jeudi 30 septembre 2010

Dam-Funk, l'ado qui aimait les grosses fesses

Le premier message de ce blog s'intitulait Cosmogonie de la paire de lunes et était tout dédié au booty. Nous y tenions ce genre de propos définitifs : "si le funk n'agit pas directement sur le booty, c'est pas du funk". A l'heure où Stones Throw, son label, nous offre en téléchargement un vieil inédit du bonhomme ,"I Like Your Big Azz (Girl)", ce n'est pas Dam-Funk qui nous contredira. .

S'il n'a sorti son premier album, Toeachizown, que l'année dernière, cela fait pourtant une bonne vingtaine d'années que Damon G. Riddick bricole son funk en solitaire. Peanut Butter Wolf, patron de Stones Throw, a donc eu la bonne idée d'aller fouiner dans les cassettes de ses vieux enregistrements. Dam-Funk lui a juste dit : "c'est ton projet, Wolf. Tu en fais ce que tu veux. C'est entre tes mains. Je ne veux même pas savoir à quoi ça ressemble tant que ce n'est pas fini. Amuse-toi". A l'arrivée, sort donc un album, Adolescent Funk, composé uniquement des morceaux enregistrés à la maison entre 1988 et 1992.

Après les vieilles cassettes, on a donc sorti une vieille photo pour la pochette. Où notre jeune Damon est en goguette avec ses amis, tous bien sapés, du moins selon les canons de ces années-là dans certaines sphères de la population.


Alors, qu'a bien pu faire Dam-Funk dans cet intervalle de vingt ans, entre ses morceaux  de jeunesse aujourd'hui exhumés et son pavé (double-CD et quintuple-LP !!!) Toeachizown de 2009 ? Outre chauffeur routier, il a longtemps été musicien de session pour les rappeurs West Coast, lesquels on le sait utilisent plus volontiers des musiciens en studio que leurs homologues de l'East Coast (voir à ce sujet, West Coast Theory, documentaire très instructif).

Pourtant, Dâm-Funk n'adhère pas au "Keep it real" des rappeurs, sa devise à lui, c'est "Keep it Fantasy" ! Nul doute pourtant qu'ici l'objet de sa fascination n'ait rien de virtuel.

Dam-Funk, "I Like Your Big Azz" (1992) mp3

mercredi 29 septembre 2010

"Carinhoso", 2ème partie : éternel "Carinhoso"

"Carinhoso", encore une fois. Après l'avoir présenté interprété par Marisa Monte et Paulinho da Viola, aujourd'hui, c'est à travers trois artistes essentiels de la musique brésilienne, Pixinguinha, Orlando Silva et Elizeth Cardoso, que l'on reviendra vers cette chanson sublime. "Carinhoso" ? Eternel ! J'exagère peut-être un peu mais je maintiens : éternel ! "Carinhoso" est un morceau qui traverse les années et garde toujours son même éclat. Même si on peut aussi considérer que son charme est... rétro, que sa sentimentalité est vieillotte. Je veux bien l'admettre. Il n'empêche, ça me touche toujours autant. Le temps s'écoule différemment avec un standard de cette trempe. 

 Si "Carinhoso" a été composé il y a près d'un siècle, sa genèse elle-même illustre ce défi au temps, une vraie patience de Pénélope. Pixinguinha l'a composé en 1917, mais ce n'est que dix ans plus tard qu'il l'enregistrera. Dix ans de plus s'écouleront même avant, qu'en 1937, des paroles lui soient ajoutées. Ces paroles, certes sans prétention, contribueront alors à en faire un des morceaux les plus populaires et appréciés du riche patrimoine musical brésilien. La première version chantée  l'immortalisera d'emblée. C'est celle d'Orlando Silva, encore considéré par certains comme le plus grand chanteur brésilien de tous les temps. Depuis, on recense au moins 200 enregistrements de "Carinhoso" !

Pixinguinha n'était âgé que d'une vingtaine d'années quand il composa "Carinhoso". Il garda le titre pour lui car, expliquait-il en 1968, "à cette époque, on n'admettait pas de choro comme celui-là qui n'avait que deux parties, au lieu de trois comme il était de rigueur. Donc, j'ai fait "Carinhoso" et je l'ai mis de côté. Jouer "Carinhoso" dans cet environnement ! Je ne le jouais pas, personne ne l'aurait accepté".

Si aujourd'hui "Carinhoso" est considéré comme un choro, ou un samba-choro, à l'époque de sa composition, en 1917, il était décrit par Pixinguinha lui-même comme une polka, une polka lente. Que cela ne surprenne personne : le choro est né en ajoutant des syncopes aux danses européennes, et en y introduisant un sens de l'improvisation virtuose.

C'est à ce point de rencontre que Pixinguinha pose son empreinte, empreinte qui va marquer durablement l'histoire de la musique brésilienne. Car Pixinghuinha parvient à créer une musique où l'on retrouve la lointaine influence de sa formation classique, l'héritage afro-brésilien et une curiosité pour une musique neuve venue des Etats-Unis, le jazz.

C'est Ary Vasconcelos, son biographe qui a trouvé la formule pour illustrer l'importance de cette homme, il écrivait ainsi dans sa préface à Panorama da música popular brasileira : "si vous avez quinze tomes pour présenter la musique brésilienne, soyez certain que cela ne sera jamais assez. Mais, par contre, si vous ne disposez que d'un seul mot, tout ira bien, il vous suffira d'écrire Pixinguinha".


Né dans une famille de musiciens à Rio, en 1897, Alfredo da Rocha Viana Filho, surnommé Pixinguinha depuis l'enfance, a commencé par jouer de la clarinette. Avant que son père, flûtiste lui-même, ne lui propose de passer à la flûte. Pareil environnement familial était propice pour que s'épanouisse la vocation du jeune garçon. Sans compter qu'il bénéficiait de l'enseignement du prestigieux Irineu de Almeida. Son père, impressionné par la rapidité de ses progrès, lui offrit même une flûte Balacina Biloro en argent : le top du top à l'époque. A quatorze, il était déjà un musicien professionnel. Après avoir déjà écumé quelques orchestres, en 1919, avec son frère China et Donga, il fondait Os Oito Batutas en recrutant des membres du Grupo de Caxangá, ensemble de carnaval.

C'est avec cette formation, qu'en 1922, il se produisait à Paris. Enfin, pour l'occasion, les Batutas n'étaient plus que sept à embarquer, et se présentaient simplement sous le nom Os Batutas, voire Les Batutas. Leur engagement au Shéhérazade devait ne durer qu'un mois. Devant le succès de leur spectacle, ils y restèrent six mois, passant d'un cabaret à l'autre. 

C'est en 1928 qu'avec sa nouvelle formation, l'Orquestra Típica Pixinguinha-Donga, il gravait pour la première fois "Carinhoso". Le morceau connut même deux autres enregistrements, toujours des versions instrumentales...

Pixinguinha, "Carinhoso" (1928)

Ci-dessous, une version non datée et plus récente, mais qui offre le mérite de retrouver Pixinguinha en images...


ll fallut attendre 1936 pour que "Carinhoso" se voit offrir des paroles. Elles furent écrites dans l'urgence et sans prétention. En effet, Heloísa Helena, une jeune actrice qui devait participer à un concert de bienfaisance, souhaitait avoir un morceau original qui puisse attirer l'attention sur sa prestation. Elle demanda à Braguinha (Carlos Alberto Ferreira Braga) s'il pouvait trouver des paroles à "Carinhoso". Celui-ci ne fit ni une ni deux et appela Pixinguinha afin qu'il lui enseigne la mélodie. Le lendemain, il présentait ses paroles à Heloísa qui en fut si ravie qu'elle lui offrit une cravate italienne (décidément, nous ne reculons devant aucun détail insignifiant). Le jeune Braguinha qui avait entrepris des études d'architecture et dont le père ne voulait pas voir son nom associé à une histoire de musicien, les signa João de Barro, du nom d'un oiseau... "architecte".

C'est alors qu'est entré dans la ronde celui qui allait changer le destin de "Carinhoso", Orlando Silva. Ironie de l'histoire, son père, José Celestino da Silva, avait joué comme guitariste au sein des Oito Batutas de Pixinguinha. Seulement, il ne les accompagnait pas en tournée car il déjà trois enfants et préférait rester à demeure. Il fut hélas emporté par la grippe espagnole alors que le petit Orlando n'avait que trois ans.

Enfant, le petit Orlando chantait déjà, jouissant d'une petite notoriété dans son quartier. C'était bien beau mais il lui fallut travailler jeune. Il était encore adolescent et exerçait le métier de coursier quand il eut ce fameux accident de tramway. En voulant monter dans une rame en marche, il fut blessé et amputé de quatre orteils. De là, vient sa démarche claudiquante et, selon certains commentaires, de là datait aussi sa consommation de morphine.

Ne perdons pas le fil, Orlando Silva n'est pas Cosette et le succès ne se fit guère attendre. Dès 1936, Orlando Silva avait son propre programme hebdomadaire à la Radio Nacional. Il y chantait et recevait chaque semaine un invité. Ainsi, Jean Sablon, notre grand crooner national, participa-t-il à une émission d'Orlando Silva. Jean Sablon, un grand chanteur qui mériterait plus de considération, et pas seulement parce qu'il a été accompagné par Django !

Bénéficiant de cette exposition radiophonique, enregistrant quelques disques, Orlando Silva, vingt ans à peine, était déjà surnommé le Cantor das multidões. En 1937, il confia à Pixinguinha lui-même le soin d'arranger "Carinhoso" et la valse "Rosa" (ah, "Rosa", encore une merveille signée Pixinguinha) pour les enregistrer accompagné de l'orchestre Regional RCA-Victor.

C'est cette première version chantée qui est, aujourd'hui encore, considérée comme son interprétation historique et indépassable. "Carinhoso", immortalisé par Orlando Silva. Les reprises fleurirent pourtant comme la bignone dans mon jardin. Orlando Silva lui-même y revint. En 1959, il enregistra un album intitulé Carinhoso où figure donc cet hymne sentimental, ainsi que "Rosa".

Orlando Silva, "Carinhoso" (1937)

Orlando Silva, "Carinhoso" (1959)

Il est intéressant de comparer les deux interprétations de "Carinhoso" proposées par Orlando Silva. Elles symbolisent finalement sa propre carrière. Après avoir atteint la gloire, à partir des années quarante, il ne fera plus que répéter ce qu'il avait déjà fait. Ré-enregistrant des morceaux qu'il avait interprété avec le brillant de sa jeunesse. Ainsi, en 1959, ce n'est pas le même homme qui chante. Sa voix a changé. Elle est devenue beaucoup plus grave. Elle a perdu, disent de nombreux admirateurs. Pourtant, on pourrait aussi dire qu'il n'était qu'un jeune gommeux quand il chantait "Carinhoso" en 1937. Gommeux peut-être mais qui a tracé si finement la mélodie quand son aîné aura besoin de grossir le trait.

Oui, en 1959, Orlando Silva n'a pas fait autre chose que grossir le trait. Sa voix, il est vrai, était abîmée par trop de morphine, trop d'alcool. Mais, bon sang, c'est encore cette version, avec tout son pathos, que je préfère. Oui, Orlando Silva en fait des tonnes, oui, il a définitivement banni la sobriété de son répertoire mais il est encore immense. Sur son blog, Flabbergast faisait à juste titre remarquer qu'à voir les photos des années cinquante, on peine à croire qu'il ait alors tout juste une quarantaine d'années, tant on lui donnerait facilement dix ou quinze ans de plus que son âge.

Cette version de 1959 est un chant de la maturité qui donne une nouvelle dimension à "Carinhoso". Si vous lisez les paroles, vous penserez probablement que, passé un certain âge, il faudrait être bien nigaud pour se languir ainsi d'une personne qui sans cesse vous échappe. Admettons. Pourtant, le cœur s'enflamme à tout âge. Et peut-être ces interprètes d'expérience, marqués par les hauts et les bas de la vie, peuvent-ils insuffler plus d'émotion, de gravité. Mais Orlando Silva croyait-il encore à ce genre de romance en 1959 ? Ne forçait-il pas le trait parce que c'est tout ce qui lui restait. Avec toujours une sacrée classe. Et l'émotion, malgré la démesure, les effets, finalement pointe le bout de son nez...

Une interprète d'expérience, c'est ainsi qu'en 1967, on pourrait décrire Elizeth Cardoso. Car une évocation de "Carinhoso" serait fatalement incomplète si nous n'évoquions pas la Divina, Elizeth qui, elle aussi, a donné plusieurs interprétations du classique de Pixinguinha. Là encore, nous sommes face à une artiste qui donne de la voix. Vous comprenez mieux pourquoi j'insistais dans la première partie sur la sobriété de l'interprétation de Marisa Monte... Bien sûr, nous aurions aussi pu citer João Gilberto ou Caetano Veloso, eux aussi interprètes feutrés, mais la liste des artistes s'étant essayé à "Carinhoso" est trop longue. C'est donc à Marisa que revenait la tâche d'incarner la sobriété. Une notion qui semble parfois étrangère à  notre Elizeth, tragédienne en diable, encore une fois magnifique. Sur cette version, elle est accompagnée par Pixinguinha lui-même, cinquante ans après qu'il ait composé le morceau. Histoire de boucler la boucle...


Pour ceux qui ne se lassent pas de cette mélodie en cascade, en veulent encore et ont l'âme sentimentale :



mardi 28 septembre 2010

?uestlove témoigne pour les générations futures, 1ère partie : les jalons musicaux de sa vie

Rentrée chargée pour Ahmir ?uestlove, batteur, producteur et beaucoup plus que ça de The Roots. Entre les sorties de How I Got Over, le dernier album du groupe, en juin, et celle de Wake Up!, l'album qu'il a enregistré avec John Legend, ces jours-ci. Mais cela n'a pas empêché ?uestlove de revenir sur les grands chocs musicaux qui ont jalonnés sa vie. C'est le principe des interviews 5-10-15-20 auxquelles Pitchfork soumet quelques artistes. Les inviter à parler des musiques qu'ils aimaient à l'âge de cinq ans, dix ans, quinze ans etc...


?uestlove est le client idéal pour ce genre d'exercice. Entre son ebonics gouailleur et son érudition musicienne, le bonhomme est intarissable et passionnant. Lire une interview de ?uestlove est toujours très instructif. Il y a même fort à parier que d'ici cinquante ou cent ans, quand les générations futures voudront avoir des témoignages détaillés et vivants de la vie musicale au tournant du Troisième Millénaire, c'est vers les récits de ?uestlove qu'elles se tourneront.

Cette machine à remonter le temps que propose Pitchfork aux musiciens interrogés voit ?uestlove commencer par évoquer Frankie Lymon et son célèbre "Why Do Fools Fall in Love?" en guise de première étape. Suivent The Time, Run-D.M.C., De La Soul, D'Angelo et Dilla. Rappelons juste que pour D'Angelo et Dilla, c'est aussi une histoire intime qui les lie à ?uestlove...

Quelques extraits...

L'influence de De La Soul.
"Plus que tout, DeLa Soul m'a préparé à ma profession. 1991 a été une année tellement charnière pour le hip hop qui atteignait l'âge de raison. A cette époque, j'avais déjà fait tous mes devoirs sur les fondamentaux du hip hop, ce qui consistait à aller voler tous les disques de James Brown à quiconque avait plus de cinquante ans et ne se souciait pas de sa collection de disques, les remisait à la cave ou les refilait à des disquaires d'occas'".

("More than anything, De La Soul Is Dead prepared me for my profession. 1991 was such a banner year for hip-hop, such a coming of age. By that point, I had done all the basic homework on my fundamental hip-hop, which meant stealing all James Brown records from anyone over 50 who had neglected their record collection in basements and thrift stores and Goodwills").

D'Angelo et la possibilité d'être soi
?uestlove raconte aussi les difficultés qu'ont eu les Roots, à leurs débuts, à être programmés sur certaines radios. Des allusions furent glissées, cela viendrait peut-être du drumming ? Sa rencontre avec D'Angelo, qui le sollicite pour jouer sur ce qui allait être son album Voodoo, aura alors un effet libérateur sur son jeu, comme il le raconte ici :

"Tous les yeux étaient pointés sur moi car je ne joue pas avec un métronome. Ca m'a rendu amer parce que je suis un breakbeat ambulant et que, là, j'ai dû bosser comme un dingue pour sonner comme un robot. Donc pendant toute la création et l'enregistrement de Illadelph Halflife, j'essayais de sonner comme une drum machine, et pendant un an j'ai complètement bridé ma créativité. Et là, D'Angelo rapplique avec l'antidote absolu : il voulait que je me désordonne délibérément. Alors, je lui ai dit : 'Dude, je viens juste de construire cette tour de kapla de 12 kilomètres de haut, tout en équilibre, un véritable travail de perfection, et tu viens me dire de tourner le dos à tout ça et jouer de la batterie comme si je m'étais bourré au moonshine derrière une carriole ?'. Et lui : 'oui, c'est exactement ce que je veux que tu fasses' ".

("So then all eyes are pointed at me because I don't play with a metronome. It left me bitter because I'm like a walkin', livin' breakbeat, but now I have to work extra hard because I have to sound like a robot.
So during the whole making of Illadelph Halflife I was trying to sound as much like a drum machine as I could, basically freezing myself creatively for a year. And now D'Angelo comes along with the absolute antidote-- he wanted me to mess up on purpose. I'm like, "Dude, I just built this 12-mile high Jenga display of perfection, and now you're telling me that I have to turn my back on that and drum like I drank some moonshine behind a chuckwagon?" He's like, "That's exactly what I want you to do").

Dilla, le frère et son dernier souffle
Bien sûr, on retrouve J-Dilla parmi les rencontres formatrices d'Ahmir. L'évocation qu'il fait de lui est réellement touchante.

"Je l'ai vu environ trois mois avant qu'il nous quitte. Il ne pouvait même pas parler et je ne pouvais même pas entrer dans la pièce. Nous n'étions pas préparés à cela. Mais le truc le plus dingue, c'est que quand je suis entré dans la maison, j'ai entendu de la musique. Je me suis dit, 'putain, il est encore en train de travailler sur un truc'. Et je l'ai vu dans son fauteuil, scotché à sa machine. C'était déroutant pour moi de voir que cette partie de son cerveau n'avait rien perdu. Son sens du rythme, tout ça, c'était toujours le même. Au début, je pensais vraiment qu'il allait s'en sortir. Mais il m'a donné son disque fétiche et ça m'a vraiment fait flipper. C'est un pressage brésilien très rare d'un EP de Stevie Wonder. Il m'a dit : 'c'est pour toi'. Et j'étais là : 'mais pourquoi ? Tu l'as depuis si longtemps'. Je ne voulais pas le prendre parce ça semblait vraiment trop comme la phase terminale. Sa mère est arrivée derrière moi et me l'a mis entre les mains. Alors je suis sorti de la maison sans savoir si je devais pleurer ou juste l'accepter ainsi. Il ne voulait pas vivre ainsi. Sa mère m'a dit qu'il avait réalisé son dernier beat - qui était un truc très inhabituel à partir d' "America Eats Its Young" de Funkadelic - et qu'il lui avait dit, 'je crois que je suis prêt'. Il s'est allongé sur le canapé et, deux heures plus tard, s'est éteint".

"I saw him about three months before he passed and he couldn't even talk and I couldn't walk in the room. We weren't prepared for that. But what was even crazier is when I walked in the house, I heard music. I'm like, "He's working on shit!" And I see him and he's in a wheelchair and hooked up to a machine. It was just baffling to me that that part of his brain had not expired. His sense of rhythm and all that stuff was still the same. At first, I thought he was going to get through it.

But then he gave me his prized possession record, and that really scared me. It's a very rare Brazilian Stevie Wonder EP. He said, "This is for you." And I was like, "Why? You've had this for so long." I didn't want to take it because it seemed too final. His mom came up behind me and put it in my hands. I just walked out of the house and didn't know if I should start bawling or just accept it. He didn't want to live like that. His mom told me he made his last beat-- which was a very unusual flip of Funkadelic's "America Eats Its Young"-- and told her, "I think I'm ready." He laid on the couch and, two hours later, he expired
".

Mommy, What's a Questlove?
Comme si ça ne suffisait pas, et ça ne suffit jamais, car une interview, aussi longue soit-elle, ne saurait être à la dimension de notre bonhomme, ?uestlove, pour répondre aux questions qu'on ne lui a pas encore posées, est devenu un twitter-maniac et a ouvert son propre site, Hypnagogics, où il décrit avec humour ses rencontres avec des célébrités.

Enfin, bonne nouvelle pour nos lointains descendants, il se lance dans l'écriture d'un livre. OkayPlayer, le label des Roots, l'annonce seulement pour 2012. Eh oui, un livre, ça demande du temps. Surtout si prétend l'écrire tout seul sans faire appel à un ghost-writer, un "nègre". Titre provisoire Mommy, What's a Questlove?, à paraître chez Grand Central Publishing...

dimanche 26 septembre 2010

Quand Baden Powell a cessé de chanter les Afro-Sambas...

Aujourd'hui, 26 septembre, cela fait dix ans que Roberto Baden Powell de Aquino nous a quitté. Parce que Os Afro Sambas est un album qui a bercé ces derniers mois où je l'ai beaucoup écouté, encore maintenant que l'automne est là, l'hommage à Baden s'imposait en ces colonnes. Os Afro Sambas est un classique, vibrant tout à la fois de spontanéité et de spiritualité. On y sent l'urgence, on y sent la vie, on y sent la dimension mystique du côté afro et l'élan du côté samba. Il y a quelques semaines déjà nous avions évoqué ce chef d'œuvre de Baden Powell et Vinicius de Moraes. Nous profitions du trentième anniversaire de la mort du poète pour revenir sur sa collaboration inspirée avec Baden Powell. Nous promettions de revenir très vite sur cet album, en l'abordant cette fois-ci du point de vue de Baden.

Vinicius a toujours attribué la beauté de ce disque à Baden. Il écrivait ainsi : "ces antennes qui relient Baden à Bahia et, par extension, à l'Afrique, lui permettent de réaliser un nouveau syncrétisme : donner une couleur carioca, dans l'esprit du samba moderne, au candomblé afro-brésilien et, dans le même temps, lui donner une dimension plus universelle. Jamais auparavant les thèmes noirs du candomblé n'avaient été traités avec autant de beauté, profondeur et richesse rythmique". Bel éloge...

Il y a cependant quelque chose d'un double sacrilège dans le rapport de celui-ci aux Afro Sambas.

Premier sacrilège, il les ré-enregistra en 1990. En essayant d'y être fidèle à la virgule près. Mais même si on y retrouve aux chœurs, comme en 1966, le Quarteto Em Cy, c'est sans Vinicius bien sûr, qui était mort dix ans plus tôt, que Baden Powell se lança dans ce projet.

L'intention en était peut-être louable, comme il l'expliquait dans les notes de pochette de ce remake des Afro-Sambas.

"Cet enregistrement constitue, pour le Brésil, un travail hautement culturel, il s'agit de mes œuvres et celles de notre très regretté Vinicius de Moraes - les célèbres Afro-Sambas. Les Afro-Sambas ont été composées aux environs de 1962 et enregistrés en 1965/1966. En ce qui concerne la qualité sonore, c'était ce qu'il y avait de plus mauvais car il n'existait en ce temps-là que deux pistes stéréo. L'enregistrement a eu lieu un jour de déluge inoubliable. La pluie avait inondé le studio. Je chantais et on jouait installés sur quelques caisses de bières et de whisky qu'on avait vidées depuis un bon moment. Nous étions très inspirés mais aussi bien ivres. Plus très professionnels en fait. Tout le monde a participé à l'enregistrement, fiancées, femmes, amis... Il fallait absolument refaire cet enregistrement. Quel dommage que Vinicius ne soit plus parmi nous ! Nous sommes déjà en 1990, l'heure est venue, j'ai pris mon courage à deux mains et, sans l'aide de personne, j'ai tout refait, écrit tous les arrangements, la direction d'orchestre (...) 
J'ai veillé à tout noter sur les partitions - surdo, tambourin, agogô, afoxé, atabaque, et d'autres effets comme les sons de cloche, grelots, les bruits de vagues. Et comme beaucoup connaissent déjà ces musiques, j'ai pris soin de ne pas changer une seule virgule, afin de ne décevoir personne. Ce disque a été refait avec la technologie moderne et il est bien exécuté et bien accordé. Bref, mon objectif est que cette œuvre traverse ce siècle avec dignité ! Il est nécessaire de maintenir un bon niveau de son. Les graves, les aigus, les médiums doivent être fidèles (...), les échos ou la réverbération : fidèles, aussi".

Fidèles... Mais l'esprit pourtant semble s'être évaporé en même temps que le progrès technologique amenait sa haute-fidélité... L'émotion de l'original a disparu. Ce qui était peut-être prévisible en l'absence de Vinicius !

Mais le second sacrilège que commit Baden Powell à l'égard des Afro-Sambas est intervenu quelques années plus tard quand il se convertit à la religion évangélique. Avec pour conséquence qu'en 1999, peu avant de mourir, Baden Powell déclare : " je ne peux plus dire saravá*. Je peux jouer la "Samba da Bênção" mais je ne dis pas saravá car c'est une louange de Satan" ("Não digo mais saravá. Posso tocar o Samba da Bênção, mas não falo saravá, porque é um louvor a Satanás"). Il faut savoir qu'au Brésil si le Catholicisme a longtemps combattu les religions afro-brésiliennes, il est devenu beaucoup plus tolérant. Par pragmatisme probablement, de nombreux fidèles fréquentant les terreiros une fois sortis de l'église. A l'inverse, les nombreuses églises évangélistes font preuve d'une impitoyable intolérance à l'égard des religions afro-brésiliennes, sommant leurs fidèles de ne pas fréquenter d'autres lieux de culte, caricature de monothéisme sectaire.

Dans une interview accordée alors à la Folha de São Paulo, il revenait sur cette conversion et ses conséquences... J'ai donc essayé d'en traduire quelques extraits...

D'où vient le côté afro des Afro-Sambas ?
Baden Powell : C'était déjà là, dans nos veines. Tout le Brésil est afro. C'est en nous. Vinicius et moi aimions ça. A cette époque, j'étudiais les chants grégoriens, les modes liturgiques. Je composais par-dessus, quand j'étudiais avec Guerra Peixe (arrangeur des Afro-Sambas de 1966). Les chants africains sont identiques aux grégoriens, c'est impressionnant. Je ne sais pas pourquoi, j'ai cessé d'étudier tout cela. Parce que je suis évangélique désormais. Les gens pensent que nous faisions une musique pour la macumba, le candomblé. Mais rien de tout cela, non. C'était uniquement culturel.

Quelle était votre religion à cette époque ?
Baden Powell : Non, non, cela n'a rien à voir. Ca pouvait être n'importe quoi. Vinicius était athée. Il n'y a pas besoin d'être dans la macumba pour jouer de la guitare. Il faut étudier, il ne faut pas croire que j'allais prendre deux bouteilles de bière et sortir jouer de la guitare. Ca ne mènerait nulle part. J'ai toujours eu une sympathie pour tous ces trucs de macumba, de candomblé. Comme tout catholique, non ? De là sont nés les chants que j'ai commencé à faire au berimbau.
J'ai fait un examen avec Guerra Peixe sur un chant grégorien. J'ai vu que cela ressemblait à un chant de sirène. De là vient "Canto de Iemanjá". C'est une image qui existe au Japon, en Chine, depuis plus de dix mille ans. L'Afro-Samba est un style de musique qui existe au Brésil, comme le samba lent, le samba-canção, le samba de carnaval, le samba-choro, le samba-lamento. Ce dernier est lié à l'afro-samba, qui possède ce côté sombre de l'afro, le lamento. Il reste ce stigmate mais nos afro-sambas n'ont rien inventé. Aujourd'hui, je suis en train de faire une nouvelle étude sur les chants grégoriens pour une série de musiques évangéliques.

La dimension afro y sera-t-elle présente d'une manière ou d'une autre ? Votre religion ne l'aime guère...

Baden Powell : Il faut qu'elle y soit. Je n'ai pas de religion.

Vous dîtes pourtant que vous êtes évangélique.
Baden Powell : Je suis évangélique. Ma religion est le Christ. La bataille des évangéliques est avec la candomblé lui-même, pas avec la musique. Tu peux jouer tout ce que tu veux...

Pourquoi vous êtes vous converti ?
Baden Powell : Pourquoi ? Tu sais pourquoi je suis devenu évangélique ? Pour en savoir plus. C'est comme quand j'étais à la recherche des afros, je continue à chercher la sagesse. Et quand j'ai atteint un certain point de sagesse, j'ai vu que toutes ces histoires de candomblé étaient un grand mensonge. Et j'ai arrêté.

Est-ce que vous enregistreriez encore les Afro-Sambas aujourd'hui ?
Baden Powell : Oui, je les enregistrerais. Il n'y en a que quelques uns que je ne peux pas graver. "Samba da Bênção", par exemple. Je ne peux plus dire 'saravá'. Je peux toujours jouer "Samba da Bênção" mais je ne dis pas 'saravá', parce que c'est une louange à Satan.

Est-ce que vous critiquez ceux qui le font ?
Baden Powell : Non, mon fils. Je ne critique pas, non. C'est seulement une question de sagesse. Je ne peux pas faire la louange mais je peux en parler, en discuter. "Berimbau" et "Consolação" sont des afro-sambas, je peux les interpréter. "Canto de Iemanjá", non, ce serait contribuer à une chose fausse. La musique, si elle existe, ce n'est pas un problème. Je peux jouer de la guitare, je peux en parler. Mais c'est juste que je ne peux plus faire des louanges.

Il faut cependant préciser que la conversion de Baden Powell fut tardive. Elle intervint à un moment où il était déjà malade et fragilisé... Il lui attribuait le fait d'avoir pu se débarrasser de sa très longue addiction à l'alcool.
Il n'empêche, c'est d'une tristesse !

L'ironie de la chose, c'est quand on relit le post-scriptum de la lettre qu'il envoya à l'ingénieur du son français, lors de l'enregistrement de 1990 des Afro-Sambas...

"P.S. : le technicien et moi avons remarqué, dans le dernier morceau, quelques bruits étranges. Ne fais pas attention, rien d'alarmant ! Il s'agit simplement des lamentations d'Exu !"

A vrai dire, je suis désolé en ce jour des dix ans de sa mort, d'avoir évoqué ce sujet qui jette un éclairage peu flatteur sur Baden Powell. Mais j'insiste : cette conversion est trop tardive pour qu'elle soit considérée comme importante au regard de son œuvre de musicien.

Et qu'importe cette conversion, après l'évocation malheureuse de ces sacrilèges, c'est bien Exu qui, aujourd'hui, nous sert d'intermédiaire pour toujours apprécier la musique de Baden Powell. Exu, maître des carrefours, intermédiaire entre les Dieux et les hommes, qui sous son incarnation YouTubesque, nous fait parvenir ces quelques images de la splendeur de Baden Powell. Images de jeunesse qui sont extraites, encore une fois, du film de Pierre Barouh, Saravah, tourné trois ans après la sortie des Afro-Sambas. Dans une ambiance décontractée, sous un nuage de fumée, où on le voit tirer goulûment sur sa cigarette en même temps qu'il joue, Baden Powell y interprète un thème extrait de l'album, le magnifique "Tempo de Amor". Avec lui, au chant, Marcia Souza, un peu en deçà, et quelques percussionnistes. Baden Powell y est intense. Ce sont ces images où il est rayonnant et fiévreux du plaisir de jouer que l'on gardera...


*Saravá signifie salut, bénédiction.

samedi 25 septembre 2010

Paco de Lucia : un grand maître en concert

Hier soir, pour l'ouverture du festival Les Internationales de la Guitare, j'ai eu la chance d'assister au concert de Paco de Lucia. Un véritable récital. Cela faisait plusieurs années que je n'avais pas vu un musicien aussi virtuose de son instrument. La moindre note que joue Paco de Lucia sonne incroyablement. Très très impressionnant. 


Il était accompagné d'un percussionniste, celui-ci principalement au cajon, de deux chanteurs dont Duquende, d'un bassiste, d'un danseur et d'un harmoniciste. Mais, si tous ces musiciens étaient excellents, on aurait presque préféré qu'il soit en solo tant il plane haut au-dessus de tous. Peut-être... mais ce serait, de ma part, une incompréhension fondamentale de l'art de Paco de Lucia que de le réduire à sa virtuosité. Il est certes un maître parmi les maîtres et, pourtant, Paco de Lucia se met au service du collectif. Il est le meilleur accompagnateur qui puisse se rêver, toujours à mettre en valeur son groupe. D'ailleurs, avant de le découvrir sur scène, j'avoue que je ne connaissais jusqu'alors de sa discographie que les albums où il accompagne le génial et incendiaire Camaron.

A lire certaines critiques, pour ce qui était peut-être sa dernière tournée, Paco de Lucia a privilégié cette dimension moins cadrée pour laisser tourner la ronde du flamenco. Deux heures de concert qui n'ont semblé qu'un instant. Intense.

Il y avait de nombreux aficionados dans la salle, ponctuant chaque éclair de olés. A côté de nous,  encore mieux : un guitariste professionnel jouant tous les samedis aux Saintes-Marie-de-la-Mer. Un Gitan du quartier Candolle qui nous disait : "le flamenco n'a qu'un seul sens". Faut que ce soit chaud, que ça vienne de "" (le ventre)... Il apprenait la guitare à ses fils et les avait amenés au concert, comme en pèlerinage, voir Paco !


Bon, la première photo n'est pas de moi. Mais hier soir, il était habillé pareil. Et même les plantes vertes semblent faire partie de son décor de scène... En voyant celle-là, ci-dessus, que j'ai prise moi-même, vous comprendrez mieux pourquoi je suis allé chercher l'autre sur le net !

Coïncidence, le matin même, je lisais une interview de Titi Robin pour Mondomix où il citait Paco de Lucia, pour illustrer un propos plus général dénonçant les stigmatisations, le racisme d'Etat, et la façon de vouloir enfermer les gens dans leur groupe d'origine.

"Une des "fausses vérités" est de faire croire à une musique gitane pure: il y a des couples mixtes emblématiques: le Sinti Django Reinhardt et le Gadjo Stéphane Grapelli pour le swing manouche, le Kalo Camaron de la Isla et le Payo Paco de Lucia pour le flamenco, la Romani Esma Redzepova et le Gadjo Stevo Teodosievski pour la musique des Balkans, … Le "Tzigane" n'existe pas sans le Gadjo, et le monde des Gadje serait d'une pauvreté culturelle sans l'apport des "Tziganes". Un critique musical français a un jour, parlant d'un célèbre guitariste flamenco, écrit ces mots: "Paco de Lucia, bien que non Gitan, est un grand ….". En réalité, bien qu'anodin et sûrement involontaire, ce genre de propos est significatif d'une tendance sous-jacente à segmenter les groupes, jusque que dans les milieux où l'harmonie est la plus éclatante. Enlevez l'apport de la culture africaine à l'Amérique du Nord, par exemple!"

jeudi 23 septembre 2010

"Carinhoso", 1ère partie : interprété par Paulinho de Viola et Marisa Monte

Seule l'Histoire fera d'une composition un standard. Seule sa résistance à l'épreuve du temps et aux innombrables reprises pourra lui conférer ce statut. "Carinhoso", composé par Pixinguinha  en 1917, est un standard de cette trempe, au moins aussi essentiel dans l'histoire de la musique brésilienne que les plus célèbres compositions de Jobim..

Pour une première évocation de "Carinhoso" et le faire découvrir à ceux d'entre vous qui ne le connaîtraient pas encore, j'ai choisi une version récente pour illustrer justement combien ce morceau traverse les époques et toujours brille du même éclat. Comment toujours il provoque ces petits picotements à fleur de peau et exerce cette petite pression sur le cœur qui font se sentir vivant. Bien vivant.


Paulinho da Viola est parfois considéré, à tort, comme passéiste. C'est juste qu'il connaît ses classiques sur le bout des doigts. Il s' en explique :

"Quand j'écoute "Carinhoso" de Pixinguinha, je sais que la musique a été écrite en 1917, que c'était une autre époque, que la vie a changé. Qu'il s'est passé depuis un million de choses. Mais la musique est toujours vivante. Peu importe que telle œuvre ait été faite à une période X, qu'elle ait contribué à un mouvement Y, et provoqué telle réaction Z. Tout cela ne nous sert qu'à connaître un peu d'histoire mais n'a pas grande valeur pour moi.Tout pour moi se passe maintenant. Ce qui n'a pas d'importance, pas seulement pour moi mais pour l'Humanité, disparaît. Meurt, est abandonné (...). Quand on me décrit comme conservateur, passéiste, ancré dans le passé, je réponds : je ne vis pas dans le passé, le passé est une chose vivante en moi".

Ainsi était emblématique de son inscription dans le présent sa reprise de la chanson de Wilson Batista, "Meu Mundo é hoje (eu sou assim)" : "meu mundo é hoje não existe amanha pra mim". Demain n'existe pas pour moi !

Meu Tempo é hoje, c'est justement le titre du documentaire qu'Izabel Jaguaribe a consacré, en 2003, à Paulinho da Viola. Les images ci-dessous en sont extraites. C'est ici Marisa Monte qui interprète "Carinhoso". De sa voix toujours aussi claire, pour ne pas se confronter au poids des glorieux aînés, Orlando Silva ou Elizeth Cardoso, et à leurs démesures magnifiques, elle a opté pour la sobriété. Une manière probablement plus contemporaine de l'interpréter... Elle s'en sort, ma foi, de manière fort honorable.


Une interprétation d'une rare élégance. Et j'espère ainsi que "Carinhoso" deviendra une chose vivante en vous... 

mercredi 22 septembre 2010

Innovation : Jack White invente le vinyl 2 en 1

Jack White a toujours dit préférer le son analogique au digital et celui du vinyl à celui du CD. Aussi est-il logique que la sortie de son nouveau single avec The Dead Weather, "Blue Blood Blues", bénéficie d'un traitement soigné en la matière. Les amateurs pourront donc le trouver en 7" (45 tours normal), soit en 12" (maxi-45). Où ça se corse, c'est qu'un troisième format fait son apparition. Une innovation, du jamais vu before ! Voici donc le Triple Decker Record™ : soit le 12" + le 7" en un seul et même objet.

Ca vous semble confus ? Un indice, pensez au principe des matriochkas...

Vous ne comprenez toujours pas à quoi ce disque peut bien ressembler, no problemo, Jack White vous en fait l'article...


Vous aimeriez bien en acheter un. OK, autant vous prévenir d'avance : ce sera difficile. Car il n'a été pressé qu'en 300 exemplaires. Collector !!!

mardi 21 septembre 2010

Madlib America's Most Espresso Blended

On le sait, les deux adjuvants de Madlib pour soutenir ses cadences effrénées, sont la weed et le café. Sachant cela, la marque Intelligentsia Coffee vient de lancer un blend spécial qui porte le nom de l'artiste.

"Beat Konducta Madlib's first espresso blend is a syrupy, sweet offering that has keep him awake long enough to average an album-per-day over the past three years".

A ce rythme-là, son palpitant doit avoir plus de BPM que sa musique !

Les grains proviennent de plantations à Lost Gates, Catuai, "near some good trees. Elevation : High".

Pour garantir la plus grande fraîcheur, les commandes sont bouclées le mercredi, le café torréfié le jeudi et envoyé le vendredi.

On peut se procurer le Madlib Espresso Blend sur le site de Stone Throw à... 15$ le paquet. Tout de même !



Madlib What Else ?

dimanche 19 septembre 2010

"Cheeba Cheeba" 3ème partie : Harlem Underground Band, ou la petite exploitation familiale

Tout est parti de là. Même si je n'ai découvert cet album que bien des années après celui de Tone Lōc.

"Smokin' Cheeba Cheeba" est un morceau d'anthologie, une longue montée de sept minutes. Juste le temps de se griller un joint ? On pourrait se poser la question puisque dès l'intro, on est plongé dans l'ambiance d'une scène de rue classique : on y entend la voix d'un dealer vantant les mérites de son produit, de la "good cheeba cheeba", du vrai "mojo thing".

Le morceau étant assez hypnotique, on devrait en déduire qu'effectivement, c'était de la "bonne". Un harmonica amène une coloration bluesy et crue mais c'est la rythmique de guitare qui fournit la colonne vertébrale du morceau. Un groove bien planté et une voix qui répète "Cheeba cheeba" en guise de refrain et cela suffit, le compte y est. Simple et intense.

Le Harlem Underground Band n'a enregistré que ce seul album en 1976. Plus qu'un véritable groupe, il s'agissait d'une formation de circonstances. On y retrouvait George Benson. C'est son nom qui figure en tête sur la pochette. Elément trompeur, car d'après les maigres informations que j'ai pu glaner sur le sujet, s'il a joué et participé au projet, il paraît qu'il n'a pas participé aux sessions d'enregistrement. Ah ! Mais il jouissait d'une belle notoriété et son nom permettait peut-être de mieux attirer l'attention sur l'album. L'autre nom qui lui est associé sur la pochette est celui du saxophoniste Willis Jackson. Si Benson était peut-être absent de séances, lui au contraire, en a visiblement profité pour faire d'une pierre deux coups puisqu'il aurait enregistré sous son nom l'album Funky Reggae. Pendant les mêmes sessions et avec la même formation, dont George Benson. Egalement produit par Paul Winley.

Figure également sur la pochette : Introducing Ann Winley. Le groupe était signé sur Winley Records. Ann s'avérait être la femme de Paul, le patron du label. Ca aide... On s'étonnera cependant de la mention "Introducing" car Ann chantait déjà avec The Clovers au début des années soixante. Là encore, une affaire de famille puisqu'Harold Winley, le frère de Paul, avait été un pilier du groupe, quasiment dès sa fondation à la fin des années quarante. Sans oublier que leur sœur Peggy avait aussi chanté avec les Clovers, aux côtés de Ann.


Plus de trente après sa sortie, "Smokin' Cheeba Cheeba" continue d'inspirer les artistes, on l'a vu avec Madlib. Le morceau a même eu l'occasion de toucher un nouveau public puisqu'en 2004, iil figurait sur la bande originale du jeu Grand Theft Audio : San Andreas.

vendredi 17 septembre 2010

"Cheeba Cheeba" 2ème partie : Tone Lōc en plein mégot-trip

Le clip de "Cheeba Cheeba" par Strong Arm Steady, produit par Madlib, a allumé la mèche du Cheeba. Ou plutôt celle d'une fusée à trois étages (même si on ne lance pas une fusée en allumant une mèche, je sais). Trois étages car ce nouveau morceau m'en a instantanément évoqué deux autres : celui de Tone Lōc et celui de Harlem Underground qui portent également le même titre, "Cheeba Cheeba". Terme qui désigne, je le rappelle, la beuh, la weed...

Tone Lōc a sorti son "Cheeba Cheeba" en 1989, sur l'album Lōc-ed After Dark. Un album dont le tube majeur était "Wild Thing", chanson dont la vidéo pastichait celle de Robert Palmer, "Addicted to Love" : il y avait des top-models hautaines en arrière-fond prétendant être musiciennes. Les filles dans l'un et l'autre clip ne sont pas en cause mais, à l'arrivée, j'ai toujours trouvé ces clips vulgaires. Ce clip de Tone Lōc illustrait clairement la commercialisation du rap en ces années-là. Ce n'est pas mettre en doute la qualité de l'album mais, déjà, on tournait le dos à la culture hip hop, si tant est qu'elle ait jamais existé en Californie, et on visait le succès mainstream.

Le morceau "Cheeba Cheeba" ne bénéficia pas d'un clip promotionnel. Le sujet en est, il est vrai, plutôt sulfureux : l'herbe et ses vertus. Il est construit principalement autour de deux samples. Celui du "Cheeba Cheeba" de Harlem Underground et celui de "Maybe Your Baby" de Stevie Wonder. Le morceau d'Harlem Underground pourrait en être la matrice puisque l'on retrouve aussi une voix féminine qui reprend en guise de refrain les mêmes "Cheeba..." que l'original... Funky à souhait comme le rap californien sait si bien l'être !


Même si je ne retrouve plus mon vinyl (j'ai oublié à qui je l'avais prêté), c'est un morceau qu'avec des potes, on a pas mal fait tourner sur les platines à l'époque de sa sortie. "Cheeba Cheeba" donc. Les paroles sont marrantes. Un délire de fumeur sans prétention... Un "mégot-trip", littéralement, pour citer le Shit Squad d'Akhénation & co.

"When I get to a party, To get it started
I grab tha microphone and rock it cold hearted
Go behind tha curtains while my fanz they point
You know what Loc's doin', I'm blazin a joint
Cause it seems a lot of times, I'm at my best
After some methical or a bowl of sense.
I'm creatin', multiplyin', big time supplyin'
Enuff bud to keep tha whole party high on
I might get ill and roll an 8th in one hooter
Park my Benz or cold jet it on my scooter
Bail to tha coast, take a head of this Skunk
Twist up a big bomb of this serious dope
Smoke it down to tha dub or roach tip
So much damn resin it's startin' to drip
It ain't harmful like heroin, this stuff's cheap
That's why I'm glad that I got this......
CHORUS

Man, Don't cha hate it when you ain't go no weed
It seems about tha time you really feel tha need
To get high, get full, you know get blasted
Keep ya singin' tha high it really lasted
Rollin' around tryin' not to get stopped
By tha boyz tha pigs you know tha cops
Pull into one spot to see what they're all about
Suckers noddin' their head, tellin' you they're all out
You go back to tha crib, Pick up tha telephone
You try it so I guess they saw you got home
Cause I can buy it O.Z. or go buy dime
I get cash for her I can get it on time
It really makes no difference long as I get lit
Roll it in my Zig Zag take a big bone hit
Cause after tha bud, My rhymes start flowin'
Never gettin' short of uh uh, The always knowin'
I'm maxin', relaxin', but never taxin'
No need for you to keep on askin'
If tha It is tha It, If tha Sh*t is tha Shit
Cause when it comes to smokin' cheeba
You know my sh*t is legit
Your tha student, And I'm tha teacher
I'm not a minister, Reverent or Preacher
So excuse me while I call time
Cause I'm gonna take a few hitz
in tha middle of this rhyme.....
CHORUS

One day I was coolin' with my homeboy seal, chill
Gettin' f**ked up in his coupe de ville, still
I wasn't to high to know what I was doin'
Went to tha store and got some more brew in
Came back to tha car, Try'd to be a winner
Rolled up all my roaches, they bearly made a Pinna (Pin)
I wasn't upset I had more at tha house
I was savin' it for later, When I get with my spouse
Cause when we're together, blazin' tha cheeba
She does things to me that you wouldn't believe
I'm not talkin' freaky or nothin' obscene
But it's not far off if you know what I mean
She'll take me upstairs, lay me down on tha bed
Pull off tha Fila shorts n start givin' me hizead (head)
If I was boo I'd do tha same
She must love it, She ain't never complained
They'll be moanin', kickin' a lot of screamin'
I work it so hard she starts steamin'
You know how it is after a couple of wooers
She was subject and I am tha Ruler
She's my freak y'all, but she's no skeeza
One thing for sure, Tha girl's always got that.....
CHORUS

Two weeks ago when I was writin' this rhyme
I had some hydroponic, Boy that sh*t was fine
I had two joints, One for me and my homie
After half tha show, He didn't even know me
His eyes were tight, they turned red
He could bearly hold them up, They where heavy as lead
An hour went by, He said Loc I'm kinda hungry
I said oh shit! This brothers got tha munchies
Got off my couch, put my Gucci's on my feet
Went to tha Seven Eleven at tha top of tha street
I ordered everythin' edible off tha shelf
He thought it was sad, I ate it all myself
When we got back to tha car, Headed north then south
I needed a drink I had a cotton mouth
We had so much food didn't know where to start
At tha Hagan Daas or Kelloggs Pop Tarts
Big bags of chips, gallons of dips
It took me weeks to get tha taste of my lips
I ate so much miserable is how I felt
Almost busted out my pants had to loosen my belt
Kickin at the tube, wathin' none better than
You know tha king of late night, Yeah Dave Letterman
Not to hilarious jokes kinda plain
But everythin' is funny when your smokin' Mary Jane"

En matière de références, il y a plus étonnant que les samples. En effet, la pochette semble un hommage évident à celle de l'album A New Perspective de Donald Byrd (1963). Mais l'emprunt est gratuit, rien de rapproche ces deux disques si ce n'est l'image.


Sans lui faire injure, je me demande même si Tone Lōc connaissait la pochette originale quand son photographe lui a proposé de poser derrière le capot de sa voiture !

A signaler que le James Taylor Quartet et la compilation Blue Note Revisited ont également parodié la pochette de Donald Byrd. Dans son cas, j'ai encore le vinyl à la maison et c'est un excellent album porté par une chorale puissante.


N'étant guère fortiche en culture automobile, j'ai longtemps cru qu'il s'agissait d'une DS. On m'a un jour dit que non mais ne me demandez pas de quel modèle il s'agit...

"Cheeba Cheeba" 1ère partie : Madlib, définitivement "America's Most Blunted"

"Creativity,
it's a known fact that grass increases creativity
from eight to eleven times.
In fact, everyone finds that they're more creative
stoned, than straight"
Madvillain, "America's Most Blunted"*

On connaît les deux adjuvants nécessaires de Madlib : du café et de l'herbe. Les seuls adjuvants qui lui permettent de travailler en apnée dans un océan musical d'où il ressortira des mixes, des compos, des prod's... En véritable forcené multi-casquettes.

Avant même de jeter un œil à la dernière vidéo de Strong Arm Steady, groupe dont il a produit l'album In Search of Stoney Jackson, on a compris par le titre le propos de la chanson. "Cheeba Cheeba" ! Cheeba qui désigne en argot, je vous le rappelle, la marijuana. La weed, la chronic, etc..., quoi !

Petit avertissement pré-visionnage : ce clip est si "verdoyant" que YouTube juge qu'il n'est accessible qu'aux majeurs et exige que vous ayez votre propre compte avant de pouvoir l'intégrer sur votre site. Crainte du prosélytisme ?

Si Madlib est un homme de bon goût, on imagine qu'il n'a pas donné sa caution à ce petit film caricatural. Pour Mitchy Slick, Krondon et Phil Da Agony, les trois rappeurs du groupe, être entourés de sacs et bocaux remplis de cheeba représente peut-être leur rêve de "fumeur". Si leur ambition était de célébrer là les vertus de la plante, ils font, à mon sens, fausse route. Leurs images illustrent simplement ce que l'on sait déjà tous : fumer n'insufflera pas d'esprit à qui en est dépourvu. Inutile de plus charger la mule, relevons juste que nos trois lascars ont l'imaginaire d'un épicier. On ne dépasse pas le strict matérialisme de la chose. Nous sommes loin de la poésie et l'auto-dérision de certains fumeurs de kif marocains.


Indépendamment de ces images puériles, "Cheeba Cheeba" est un titre qui fait tilt pour moi. Je pense automatiquement à une paire d'antécédents fameux... Depuis deux ou trois d'ans, j'avais même prévu d'intituler "Cheeba Cheeba" une éventuelle émission de Goutte de Funk dédiée aux évocations de la dite plante dans le funk et le rap . En référence aux morceaux de Harlem Underground Band (1976) et Tone Lōc (1989) qui portait déjà ce nom. L'émission n'a toujours pas vu le jour mais l'évocation de ces deux titres sera l'occasion des deux prochains messages... Mais n'allez pas dire que j'ai parlé d'élixir à ce sujet...

* Rappelons que Madvillain est l'association de Madlib et MF Doom. "America's Most Blunted", allez, n'ayons pas peur des mots : peut-être mon rap préféré des années 2000 !

jeudi 16 septembre 2010

J'ai huit secondes pour vous dire que Norman Whitfield, c'est de la Nytro !

Le Dr. Funkathus décrète que le 16 septembre est le Norman Whitfield Day !!! Un redoutable élixir, vous pouvez me croire !

Depuis deux ans aujourd'hui, Norman Whitfield est membre du Funkin' in Heaven & Hell All Stars Club. Un club où votre booty, qu'il rôtisse entre les flammes de l'enfer ou se tamponne sur un nuage moëlleux, va onduler sur du bon groove. Le Club est hélas riche de la plupart des acteurs les plus prestigieux que le Funk nous ait jamais donné. Ainsi, le 16 septembre 2008, Norman Whitfield nous quittait. Depuis il trône à la console de ce Club si particulier.

Je vais la faire courte puisque je n'ai que huit secondes pour vous dire à quel point Norman Whitfield, c'est de la dynamite. Enfin, plutôt de la nytro en fait...

On a souvent mis l'accent sur la première période de sa carrière. Quand il connût son heure de gloire en devenant le directeur artistique de la Motown, son archi... BOUM !!! Bon, huit secondes, c'est décidément trop court... On reprend : architecte sonore, branchant le label de Berry Gordy sur le courant psychédélique, faisant souffler la tornade funk qui déferlait sur le pays jusque dans les rangs des Temptations. Ici même, lors de l'hommage que nous lui rendions dans Goutte de Funk (@ Divergence-FM) après l'annonce de sa mort : Requiem Sympho-Délique-Soul pour le Démiurge du Son Motown, c'est sur cette période que nous insistions le plus.

C'est cette période où il invente ce son psychedelic-soul, qui demeure sa marque de fabrique et qui est généralement considérée comme le pinacle artistique de son œuvre. C'est par cette période que je l'ai découvert. J'ai des souvenirs forts de ces après-midis aux Puces de Montreuil où j'allais farfouiller dans tous les bacs de vinyls qui traînaient. J'ai le souvenir d'un froid mordant et quand vous êtes en train de digger les bacs, les gants ne sont pas commodes. Le prix à payer pour se réchauffer au son des albums des Temptations, véritables trophées de ces longues recherches : se geler d'abord les doigts et les pieds. A Détroit aussi, les hivers sont rudes, on était finalement dans la couleur locale. Très précisément, le choc initiatique est venu d'une compil' française de titres Motown de 1973. Oui, c'est la pochette que vous voyez ci-contre. Excusez la photo, je viens de la prendre dans l'urgence... La plupart produits par Whitfield. Un choc fulgurant. Et vingt-cinq ans plus tard, ce son psychedelic-soul reste pour moi une référence absolue.

Cette période Motown de Norman Whitfield est donc la plus (re)connue. Pourtant qui aime le funk ne peut rester insensible à l'évolution de son travail dans les années qui suivirent.

Ainsi aujourd'hui, c'est sur ce qu'il produisit après son départ de la Motown que nous voudrions insister. En 1973, il partit fonder les Whitfield Records et débaucha sa créature, The Undisputed Truth, pour qu'elle l'accompagne. Créature en forme de trio vocal sur lequel il pouvait se livrer à toutes sortes d'expérimentations soniques et reproduire ensuite certaines formules avec le groupe-phare de la Motown, The Temptations.

The Undisputed Truth passa ainsi de groupe de deuxième division à tête de gondole de la nouvelle écurie. Mais il ne fut pas le seul transfuge de la Motown à rejoindre Norman Whitfield. Willie Hutch et Junior Walker Jr. également enregistrèrent une paire d'albums sur son nouveau label.

Cette période plus récente de la carrière de ce génial producteur témoigne d'un changement de cap. Les mauvaises langues diront toujours qu'il ne faisait que s'accrocher à l'air du temps. Mais à l'époque du disco triomphant, dans sa quête du groove parfait, Norman Whitfield a su saisir le Zeitgeist des dancefloors sans dénaturer l'esprit du funk. Ce qui n'est pas rien.

Ci-dessous, mon titre favori des années Whitfield Records de la "créature" : "Tazmanian Monster", titre débile pour morceau génial. Des guitares en folies... On croirait y reconnaître le style inimitable de Wah Wah Watson pourtant l'album n'est pas mentionné sur sa discographie officielle. Quelque encyclopédiste de la chose funk pourrait-il confirmer l'info ? Morceau excellent sur un album qui en comprend d'autres... L'album dont est tiré ce titre s'appelle Smokin'. Quand on sait que trois ans plus tôt, The Undisputed Truth avait enregistré Higher Than High, on soupçonne que, pétard !, la créature et son mentor ont traversé les 70's dans un sacré état de bluntedness !


Mais plus que The Undisputed Truth, qui avait déjà été de l'aventure Motown, ce soir, nous voudrions aussi faire connaître le formidable producteur qu'était Norman Whitfield à travers son travail pour un groupe méconnu, publié sur son propre label : Nytro.

Pour cela, le Dr. Funkathus vous indique humblement la voie vers la contribution précieuse de spécialistes de la chose. Alors, suivez ce lien et vous arriverez sur le blog de BabyGrandpa. Sur une page consacrée aux deux albums du groupe Nytro qu'il a produit. Nytro (1977) et Return to Nytropolis (1979).

Baby Grandpa a superbement rippé ses vinyls pour en proposer une "pristine" (comme il a coutume de dire) version mp3 320kbps qui sonne à la perfection. Pour compléter le tableau, il a sollicité Simon666, le "tenancier" de Never Enough Rhodes, pour écrire une présentation de ces albums hélas trop confidentiels. Deux magnifiques témoignages du chemin vers le pur funk qu'avait alors emprunté Norman Whitfield. Et j'en profite pour le dire : Baby Grandpa et Never Enough Rhodes sont deux blogs exemplaires de passionnés qui méritent amplement de figurer en lien en bas à gauche de cette page, puisque désormais j'ai ajouté une barre de liens...

Nytro donc. Ecoutez-ça et dites-vous bien que ça a été enregistré en 1979. Et que ça n'a pas pris une ride...


Ecoutez-ça ! Comment ça groove sévère. Des boîtes à rythmes et des congas, une basse jouée au synthé, comme le faisait Bernie Worrell avec Funkadelic, plus une autre basse qui slappe, la section de cuivres de Nytro, qui souffle si bien qu'on la retrouve sur presque toutes les productions Whitfield Records de ces années-là... Dire que mon titre-fétiche de l'album n'est même pas celui-ci mais l'instrumental "Return to Nytropolis" qui suit sur l'album... Je vous laisse aller découvrir ça à l'adresse indiquée.

Indispensable :
Pour répertorier dans le détail son travail de producteur, Simon666 de Never Enough Rhodes a patiemment constitué une discographie assez exhaustive de l'œuvre de Norman Whitfield. Précieux. D'autant qu'à chaque référence correspond un lien pour la trouver sur la Toile...

Anecdotique :
Peut-être un jour, Norman Whitfield en eût-il marre d'être un homme de l'ombre. Aussi décida-t-il d'écrire un film et de le réaliser. Et de jouer dedans. Bon, le film ne fut jamais fini. A voir l'extrait proposé ici, à l'onglet Norman, on comprend mieux pourquoi... Il s'agit d'une scène interminable où il répond au téléphone. A voir par curiosité pour sa réplique : "I fucked my own daughter, that's what you're telling me ?". Juste avant de raccrocher on l'entend dire : "I'm bigger than that". Oui, Norman t'étais bigger than that. Bigger comme producteur que comme acteur. Mais qui n'a pas voulu être sous les projecteurs un jour dans sa vie ?

dimanche 12 septembre 2010

Tongues on Fire - A Tribute to the Black Panthers, ce soir à la Villette

Pour la soirée de clôture du festival Jazz à la Villette, une belle affiche : la création Tongues on Fire, un hommage aux Black Panthers dirigé par David Murray. Sur scène, c'est un véritable All Stars Band qui se produira : The Roots, The Last Poets, Corey Glover et Vernon Reid de Living Color, ainsi que Jamaaladeen Tacuma.

Le spectacle a déjà été présenté cet hiver, dans le cadre du festival Sons d'Hiver. Mais les Roots n'étaient pas encore de la partie.


Le projet Tongues on Fire repose sur des compositions de David Murray et est illustré par les travaux d'Emory Douglas. Comment, en effet, parler aujourd'hui des Black Panthers sans évoquer le style graphique qu'Emory Douglas avait créé pour leurs affiches et leurs bulletins. L'art de celui qui était le Ministre de la Culture du Black Panther Party de 1967 à 1980, est aujourd'hui reconnu officiellement. Citons, ne serait-ce que l'exposition qui lui a été consacré au MOCA, le Museum of Contemporary Arts de Los Angeles il y a une paire d'années.


L'apport de Douglas est considérable et pose la question : un mouvement révolutionnaire s'inscrit-il d'autant plus dans l'Histoire et la mémoire collective qu'il est porté par une esthétique forte ?

Emory Douglas a su créer ces images marquantes. C'est même lui qui a créé le fameux look des militants du parti : veste en cuir, béret et gants noir. Et n'allez pas trouver cela dérisoire. On peut toujours s'interroger quant à savoir si, par exemple, le Che d'Alberto Korda a été vidé de sa substance en devenant une icône mais, dans un monde d'images, il faut maîtriser sa communication pour réussir à faire passer son message sans le dénaturer, sans lui faire perdre sa force. C'était là le credo de Douglas : "prenez un pinceau dans un main et un pinceau dans l'autre!". Aucune contradiction...

C'est Doctor L qui est en charge des visuels de Tongues on Fire, à partir donc du travail d'Emory Douglas. De la même façon qu'il avait déjà réalisé, il y a quelques mois, le clip "Africa" pour David Murray et ses Gwo-Ka Masters, toujours à partir des images de Douglas... Cet été, je m'étais promis d'aller assister à leur concert à Junas, hélas, encore un de raté... Et, bien sûr, je ne risque pas d'être à la Villette ce soir.

samedi 11 septembre 2010

Nelson Cavaquinho, de Leon Hirszman : l'ivresse et la tristesse du samba


En évoquant précédemment le documentaire Partido Alto de Leon Hirszman, j'écrivais qu'il était le pendant d'un autre de ses films dédiés au samba. Il s'agit de son très court portrait d'un sambiste de légende, Nelson Cavaquinho. Là où Partido Alto exalte le plaisir d'être ensemble pour jouer, chanter, boire des coups, Nelson Cavaquinho insiste sur la solitude et la profonde mélancolie qui sont tout aussi consubstantielles au samba que la joie et l'allégresse.


Le contraste entre les deux films est accentué par le noir et blanc de l'un et les chaudes couleurs dorées de l'autre.

"Une samba sans tristesse, c'est comme un vin qui ne donne pas l'ivresse", chantait Pierre Barouh sur l'air de "Samba da Benção". La tristesse et l'ivresse ! Nelson Cavaquinho connaît les deux... Le genre de type dont on dira : "il ne triche pas". En bon sambiste, Nelson Antônio da Silva a mené une vraie vie de bohème. C'est dans les bars du morrro de Mangueira, alors qu'il était policier et effectuait à cheval des rondes nocturnes dans le quartier, qu'il fit la connaissance de Cartola et Carlos Cachaça et se lia à eux et aux autres sambistes du cru. L'appel de la bohème étant plus fort que celui du devoir, son séjour dans la police sera marqué par quelques séjours au mitard, avant d'en être carrément renvoyé.

Comme la dèche était sa plus fidèle compagne, Nelson Cavaquinho prit l'habitude de vendre ses compositions. Afin d'éponger ses dettes. Ainsi, parmi ses "partenaires" d'écriture, on retrouve les patrons des bars où il avait des ardoises, ou César Brasil, le plus souvent crédité, qui n'avait jamais su jouer une note ni écrire une ligne mais qui était le propriétaire de l'hôtel où créchait le plus souvent Nelson Cavaquinho. Le besoin lui retirait ses scrupules. Milton Amaral, un de ses camarades de bamboche, racontait qu'il découvrit avec stupeur, quand il débarqua chez l'éditeur signer son contrat pour un morceau qu'ils avaient composés ensemble quelques jours plus tôt, que Nelson l'avait déjà vendu sous quatorze noms différents !

Si son œuvre est riche d'environ 600 compositions, sa discographie est des plus sommaires. Ce qui est malheureusement la norme pour la plupart des sambistes de sa génération. En 1968, il participa à l'album Fala Mangueira, en compagnie de Cartola, Carlos Cachaça, Clementina de Jesus et Odette Amaral, mais ce n'est qu'en 1970, à l'abord de la soixantaine, qu'il enregistra son premier disque, Depoimento do Poeta. Suivront deux albums éponymes, en 1972 et 1973... Sans oublier Quatro Grandes do Samba, en 1977, enregistré avec Candeia, Guilherme de Brito et Elton Medeiros et As Flores em Vida, son dernier disque auquel ont participé Chico Buarque, Paulinho da Viola, entre autres...

Quand Leon Hirszman vient le chercher pour tourner ce petit portrait filmé, en 1969 Nelson Cavaquinho n'avait encore rien enregistré sous son nom. On y découvre un homme vivant dans un incroyable dénuement, dans une très humble petite bicoque.

En voyant ce court métrage, on mesure également l'influence du Néo-Réalisme italien sur le Cinema Novo brésilien, courant auquel Leon Hirszman fut associé. Un cinéma en rupture avec les habituelles productions brésiliennes qui étaient le plus souvent des mélos ou des comédies musicales, les chanchadas. Car, comme le Néo-Réalisme, le Cinema Novo témoigne de la volonté d'une génération de jeunes cinéastes de montrer la réalité sociale de leur pays et ses incroyables injustices et inégalités. Dans le cas précis du film Nelson Cavaquinho, cette impression d'une influence néo-réaliste est bien sûr renforcée par le noir et blanc.

Il ne s'agit pas d'un film à thèse, d'une quelconque approche démonstrative, juste saisir au vol quelques instants de la vie de cette homme, ses errances, ses moments de solitude. Ce film permettra aussi à tous ceux qui connaissent mal la musique brésilienne de se défaire de leurs préjugés sur le samba. Non, ce n'est pas juste une musique pour danser pendant le carnaval. C'est beaucoup plus que cela. C'est l'âme d'un peuple, sa poésie. Nelson Cavaquinho disait : "je n'ai jamais fait de samba sur commande, c'est pour ça que je ne composerais jamais de samba-enredo. Je trouve horrible que tu doives glisser quelques lá-lá-lá et oba-oba obligatoires dans la ligne mélodique des écoles de samba. Je fais des musiques pour sortir des choses du fond du cœur. Et c'est ainsi depuis que j'ai composé mon premier samba".

Leon Hirszman filme ainsi quelques magnifiques moments de cinéma. Bien aidé par Nelson Cavaquinho lui-même qui semble se complaire dans l'exercice. On se demande même quelle part tient le naturel et si quelques effets de pose ne viennent s'y greffer. Ainsi cette scène absolument ahurissante où, assis à sa table, il empoigne sa bouteille de bière et commence à boire au goulot, juste secoué de petits hoquets. Et de constater, dans un mouvement de caméra, que des gamins sont sur le seuil de la porte, probablement attirés par la présence d'une caméra. Et de voir un père tendre la bouteille à son bébé qu'il tient au bras, puis à un autre enfant, hébété, d'à peine deux ou trois ans. Et Nelson, l'air vague de celui qui est déjà bien ivre, de s'amuser avec un petit oiseau qu'il pose devant lui sur la table. En fond sonore, on entend une musique complètement déchirée, un samba où Nelson Cavaquinho joue de la guitare ans son style caractéristique, avec seulement deux doigts à la main droite, mais guitare qui ici sonne complètement destroy, rock'n'roll, pour accompagner la voix rauquissime de celui qui est complètement bourré. Impressionnant.


Le film se clôt sur une autre scène bouleversante. Nelson est assis dans un bar, avec sa guitare et bien entouré. Il joue "Vou partir". Il n'est accompagné que par une légère batida marquée sur une bouteille vide. La chanson parle de l'appel de la nuit, de quelqu'un qui déserte le foyer pour aller faire le carnaval. "Vou partir não sei se voltarei"... Je vais partir mais je ne sais pas si je vais revenir. Mais Dieu sait qu'ici le sens dépasse largement celui de la simple absence en quête de fête carnavalesque. Puis d'autres voix se joignent à la sienne pour murmurer le refrain en même temps que la caméra s'éloigne. S'éloigne et sort de ce petit bar, lumière dans la nuit.





Les films de Leon Hirszman ont récemment bénéficié d'une restauration digitale et ont été, pour la plupart, édités en DVD. J'ignore cependant s'il en existe une édition européenne.