lundi 31 octobre 2011

Gaby Amarantos dans Vibrations : au feu les pompiers !


Notre collaboration avec le site de Vibrations se poursuit. C'est au tour de Gaby Amarantos, celle qui ne veut plus qu'on l'appelle la "Beyoncé du Pará", d'avoir les honneurs d'y être publiée afin que sa tecnobrega fasse également des ravages de ce côté-ci de l'océan. A quelques retouches près, il s'agit du texte publié ici le 20 octobre. Le titre a été changé pour un très punchy : "Au Feu les Pompiers" qui sied bien à la dame !

Et les photos, ma foi, la montrent sous un jour particulièrement... brega !




Recife Frio


Pour une fois, la musique n'est qu'un prétexte, nous allons présenter un film que j'ai découvert grâce à la Musicoteca. Certes, c'est Lia de Itamaracá qui clot ce court-métrage, certes on croise Pinto et Patativa, un duo de repentistas, et le marchand d'artisanat est joué par Jr. Black (chanteur underground local), mais Recife Frio est avant tout un court-métrage d'anticipation farfelue qui égratigne consciencieusement la réalité contemporaine de la ville. Kleber Mendonça Filho, le réalisateur, est lui-même originaire de Recife et il a imaginé cette fable : le climat de la ville a changé. Il y fait désormais froid.


Depuis l'invasion des Martiens imaginée par Orson Welles en 1938, on ne compte plus les canulars médiatiques. Ainsi, Recife Frio est le pastiche d'un reportage télévisé. Pablo Hundertwasser, un jeune journaliste, est dépêché sur place pour enquêter dans le cadre de l'émission  El Mundo en Movimiento, programme de la télévision argentine. Tout a commencé quand un météorite est tombé sur une plage à vingt kilomètres de la capitale du Pernambouc. Les scientifiques ne peuvent affirmer que c'est la chute de ce météorite qui a bouleversé le climat. Néanmoins, quelques semaines plus tard, un pingouin vint s'installer sur le littoral, puis d'autres. D'épais nuages gris couvrent la ville, le soleil n'a plus été aperçu depuis des semaines.

S'ensuivent des rencontres avec divers habitants qui témoignent des difficultés de cette nouvelle vie. Et le monde tourne parfois à l'envers : ainsi, le fils adolescent d'une famille aisée devient jaloux du réduit où dort la bonne, parce que n'ayant pas de fenêtres, il y fait plus chaud que dans le reste de la maison. Les appartements n'étant pas équipés pour se chauffer, ses occupants en sont réduits à réchauffer leurs draps au sèche-cheveux ou au fer à repasser.

On croise également un Français installé là-bas et qui confie son désarroi. Arrivé de Bretagne, il avait ouvert une charmante pousada et ne promettait qu'une chose aux vacanciers : la garantie du soleil. En désespoir de cause, n'ayant plus aucune réservation, il organise une opération de parrainage des pingouins qui se multiplient à une vitesse folle.


Recife Frio est une satire très drôle de notre société. Les amis originaires de Recife devraient s'amuser des commentaires du journaliste sur cette "Venise brésilienne" : "Recife est une belle ville avec un fort parfum de mer, de fruits et d'urine".

Voici Recife Frio en intégralité (il dure une vingtaine de minutes) et même sans parler ni le portugais ni l'espagnol, on pourra en apprécier l'humour et la pertinence.


vendredi 28 octobre 2011

Hamilton de Hollanda et André Mehmari aux Mandolines de Lunel


A Montpellier, vous êtes pris entre deux feux. A équidistance de chacun. D'un côté vers l'Ouest, vous avez le muscat de Frontignan. De l'autre, vers l'Est, le muscat de Lunel. S'il y a plusieurs capitales du muscat, il n'y en a qu'une seule de la mandoline. En créant son festival Les Mandolines de Lunel, la ville a choisi une manière originale de s'inscrire sur la carte du monde. Et même plus : de devenir une capitale mondiale ! Pour à sa huitième édition, déjà, le festival met cette année à l'honneur ses deux parrains : Mike Marshall et Hamilton de Holanda. D'ailleurs, comment imaginer un festival dédié à la mandoline sans la présence indispensable chaque année d'Hamilton...


Je m'y rends donc pour la soirée brésilienne. Jeudi 27 octobre. Elle a lieu à a salle Georges Brassens et les "têtes chenues" forment la grosse majorité du public. En première partie, Elisa Meyer e Choro das 3. En vedette, Hamilton de Holanda et André Mehmari qui viennent interpréter leur album GismontiPascoal.

Dans la musique brésilienne, s'il est un style où la mandoline, le bandolim, occupe une place centrale, c'est bien le choro. Musique des "années folles", née à la fin du XIXe en ajoutant des syncopes aux danses européennes, polkas et valses en tête, le choro est le ferment de l'identité musicale brésilienne. C'est aussi une musique populaire érudite où l'approximation n'est pas admise, exigeant la virtuosité instrumentale de ses interprètes. Laquelle virtuosité s'exprime notamment par la vélocité, sur des accélérations stupéfiantes, quelque peu agonistiques que les bords.


Elisa Meyer e Choro das 3, c'est une histoire de famille. Trois sœurs : Elisa à la mandoline, l'aînée Corina à la flûte et Lia à la guitare 7 cordes. Sans oublier le père Eduardo au pandeiro. Les jeunes filles ne prétendent à rien d'autre que faire vivre le répertoire classique du choro, glissant quelques compositions d'Elisa entre leurs interprétations de Jacob do Bandolim, Luperce Miranda, Pixinguinha ou Ary Barroso. A seulement dix-sept ans, Elisa Meyer est une virtuose en devenir. Quand Maria Gadú, qui vient de sortir un double-album live avec Caetano Veloso, composait à dix ans une bluette bien de son âge, "Shimbalaiê", aujourd'hui un tube, à neuf ans, Elisa, elle, composait une polka, "Bolinha de Gude". Si le titre, "Jeu de billes", évoque l'enfance et que la brièveté du thème trahit le jeune âge de son auteur, il dit aussi que même gamine, la petite Elisa avait des préoccupations qui n'étaient déjà pas tout à fait celles des enfants de son âge.


Charmante attention, Elisa et sa sœur Corina ont pris la peine d'écrire un texte en français qui présente les thèmes interprétés, et donnent quelques indications sur le choro. A la fin de chaque morceau morceau, en réponse aux applaudissements, Elisa ne pouvait s'empêcher, après avoir dit "merci", de partir d'un petit rire de souris timide. Un tic qui s'imposait bien comme un bien involontaire comique de répétition.

En raison de leur jeune âge, il semble évident qu'Elisa Meyer et ses sœurs soient promises à un bel avenir. Et si les jalousies viennent déchirer la formation, après tout entre sœurs !, Elisa devrait vite pouvoir voler de ses propres ailes.

Passée cette entraînante première partie et la légèreté du choro, l'affiche était bien évidemment le concert de Hamilton de Holanda et André Mehmari. Cela fait déjà longtemps qu'Hamilton a dépassé le seul cadre du choro pour développer les possibilités de la mandoline. Pour élargir sa palette, il a ajouté une cinquième double corde à son instrument. Certes, la mandoline appartient à la catégorie des instruments modestes, il fait néanmoins partie de ces musiciens d'exception qui révolutionnent l'approche de leur instrument, inventant un champ des possibles inouï. André Mehmari est lui aussi un virtuose, de la même trempe. S'il lui est bien impossible de révolutionner le piano, il est au moins aussi à l'aise dans le classique que le jazz, aussi à l'aise dans l'interprétation que l'improvisation.


Ensemble, ces deux musiciens d'exception ont choisi de revisiter en duo quelques pièces du répertoire d'Egberto Gismonti et Hermeto Pascoal, y ajoutant quelques unes de leurs compositions inspirées par l'univers de ces géants. Egberto et Hermeto ? Probablement, dans le jazz, les deux compositeurs brésiliens vivants les plus importants. Après qu'Hamilton se soit lui aussi confronté au classique en composant la Sinfonia Monumental, et après l'avoir joué et enregistré avec orchestre, on peut imaginer que le duo fasse office de salubre cure en voie d'essentiel.

De la virtuosité, on allait en trouver, bien sûr, mais on se tromperait en la soulignant. Non, ce qu'on découvrait hier soir, c'était deux musiciens dont le jeu se mettait au service des œuvres interprétées. Sans esbrouffe, simplement avec la jouissance et le plaisir que leur procure la musique. Et, ceci dit, je n'ai plus rien à en dire tant il est peu courant d'écouter des musiciens de ce niveau. Bouche bée, emporté.


jeudi 27 octobre 2011

Lucas Santtana : "Who Can Say Which Way" avant la Bellevilloise...


Pour accompagner la sortie de son album Sem Nostalgia, Lucas Santtana s'apprête à s'envoler pour une mini-tournée européenne. Coup de bol, il passe en France. Après Londres, il sera à Paris mercredi prochain, 2 novembre. Cela va se passer à la Bellevilloise. Et, dans ces moments-là (mais rassurez-vous ce sont les seuls), je rage de ne plus habiter Paris et maudis la province. La Bellevilloise, Ménilmontant, c'est mon quartier tout ça...

J'ai bien été tenté de monter pour l'occasion, d'autant que je devrais interviewer Lucas et que ça aurait permis de le faire en face à face mais quand j'ai regardé le prix des billets de train, aïe aïe aïe, j'ai renoncé. Certes, c'est la fin des vacances scolaires mais, tout de même, la SNCF abuse grave...

Alors, avec une pensée à tous ceux qui, comme moi, rateront ce concert, voici un nouveau clip de Lucas Santtana que nous n'avons pas encore présenté ici. "Who Can Say Which Way"...


Regardez bien, on n'y voit que lui. Et pour cause. Lui et ses trois avatars, lui avec quatre looks différents... Même si Sem Nostalgia, album construit autour de la formule guitare-voix a été enregistré avec l'aide de quelques invités, ce clip est une manière d'exprimer combien l'exercice peut être solitaire.

Pour les veinards qui seront à la Bellevilloise, est-ce bien utile de préciser qu'il n'aura pas sur scène ce quadruple don d'ubiquité ? Mais il ne sera pas seul non plus...


En attendant de rater Lucas Santtana, ce soir je vais écouter Hamilton de Hollanda et André Mehmari à Lunel, pays de muscat, où se tient le festival des Mandolines de Lunel. Je vous raconte ça très vite...

mardi 25 octobre 2011

Bambas 2, la rencontre Brésil-Jamaïque orchestrée par BiD


Un album qui réunit U-Roy, Sizzla, Luciano, des musiciens de Nação Zumbi, Chico César, Karina Buhr, soit une belle rencontre jamaïco-brésilienne, possède probablement une des plus belles distributions de l'année... Avec Bambas Dois, le producteur BiD a réalisé son rêve, un rêve ambitieux...


L'influence jamaïquaine sur les musiques mondiales est une chose incroyable pour un si petit pays. Tellement incroyable qu'on n'y prête même plus attention. Pourtant, le monde entier a dansé sur le skank du reggae et vibré de la secousse sismique du dub. Partout cette influence donna naissance à des vocations, des recréations, des hybrides, des manières de faire la musique qui en sont directement inspirées. Au Brésil, ce véritable continent musical a lui aussi subi l'influence de cet île des Caraïbes. Le simple samba-reggae de Bahia, ou Kaya N'gan Daya, l'album de reprises de Bob Marley par Gilberto Gil, seraient en soi  une illustration suffisante de cet apport. Plus généralement, tout artiste brésilien a bien un jour ou l'autre, au détour d'un album, enregistré un morceau reggae.

Le projet de BiD est plus ambitieux et il a pris le temps de le réaliser. C'est le deuxième volet de la série Bambas dont le premier remonte déjà à 2005. J'avais découvert BiD à travers le premier album de Funk Como Le Gusta, ce formidable big band funk de São Paulo et ses productions pour Chico Science & Nação Zumbi (période Afrociberdelia). Quand il décide d'enregistrer son premier album solo, Eduardo Bidlovski réunit une belle équipe et initie le projet Bambas & Biritas Volume 1. Il y rassemble l’ancienne et la nouvelle génération pour ses débuts en solo. Du côté des anciens, citons Marku Ribas (guitare et percussions), Carlos Dafé (claviers) ou encore Lula Barreto (basse). Sans oublier Elza Soares, invitée sur un titre. Du côté des jeunes, on retrouve Seu Jorge, Nação Zumbi ou les rappeurs Black Alien, Rappin’ Hood et Funk Buia. L'album est une réussite qui donne de la soul au samba, ou l'inverse.

Précisons : si vous entendez bamba au Brésil, oubliez tout de suite "para bailar...", rien à voir. Un bamba, c'est un sambiste respecté, un homme d'expérience et de talent, un sacré numéro. On comprend alors la nécessité du projet Bambas de BiD de croiser les générations.

Si on ne pouvait rêver plus bel équipage pour rallier la Jamaïque depuis le Brésil, l'ambition de BiD n'était pas de faire un disque de reggae ou de samba. Non, il s'agit de concocter une mixture originale, de faire se rencontrer les rythmes brésiliens et jamaïquains. Baião com reggae, maracatu com dance hall, arrasta-pé com ska, annonce la pochette. Quoi d'autre encore ? Bobo Shanti et berimbau ?


Le projet a commencé à germer dans l'esprit de BiD, le jour où il était sur une petite embarcation en Jamaïque et qu'il commença à écouter le disque de Chico César qu'il venait de produire, Francisco, Forro y Frevo. Il fut très surpris de constater que, spontanément, le matelot à la barre se mit à chanter avec facilité sur cette musique. Le déclic, il se dit aussitôt : "c'est ça le prochain Bambas". Dominguinhos, également invité, souligne cette proximité. Il raconte que la première fois qu'il entendit Bob Marley, en 1972, il était en compagnie de Gilberto Gil et lui fit la remarque qu'il suffirait d'y ajouter du triangle pour en faire un xote !

Et c'est ainsi qu'il enregistra d'abord au Brésil, puis en Jamaïque, aux studios Tuff Gong et Achor... Pour se faire une idée, voici la vidéo du premier single, "Only Jah Love", un reggatu (sic) interprété par Sizzla. Pour information, il est réalisé par Fred Ouro Preto, évoqué précédemment ici pour avoir gagné la semaine dernière le prix du meilleur clip de l'année avec celui de Emicida, "Então Toma".


Je n'ai pu encore écouter que les trois morceaux qui sont proposés en téléchargement gratuit* sur le site de Natura Musical, le mécène cosmétique. Pour patienter, on pourra aussi regarder le making-of de l'album en attendant de découvrir la suite... Et compléter la liste des participants au projet : Ernest Ranglin, The Heptones, Queen Ifrica, Ky-Mani Marley, Tony Rebel, Daniel Ganjaman, Dengue, Marcelo Cabral, etc...



Bambas Dois @ Natura Musical

Chico César & Jah Marcus, "Little Johnny"
Jesse Royal & Karina Buhr, "World Cry (Al Fayah Mix)
Sizzla Kalonji & Bi Ribeiro, "Only Jah Love" 

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* Quitte à proposer des téléchargements gratuits, pourquoi se contenter d'un bitrate aussi chiche (160kbps) ?

dimanche 23 octobre 2011

"Então Toma", le meilleur clip de l'année au Brésil est celui d'Emicida


Nous l'annoncions hier, Criolo est le grand vainqueur des trophées VMB, l'équivalent brésilien des MTV Awards. Avec lui, c'est plus largement le rap brésilien qui était à l'honneur. Et tout particulièrement celui de São Paulo pour être encore plus précis. Ainsi, dans la catégorie du Meilleur Clip de l'Année, le vainqueur est Emicida pour "Então Toma". Sans oublier Lurdez da Luz qui figurait également dans la liste des nominés pour le clip de "Andei".


Emicida est un jeune rappeur de São Paulo. Ces dernières semaines, nous l'avons déjà croisé à deux reprises dans les papiers de l'Elixir, pour sa participation à l'album de Criolo, puis pour avoir composé avec Mariana Aydar le morceau "Cavaleiro Selvagem", qui figure sur le nouvel album de cette dernière.

On soulignera que ce trophée du meilleur clip occupe une place particulière au sein de ce palmarès puisque des clips,  l'organisateur des VMB en diffuse lui-même sur sa propre chaîne de télévision : MTV Brasil ! On comprend donc leur importance pour les artistes. Emicida, par exemple, n'a pas encore sorti d'album, uniquement des mixtapes et des EPs mais il parviendra malgré tout à acquérir une visibilité significative en existant à travers ses vidéo-clips.

Pour cette catégorie, ce n'est pas tant Emicida qui est le lauréat mais plutôt Fred Ouro Preto, le réalisateur du clip. Lequel n'en était pas à sa première collaboration avec Emicida puisqu'il avait déjà dirigé un autre de ses clips, "Triunfo". Cette fois-ci, il l'a joué grand spectacle. "Então Toma" est la parodie d'une bande-annonce de film d'action imaginaire. Le genre de film où ça cavale, où ça se trimballe avec un flingue, où ça prend en otage... Non que le clip lui-même soit violent, au contraire, il est parodique et s'amuse des codes du genre. Malgré tout, si c'était un vrai film, je le dis tout de go, je n'irai pas le voir... Par contre, pour avoir pris la peine de regarder tous les clips en lice, il est assurément celui qui fait le plus "cinéma". Avec le "Subirusdoistiozin" de Criolo. Il est celui qui donne l'impression d'avoir bénéficié du plus gros budget. Celui qui s'offre quelques guest-stars passées faire un clin d'œil, comme Zeca Baleiro pour ne citer que le plus connu et qu'on n'aperçoit guère qu'une seconde.

On mesure combien, avec son cocktail de violence distanciée, Quentin Tarantino a marqué les esprits. Depuis Pulp Fiction, l'action ne se suffit pas à elle-même, les personnages se doivent d'exprimer tout haut des considérations supposément subtiles sur des sujets futiles. Tout en défouraillant à tout va.

On y retrouvera une fois de plus Criolo, ici comme acteur, dans le rôle du faire-valoir d'Emicida, celui qui écoute ses tirades. L'intérêt de "Então Toma" réside aussi dans ses dialogues. Ainsi, au tout début, Emicida prend à témoin son compère Criolo pour lui expliquer qu'avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux, il ne pouvait plus être lui-même. Il ne pouvait plus être Emicida parce que quelqu'un avait déjà pris ce nom, selon lui une fille qui avait contracté son prénom Emiliana-Apparecida en Emi-Cida.

 

Pour le reste, on est plus circonspect. Certes, l'exercice de style est brillamment réalisé mais on peut aussi être réticent face à la sempiternelle complaisance du rap face à la violence. Et que dire des mimiques et gestuelles... Emicida est assurément une figure d'avenir du rap de São Paulo, il lui reste cependant du chemin à parcourir avant de s'affranchir des clichés du genre...



vendredi 21 octobre 2011

Les Trois Trophées de Criolo


Nous l'annoncions alors que nous présentions son album Nó Na Orelha, Criolo était l'artiste à avoir obtenu le plus de nominations (cinq) aux trophées VMB (Video Music Brasil), l'équivalent brésilien des MTV Awards puisque justement organisées par MTV. Le rappeur pauliste était présenté comme la révélation de l'année et il s'avérait prévisible qu'il sorte grand vainqueur de ce palmarès.


C'est hier, 20 octobre, qu'avait lieu la soirée de remise des prix. Et ça n'a pas manqué, Criolo a été récompensé. Trois fois :

- Révélation de l'année
- Meilleur album de l'année pour Nó Na Orelha
- Meilleure musique de l'année pour "Não Existe Amor em SP"

Félicitations. Pour l'occasion, Caetano Veloso est monté sur scène pour interpréter "Não Existe Amor em SP" en duo avec lui. On doute cependant que Criolo considère cela comme une consécration. Peut-être même était-ce Caetano le plus excité des deux ! Comme on sait combien ce dernier aime à se ressourcer auprès de jeunes artistes, on se dit qu'avec son flair et sa sensibilité habituels, il aurait été plus inspiré de sortir un album live avec Criolo que Maria Gadu. Mais, bon, ce que j'en dis...




jeudi 20 octobre 2011

Gaby Amarantos et sa tecnobrega, ou comment la tempête "Xirley" va frapper tout le Brésil !


Avis aux personnes de bon goût : autant passer votre chemin tout de suite, abandonnez toute velléité de comprendre ce qui va suivre. Gaby Amarantos est dans la place, attention la tornade ! Elle arrive de Belém du Pará et s'apprête à mettre tout le Brésil à ses pieds avec sa tecnobrega incendiaire. Le vulgaire, elle l'assume et le revendique parce que c'est ainsi qu'a toujours été stigmatisée la musique dont elle se réclame.


Gaby Amarantos a déjà été surnommée la "Musa do Tecnobrega", la "Diva da Tecnomelody", voire la "Beyoncé du Pará" ! Derrière ces diverses appellations, tecnobrega, tecnomelody, une seule et même source, la musique brega, dans ses développements contemporains. A l'origine, la musique brega, apparue dans les années soixante-dix, ne désigne pas un style particulier mais les chansons romantiques qu'affectionnaient les couches populaires. S'il est fréquent que le nom d'un style musical vienne "du dehors", qu'il soit par exemple inventé par un journaliste, le terme "brega" (ringard, vulgaire, grossier) a carrément été choisi par ceux qui se moquaient des goûts de leurs domestiques, des favelados, en gros des pauvres, le public de cette musique, tous ceux qui étaient touchés par ces chansons à l'eau de rose. Depuis une dizaine d'années, c'est à Belém que l'on assume pleinement la dimension péjorative de la brega et qu'on se l'approprie pour fusionner différents styles locaux (carimbó, lambada, etc...) ou caribéens en les combinant à l'électronique pour lancer la tecnobrega.

A vrai dire, sociologiquement parlant, on retrouve dans le phénomène brega tous les éléments propres à (presque) n'importe quel style de musique populaire : la stigmatisation initiale, l'émergence au sein d'un microcosme relativement fermé, l'attrait qu'elle fait naître auprès du public des classes moyennes qui ne rêve que de s'éclater dans une ambiance canaille, et ce mouvement de la périphérie vers le centre qu'a si bien souligné l'anthropologue brésilien Hermano Vianna. Selon lui, le phénomène le plus marquant de ces dernières années au Brésil, est la connexion directe des périphéries avec l'ensemble du pays*. Auparavant, toute "périphérie", c'est-à-dire toute musique née dans un environnement paupérisé ne pouvait toucher le grand-public qu'en s'appuyant sur cet intermédiaire alors incontournable qu'étaient les gros labels et les médias de masse. Il illustrait ses propos par l'exemple de la tecnobrega du Pará qui "a développé un nouveau modèle de commerce discographique qui n'a plus besoin des labels pour se développer. Les musiques sortent directement des ordinateurs des studios de la périphérie pour atterrir aussitôt sur les étals des camelots, des vendeurs de rue et des DJs de soirées". Une pratique habituelle pour Gaby qui offrait ses CDs aux camelôs afin qu'ils en gravent des copies pirates et les jouent à fond la caisse partout où leur petit commerce se posait, soit à chaque coin de rue, pour qu'au final, toute la population de Belém connaisse ses chansons ! Et c'est justement ce qu'on la voit faire dans le clip de "Xirley"...

Alors que Treme, son premier album solo "officiel" va bientôt sortir, cela fait déjà plus de dix ans que Gaby Amarantos arpente les scènes du Pará puis de tout le pays pour balancer son show festif. Gabriela Amaral dos Santos est né à la périphérie de Belém, dans le quartier populaire de Jurunas. Si elle est devenue une icône de la tecnobrega, elle a commencé sa carrière dans les bars où comme tant d'autres apprenti-chanteuses, elle se faisait la voix sur le répertoire de la MPB, accompagnée d'une simple guitare, ou en reprenant les standards d'Ella et Billie. C'est en intégrant le groupe Tecnoshow que sa carrière décolle. Avec la brega, elle a trouvé sa voie : "j'ai toujours assumé la brega. Déjà je trouve le nom super. Je suis brega, la façon dont je m'habille est brega, mon mode de vie est brega, mon attitude". Ce style brega, elle le cultive donc, très extravertie. Si ses premiers admirateurs sont le public gay, elle  plaît aussi beaucoup aux enfants ("ils adorent mes tenues colorées"). Parvenir à concilier gays et enfants est un indice qui ne trompe pas : il laisse forcément augurer d'une carrière prometteuse.


Quand on sait que Kassin (+ 2, Orquestra Imperial) et Berna Ceppas (fondateur de l'Orquestra Imperial) ont participé à la production de ce premier album, on est assuré que Gaby Amarantos sera une vraie coqueluche en même temps qu'elle gagnera dans cette collaboration une caution qui manquait encore à la tecnobrega (quand Pio Lobato, autre Paraense, avec sa tecnoguitarrada jouit déjà d'un vrai culte auprès de ses pairs branchés).

A cette étape de sa mise en orbite, notre "Beyoncé du Pará" explique que, si elle adore Beyoncé, elle préfère être elle-même ("Beyoncé est merveilleuse mais j'aime mieux être Gaby Amarantos"). La ressemblance physique étant tout sauf frappante, elle n'avait qu'à pas adapter "Single Ladies" en "Hoje Eu Tô Solteira", après tout ! Question tempérament, là encore la comparaison tourne court. Gaby, c'est un sacré caractère, elle assume tout, ses couleurs criardes et ses cuisses potelées, ses seins qui débordent du maillot sans crainte d'un nipplegate et ses airs effrontés. Bien dans sa peau !

Pour ce premier extrait de son album, elle a choisi une reprise. "Xirley" est un morceau de Zé Cafofinho e Suas Correntes, formation originaire du Pernambouc et qui l'avait enregistré sur son album Dança da Noite. Je suis ravi de le préciser depuis que mon pote Cyril de Niteroi me tanne le cuir pour que j'écoute ce Zé-là ! Mais si on compare les versions, l'originale semble d'un mollasson, mais d'un mollasson... Parce que quand Gaby s'empare de "Xirley", elle le transfigure, survitaminée et teigneuse. On croirait que le morceau a été écrit sur mesure. Et dans ce clip, même quand elle sort du champ, on ne voit qu'elle, si je puis dire...

En attendant de voir le film que Vincent Moon lui a consacré dans sa collection Les Petites Planètes, voici la vidéo de "Xirley". Elle est réalisée par Priscilla Brasil (dont nous avions déjà présenté le travail avec le clip de Macaco Bong, "Shift", dont nous disions qu'il était un bel exercice de style, une leçon pour apprendre à filmer le rock).

Très marrant, à la fin, ce discours moralisateur : le piratage est un crime, c'est aussi un péché. Kitsch et ironie revendiqués. Car venant de Gaby Amarantos, on rigole : vendre des disques, elle semble n'en avoir carrément rien à foutre ! D'ailleurs, le titre est en téléchargement gratuit sur son Soundcloud ! Et le refrain, vous l'avez entendu ? "Eu vou samplear, eu vou te roubar !" : je vais sampler, je vais te voler !

"Xirley", un tube ? Un sacré tube, oui ! Laissez-moi une place sur le dancefloor, j'arrive !


Gaby Amarantos, "Xirley" @ Soundcloud (mp3 192 kbps)

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* Hermano Vianna évoque notamment le sujet dans un article "Central da Periferia" (2006) qui, malgré sa pertinence, lui a attiré quelques critiques. Et pour cause, il intervient dans un programme de Globo, également intitulé "Central da Periferia". Il aurait voulu contredire sa thèse qu'il ne s'y serait pas mieux pris ! Ou, pire encore, on pourra l'accuser de participer à la récupération par le système des formes culturelles indépendantes ! S'il a bien cherché le retour de bâton, on n'évacuera pas pour autant d'un revers de la main les réflexions de quelqu'un qui étudie et observe de près les musiques populaires depuis plus de vingt ans !

mercredi 19 octobre 2011

Mariana Aydar à la poursuite du cavalier sauvage


Il n'est pas tout à fait un hasard que l'on parle de Cavaleiro Selvagem Que Te Sigo, le troisième album de Mariana Aydar ces jours-ci. D'abord il vient de sortir mais, surtout, il est produit et arrangé par Letieres Leite dont nous venons de présenter le projet Rumpilezz. (Peut-être parce que l'architecture d'un blog se résume à un bête empilage chronologique des messages postés, nous aimons bien introduire une continuité entre eux.) Mariana Aydar fait partie des rares artistes brésiliennes de sa génération à bénéficier d'une distribution internationale, un avantage évident procuré par sa signature avec Universal. Il y a probablement des contraintes à ce partenariat, mais pas forcément de compromis artistique. Au contraire, il lui donne les moyens de réaliser son album dans des conditions rêvées : réunir une équipe de musiciens brillants et embaucher Letieres Leite, un maestro à la fois rôdé au format pop et porté sur des structures plus complexes.


Pour Mariana Aydar, une des ambitions de ce nouveau projet est d'y acquérir ses galons de compositrice. C'est devenu un passage obligé. Comme s'en amusait Romulo Fróes, une des figures les plus originales de cette nouvelle scène pauliste et, accessoirement, un des compositeurs à qui Mariana fait régulièrement appel : "dans cette génération, tout le monde compose. Tu ne peux plus être une chanteuse si tu ne composes pas. (...) Une chanteuse comme Mariana Aydar qui est spectaculaire, brillante et pourrait avoir tous les compositeurs à ses pieds, moi le premier, même elle se met à composer, parce qu'elle pense que c'est nécessaire. Il n'y a plus de Maria Bethânia qui, de son Olympe, pouvait dire : 's'il vous plaît, faites appeler les compositeurs' ".

Si elle compose, ce n'est jamais seule et ce ne sont que quatre chansons sur l'album. Mais elle a raison, elle s'exprime. Parmi ses compositions, signalons "Floresta", écrite avec (Guilherme Held et) Tiganá Santana, un de ces quelques nouveaux musiciens bahianais à suivre de près, titre qu'ils interprètent en duo. Ou "Cavaleiro Selvagem", composée avec le rappeur Emicida, et qui est portée par un beau souffle orchestral. Sur les autres chansons de l'album, on en trouvera bien sûr une qui porte la patte de Romulo Fróes ("Porto") mais aussi quelques reprises comme le "Nine Out of Ten" de Caetano (un des titres de son exil anglais), une autre de Zé Ramalho ou "Vai Vadiar" de Monarco et Ratinho. Ce "Vai Vadiar" est d'ailleurs un de mes favoris de l'album, si on ne retrouve plus grand chose du samba d'origine, la version a au moins le mérite de l'originalité. Très réussi également le forró de "l'homme à la jambe de bois" (qui dansait mieux ainsi), "O Homem da Perna de Pau", une composition du vétéran Edson Duarte, très entraînant et porté par la guitare électrique de Guilherme Held...

Il arrive parfois qu'avant même d'écouter un disque, on en soit impatient au vu des musiciens qui y participent. C'est le cas avec Cavaleiro Selvagem Que Te Sigo. Si la seule présence de Letieres Leite est en soit suffisamment excitante pour qu'on se dise qu'il s'agit peut-être d'un des albums de l'année. Sans même parler du grand accordéoniste Dominguinhos, invité sur un titre, le reste de l'équipe est à l'avenant. A la batterie Duani Martins poursuit sa collaboration avec la chanteuse, également co-producteur de l'album comme il l'était du précédent Peixes Pássaros Pessoas. A ses côtés, un des grands bassistes brésiliens, un master groover comme on n'en fait peu : Robinho Tavares (ici assez discret, malheureusement). La guitare électrique, très présente sur tout l'album, est celle de Guilherme Held, un de ces jeunes musiciens surbookés qu'on croisera aux côtés de Romulo, Kiko, Criolo ou Lanny Gordin (si, si, le vrai). Sans oublier le génial percussionniste bahianais Gustavo di Dalva. La présence de ce dernier, mais aussi celle de Tiganá, illustre également la volonté de Mariana Aydar de réaliser un album qui soit inspiré par l'influence séminale (à moins que ça ne soit subliminale) de Bahia. Et, pour y parvenir, c'est à Letieres Leite qu'elle a confié les clés de la réalisation. Grand bien lui en a pris, tant il a tissé une toile riche de mille nuances, une belle trame orchestrale dont tout exotisme est banni.

Avec ce Cavaleiro Selvagem, et son goût très sûr pour bien s'entourer, Mariana Aydar confirme allègrement qu'elle est une des chanteuses majeures de sa génération. A suivre un cavalier sauvage, on avance plus vite...

Pour déjà se faire une idée de cet album, rien ne vaut un petit making-of...

mardi 18 octobre 2011

Une Dose d'élixir dans Vibrations avec Kiko et ses amis


Laissez-moi crâner un instant ! Ma chronique de Metá Metá, l'album de Kiko Dinucci, Juçara Marçal et Thiago França, vient d'être publiée sur le site de Vibrations.


Etant suffisamment occupé par mes projets d'écriture personnels, je ne suis pas à la recherche de piges. Oui, mais là, c'est Vibrations. Je suis un lecteur fidèle du magazine depuis quinze ans, précisément depuis son numéro de décembre 1994. Autant dire une paye ! Et il demeure pour moi la référence francophone en matière de presse musicale.

Le déclic qui m'a incité à prendre contact avec eux maintenant (quand mon rédac' chef d'alors m'y encourageait déjà il y a une dizaine d'années), c'est un véritable coup de cœur pour cet album fantastique, Metá Metá.  Il m'a spontanément semblé urgent de faire connaître ses auteurs sous nos latitudes. 

Des musiciens brésiliens qui mériteraient une reconnaissance internationale, j'en connais beaucoup d'autres. Nous verrons si je ressens la même urgence qu'avec Juçara, Thiago et le brillant Kiko Dinucci, nous verrons ce qu'il adviendra de cette collaboration avec Vibrations, initiée sous de bons augures...

Je remercie donc Joël Vacheron, responsable du site, et David Commeillas, rédac'-chef adjoint du magazine, de leur intérêt. Je remercie également Kiko, Juçaral, Thiago et tous ses musiciens qui font vivre ma passion et me donnent envie de la partager...


Metá Metá dans Vibrations

lundi 17 octobre 2011

17 Octobre 1961, une amnésie française


Il y a exactement cinquante ans, le 17 octobre 1961, la police française réprimait avec une violence inouïe une manifestation du FLN de France contre l'instauration d'un couvre-feu auquel devait se soumettre les Maghrébins. La répression de cette manifestation a probablement fait plus de deux cents morts. L'histoire française a longtemps occulté les zones d'ombre de la Guerre d'Algérie. Ce massacre fait partie de ces événements.


Nous n'avons pas vocation à parler de l'Histoire ni de politique. Si, brièvement, nous souhaitions participer à la commémoration de cette nuit du 17 octobre qui reste une des plus grandes hontes nationales, c'est parce que pendant des années, quelqu'un en France s'est vu harcelé pour ses propos. Et que ce quelqu'un est un de nos musiciens les plus intègres. Il s'agit de Hamé, membre du groupe de rap La Rumeur. Il avait écrit, en 2002, entre les deux tours de l'élection présidentielle, un texte, "L'Insécurité sous la plume d'un barbare". Un texte pour lequel Hamé s'est vu poursuivi en diffamation. Quels avaient bien pu être ses propos pour justifier de telles attaques ? Une simple phrase :

"Les rapports du ministère de l’intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun des assassins n’ait été inquiété".

Hamé avait probablement à l'esprit d'innombrables bavures policières quand il rédigeait son pamphlet mais j'ai toujours imaginé qu'il évoquait aussi cette répression sanglante du 17 octobre.

Qui le premier a porté plainte ? Le Ministre de l'Intérieur, c'est-à-dire Nicolas Sarkozy à l'époque. Pour diffamation envers la police, parce qu'on ne pourrait tolérer que ses agents soient assimilés à des "assassins". Le plus choquant, c'est l'acharnement, le harcèlement, du Ministère de l'Intérieur. Alors qu'Hamé avait été relaxé, il le poursuivait en appel, puis en cassation, puis à nouveau en appel, puis à nouveau en cassation, avant sa relaxe définitive en 2010.

Seulement en pensant à ce 17 octobre de sinistre mémoire, en pensant à tous ces manifestants noyés dans la Seine pour avoir été jetés par-dessus les ponts les membres attachés, qui peut oser poursuivre Hamé ?

"J’ai maintes fois souhaité que la honte d’avoir été le témoin impuissant d’une violence d’État haineuse et organisée puisse se transformer en honte collective. Je voudrais aujourd’hui que le souvenir des crimes monstrueux du 17 octobre 1961, sorte de concentré de toutes les horreurs de la guerre d’Algérie, soit inscrit sur une stèle, en un haut lieu de toutes les villes de France, et aussi, à côté du portrait du Président de la République, dans tous les édifices publics, Mairies, Commissariats, Palais de justice, Écoles, à titre de mise en garde solennelle contre toute rechute dans la barbarie raciste" (Pierre Bourdieu, 17 octobre 2001).

Didier Daeninckx a consacré un exemplaire roman à ces événements, Meurtres pour Mémoire (Gallimard, Série Noire, 1984). Un livre qui commence avec ces quelques mots en exergue :

"En oubliant le passé,
on se condamne à le revivre"


samedi 15 octobre 2011

Jazz-Candomblé (2/2) : Letieres Leite & Orkestra Rumpilezz


L'apparition sur la scène musicale brésilienne de l'Orkestra Rumpilezz fondé par Letieres Leite n'a pas manqué de faire sensation. Avec ses quinze cuivres et cinq percussionnistes, ce big band ne risquait évidemment pas de passer inaperçu. L'influence musicale du candomblé ou d'autres religions afro-brésiliennes a nourri l'inspiration de plusieurs générations d'artistes. Voici donc aujourd'hui, le deuxième volet de notre série où un traitement jazz est appliqué à ces musiques religieuses. Après après avoir évoqué Guga Stroeter et son orchestre HB, voici Letieres Leite & Orkestra Rumpilezz. Une évocation très à propos puisque Letieres Leite et sa nombreuse troupe viennent d'embarquer pour l'Europe où ils se produiront la semaine prochaine dans le cadre du festival Europalia...


Fondé à Salvador en 2006, l'Orkestra Rumpilezz fait souffler un vent de fraîcheur sur Bahia, lui amenant un peu de la créativité qui commençait à lui manquer, au point que cet orchestre ait été qualifié de "Vanguardia Baiana", d'avant-garde bahianaise ! Dès le premier disque, encore le seul à ce jour, la reconnaissance et l'enthousiasme pour la musique de Rumpilezz atteignaient tout le pays. Car, finalement, les Bahianais n'auront trouvé que deux façons de conquérir le Brésil entier : par la musique la plus riche qui soit, comme avec Rumpilezz, ou par la plus commerciale, avec l'axé et sa star Ivete Sangalo... Le parcours de cette chanteuse honnie des puristes mériterait d'ailleurs une attention plus soutenue : pendant des années, le chef d'orchestre de son groupe Banda do Bem et son arrangeur n'était autre que... Letieres Leite ! Je ne vais pas vous mentir, le jour où je l'ai appris, j'ai moi-même réécouté en boucle son tube "Festa" !

Avec Letieres Leite, le titre de maestro n'est pas usurpé. Mieux, il l'incarne comme peu de musiciens de sa génération peuvent le prétendre. Alors qu'il a commencé à apprendre la musique en autodidacte, alors qu'il suivait  des études en arts plastiques, il a vite entrepris d'approfondir son bagage, sa formation allant jusqu'à se poursuivre au sein du prestigieux conservatoire Franz Schubert de Vienne où il passera six ans. De retour au Brésil, c'est la musique commerciale qui lui offre la notoriété. Mais tous les tubes d'Ivete Sangalo n'y pourront rien changer, il poursuit un rêve, un rêve qui résume son ambition musicale et qui le taraude depuis ses années viennoises. C'est lors de son retour au Brésil, quand il fonde, dans le quartier d'Amaralina, l'Academia de Música da Bahia, spécialisée dans l'enseignement des musiques populaires de Bahia, que vient le déclic, "c'est à ce moment-là que je suis parvenu à réunir les deux mondes, la tradition des terreiros et l'apprentissage au sein du conservatoire", explique-t-il.

Le nom de la formation qui allait incarner ce vieux rêve ne doit rien au hasard. Orkestra Rumpilezz. Orkestra avec un K, pour renvoyer à sa racine grecque. Rumpilezz parce que les trois tambours du candomblé sont les atabaques  rum, rumpi et et que les deux Z sont ceux du jazz ! Tout un programme. Qui ne semble pas si éloigné de celui de Guga Stroeter, présenté dans la première partie de notre série Jazz-Candomblé. Tirer le meilleur de chaque monde, inventer un langage qui combine les harmonies européennes et les pulsations rythmiques afros ! 

Cet Orkestra fonctionne sur le mode du big band. Si les musiciens ne sont plus en smoking mais vêtus de blanc, ils ont toujours un pupitre sous les yeux et suivent les arrangements très écrits du maestro Leiteres.

Pour être exact, les influences de Rumpilezz ne sont pas seulement celles du candomblé mais plus généralement celles de l'univers percussif bahianais, entendez par là Olodum aussi bien que les sambas traditionnelles du Recôncavo. D'ailleurs, parmi les percussions, on trouve à côté des atabaques quelques timbaus, leur version profane et moderne.

A la différence des musiques de Guga Stroeter, portées par des voix venues directement des terreiros, celles de Leiteres Leite, parce qu'elles sont instrumentales, sont plus abstraites. Imaginez que vous les découvriez lors d'un blind test, vous auriez probablement du mal à en identifier la provenance. C'est ce qui est arrivé à Joe Ferla, le célèbre ingénieur du son new-yorkais : "un ami écoutait le disque, Joe qui passait par là demanda ce que c'était. Il croyait que c'était un groupe afro-cubain, puis se dit que c'était peut-être quelque chose qui venait du Nigéria. Cet ami lui a donné un exemplaire du disque et, une semaine plus tard, il se proposait pour faire le mixage". Sachant que Letieres Leite, profitant de son compagnonnage avec Ivete, a remis un disque de Rumpilezz en mains propres à Beyoncé, parce qu'il avait toujours entendu dire qu'elle avait l'esprit très ouvert en matière de musique, on se demande si elle va bien finir par l'appeler ! De l'intérêt de donner ses disques...



Dans le cadre du festival Europalia, basé en Belgique et alentours, Leiteres Leite & Orkestra Rumpilezz se produiront :
le 19/10 à Borgerhout
le 20/10 à Amsterdam

Pour plus d'informations sur cette formidable manifestation, dédiée cette année au Brésil, le site BossaNovaBrasil en a déjà présenté la programmation. Thierry, son auteur, s'y trouve même ce week-end pour le concert de Teresa Cristina et de la Velha Guarda da Portela : on attend son compte-rendu !

Pour le programme complet, le site officiel d'Europalia...

jeudi 13 octobre 2011

Jazz-Candomblé (1/2) : Guga Stroeter avec Sapopemba et Aloísio Menezes


Alors que sortait cette année Xirê Reverb, j'ai beaucoup réécouté depuis quelques mois un autre album de Guga Stroeter et de son Orquestra HB, qui cultivait le même propos : proposer une orchestration et des arrangements inspirés du jazz aux musiques religieuses afro-brésiliennes (ou dans le cas de Agô!, également afro-cubaines). Agô! est sans conteste le disque que j'ai le plus écouté cet été. Nous en avons déjà évoqué ici un morceau, une composition de Gerônimo interprétée par lui-même, "Agradecer e Abraçar". Avant de retrouver dans une deuxième partie, Letieres Leite et son Orkestra Rumpilezz qui, lui aussi, invente une lecture jazz des rythmes ancestraux du candomblé, nous commencerons aujourd'hui par présenter les superbes albums réalisés par Guga Stroeter.


Sur cette thématique des musiques religieuses afro-américaines, nous sommes forcément devant une lecture moins ésotérique que celle de Steve Coleman revisitant la Santeria cubaine sur son album The Sign and The Seal, en 1997. En commun toutefois, on retrouve dans la musique de Coleman comme dans celle de Guga Stroeter ou Leiteres Leite, un formidable travail sur les rythmes, ces rythmes sacrés qui guident les cérémonies du Candomblé ou de la Santeria. Cette complexité rythmique est un formidable outil de travail pour les musiciens cherchant la maîtrise la plus profonde de leur art. C'est d'ailleurs Gene Lake, qui était le batteur de Steve Coleman lors de ces sessions cubaines, qui racontait alors l'incroyable difficulté qu'il éprouvait à saisir toutes les subtilités de ces rythmes.

Originaire de São Paulo, Guga Stroeter est un brillant musicien qui s'est fait connaître aux côtés de Mauricio Tagliari au sein du groupe Nouvelle Cuisine. Leur approche originale du jazz leur valut un statut presque culte. S'il faut préciser que ses instruments de prédilection sont les vibraphone et marimbas, il faudrait aussi présenter le romancier, l'historien de la musique brésilienne qui lui a consacré un livre, Uma Arvore Genealógica da Música Brasileira, l'auteur de nombreux articles, le dramaturge, le conservateur du Museu da Imagem e do Som, le directeur de l'association et label Sambata, le producteur de nombreux disques et d'événements culturels, et, bien sûr, le leader de l'Orquestra HB (pour Heart Breakers) et du trio HBTronix, etc... Ce diplômé de psychologie développe un travail au long cours avec sa formation HB. Il approfondit ses recherches musicales toujours au croisement de trois grands univers, celui du jazz, de la rumba cubaine et du samba brésilien. Parce que, dit-il, il s'agit là des "meilleures musiques du XXe siècle, parce qu'elles mêlent la tradition harmonique de la musique européenne avec la polyrythmie africaine. Nous avons donc le meilleur de deux mondes qui s'unissent pour faire la meilleure musique qui soit".


A dix ans d'intervalle, Agô! Cantos Sagrados de Brasil e Cuba, enregistré en 2001 entre Brésil et Cuba (mais sorti seulement en 2003), et Xirê Reverb, paru en 2011, sont donc de libres interprétations de musiques religieuses où, curieusement, le répertoire est en grande partie le même d'un album à l'autre. Pour expliquer sa démarche, Guga Stroeter écrivait à l'époque de la sortie de Agô! : "les récentes découvertes paléontologiques confirment qu'Homo Sapiens a migré d'Afrique. En conséquence, nous sommes tous, sans exception, afro-descendants. Nous savons également que les religions occidentales actuelles sont récentes. Le Christianisme a 2000 ans, l'Islam 1400, alors que les religions africaines sont beaucoup plus anciennes. Par conséquent, la culture des orixás est un chaînon très ancien entre l'Homme et la Nature, et devrait être envisager au minimum comme quelque chose de culturellement intéressant au lieu d'être diabolisé et réduit à la pratique de la magie noire.

Même sans entrer dans des considérations religieuses, qui ne sont peut-être pas le but de nos recherches, nous avons là une grande musique qui, en soi, justifierait notre implication. Cette musique reçoit un traitement inédit parce que nous avons pris les chants et les toques tels quels (les voix non-tempérées et les tambours polyrythmiques) et nous les avons traités avec le plus sophistiqué des langages d'arrangements de la musique populaire influencée par le jazz. Ainsi, cette musique n'a plus seulement une valeur de témoignage anthropologique pour devenir une musique très bonne à simplement écouter ou pour danser en dehors d'un quelconque rituel".

Ces tambours polyrythmiques sont ceux du culte, principalement les trois atabaques, rum, rumpi et . Les musiques sont des saluts aux orixas, des saudações, joués sur des rythmes consacrés ijexá, aguerê, opanijé, cha cha lo kue fun, bravum etc... Ces voix non-tempérées se devaient d'être exceptionnelles. Ce sont celles de Sapopemba sur Agô! et d'Aloísio Menezes sur Xirê Reverb. Tous deux authentiques ogans, c'est-à-dire dignitaires du candomblé. Sapopemba est originaire du Cearà mais est depuis longtemps installé à São Paulo. Guga Stroeter l'a invité à enregistrer un album sous son nom où il pouvait interpréter ladainhas, chulas, boi-bumbás et autres congos das Gerais. Aloísio est Bahianais, Luiz Melodia n'y est pas allé avec le dos de la cuiller et l'a décrit comme le "Louis Armstrong brésilien". Tous deux ont appris à chanter sur les terreiros. Leur passage dans un studio d'enregistrement est un accident, heureux et tardif. Ils y introduisent une intensité peu commune.


Pour l'anecdote, encore une fois, une coïncidence vient se glisser à l'improviste dans les colonnes de l'Elixir, donnant à l'enchaînement de nos publications un air de "marabout d'ficelle". Alors que nous je cherchais des images de Sapopemba, la voix fantastique présente sur la plupart des titres d'Agô!, je découvre un article qui lui est consacré et dont l'auteur n'est autre que... Fabiana Cozza qui vient de nous accorder une interview ! Je vous jure donc que cet enchaînement, c'est même pas fait exprès, pure coïncidence, je vous dis. Si c'est pas un truc à devenir mystique, ça !

Sur Agô!, on croisera un Rhodes, on s'offrira une virée choro à partir d'un rythme de quebra-prato, sur Xirê Reverb, la basse électrique est plus présente et les amateurs éclairés d'un funk ouvert devrait y apprécier quelques passages, mais, dans les deux cas, il y a toujours ce chœur féminin qui soutient les grosses voix de Sapoemba et Aloísio Menezes, ce chœur qui est indispensable à tout chant construit sur le mode appel-réponse.

On n'oubliera pas non plus de signaler que c'est sur Agô! que Carlinhos Brown a commencé à vraiment travailler sur les musiques de candomblé. On se souvient que quelques années plus tard, en 2005, il avait sorti l'album Candombless, sa propre relecture de toques à base de percus et d'électro. Convié par Guga Stroeter, il produit les trois titres qui concluent l'album : "Saudação a Oxossi", "Saudação a Omulu" et "Saudação a Ogum" et cette même approche y est déjà à l'œuvre.


Une fois de plus, on mesurera la richesse musicale du Brésil où des albums comme ces deux-là ne sont sortis que sur un petit label indépendant, Sambata, fondé par Guga lui-même (Agô! n'avait été pressé qu'à 1000 exemplaires !). Certes, on peut aujourd'hui les trouver sur certaines plateformes de téléchargement mais ils auraient mérité une distribution internationale. Les amateurs de musique brésilienne sophistiquée et profonde auraient su y reconnaître le degré de raffinement qu'y ont acquis les musiciens brésiliens dans l'exploration des traditions populaires de leur pays. De ces chants et rythmes ancestraux, leur virtuosité et leur érudition les amènent à jouer une musique résolument moderne, pure de toute sa bâtarsité.

Pour illustrer ces projets de Guga Stroeter, je n'ai pas trouvé mieux que cette vidéo où le célèbre danseur et chorégraphe Irineu Nogueira l'interprète au côté des musiciens. L'interprétation y manque malheureusement de conviction alors que sur Agô!, c'est le percussionniste Ari Colares qui chante "Oxaguian" et c'est magique, un moment de respiration recueillie au milieu d'une tempête incantatoire.

Verdict : un élixir à consommer sans modération malgré des risques d'addiction et de crises mystiques.




lundi 10 octobre 2011

Fabiana Cozza, la grande sambiste, arrive en France : une interview pour l'Elixir


Voici venir en France une des plus belles représentantes actuelles du samba. Mais, contrairement à ce que l'on imaginerait de prime abord, elle n'arrive pas de Rio mais de São Paulo. Si le samba y a parfois fait figure de parent pauvre, il s'y développe actuellement une scène plus créative peut-être que celle de Rio. Fabiana Cozza est une chanteuse de tempérament qui n'aura eu besoin que de deux albums (et déjà treize ans de carrière) pour s'imposer comme une figure majeure en la matière. Elle a la voix qui porte comme il se doit pour mener le bal. Mais son approche de la musique est plus profonde, elle s'imprègne des cultures afro-brésiliennes, se nourrit de leur spiritualité pour créer une musique autant contemporaine qu'inscrite dans les traditions de son pays.

N'habitant plus Paris, je ne cultive pas le masochisme à surveiller les concerts programmés dans la capitale pour établir la liste de ceux qu'hélas je raterai, mais c'est Jean-Claude, un ami de Juçaral Marçal, qui m'a averti de la venue de Fabiana en France. Ce mois-ci, elle donnera plusieurs concerts et cours de chant. Depuis Le Pradet dans le Var jusqu'à Paris, pour deux soirs, en passant par Grenoble où elle donnera également un cours de chant.

Alors qu'elle s'apprête à sortir un nouvel album, Fabiana a bien voulu nous accorder quelques instants alors même qu'elle s'apprêtait à embarquer pour Paris et ce séjour de deux semaines en France. Un honneur pour l'Elixir.


Olivier Cathus. : Tu as un certain succès en France où tu t'es déjà produite plusieurs fois, et déjà plus tôt cette année. L'ambiance de tes concerts est-elle différente ici ? Le public y est peut-être plus passif et froid ? Il doit falloir s'y habituer ?

Fabiana Cozza : Je n'ai jamais rencontré la froideur du public français. Au contraire, c'est un sentiment très fort de chanter en France. En plus d'être réceptif, le public français est très curieux de découvrir la culture brésilienne et en est très amoureux.

O. C. : Tu es une des figures les plus marquantes du samba d'aujourd'hui, pas seulement de São Paulo mais du pays tout entier. Que penses-tu des artistes brésiliens qui rencontrent un succès international mais qui, d'une manière générale, ne sont pas spécialement liés au samba ? Des chanteuses qui n'ont pas toujours beaucoup de voix ?

Fabiana Cozza : La musique brésilienne est très variée et a plusieurs accents. Le samba est devenu un répertoire presque obligatoire pour beaucoup de chanteuses. Ou plutôt : à un moment de leur carrière, elles s'approchent du samba. Je pense surtout qu'il est important de montrer au monde la diversité brésilienne même si ce n'est pas forcément du samba.

O. C. : Tu as grandi dans une ambiance de samba puisque ton père Osvaldo dos Santos appartenait à l'école de samba pauliste Camisa Verde e Branco, est-ce la plus belle expérience dont puisse rêver un enfant brésilien ?

Fabiana Cozza : Je ne sais pas, peut-être pas. C'est seulement mon histoire personnelle. Il y en a beaucoup qui sont aussi belles, et il y a en aussi beaucoup qui sont tristes. J'ai eu beaucoup de chance de grandir dans un environnement qui valorisait la culture nationale et l'éducation au sens large, où la connaissance et le respect de l'autre et des différences - ethniques, sociales, culturelles, religieuses - étaient les conditions nécessaires pour comprendre le monde et en devenir citoyenne.

O. C. : Parmi les historiques, quelles sont tes références féminines ? Clementina de Jesus (tu chantais "Valeu Clementina" sur son premier album) ? D'ailleurs, qui pourrait surpasser Clementina ?

Fabiana Cozza : Elizeth Cardoso, Clara Nunes, Leny Andrade, Milton Nascimento, Celia, Nana Caymmi, Maria Bethânia, Elis Regina, entre autres. Mais Clementina est toujours une matrice noire d'une importance inégalée pour le Brésil.

O. C. : Tu chantes Edith Piaf, une autre voix incroyable. Tu la chantes seulement en France ou aussi au Brésil ? Es-tu d'accord pour dire que l'émotion qui passe dans sa voix est universelle ?

Fabiana Cozza : Piaf est une chanteuse universelle parce qu'elle chante son peuple, sa terre, son histoire. C'est comme ça que l'on acquiert cette portée universelle. J'ai été invitée à participer à un spectacle qui rendait un hommage à Edith Piaf avec l'Orchestre Symphonique de São Paulo et ça a été un succès. Mais je n'ai jamais interprété Piaf en France. Qui sait, peut-être un jour...

O. C. : A l'occasion de ce séjour français, tu vas donner des cours de chant populaire brésilien. Quel serait le premier conseil, la première leçon, que tu donnerais à tes élèves français ?

Fabiana Cozza : La musique, c'est l'âme, le cœur, et la voix est très transparente, elle révèle qui nous sommes au fond de nous. Mon ambition dans les cours que je donne, c'est dans le sens d'aider l'autre, et moi-même, à se découvrir et se réinventer par la chanson.


O. C. : J'ai l'impression que tu es très liée à Bahia. Le titre de ton dernier album, "Quando o céu  clarear", était celui d'une composition de Roque Ferreira qui y figurait. Sur cet album, tu reprenais également "Agradecer e Abraçar", une chanson de Gerônimo, une figure historique des musiques afros de Bahia. Et, à ton retour, tu vas donner plusieurs concerts avec Roberto Mendes, autre sambiste d'exception du Recôncavo. Est-ce que Bahia est une source pour n'importe quel artiste brésilien qui se préoccupe de tradition ?

Fabiana Cozza : Bahia a été la première capitale du Brésil et c'est la matrice du samba, la mère du samba. Avant qu'il ne s'installe à Rio, c'est là que le samba s'est développé. C'est pour ça qu'il est fondamental de se plonger dans l'univers historique de cet Etat, où il n'y a pas seulement le samba, mais aussi le chula et une infinité de rythmes afro-brésiliens qui sont nés dans les terreiros du candomblé.

O. C. : Le titre de ton premier disque, O Samba é meu dom, est une samba inoubliable de Wilson das Neves, un maître, presque une légende vivante. Est-ce qu'il te semble important que ta génération honore les maîtres du samba ? Est-ce une manière d'entretenir la mémoire du pays, de garder bien vivante la culture populaire ?

Fabiana Cozza : Oui, je crois qu'il est fondamental de se souvenir des maîtres et de revisiter leur musique. Ils sont le pont et la source (ponte e fonte, ndt) pour que ce que nous faisons aujourd'hui aille de l'avant.

O. C. : On retrouve l'influence des religions afro-brésiliennes très présente dans ta musique. Est-ce que tu es impliquée dans le culte ou est-ce plutôt la dimension esthétique qui t'a séduite ?

Fabiana Cozza : La danse, les vêtements, la nourriture, les tambours et la musiques afro-religieuse brésilienne m'ont toujours séduite. Je suis devenue pratiquante après avoir déjà interprété des chansons dont la thématique renvoyait à cet univers merveilleux.

O. C. : J'ai l'impression que tu es très profondément impliquée dans une recherche sur le côté afro de la culture brésilienne. Est-ce qu'il y a une dimension politique à cette quête ou est-ce seulement pour la dimension artistique ? Ou filiale ?



Fabiana Cozza : Tout choix est aussi politique. J'ai coutume de dire que mon nom de famille, Cozza, est un visa pour n'importe quelle partie du monde. Il vient de mes origines italiennes, de la famille blanche de ma mère. Le nom Dos Santos vient de racines angolaises, il vient de mon père noir et de sa famille, et il ne m'offre pas les mêmes garanties. Cela résume la passion que j'ai pour les tambours - qui ont aussi une fonction thérapeutique - et ce qui m'amène à être une représentante de la culture noire brésilienne.

O. C. : Tu es également liée aux compositeurs de ta génération, là à São Paulo, à quelqu'un comme Kiko Dinucci. Cette scène pauliste est très intéressante parce qu'elle a un pied dans le samba et l'autre dans la culture indie, expérimentale. Aujourd'hui, le samba de São Paulo est plus créatif que celui de Rio, est-ce une fierté pour les Paulistes alors que leur ville a longtemps été considérée comme le "tombeau du samba" ?

Fabiana Cozza : São Paulo n'a jamais été le tombeau du samba. Ce qui se passe, c'est que c'est une question d'origine, d'accent. C'est ça qui change. Notre samba était rural, caipira, venait de la rocaille. Le samba do morro de Rio de Janeiro venait des Bahianaises noires et prit ensuite les traits urbains de Rio. Je trouve qu'il y a en ce moment une génération très intéressante de nouveaux compositeurs qui ne viennent pas seulement de Rio mais aussi du Minas Gerais avec Sergio Pererê, de Bahia avec Tiganá Santana, du Pará avec Leandro Medina, et d'autres encore. Il est indispensable d'élargir notre regard au delà de l'axe Rio-São Paulo pour que nous puissions redécouvrir le Brésil.

O. C. : Ton prochain album devrait sortir le mois prochain, en novembre. Quels sont les compositeurs que tu as sollicité, les reprises que tu as choisi, les invités qui y participent ? Quel type de son et de musique as-tu cherché à développer ?

Fabiana Cozza : Il s'agit d'un disque classique de samba. Classique dans le sens où il s'inscrit dans la tradition noble du samba brésilien en reprenant des chansons de Nei Lopes, Wilson Moreira, Wilson das Neves, Delcio Carvalho ou Elton Medeiros. Pour autant, il comporte aussi des des morceaux de mes contemporains, comme Kiko Dinucci. La direction musicale et la production sont de mestre Paulão 7 Cordas et le disque compte sur la participation d'une équipe exceptionnelle de musiciens, dont les participations spéciales de Nailor Proveta au saxophone, et de Bebê Kramer à l'accordéon.

O. C. : A l'occasion de tes concerts français, est-ce que l'on va découvrir quelques unes de ces nouvelles chansons ?

Fabiana Cozza :
Oui, deux ou trois.




Vous l'aurez compris, la venue d'artistes brésiliens de la trempe de Fabiana Cazzo n'est pas courante. Si vous êtes dans les parages, ce qui n'est hélas pas mon cas, précipitez-vous !

14/10/2011 : Espace des Arts, Le Pradet (83)
20/10/2011 : Stage de Chant Populaire Brésilien, Grenoble
21/10/2011 : Le Fitzcarraldo, Grenoble
22/10/2011 : Le Cabaret Sauvage, Paris
24/10/2011 : Comedy Club, Paris


samedi 8 octobre 2011

Dois em Um : une interview de Luis Pereira pour l'Elixir


Hier, nous avions voulu mettre en valeur l'entretien que m'avait accordé Luis Pereira, moitié du duo Dois em Um, par un préambule qui soulignait l'originalité de sa musique, de la bossa indie rock composée et produite à Salvador. Une musique d'une finesse inouïe où la voix de Fernanda Monteiro fait naître l'émotion de sa fragilité, soutenue par son violoncelle et les guitares claires de Luis. Dois em Um, c'est un duo et c'est aussi un couple. La sincérité de leur musique est troublante, elle n'a recours à aucun artifice, à aucune facilité. Mais, comme je l'expliquais hier, une sacrée coïncidence s'est mise de la partie. Tout commença il y a quelques semaines, quand j'eus un jour la surprise de recevoir un message de Luis qui souhaitait me faire connaître leur musique. Je m'apprêtais alors à publier un texte sur Ederaldo Gentil, sambiste bahianais, quand je découvrais qu'il était justement l'oncle de Luizão, le Luis Pereira qui venait de me solliciter !

Voici donc le premier entretien exclusif réalisé pour l'Elixir. Luis essuie les plâtres et je lui en sais gré. Après avoir échangé quelques e-mails, nous avons réalisé cet entretien par le même biais. Je lui ai envoyé mes questions et, très vite, il m'a répondu. Je n'avais plus qu'à traduire ses propos. Il a même été assez gentil pour m'envoyer (à ma demande) une photo de ses archives familiales où il apparaît, tout jeune, aux côtés d'Ederaldo.


Olivier Cathus : Bonjour Luis, merci d'avoir bien voulu répondre à mes questions... Ton oncle est Ederaldo Gentil, une des plus grandes figures du samba de Salvador et tu as dû grandir dans une ambiance où le samba était très présent. Pourtant ta musique en est très éloignée. Est-ce que c'est lié au fait qu'Ederalo ait connu des revers de fortune dans ce milieu et qu'il en soit devenu amer, comme une leçon que tu aurais intégré et qui t'aurais incité à te tenir loin du samba et adopter un autre style de musique ?

Luis Pereira (Dois em Um) : Non, en aucune manière. Et je ne vois pas le présent d'Ederaldo comme un destin de sa musique. C'est pour des raisons de santé qu'il a dû s'écarter de la musique. C'est très différent et cela peut arriver dans n'importe quelle profession. Pour moi, il a toujours été un exemple d'excellence : un compositeur génial, une personne merveilleuse et un oncle super.


La musique pour moi n'a jamais été un choix, c'est quelque chose d'inhérent. Mon enfance a toujours été très peuplée de musique brésilienne. En dehors de mon oncle Ederaldo, le plus âgé de mes frères, Tatau Pereira, est un excellent compositeur. Sur le disque Pequenino (1976) d'Ederaldo, figure une chanson intitulée "Peleja do Bem" qui est de lui. J'habitais à Juazeiro, dans l'intérieur de l'état de Bahia. Et la maison de João Gilberto n'était qu'à trois maisons de la mienne. A cette époque, la maison de ma famille était très fréquentée par les musiciens, depuis João Gilberto lui-même, en passant par les Novos Baianos, Hermeto Pascoal, jusqu'à de nombreux artistes locaux. J'ai eu un coup de foudre pour la guitare électrique en voyant jouer Pepeu Gomes et j'ai décidé d'en jouer quand j'ai vu, à Juazeiro, le génial Luciano Souza, puis en écoutant les disques de Hendrix. Plus tard, quand j'ai eu onze ans, j'ai découvert le punk, le rock et avec eux la rébellion adolescente qui allait contre le courant musical de la maison.

J'ai maintenant quarante ans et je mélange tout ça. Et il y a beaucoup de samba et de bossa nova dans la musique de Dois em Um, il y a presque tout ce que j'ai vécu.

O. C. : La percussion n'est pas mise en avant. A Bahia, c'est presque un manifeste esthétique, une décision artistique forte qui s'affirme et se lance à contre-courant, non ?

Luis Pereira (Dois em Um) : Selon le point de vue, oui. Surtout si nous prenons comme référence ces médias emplâtrés qui sont devenus les principaux véhicules de communication de masse. A Bahia, il y a toujours eu de tout. Ici, c'est bien sûr la terre du rythme mais c'est aussi la terre de la pause et de la respiration. Nous avons Caymmi, nous avons João (Gilberto). Bahia est un Etat très pluriel en matière de création, mais encore monoculturel dans sa diffusion.

O. C. : On sent de fortes influences étrangères. La première fois que j'ai écouté votre musique, j'ai pensé aux Cocteau Twins, à This Mortal Coil, ces groupes new wave du label 4AD, par exemple. A Radiohead aussi, bien sûr. C'est une référence consciente ? Quels sont les autres groupes et artistes internationaux qui vous influencent ?

Luis Pereira (Dois em Um) : Je m'attache toujours beaucoup aux chansons mais je suis toujours mal informé sur leurs origines. Si j'écoute Björk, Gainsbourg, Jean-Pierre Ferland, les Beatles, Chet Baker, Cocorosie ou Jobim, ça ne m'intéresse pas de savoir d'où ils viennent mais plutôt où ils vont. Ce sont des références inconscientes. J'essaie d'écouter tous les styles de musique.


O. C. : Et parmi les musiciens brésiliens, quelles sont vont références ? On peut retrouver quelque chose de Nara Leão dans la voix de Fernanda ?

Luis Pereira (Dois em Um) : Oui. Malgré le fait qu'elle soit une violoncelliste renommée et très sollicitée pour travailler en studio, sur l'enregistrement du premier disque de Dois em Um, ce fut la première fois que Fernanda posait sa voix devant un micro. Elle est très timide, réservée et cela se reflète dans son interprétation. Cette douceur de la timidité rappelle les maîtres Nara, Chet, João...

Et, concernant le Brésil, en plus de ceux que j'ai cité au début, j'aime beaucoup les classiques : Caetano, Gil, Chico Buarque, (Jards) Macalé, Cartola, Nelson Cavaquinho, Cartola, Dolores Duran, en passant par le rock de Mutantes, Paralamas, Titãs et Legião (Urbana), jusqu'à la génération plus récente de Los Hermanos, Nação Zumbi et les jeunes Tulipa Ruiz, Jeneci, Kassin, Domenico, Retrofoguetes, Rumpilezz, Ronei Jorge, Cidadão Instigado, Lucas Santtana...

O. C. : La distinction qui est souvent faite au Brésil entre musique populaire et savante te semble-t-elle encore pertinente ? Fernanda Monteiro a reçu une formation classique. Et toi, comment as-tu appris ou étudié la musique ?

Luis Pereira (Dois em Um) : Fernanda, c'est la technique, la théorie, la connaissance académique. Moi, je n'ai jamais pris un cours de musique. Ce que j'ai appris, ça a été en observant les autres et par moi-même.

O. C. : Depuis vos débuts, votre musique touche un public international et pas seulement brésilien, déjà sur votre page Myspace, avant même d'avoir sorti le moindre disque. Votre album est d'ailleurs sorti sur un label américain, Souvenir Records. Les artistes brésiliens qui rencontrent un succès en dehors de leur pays, comme par exemple Céu, on retrouve une dimension déjà "internationale" dans leur musique. La musique de Dois em Um également, par son côté indie rock, pensez-vous parce biais toucher un public qui ignore, ou n'aime pas spécialement la musique brésilienne ? Pensez-vous être cette "MPB para exportação, na versão 2.0", comme l'écrivait dans un article pour Globo Leonardo Lichote ?

Luis Pereira (Dois em Um) : De 1996 a 2004, j'ai joué dans Pénélope, un groupe de rock qui obtenait un relatif succès ici, au Brésil. J'étais alors limité à un seul style, une seule esthétique. Après que le groupe se soit séparé, je suis retourné vivre à Bahia et j'ai commencé à composer de façon viscérale. Les onze chansons du premier album de Dois em Um ont ainsi été composées dans une totale liberté, sans la prétention d'en faire un disque. Tout ça était d'une profonde sincérité, c'était comme une méditation. Nous n'avons jamais pensé faire de la "música tipo exportação", mais oui, le monde est 2.0. Nous avons désormais accès à tout grâce à internet, et ce n'est pas la moindre des choses que nous soyons ainsi en train de converser, toi en France, moi au Brésil.

O. C. : Votre premier disque a été enregistré à la maison. Etait-ce plus facile ainsi de faire une musique intimiste ? Vous êtes un duo et aussi un couple. Dans un tel projet, on peut se dire que l'inspiration allait renforcer votre couple mais aviez-vous également conscience de vous mettre en danger si l'inspiration n'avait pas été au rendez-vous ? Ce risque a-t-il stimulé votre inspiration ?

Luis Pereira (Dois em Um) : Cet album est le journal de ce que l'on vivait durant cette période. Deux musiciens dans la même maison et l'un d'entre eux qui ne peut pas rester sans composer ! Les instruments étaient à portée de main, et l'ordinateur, et aussi les idées. C'est tellement bon d'enregistrer quand tu te tapes une insomnie ou quand tu es tellement heureux que tu en oublis de dormir. Et c'est là qu'intervient cette sincérité dont je te parlais : nous ne sommes pas parvenus à nous défaire du "couple" pour devenir Dois em Um, c'était Luis et Fernanda dans toute leur essence, avec le bon et le moins bon aussi.

O. C. : Avez-vous déjà enregistré un nouvel album ? Sera-t-il différent ? Avec des invités ? Toujours intimiste ?

Luis Pereira (Dois em Um) : Nous sommes en phase de pré-production. Nous entrerons en studio durant le premier semestre de 2012. A la différence du premier, que j'ai produit et où je jouais de tous les instruments à l'exception du violoncelle, cette fois-ci nous avons envie de respirer un peu et nous allons inviter d'autres musiciens pour enregistrer avec nous. C'est déjà ce que nous faisons sur scène, comme on peut le constater sur cette vidéo...


Pour information, il s'agit d'une version de "Florália", titre qui figure sur leur premier album. A Fernanda et Luis, se sont joints Tadeu Mascarenhas (basse et claviers) et Felipe Dieder (batterie). Cette version a été enregistrée au studio Casa das Máquinas, à Salvador. Enfin, pour être tout à fait complet, les photos de Dois em Um sont de Mayra Lins.

Je remercie Luis sincèrement de m'avoir accordé son attention, d'avoir pris le temps de répondre à mes questions et d'avoir choisi l'Elixir pour essayer, à cette humble échelle, de faire connaître la musique de Dois em Um au public francophone. Et nous risquons fort d'en entendre encore parler ici quand sortira le prochain album...