Love Below, partir en vrille dans toutes les directions : jazz, drum’n bass, pop. Avec un panache digne de Prince (mais une virtuosité moindre). Il s’introduit en crooner accompagné de cordes soyeuses. Puis embraye en faisant strider une guitare avant d’enchaîner sur un tempo jazz avec piano et cuivres. Le reste à l’avenant. Notre joli cœur s’offre également un duo avec la charmante Norah Jones, et un autre avec Kelis, la petite tigresse du R&B. Versatile donc, au point qu’on ne puisse plus parler là de rap.
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Si la Face B est matériellement obsolète avec l’objet CD, le concept demeure. La façade reste conforme à leur marque de fabrique alors que l’autre versant révèle un côté plus expérimental et aventureux : Outkast avance dos-à-dos, face à face.
O.C.
(article initialement paru dans
Cultures en Mouvement n°63, déc. 2003)
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