mardi 31 mai 2011

A Place For You : Tribute to Gil Scott-Heron par Sandra Nkaké JÎ Drû & co...


La disparition de Gil Scott-Heron a frappé les esprits, les hommages se sont multipliés depuis l'annonce de sa mort à seulement soixante-deux ans. Après les habituelles nécrologies, ces obituaries, ce sont les musiciens qui prennent les choses en main et entreprennent de faire vivre sa musique. "L'homme est parti, le message reste", déclarent Sandra Nkaké et Jî Drû dans un communiqué de presse que j'ai reçu hier soir.


Aussi sont-ils déjà à l'ouvrage pour enregistrer un morceau hommage basé sur un riff du grandiose "Inner City Blues" de Marvin Gaye repris par Gil Scott-Heron. Outre Sandra Nkaké et Jî Drû, on retrouve sur ce projet d'autres membres de Push Up, Jean Phi Dary au Rhodes et Matthieu Ouaki à la guitare, ainsi qu'Antoine Berjeau au bugle. Le titre sera produit-mixé par Blackjoy.

Le morceau sera ensuite remixé par Doctor L, Jeff Sharell, Loïk Dury, Boulaone ou Mark de Clive Lowe. D'autres artistes devraient également se joindre au projet et proposer leur propre relecture du morceau hommage.

A suivre...

dimanche 29 mai 2011

Au Bord de l'eau avec Marku Ribas et les vedettes brésiliennes...


Imaginez une fête où parmi les convives nous retrouverions toutes les vedettes de la musique brésilienne ? Totale éclate ! Surtout si cette fête se tient au bord de l'eau, que ce soit à la plage ou la rivière. C'est ce qu'a organisé, ou plutôt rêvé, Marku Ribas !


Comme nous le soulignions hier, Marku Ribas n'a pas la notoriété qu'il mérite. Il occupe pourtant une place à part dans la musique brésilienne, quelque part à la confluence du samba-rock, du jazz ou des musiques caribéennes, à la fois chanteur, guitariste et percussionniste. Pour le faire connaître, autant adopter la bonne humeur en choisissant "Beira d'Agua (A Festa)", un morceau idéal pour la saison. 

Les baignades ont commencé et, histoire de varier les plaisirs, j'ai envie de pique-nique à la rivière, ou au lac du Salagou où l'eau est déjà bien bonne. Que souhaite-ton de plus avec ce soleil et la chaleur qu'un bon pique-nique au bord de l'eau ? Le tout accompagné de grillades, de salades, d'un petit apéro frais ?

Pour Marku Ribas, être beira d'agua, au bord de l'eau, n'est pas sur une plage mais plus probablement sur le rivage d'un fleuve. En effet, il est né à Pirapora dans le Minas Gerais, petite ville provinciale, située au bord du São Francisco. Le São Francisco qui se jette dans l'Atlantique près de 3000 kilomètres plus loin, entre le Sergipe et l'Alagoas, fait partie des grands fleuves brésiliens, il est d'ailleurs surnommé le "Nil brésilien" ou "fleuve de l'unité nationale" car il relie le Sud au Nord où il irrigue l'arride sertão. Quoi qu'il en soit, à Pirapora, les habitants se baignent dans le fleuve. 

Mais être au bord de l'eau ne suffit pas, il faut encore des invités pour cette fête. Le premier est Erasmo Carlos, énorme vedette au Brésil qui a commencé sa carrière dans les années soixante avec les Yéyés de la Jovem Guarda pour ensuite se convertir au samba-rock. Erasmo et Marku enregistrent donc ce titre en duo avec cette complicité rigolarde qui lui confère tout son entrain. Voilà deux types en train de blaguer, de décrire cette fête géante où l'on croise Vinicius et Tom Jobim. Chico Buarque, déjà en train de boire sa batida de limão, Paulinho da Viola qui accorde sa viola pour animer la fête. Gilberto Gil est là aussi, et Milton Nascimento. Et Jorge Ben, bien sûr. Et les filles ! Fafa de Belem, Maria Bethânia, Gal Costa ! Et c'est aussi dans cette énumération que le morceau devient très amusant. Il est incarné : on a donc deux types en train de commenter la fête et leurs exclamations à l'évocation des filles invitées semblent pris sur le vif, comme dans une fête deux copains qui déconnent en les matant du coin de l'œil.

"Iê, beira d'água
Tô na carreira do rio
Ê, beira d'água
Tô na carreira!"

Si "Beira d'Agua" ne vous met pas de bonne humeur, je risquerais de croire que ce blog est mal nommé.

Marku Ribas, "Beira d'Agua (A Festa)", Cavalo das Alegrias (1979) mp3 320kbps


samedi 28 mai 2011

Marku Ribas, une légende bien vivante des musiques afro-brésiliennes


Si avant d’avoir l’occasion d’écouter sa musique, vous apprenez de quelqu’un qu’il a enregistré pour Hugues Auffray et Frida Boccara, tourné avec Robert Bresson dans Quatre nuits d’un rêveur, vous ne lui attribuerez probablement pas un gros coefficient de funkitude. Si, par contre, on rajoute qu’il a assuré la première partie de James Brown aux Barbades, qu’il a côtoyé Bob Marley et poussé des dreadlocks avant lui (non pas sous influence rasta mais massaï), qu’il a joué avec les Stones sur Dirty Work en 1985, que Mick Jagger envoyait une Rolls blanche l’accueillir l’aéroport, probablement que, là, vous demanderiez à voir... Si enfin on vous annonce que Seu Jorge, Max de Castro, Ed Motta, le Clube do Balanço ou Marcelo D2, autrement dit tout la fine fleur de la scène funk-soul-rap brésilienne actuelle, sont ses plus grands fans et lui vouent un culte à la hauteur de son talent, là vous n’en pouvez plus de découvrir ce bonhomme.


Le bonhomme en question, c’est Marku Ribas, originaire de Pirapora dans le Minas Gerais, jeune sexagénaire fringant. Assurément Marku Ribas mériterait une vraie gloire, de celles qui dépassent le cercle des connaisseurs éclairés qui savent combien il compte, tant il est un des artistes majeurs des musiques noires brésiliennes des 70’s. Malheureusement, son intégrité artistique est bien mal récompensée. Même le Dicionário Cravo Albin da MPB ne lui accorde qu'une présentation scandaleusement sommaire eu égard à la place si particulière qu'il occupe. De Carlinhos Brown, dont nous présentions cette semaine la participation au projet de Vincent Moon, Petites Planètes, nous disions qu’il avait incarné une révolution esthétique de la musique brésilienne. A travers lui, la vedette en premier plan n’était plus un guitariste mais un percussionniste, comme se plaisent à souligner de nombreux Bahianais. La percussion "passe de la cuisine au salon", comme l’écrivait mon amie bahianaise, l’anthropologue Goli Gerreiro, dans son livre A Trama dos Tambores : A Musica Afro-Pop de Salvador. C’est déjà le mouvement qu’avait initié Marku Ribas, certes guitariste, mais aussi percussionniste, à sa façon précurseur du phénomène Carlinhos Brown.

Si son "Zamba Ben" est devenu un des classiques du samba-rock et demeure un titre emblématique de Marku Ribas, probablement son plus connu, on ne saurait pourtant restreindre son registre au samba-rock. Comme il le dit lui-même, sa musique mêle samba, patchanga, jazz, funk, reisado et batuque.... On retrouvera même des morceaux du folklore antillais dans sa discographie, Marku Ribas ayant vécu sept ans entre France, Martinique et Jamaïque au début des années 70, lui aussi contraint à l'exil par la dictature. Mais à la différence des Tropicalistes réfugiés à Londres, Marku Ribas avait eu le bon goût de choisir Paris et les Antilles.

A la différence d'autres compatriotes musiciens qui enregistrent leurs disques dans leur pays d'accueil, c'est au Brésil que Marku tint à enregistrer ses albums des années soixante-dix... pendant les vacances ! Une situation probablement inédite. Mais, de ces albums, Underground, Marku, Barrankeiro et Cavalo das Alegrias, nous aurons l'occasion de parler plus en détail une prochaine fois...

Si les longues périodes de vaches maigres l’ont rendu quelque peu amer, il semble néanmoins déborder d’enthousiasme pour de nouveaux projets. Ces dernières années, il a ainsi obtenu plusieurs rôles au cinéma. Celui de Carlos Marighella, opposant à la dictature, dans Batismo de Sangue, rôle pour lequel il avait dû sacrifier ses locks, ou celui d’un crooner dans le film Chega de Saudade, où il joue aux côtés d’Elza Soares, et pour lequel ils ont tous deux enregistré la bande originale composée par BiD.

Pour ses soixante ans, à l'occasion d'une série de concerts à São Paulo, il a enregistré un DVD comprenant des morceaux récents et inédits, au milieu de ses classiques. Un projet dont la direction musicale a, là encore, été confiée à BiD. C’est toujours ce même BiD, ex-membre de Funk Como Le Gusta, qui avait invité Marku Ribas sur son premier album solo, l’excellent Bambas & Biritas Volume 1. En tant que musicien, aux côtés d’autres vieilles gloires comme Carlos Dafé (claviers) et Lula Barreto (basse), mais aussi comme interprète d'un titre, "Fora do Horario Comercial". Admiré de ses pairs et de la nouvelle génération, on le retrouvait également invité par Curumin pour un titre de son album Japan Pop Show.

Enfin, l'an dernier, il a sorti son premier album en près de vingt ans, 4 Loas, où on a eu le plaisir de le retrouver au meilleur de sa forme. Toujours avec sa voix grave si caractéristique, toujours balançant du chant au scat et à l'onomatopée. Car Marku Ribas a toujours utilisé la voix comme instrument de percussions. Ainsi, le célèbre "Zamba Ben" est-il longtemps resté sans paroles. Ce n'est qu'en 2001, vingt-cinq ans après l'avoir composé, quand le Clube do Balanço l'a invité à la chanter en duo avec Paula Lima, la diva paulista de la soul, qu'il s'est décidé à les écrire.

Si le Clube do Balanço, formidable groupe de baloche samba-rock, a bien su rendre le côté dansant du morceau, voici une version de "Zamba Ben" où Marku Ribas est seul sur scène. Irrésistible, la voix porte fort, soutenue par cette simple rythmique à la guitare qui a l'efficacité de tout un orchestre. A moins que ça ne soit sa présence qui vaille celle d'un orchestre.



Même si les images, pourtant tirées du même spectacle, sont de moins bonne qualité, je ne résiste pas au plaisir de vous proposer cet autre extrait : pour l'impressionnant numéro de bruits de bouche et percussions corporelles par lequel commence Marku Ribas avant d'enchaîner sur les morceaux "Altas Horas" et "A Embaixatriz". Toujours seul avec sa guitare jusqu'à ce qu'un trombone vienne le rejoindre...


Qu'attend-t-on pour proposer des dates et une tournée française à Marku Ribas ? Quand verra-t-on cette légende qui demeure au sommet de son art tourner et enflammer nos salles de concert ? Et, détail qui devrait flatter notre chauvinisme, en plus il parle français...

A signaler que si ses albums originaux sont depuis longtemps épuisés, une compilation réalisée par Ed Motta, simplement intitulée Zamba Ben, pour son morceau le plus célèbre, permet à sa musique d'être accessible... Sur la Toile, ses albums avaient trouvé une nouvelle vie, sans toutefois que cela profite à leur auteur, vous vous en doutez... Mais l'essentiel n'est-il pas de faire exister l'œuvre unique d'une légende vivante de la musique brésilienne ? Vivante et bien vivante !

Je termine ce texte alors que je viens d'apprendre la mort de Gil Scott Heron. Déjà les hommages se multiplient. Plutôt que d'improviser un hommage de plus, je préfère conserver cette évocation d'une autre légende, certes infiniment plus confidentielle, sensiblement du même âge mais encore en pleine forme. C'est les vivants qu'il faut honorer les premiers. Alors vive Marku Ribas et vive ses héritiers entretenant la flamme !

Et ce n'est pas fini ! A suivre demain, un titre de Marku Ribas tout à fait de saison...


PS : j'avais publié une première version de ce texte lors de l'hommage rendu à Marku Ribas, à l'occasion de ses soixante ans, dans l'émission Goutte de Funk, sur Divergence-FM, enregistrée en direct le 22 mai 2007.

vendredi 27 mai 2011

The Afrorockerz au JAM : deux heures d'... afro-rock


Le JAM offre régulièrement des concerts gratuits. Et pas seulement ceux de ses élèves, puisque cette salle de concert montpelliéraine est couplée à une école de jazz. Mais ce n'est pas tous les jours que l'affiche est aussi alléchante que ce soir avec la venue de The Afrorockerz, un groupe où l'on retrouve Julien Raulet, guitariste de Fanga, et Allonymous aux vocals. Le groupe n'a aucune actualité particulière, annonce un maxi dans quelques mois et un deuxième album à suivre. Il est là pour faire la fête dans son fief et, probablement, roder son répertoire et sa cohésion. Et, bon sang, il est au point !


Comme son nom l'indique, le groupe mêle les influences rock et afrobeat. Sans oublier la voix très soul d'Emma Lamadji, ou quelques touches funky ou électro aux claviers. Il se présente avec basse, batterie, claviers*, ses deux chanteurs et Jujju à la guitare. C'est finalement lui qui fait office de caution pour les Afrorockerz. Fanga et son afrobeat made in Montpellier a acquis une telle crédibilité internationale que le moindre side project d'un de ses membres mérite l'attention.

Qui dit rock et guitare signifie souvent un volume d'ampli poussé jusqu'à 11 (OK, OK, je caricature, on n'est pas dans Spinal Tap). Pourtant, même dans son escapade hors des rythmiques indéfectibles toutes en souplesse des guitaristes d'afrobeat, le Jujju n'abuse pas. S'il change de style et de son, il ne la joue pas guitar hero et reste sobre. Au service du groupe. Pas le genre à prendre un solo qui plombe sous prétexte que...

Mais, à vrai dire, pour moi, c'est la seule présence d'Allonymous qui était une raison suffisante pour assister au concert de nos Afrorockerz. Le meilleur concert, et le plus généreux, que j'ai vu cette année est sans conteste celui de Push Up, déjà au JAM, et j'y avais, entre autres, particulièrement apprécié la présence d'un Allonymous tout en fantaisie, tirant son épingle du jeu entre la diva soul nationale Sandra Nkaké et Karl The Voice.  

Cette fois-ci encore, il n'est pas seul en frontline. Pour l'accompagner au centre de la scène, on découvre Emma Lamadji, montpelliéraine d'origine centrafricaine, et on se dit tout de suite qu'avec elle, la scène soul nationale s'est découvert une nouvelle voix qui risque de compter. Même si elle n'a pas encore l'aisance et la présence qui électrise une salle, elle assure comme on n'aurait pas oser l'imaginer lors de la première vague du revival funk français quand les voix d'ici n'avaient pas encore chopé le truc.


Et Allonymous, donc. C'est le Cainri de Paname. Sur sa page Facebook, il se présente en une phrase : "I sing poems and paint light filled faces". Certes, je n'ai pas eu l'occasion d'apprécier la subtilité et la richesse de ses paroles, ni vu ses toiles mais un type qui se présente comme peintre et poète, tout de suite, ça vous pose un homme. Si on ajoute qu'il est danseur, on aura là le parfait Renaissance man urbain. Dilettante inspiré. Allonymous, c'est le type qui amène le biais, l'oblique. Ce soir encore, toujours sapé classe (t-shirt Basquiat, chapeau de paille porté de travers), c'est lui l'élément "perturbateur", celui qui amène sa décontraction, détend l'atmosphère et fait presque mentir Baudrillard qui disait qu'il n'y avait pas de second degré dans la culture américaine**.



On dit qu'il faut être deux pour faire un bon match, idem pour un concert. Si le public ne répond pas, les musiciens auront beau allumer toutes les mèches, ce seront toujours les mèches de pétards mouillés. Hier soir, on est d'abord surpris en arrivant d'une assistance assez clairsemée malgré la gratuité. Est-ce parce que les Brooklyn Funk Essentials jouaient ce soir salle Victoire 2 et leur faisaient de la concurrence, pourtant payante, que le JAM n'était pas plein comme un œuf ? Mais, dites, la prochaine fois qu'ils viendront, les Afrorockerz, ce sera payant ! Et vous en aurez pour votre argent ! Mais la salle se remplit petit à petit. Finalement bien pleine.

Ca commence à danser dans les coins mais personne ne descend dans la fosse alors que la scène n'est même pas surélevée de l'estrade habituelle. Au premier rang, très vite, un premier type se lève. Un "vétéran". Look de prof de fac, barbe grise et lunettes, type sérieux, mais ce soir en blanc décontracté, où la décontraction se traduit par un polo Lacoste. Il se lâche. A la fin du concert, il va tout de suite vers les musiciens, agrippe Allonymous pour le remercier tandis que le réflexe de celui-ci est de lui renvoyer le remerciement : la réussite d'un tel concert se mesure à cette aune, qu'un homme comme lui, d'apparence pas le premier fêtard venu, se déchaîne pendant deux heures, témoigne des vertus incandescentes de la musique des Afrorockerz.

Et vous en connaissez beaucoup des groupes qui, lors d'un concert gratuit, jouent plus de deux heures ?

Verdict : le Dr. Funkathus, instance de qualification à lui tout seul, n'hésite pas à décréter que les concerts de The Afrorockerz rentrent dans la catégorie des élixirs à consommer sans modération.
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* Non, je ne les snobe pas : il y avait Frédéric Jean (batterie), 
Sylvain "Sly" Daniel (Basse)
 et 
Mathieu Jérome (claviers).
** Jean Baudrillard, Amérique : "Ce qui est neuf en Amérique, c’est le choc du premier niveau (primitif et sauvage) et du troisième type (le simulacre absolu). Pas de second degré".

mercredi 25 mai 2011

Carlinhos Brown dans Les Petites Planètes


La musique de Carlinhos Brown porte toujours en elle une bonne dose de funk. Quand on le voit ici dans son studio, l'Ilha dos Sapos, dans le Candéal, jouer ce titre au bout de plusieurs prises, avec la sueur qui pointe sur la peau, on sent la tension qui monte. On retrouve toujours intact son plaisir de jouer, l'instant est intense. Il chante en jouant de la batterie et les musiciens sont au service d'un groove sans fioritures. Et toujours cette basse qui enfonce le clou, discrète mais profonde, juste là où il faut. Il m'expliquait dans un entretien réalisé en 1999 : "quand j’ai vu le funk pour la première fois, c’était merveilleux. C’était comme une musique de candomblé jouée sur des instruments harmoniques modernes : guitare, basse, claviers".


Ces images sont extraites de la nouvelle série de Vincent Moon, Les Petites Planètes. Après avoir lancé il y a quelques années les fameux Concerts à emporter pour La Blogothèque, il a fait ses valises pour aller saisir quelques instants de musique un peu partout dans le Monde, au point d'avoir été surnommé "hobo 2.0" par Benoît Hické. Les escales brésiliennes ont été nombreuses. La première a été tournée avec Tom Zé qui, égal à lui-même, s'est lancé dans un a-capella improvisé de vingt minutes sur le toît d'un immeuble de São Paulo, sous un ciel gris nuageux qui, dixit le Zé, rappelle "les Iles britanniques". Nous essaierons de relayer les prochains épisodes brésiliens des Petites Planètes. Le programme est alléchant : Wilson das Neves, Thelma de Freitas, Jards Macalé, Jorge Mautner, etc...

Vincent Moon mène ce nouveau projet sans se départir de sa démarche expérimentale, toujours en mouvement. On disait à propos des Concerts à emporter que Vincent Moon filmait au plus près. C'est cette même approche que l'on retrouve ici avec Brown. Sa caméra lui tourne autour, se resserre en gros plan.

Mais laissons Vincent Moon présenter ce film : "Carlinhos Brown est une sorte de superman de la musique. Figure controversée de la scène musicale brésilienne contemporaine, il est impossible de parler uniquement de sa musique sans mentionner ses engagements sociaux - principalement dans sa favela du Candéal Pequeno, à Salvador.

J'étais en contact avec lui par le biais de quelques amis et quand je lui ai demandé une performance, la première idée était de la faire dans le quartier de Candéal. Etant un homme (très) occupé, Carlinhos Brown n'avait le temps de jouer qu'une seule chanson, dans son propre studio. Nous avons fait quelques prises, c'est la dernière que j'ai gardée, quand l'énergie atteint ses limites".





La collection Petites Planètes est réalisée en mode creative commons et n'existe que grâce donations. D'autres extraits et précisions sur le site ici

Par ailleurs, le morceau est en téléchargement gratuit (en mp3 320), ici... Beau cadeau que ce titre brut.

Avis aux Parisiens, Vincent Moon présentera ses Petites Planètes à la Gaîté-Lyrique le 15 juin 2011 à 20h, plus d'infos ici...

Une critique du projet signé Sfar sur Toujours Un Coup d'Avance...

lundi 23 mai 2011

Jaime Alem, de l'orchestre à la viola solo (2/2) : "Sob o Mar" avec Nair


Quel rapport peut-il bien exister entre Madlib et la viola caipira ? Aucun ! Ou, tout bêtement le seul fait d'avoir comparé la pochette d'un de ses albums avec celle du couple Jaime & Nair, ce qui était, avouons-le, sacrément tiré par les cheveux. Nous consacrions notre message d'hier à Jaime Alem qui expliquait qu'il aurait bien aimé enregistrer un album avec un orchestre mais que cela aurait coûté trop cher et, du coup, choisit de se rabattre sur un disque solo de viola caipira, sacré contraste ! Pourtant, dans les années soixante-dix, Jaime Alem eut la possibilité de sortir ce genre d'albums aux arrangements plus riches. 

Avec sa femme Nair de Cândia, ils ont sorti sous leurs deux noms Jaime & Alem (1974), Serie Talento Brasileiro (1978), exclusivement consacré au répertoire de Jobim, et Amanheceremos (1979).


"Sob o Mar", le titre retenu aujourd'hui figure sur leur premier album. Celui dont j'apprécie l'aquarelle de la pochette ! Ce disque pourrait plaire à ceux qui n'aiment pas (ou ne connaissent pas) la musique brésilienne mais préfèrent le folk. Car cet album est assurément folk, comme pouvait l'être A Barca do Sol, à savoir un folk à l'anglaise, pas loin du prog', mais dont les inspirations sont évidemment cherchées dans les traditions locales.

Pour tout vous dire, je n'aime pas tout de cet album. Pour même être tout à fait franc, il n'y a guère que "Sob o Mar" qui déclenche chez moi un tel enthousiasme. Le reste est comme je vous l'ai décrit : folk. Mais si je souhaitais partager "Sob o Mar", c'est parce que ce titre me semble atteindre une petite forme de perfection. Le genre de morceau dont on se dit qu'il n'y aurait rien à changer. C'est le seul à être véritablement orchestral. Et Jaime Alem y a fait preuve de ses talents d'arrangeur : des cordes ni pompeuses ni mielleuses, comme trop souvent, un rythme qui est soutenu, à la différence de la plupart de leurs chansons. Le morceau est porté par un vrai souffle.

Surtout, c'est un duo. Et, en particulier s'il est mixte, un duo d'emblée a vocation à multiplier l'émotion par deux*. Si l'exercice possède un charme instantané, il est cependant délicat. Encore faut-il que les voix s'accordent en contraste. Si Jaime Alem a finalement fait carrière comme maestro pour Maria Bethânia, il aurait pu persévérer comme chanteur car sa voix est très agréable. Qui fonctionne parfaitement avec celle de Nair. Un duo réussi est toujours une alchimie de timbres, quand deux voix se complètent, comme ici celles de ce couple.

"Sob o Mar" reflète son époque mais, justement, les années soixante-dix n'ont-elles pas vu naître quelques unes des plus belles musiques jamais enregistrées ? A signaler que le titre a été retenu par Gilles Peterson sur je ne sais plus laquelle de ses compilations brésiliennes. On retrouve également "Passara", un morceau de Amanheceremos, sur la compilation Brazil 70 After Tropicalia, sorti chez Soul Jazz il y a quelques années...

Jaime Alem & Nair Candia, "Sob o Mar"Jaime & Nair (1974) mp3 320kbps

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* Précision : je suis nul en maths donc l'expression "multiplier l'émotion par deux" n'est ici qu'une métaphore et, bien sûr, pas le résultat d'un savant calcul.

dimanche 22 mai 2011

Jaime Alem, de l'orchestre à la viola solo (1/2) : seul avec les dix cordes brésiliennes


En 2009, après plus de quarante ans de carrière, Jaime Alem lançait son premier disque solo, Dez Cordas do Brasil, un album instrumental de viola caipira ! Jaime Alem est un musicien chevronné, arrangeur et "bras droit" de Maria Bethânia depuis près de vingt-cinq ans, qui, dans les années soixante-dix, avait sorti avec sa femme quelques albums sous le nom de Jaime & Nair. Mais pourquoi avec un tel renom, Jaime Alem se condamne-t-il à une telle confidentialité ? Un disque entier de viola caipira !!! La raison invoquée est on ne peut plus honnête, comme vous pourrez le constater...

Et quelle mouche nous pique donc d'évoquer un album à la confidentialité garantie ? Un faisceau de coïncidences, encore une fois. L'une d'entre elle provient très indirectement de Madlib, comme nous le verrons demain, mais tout a commencé quand nous évoquions récemment la place essentielle occupée par la viola caipira dans la musique de Roque Ferreira. Puis, nous montrions une vidéo tournée dans la famille Velloso où nous voyions Maria Bethânia chanter "Foguete", accompagnée de Jaime Alem à la viola. La viola caipira est rustique. Cette guitare à dix cordes de métal, cinq cordes doublées, répandue dans tout le Brésil, se retrouve en particulier dans les zones rurales et le Sertão.

Jaime Alem en a fait son instrument de prédilection. Comme il l'explique à Garota FM*, "la viola s'infiltrait dans mon quotidien quand j'étais enfant, à Ouro Fino, et ensuite plus grand à Jacarei. Ces choses de l'enfance vous marquent. J'aimais les Beatles et les Rolling Stones mais j'écoutais aussis Dolores Duran, Tom Jobim, de la musique française, de la musique italienne. J'aimais jouer de la guitare mais la viola m'attirait. Et à dix-huit ans, c'est à elle que je me suis dédié".


Jaime Alem cherche cependant à dissiper tout malentendu sur sa façon de jouer. "Je ne suis pas un joueur de viola traditionnel. Je suis un musicien qui a appris à jouer de la viola. Vraiment, en vérité, je ne suis pas un joueur de viola. Je sors des sons avec l'ongle, une baguette, une pièce de monnaie... Mais je ne vais quand même pas mettre de distorsion ni prendre des chorus ! J'explore la viola d'une manière différente de celle d'un caipirinha légitime".

Et s'il s'est autorisé cette escapade solitaire, c'est avec la bénédiction de la patronne : "Bethânia et moi avons un lien fort. Nous sommes pluggés l'un dans l'autre. Outre les arrangements que je lui écris, j'arrive parfois à transformer en musique les idées qu'elle exprime. Elle est une des personnes ayant le plus encouragée ma viola". Au point que l'instrument fait maintenant partie intégrante de la musique de Maria Bethânia. "Elle se contente de dire : 'Jaime, prend ta violinha'. Bethânia est très créative et a toujours plein d'idées. Nous avons beaucoup d'affinités".

Il demeure qu'on s'interroge sur le choix de ce dépouillement extrême de la part de quelqu'un habitué aux orchestrations soignées, de la part d'un maestro. La réponse de Jaime Alem est à la fois d'une humilité et d'un pragmatisme sidérants : "la vérité, c'est que je ne me considère pas comme un soliste. Je suis plus attaché aux orchestrations. J'adore écrire pour un orchestre et j'aurais rêvé de faire un disque avec des musiciens. Mais le coût est élevé. Tom Jobim a vendu une maison à Rio pour pouvoir enregistrer Stone Flower. Je n'ai pas ce courage, ni ce talent. Mais c'est ici qu'intervient l'histoire de la viola. J'ai commencé à en jouer sur scène avec Bethânia. Elle m'encourageait. Et on a commencé à me dire : 'mais pourquoi tu ne ferais pas un disque ?' ".


"Le coût est élevé" ! Ou comment les projets artistiques d'un musicien viennent se fracasser sur les dures contingences économiques pour, finalement, rebondir avec beaucoup de spontanéité sur un autre projet.



Si cela ne vous dérange pas de rendre à Jaime Alem les contingences économiques encore plus dures, vous pourrez trouver son album sur Um Que Tenha.

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* Toutes les citations sont extraites de cet entretien publié par Garota FM, "Arranjador de Bethânia há 25 anos, Jaime Alem lança primeiro disco solo"

jeudi 19 mai 2011

Le Chaînon manquant des Madlib Medicine Shows enfin retrouvé


On se souvient du projet fou de Madlib : sortir un album par mois de la série Medicine Show pendant toute l'année 2010. Un projet effectivement fou, des cadences infernales, le tout soutenu par le label Stones Throw qui sortait chaque album avec des visuels différents pour le CD et le vinyl, le tout alimenté par les carburants des champions : du café et de la weed. Chaque volume de cette série avait sa propre couleur musicale, sans jamais trahir cependant les fondements hip hop du projet.

Un projet titanesque assurément, un défi que j'avais même été tenté de qualifier de treizième des travaux d'Hercule si le sens de la mesure ne m'en avait dissuadé in extremis. Si ces travaux ne sont bien sûr pas aussi héroïques que ceux de notre balèze hellène, seul un forcené pouvait s'y atteler sans crainte du ridicule. Et Madlib s'est acquitté avec brio de la tâche. Seule entorse à son cahier des charges démentiel, le volume du mois de septembre, le Madlib Medicine Show #9, avait été repoussé à une date ultérieure, sans toutefois entraver les sorties suivantes de la série.


Nous sommes ravis de vous annoncer que Madlib a enfin sorti le chaînon manquant qui boucle la série :  Channel 85 Presents Nittyville. Un pur album de hip hop à l'ancienne où on retrouve au micro Frank Nitt, rappeur de Détroit. Cette fois-ci, le concept de l'album imagine une chaîne de télévision, Channel 85, et se concentre sur son émission-phare, Nittyville. Un thème propice au goût de Madlib pour les interludes, les jingles, extraits de dialogues et autres bruitages.

Pour se faire une idée, Stones Throw offre un titre en téléchargement :
Madlib & Frank Nitt, "What Can U Tell Me", Madlib Medicine Show #9 : Channel 85 Presents Nittyville

Vous pouvez aussi vous rendre sur le site de Stones Throw pour télécharger la version digitale, commander le CD ou le triple-LP. Si le CD est déjà disponible, le triple-vinyl ne sortira que le 31 mai.

Pour rappel, nous nous étions faits l'écho des aventures de Madlib et son Medicine Show en évoquant :
- le travail graphique réalisé pour les pochettes, avec une interview de Jeff Jank, directeur artistique chez Stones Throw;
- l'ajout de cognac dans la peinture pour les sérigraphies réalisées pour les versions vinyl;
- la pochette représentant les Jazzcats Crossing the Hudson, détournement d'un tableau historique célèbre d'Emmanuel Leutze, Washington Crossing the Delaware;
- voire dans un souci du détail anecdotique, le lancement d'un espresso Madlib (à 15$ le paquet)...


mercredi 18 mai 2011

Fool's Gold, un avant-goût du prochain album


Ah, les beaux jours, les vrais beaux jours. Un temps idéal. La saison des apéros en plein air, des pique-niques, des grillades. Justement, la vie au grand air, dans les parcs et les jardins, a grandement influencé la musique du groupe californien Fool's Gold. 


Lewis Pescasov, un de ses deux fondateurs, expliquait ainsi dans une interview accordée à Vibrations (n°122) : "A Los Angeles, les gens habitent dans des pavillons, pas dans des appartements comme à New York. Ca change tout car chacun possède son petit jardin. On vit en plein air, surtout l'été. Il y a beaucoup d'endroits ouverts à L.A., des kiosques, des parcs communautaires". Et d'évoquer ce côté spontané de leurs concerts en extérieur : un surfeur qui veut bien brancher les amplis sur son groupe électrogène, un type qui ramène sa flûte ou sa guitare pour se joindre au groupe.

Cette musique, curieuse musique, que le groupe s'amusait à décrire comme de la soul tropicale, mêlait des riffs de guitare comme empruntés à King Sunny Adé ou quelque maître congolais de la six-cordes, un chant en hébreu et le gros son un peu foutraque d'un collectif enthousiaste.

Alors qu'il s'apprête à sortir son deuxième album au mois d'août, Fool's Gold a souhaité resserrer son propos. Le collectif reste à la maison, il n'y a plus que cinq membres qui ont participé à l'écriture et l'enregistrement de Leave no Trace. Quant au chant de Luke Top, il est lui aussi en quête d'accessibilité et a donc remplacé l'hébreu par l'anglais.

La spontanéité reste de mise. La plupart des morceaux ont, paraît-il, été composés dans la dernière semaine de 2010, tard dans la nuit ou au petit matin, alors que le groupe avait loué une maison à la limite du désert Mojave. L'enregistrement en analogique, a été réalisé aux studios Infrasonic dans les conditions du direct, tous les musiciens réunis dans la même pièce.

Le bref extrait présenté dans cette vidéo nous donne déjà envie d'écouter la suite. Assurément un des albums attendus le plus impatiemment de l'année.


Avant la sortie de ce nouvel album, ils s'apprêtent à partir pour une petite tournée européenne dans une formation plus resserrée de cinq membres. Fool's Gold va donc repasser par l'Hexagone (et le Plat Pays) en juin et juillet pour ces quelques dates :

24 juin : Evreux (Le Rock dans tous ses états)
26 juin : Paris (Solidays)
28 juin : Toulouse (La Dynamo)
02 juillet : Calvi (Calvi on the Rocks)
9 juillet : Gent (Cactus Festival)
12 juillet : Paysac (Pleine Lune)

mardi 17 mai 2011

Amina, une interview inédite


Après avoir rappelé samedi dernier qu'Amina avait failli gagner l'Eurovision il y a vingt ans, voici une petite interview qu'elle m'avait accordé en décembre 1999. Aucune révélation, ni développement conséquent sur sa carrière, simplement un rapide échange dont était banni le sérieux.


L'entretien s'est improvisé à la fin d'une soirée des Belles Nuits du Ramadan, au Café de la Danse, le 14 décembre 1999. Je couvrais alors ce festival pour le site MZZ. Chaque soir, je réalisais une brève interview des artistes programmés, enregistrais des extraits des concerts puis en rédigeais un compte-rendu pour le lendemain. Ce soir-là, s'étaient succédés sur scène Digital Bled et U-Cef. Sur un titre, Amina était l'invitée de Pedro, le leader de Digital Bled. L'occasion d'aller poser quelques questions à cette grande dame. 

Improvisé backstage dans une loge bien pleine, l'entretien s'est déroulé dans la bonne humeur d'une fin de soirée réussie. Amina n'avait aucune actualité particulière mais s'était bien amusée et quand Amina répond à quelques questions, c'est déjà un petit spectacle. Et ce soir-là, l'assemblée n'avait d'yeux que pour elle et tendait l'oreille, non pas parce qu'elle était Amina mais parce qu'elle est intenable et met de l'ambiance. Diva joyeuse, Amina possède une sacrée personnalité. Apostrophant l'un, chambrant gentiment l'autre, c'est elle qui menait la conversation quand bien même c'est moi qui posais les questions. 

Un mot sur votre participation au concert de Digital Bled ?
Amina : "Voilà, en deux mots, super-prestation. Je me suis beaucoup amusée, on a fait la fête. Et puis c'est bien, non ?"

Cette collaboration risque-t-elle de déboucher sur un projet de disque ?
Amina : "On verra. Vous savez, faut pas trop faire de plan. On sait jamais si la phrase qu'on commence aujourd'hui on va la finir demain. Si Dieu veut, comme on dit. On commence des phrases et on croit que demain on va pouvoir les finir. Déjà aujourd'hui on a fait ça, on est heureux. Demain, on verra. Mais ce serait bien, non ? Qu'est-ce que vous en pensez ?"


U-Cef me disait tout à l'heure que vous aviez également des projets communs ?
Amina : "Déjà ? J'ai même pas encore dit un truc sur Pedro que vous zappez sur U-cef. On va commencer par Pedro ! C'est important d'abord parce que Pedro, je le connais depuis que j'ai dix-huit ans. On est sorti dans les mêmes boîtes de nuit. On a fréquenté la même bande de Ménilmontant, donc on était un petit peu les petits voyous, les gentils petits voyous qui voulaient faire de la cuisine, non ! J'ai faim ! De la musique !"

C'est la rupture du jeûne !
Amina : "La rupture du jeûne, oui. Et, là, on se retrouve sur scène. Et c'est étonnant parce qu'il me disait qu'il voulait faire de la musique. Et un jour, je vois débarquer un monsieur avec la voix grave comme ça. Parce que des fois, il appelait chez moi et ma mère disait 'non, ma fille n'est pas là, non, ma fille n'est pas là', et quand je vois Pedro, je lui fais 'non, ma fille n'est pas là'. C'est le mot de passe qu'on a entre nous. C'est vraiment bon la musique qu'il fait et je suis contente de prêter ma voix pour cette musique-là. Parce qu'il y a une ambiance magique, une ouverture sur toutes les musiques. On ne se revendique pas de telle région parce que moi, je déteste ça. Et il y a des chanteurs traditionnels qui font très bien ce qu'ils font. Je pense qu'aujourd'hui ce qui est intéressant dans la nouvelle génération, c'est qu'ils n'ont pas peur de mettre des baskets avec un kilt, avec un jean en dessous. Et c'est ce qu'on fait dans les nouvelles musiques avec Pedro. Il y a une ouverture d'esprit comme dans le jazz où on laisse s'exprimer chacun sous la forme qu'il veut, sans dire, 'oh mais là, tu as oublié un vers, un quatrain'. Va-z'y exprime toi gars !"

Bon, et U-cef ?
Amina : "U-Cef ? On a chanté ensemble au Barbican, à Londres. Et on s'est retrouvé à New-York, à Summer Stage, à chanter ensemble. Et là, on va écrire u morceau ensemble pour son album, voilà".

Voilà, c'est tout. Je garde un très bon souvenir de ce petit échange. J'étais content de croiser cette artiste emblématique et charismatique, ravi de découvrir  une telle personnalité. C'était marrant.

Ah, et pour ce fameux morceau avec U-Cef, il ne fallait pas être pressé. Il a finalement vu le jour dix ans plus tard, s'intitule "Kalzoom (Inta Omri)" et figure sur le deuxième album de U-Cef, Halalwood, sorti en 2009. C'est juste l'intervalle entre ses deux albums, dix ans. Mais un jour, c'est promis, je vous posterai l'interview de U-Cef que j'avais également enregistré ce jour-là.


dimanche 15 mai 2011

France-Brésil 1-3, le 15 mai 1981 au Parc des Princes


Le 15 mai 1981, il y a trente ans jour pour jour, nous recevions le magnétoscope que mes parents avaient commandé quelques semaines plus tôt, probablement à la CAMIF. A l'époque, ce genre d'engin coûtait réellement une fortune et je suis rétrospectivement étonné qu'ils aient fait un tel achat car ce n'est qu'un an plus tôt que nous avions remplacé la vieille télé en noir et blanc par une couleur.  Et si je m'en souviens si précisément de cette date c'est parce que le soir-même, j'étais avec mon frère au Parc des Princes, pour un France-Brésil amical.

Le magnétoscope fut donc étrenné en enregistrant ce France-Brésil, afin de revoir à volonté les belles actions, les buts. C'était également le premier match de l'équipe de France auquel j'assistais et le long trajet en métro sur le chemin du retour jusqu'à notre XXe arrondissement fut légèrement morose de la défaite sans appel encaissée ce soir-là. Cela gâchait aussi un peu les revisionnages du match que nous nous imposions cependant.





Pourtant quel festival ! Si Platini était absent ce soir-là, en face il y avait Zico et Sócrates. Sans oublier, au milieu l'énorme Cerezo, ou Junior, arrière qu'on retrouvait souvent aux avants postes, Eder, ailier gauche à frappe de mule, ou Reinaldo, subtil avant-centre. En revoyant les images, je redécouvrais également un nom que j'avais complètement oublié, Paulo Isidoro, excellent volante. Si les Bleus de Michel Hidalgo allaient nous régaler d'un football de rêve au Mondial de 1982, avec ses trois numéros 10 au milieu de terrain, ce soir du 15 mai 1981, ils ont reçu une belle leçon de football avec un Brésil qui jouait encore à la brésilienne.

On retiendra la superbe offrande de Sócrates à Zico sur le premier but, et la réciproque sur le troisième, avec cette magnifique "louche" de Zico qui lance Sócrates dans le dos de la défense. Entretemps, Reinaldo avait doublé la mise sur un centre d'Eder décalé par Junior. Didier Six avait sauvé l'honneur en toute fin de match, avant de se faire expulser bêtement.

Quelques années plus tard, sur ce même terrain, Raí, le petit frère de Socratès, allait lui aussi faire la misère à l'équipe de France avant d'enflammer le Parc des Princes sous le maillot du PSG. Depuis ce "baptème" de 1981, je n'ai assisté qu'à un seul autre match du Brésil dans un stade. C'était à la Mosson, pour un match amical contre l'Algérie : je voulais voir au moins une fois Ronaldinho en vrai, ne fréquentant plus le Parc depuis belle lurette à l'époque où lui aussi jouait au PSG.

Vous pouvez voir tous les buts du match sur le site de l'INA, voire même les dix premières minutes gratuitement et l'intégralité du match moyennant finances... Voici déjà le troisième but, signé Socratès.



samedi 14 mai 2011

Amina à l'Eurovision (1991, 20 ans après)


Ce soir, c'est la finale du concours Eurovision de la chanson. Si vous passez de temps en temps par ici, vous devinez l'importance que j'y attache, sinon veuillez voir directement avec mon coquillart ! Mais je vais pourtant faire une entorse exceptionnelle à cette considérable indifférence. Le prétexte est la poursuite de notre série rétrospective (sans être nostalgique) sur certains événements musicaux d'il y a vingt ans, en 1991.

Cette année-là, avec sa chanson "C'est le Dernier qui a parlé qui a raison", Amina représentait la France et faillit remporter le titre, finissant à égalité de points avec la Suédoise Carola. Seule une subtilité subsidiaire du règlement la priva de la victoire. Imaginez la gloire ! Au lieu de cela, la France n'a toujours pas gagné depuis 1977 !


Cette chanson est extraite de son premier album Yalil. A ceci près qu'elle ne figurait pas encore sur la version en 33Tours que j'avais acheté lors de sa sortie. Précisons également que l'album est sorti en 1990 et qu'Amina n'a participé au concours Eurovision que l'année suivante. Je n'en ai plus le souvenir mais il est probable que cette sélection incita sa maison de disques à ressortir Yalil agrémenté de ce tube pour surfer sur la vague de l'événement. A moins que "C'est le Dernier..." n'ait déjà figuré sur le CD : rappelons-nous que c'était l'époque où les majors souhaitaient nous dégoûter du vinyl pour nous refiler des CDs beaucoup plus chers à l'achat (et  coûtaient beaucoup moins à produire) avec comme seul argument pour faire passer la pilule quelques titres en bonus sur les albums, généralement des fonds de tiroir.

Yalil est un album réalisé par Martin Meissonnier, LE producteur français des musiques du Monde, qui était alors le mari d'Amina. A ce duo à la scène-couple à la ville, vient s'ajouter Wasis Diop musicien sénégalais très décalé, collaborateur de longue date, et Maurice Poto Doudongo. Sorti à une époque où Paris, notamment grâce au formidable haut-parleur qu'était Radio Nova, avait acquis son statut de capitale de la sono mondiale, l'album bénéficiait du gros son des productions léchées d'alors. Assurément un disque de son temps. Ce qui explique peut-être qu'il ait quand même pris un bon coup de vieux. Vous pourrez toujours me dire que ça revient à la mode, je persisterai à dire qu'il y a là trop de claviers-synthés. C'était peut-être la condition pour faire passer le message : adopter la stratégie du cheval de Troie, s'infiltrer dans le système, le subvertir de l'intérieur, même si le prix à payer sont ces affreux sons de synthé. On a connu pire compromission !

Amina a d'emblée été proclamée diva. Je me souviens des commentaires de quelques proches qui la découvraient alors dans une interview télévisée et pour qui cela ne faisait aucun doute : elle avait ce truc, ce charisme qui vous distingue du commun des mortels. C'était une évidence. C'était son mektoub.

Mais je crois qu'on aura du mal à comprendre le premier album d'Amina si on ignore que la dame aime beaucoup s'amuser. Yalil joue la carte de l'ironie, jusqu'au kitsch assumé de certains morceaux. Amina adopte la posture de la chanteuse orientale sensuelle mais avec une dérision évidente, il n'est qu'à écouter "Ma Tisane bout"... "Belly Dance" assumait son rôle de machine à faire danser. Je me souviens même d'avoir acheté le maxi 45T (d'occase, je précise) pour le "Cold Sweat Remix" de Dee Nasty qui contenait, comme son nom l'indique, un sample du titre éponyme de James Brown.

Quant au morceau de l'Eurovision, "C'est le Dernier qui a  parlé qui a raison", on peut probablement y voir une petite leçon de sagesse populaire. Voici la vidéo, avec une belle faute d'orthographe sur le titre, dans le plus pur style "Omar m'a tuer".


Avec vingt ans de recul, on réalise stupéfait à quel point Amina s'affirmait comme une femme libre. C'était finalement moins frappant à l'époque que maintenant. Qu'on s'étonne aujourd'hui de sa modernité nous signifierait-il que les mœurs ont connu une sévère et sordide régression morale ?


A suivre, une brève interview inédite et exclusive d'Amina...

vendredi 13 mai 2011

Carlinhos Brown, dans le rôle d'un Preto Velho


Au Brésil, le 13 mai est la date d'abolition de l'esclavage, décrétée par la Lei Áurea, la loi Áurea, signée par la princesse impériale Dona Isabel, le 13 mai 1888, en même temps que, dans l'Umbanda, le jour du Preto Velho. Et c'est le jour du Preto Velho parce que c'est la date de l'abolition de l'esclavage, nuance. Si nous évoquons cette figure du Preto Velho comment ne pas évoquer la participation de Carlinhos Brown au film de Diego Lisboa, Olho de Boi, où il tient justement le rôle d'un Preto Velho.

Carlinhos Brown est toujours hyper-actif. Nous évoquions récemment le film Rio, pour lequel il a composé quelques titres de la bande originale mais, aujourd'hui, il sera question d'un autre film. Infiniment plus confidentiel. Il y a un an et demi, Brown faisait donc ses débuts d'acteur dans le court-métrage de Diego Lisboa, Olho de Boi. Dans ce film destiné visiblement au jeune public, il y interprète Abdal, un Preto Velho, vieux sage qui donne les conseils avisés au jeune héros pour dénouer la situation dont il est prisonnier, d'autres gamins qui le harcèlent, jaloux de sa paire de baskets. Le film est décrit par Diego Lisboa comme "une sorte de parabole sur la foi, l'imagination et l'innocence propre aux enfants".


Pour nombre d'entre nous, le preto velho n'a peut-être longtemps été qu'une ligne du célébrissime "Mas que nada" de Jorge Ben : "este samba que é misturo de maracatu / E samba de preto velho, samba de preto tu". Or ce Preto Velho est une figure importante de la culture religieuse afro-brésilienne, il désigne un vieux Noir, souvent représenté avec une pipe, empreint de sagesse et d'humilité. Dans l'Umbanda en particulier, cette religion plus syncrétique encore que le Candomblé, le Preto Velho est un esprit de vieil africain ayant généralement vécu au temps de l'esclavage. C'est un esprit bienveillant, dédié au collectif sans se soucier de lui-même. Il incarne donc l'unité contre l'égoïsme. Il est aussi quelqu'un qui connaît les pouvoirs des plantes, toutes sortes de recettes et de potions. Il symbolise la survivance de traditions africaines au Brésil. Et parce que malgré les mauvais traitements, la faim, le travail contraint, il a survécu aux dures conditions de vie de l'esclavage et atteint un âge avancé, ce vieux noir est porteur de sagesse...

Dans Olho de Boi, Abdal le Preto Velho interprété par Carlinhos Brown vit en ermite dans une maison isolée et mystérieuse. Comme vous pouvez le constater à l'image ci-dessus, Brown avait promis au réalisateur une belle barbe grisonnante, indispensable attribut du Preto Velho, et qui contribue à donner consistance à son personnage. Cela surprend et, au choix : ça ne nous rajeunit pas ou ça nous rassure de constater qu'on n'est pas seul à grisonner ! En tout cas, son réalisateur ne tarit pas d'éloge sur sa performance : "je dois reconnaître qu'il dépasse toutes mes espérances. C'est-à-dire : c'était comme si Carlinhos Brown n'interprétait pas un Preto Velho". Existe-t-il plus bel hommage d'un metteur-en-scène à son acteur ?

Voici la bande-annonce. Soyez attentif, Carlinhos Brown n'y apparait que l'espace d'un instant !

Mayer Hawthorne nous offre ses reprises en téléchargement gratuit*


C'est de bonne guerre, les labels ont coutume de proposer des morceaux en téléchargement gratuit pour faire connaître artistes et albums. Stones Throw va encore plus loin, c'est carrément un mini album entier qu'il nous offre : Impressions - The Covers EP de Mayer Hawthorne. La moindre des choses, c'est de dire merci !



On le sait, c'est en sortant du créneau hip hop et en remettant la soul au goût du jour que Stones Throw a connu ses plus gros succès. Avant qu'Aloe Blacc ne rafle la mise du plus gros carton de cette bonne maison avec Good Things, Mayer Hawthorne avait connu lui aussi un joli succès avec son premier album, A Strange Arrangement.

Pour qui aurait raté ce premier épisode, rappelons que Mayer Hawthorne fait partie de cette nouvelle génération de chanteurs à qui on a collé l'étiquette "rétro" pour s'être plongé dans la soul comme on l'enregistrait entre les 60's et le début des 70's. Bien entendu, il s'agit d'une génération n'ayant pas connu cette époque, Mayer Hawthorne n'étant même pas trentenaire à l'époque de son premier album. Une métaphore décrivait bien le travail de ce multi-instrumentiste fan de Smokey Robinson qui s'est découvert chanteur sur le tard : il a pris toute la chaîne de production de Motown et en a retiré tous les éléments à l'exception de lui-même et de quelques "intérimaires".

Peanut Butter Wolf a reconnu ne pas avoir compris grand-chose aux deux premiers titres qu'il reçut : il fut d'abord surpris de découvrir que ce n'étaient pas des reprises mais des compositions originales et, ensuite, que leur auteur-interprète soit un jeune Blanc du Michigan. Peut-être chauvin, le jeune homme en question déclarait : "la plupart de la meilleure musique jamais faite vient de Détroit". En voilà au moins un qu'on ne peut pas soupçonner de flagornerie quand il prit contact avec un label californien basé à Los Angeles !

Justement parce qu'il s'est fait connaître en proposant ses propres compositions qui avaient l'air de classiques, il s'amuse cette fois-ci de l'exercice de la reprise. L'astuce ici est à chercher du côté du répertoire qui combine aussi bien des titres plus anciens, comme "Work to Do" des Isley Brothers, que des morceaux récents, comme "Don't Turn the Lights On" de Chromeo ou "Little Person" de Jon Brion, pour tous les faire sonner comme de la bonne soul vintage ! Petit malin, va !

Mayer Hawthorne, Impressions - The Covers EP (2011) mp3 320 kbps

Pour plus de détails, sur le site de Stones Throw, Mayer Hawthorne détaille chacun des titres choisis...

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* Ce message avait été posté hier, mercredi 12 mai, et semble avoir été effacé par cette fameuse panne de Blogger...

mercredi 11 mai 2011

Bob Marley : les trente ans de la mort d'un prophète


Bon, je sais, c'est pas très original ! Mais comme probablement des millions d'autres personnes, mon premier coup de cœur musical a été pour Bob Marley. Alors le trentième anniversaire de sa mort méritait bien un petit mot.

A l'époque, je n'écoutais pas encore de musique. Pas précoce en la matière. A la maison, il n'y avait guère que Brassens, Brel, ou les... Quilapayun. Au bahut, je ne me sentais pas trop au diapason de ce qu'aimaient les copains : Genesis, Supertramp, Queen, le hard rock... Quant à Bob Marley et au reggae ! Jamais entendu parler.


J'avais quatorze ans et, pour la première fois, je partais en colo. Une colo particulière, la CCE*, où j'ai passé des vacances merveilleuses. C'est là, dans cet encadrement très politisé où, entre deux activités de plein air et parties de foot, nous montions une pièce de Brecht pour le spectacle de fin de séjour, Têtes Rondes et Têtes Pointues, nous avions droit à une projection du Monsieur Klein de Losey, et avions beaucoup d'échanges avec les moniteurs, c'est là donc que je découvrais la musique de Bob, le look rasta et ses dreadlocks. Un copain devait avoir la cassette car la musique de Bob a rythmé tout le séjour et lors de la fête du dernier soir, on écoutait en dansant certaines de ses chansons à fond**. Durant le séjour, un des monos nous avait même fait un exposé sur Bob Marley, le reggae et les rastas.

Cet été-là, "Zimbabwe" fut mon hymne instantané. J'ignorais alors que, quelques mois plus tôt, le 17 avril 1980, Bob Marley donnait un concert historique dans la capitale, Harare, pour fêter l'indépendance du pays. En effet, le Royaume-Uni venait d'accorder son indépendance à la Rhodésie du Sud qui devenait le Zimbabwe. Robert Mugabe accédait au rang de Premier Ministre. Trente ans plus tard, il est toujours au pouvoir. S'il était toujours parmi nous, je ne crois pas que Bob Marley soutiendrait encore Mugabe.


Si chacun essayait de retrouver au fond de sa mémoire, ses premiers souvenirs de Bob Marley, de l'impact initial de l'homme et ses chansons, on retrouverait probablement en commun quelque chose de sa ferveur, de son intensité, quelque chose d'une souffrance rendue agréable par l'entrain et l'énergie de sa musique. C'est sûrement là le secret de son succès, incarner les souffrances tout en donnant foi. Sans même parler du côté rasta, il y a une dimension religieuse plus universelle encore chez Bob Marley. Sa mort si jeune, à trente-six ans, ne fait qu'accentuer cette impression de destin hors du commun.

Bob est l'icône universelle, aucun autre musicien n'a jamais atteint une telle notoriété. Peut-être même aucun homme du XXe siècle. John Lennon eut beau dire que les Beatles étaient plus célèbres que Jésus, seul Bob Marley a pu jouer dans la catégorie des prophètes. La popularité de Bob Marley se mesure à d'autres critères que celui des ventes de disque. Il faudrait en adopter un autre tout aussi objectif et concret bien que difficilement mesurable : les ventes de posters et de t-shirts ! Si 2Pac a gardé une notoriété posthume remarquable en la matière, personne ne pourra jamais égaler la gloire de Bob. On a dit qu'il était la "première star du Tiers-Monde", il est bien plus que ça. Son message d'émancipation et de paix a trouvé un écho chez tous les opprimés, les laissés pour compte, du Brésil à la Thaïlande et passant, bien sûr, par l'Afrique. Où que vous alliez sur cette Terre, vous trouverez des objets à son effigie. Vous trouverez des gens qui se reconnaissent dans sa musique et ses paroles. C'est même un très bon moyen de vérifier que vous ne vous êtes pas trompé de planète.

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* La CCE fut fondée par des Juifs communistes après la guerre pour les orphelins de déportés. En 2009, David Lescot a écrit et mis en scène La Commission Centrale de l'Enfance, une pièce où il se souvient de ces vacances à la colo et soulignant ses fondements politiques. Il a même obtenu le Molière de la Révélation Théâtrale pour ce spectacle. Même si je n'ai aucun souvenir de lui car il était bien plus jeune que moi, je sais qu'il avait séjourné au "Château du Roc" lors des mêmes vacances que moi puisque j'avais reconnu le visage familier de son père, le comédien Jean Lescot, à l'accueil du car.
** Ce soir-là, nous écoutions et dansions également sur le "Happy Birthday" de Stevie Wonder, l'autre découverte-coup de cœur de ces vacances. Preuve qu'on était bien chez des laïcs de gauche car Stevie Wonder soutenait ouvertement l'OLP et, par la suite, j'ai eu des copains de classe se déclarant sionistes qui le boycottaient ouvertement.

mardi 10 mai 2011

Pour les trente ans de On-U Sound, une interview d'Adrian Sherwood


Un des anniversaires à relever en cette année 2011 est celui d'un label : il s'agit des trente ans de On-U Sound, fondé par Adrian Sherwood en 1981. Une référence encore exemplaire en matière de dub et reggae britanniques.

J'apprécie encore l'esthétique du label, ces superbes pochettes en noir et blanc, je trouve que mes albums favoris de On-U Sound n'ont guère vieilli. Singers & Players évoqué hier est assurément le groupe On-U Sound que j'ai le plus écouté, qui m'a accompagné sur la durée mais, parmi les autres artistes du label, j'ai eu quelques autres coups de cœur. Je me souviens notamment de cet album de Tackhead, Friendly as a Hand Grenade, que j'avais oublié sitôt après l'avoir acheté à Edimbourg chez une coloc' de ma girlfriend et qui me dit fièrement, au moment de me le rendre bien des semaines plus tard, que c'était le disque le plus branché qu'elle ait jamais eu à la maison. Le petit Frenchy bichait intérieurement. Je me souviens aussi de mon meilleur ami d'alors qui, pendant des années et des années, ne désespérait pas de mettre un jour la main sur l'album des New Age Steppers... C'était aussi le Dub Syndicate, Gary Clail, Little Axe, etc...

On-U Sound est une belle histoire artistique, esthétique mais aussi humaine. Adrian Sherwood a noué des liens solides avec toute cette clique venue d'horizons divers. L'anecdote est révélatrice de l'ambiance de ces débuts : Annie "Anxiety", aujourd'hui connue sous le nom de Little Annie, a même vécu quelque temps dans la cabane au fond de son jardin ! De Lee Scratch Perry aux transfuges de Sugarhill Records, Doug Wimbish, Keith Leblanc, Skip McDonald, de Bim Sherman et Prince Far I aux agités du bocal punk, Ari Up ou Mark Stewart. Des rastas et des punks. De cette rencontre féconde se sont écrites quelques unes des plus belles pages de la culture populaire britanniques des années 70 et 80. Et, même si le label n'a pas sorti tant de disques que cela, On-U Sound représente un chapitre dense de cette histoire.

Quoi qu'il en soit, plutôt que des souvenirs personnels sans intérêts, le menu du jour consiste en quelques extraits d'une longue interview qu'Adrian Sherwood a accordé récemment à The Quietus où il est interrogé par Melissa Bradshaw : "Pay It All Back : Adrian Sherwood on 30 Years of On-U Sound". Un entretien qui remet les choses en perspective et nous rappelle combien le contexte était différent il y a trente ans. Un entretien où il parle également de deux projets emblématiques de On-U Sound et de son approche, African Head Charge et New Age Steppers... Et où Adrian Sherwood explique que "le reggae a éduqué les gens à avoir un super sub dans le soundsystem, ce qui nous a amené jusqu'à aujourd'hui où même des disques pop comme ceux de Britney Spears ont des super basses"...

Ceci posé, un orfèvre du son comme lui ne pouvait que regretter la perte de qualité des productions contemporaines... Mais sans être nostalgique et en ayant déjà adopté le digital pour ses quelques avantages.

"La principale différence est qu'aujourd'hui, avec le son digital, on rate quelques fréquences. C'est pourquoi les gens disent que le vinyl sonne mieux. Si tu passes un vinyl puis un CD du même disque, le son du CD sera bien mais moins puissant. Nous passions des heures et des heures à bosser sur les dynamiques mais aujourd'hui les gens écoutent des musiques qui sont hyper-compressées sur leur téléphone et qui, bien sûr, semblent en jaillir. Alors qui si vous passiez des trucs que j'ai fait sur leur téléphone, le son semblerait faible. Mais si tu le jouais sur une chaîne, alors là, le son serait vraiment panoramique. Nous essayions de donner l'impression que les basses étaient immergées sous le plancher. Alors je ne critique rien mais le son analogique possède une chaleur que l'on ne retrouve pas dans le son digital. Aujourd'hui, je travaille le plus souvent sur des enregistrements digitaux mais avec des émulateurs de sons analogiques et des effets analogiques pour donner un peu de cette chaleur au digital, j'essaie. (...) Outre que les bandes coûtaient cher, l'enregistrement digital est super. On passait des heures à rembobiner les bandes alors qu'aujourd'hui, c'est tout de suite calé..."

Adrian Sherwood s'adapte à son époque, par exemple, en collaborant avec quelques figures majeures du dubstep, comme Kode 9 et Mala, dont il dit qu'ils ont bien compris l'essence des choses : "la compréhension de l'espace, la compréhension des tonalités et une saine tension qui agrippe l'auditeur, ce genre de trucs".

Mais si Adrian Sharwood reste en prise avec quelques producteurs d'aujourd'hui, pour fêter ce cap de la trentaine, On-U Sound va rééditer cette année une douzaine de ses albums devenus des classiques, mais aussi sortir quelques nouveautés...

Adrian Sherwood : "Avant, ce qui se passait, c'est qu'il y avait des disquaires, les gens allaient chez le disquaire et fouillaient dans toute la boutique, et nous avions notre petite section dans la boutique, vous savez chez le disquaire cool, c'est comme ça que traditionnellement les choses devaient être. Mais maintenant, visiblement, les choses ont beaucoup changé. Les gens ne passent plus des heures et des heures à chercher des disques, nous sommes entrés dans une ère nouvelle. Je suis dans une situation où je veux à nouveau que les copies physiques soient disponibles.

Donc nous allons sortir douze rééditions et quatre nouveautés cette année. Les premières rééditions sont l'album des New Age Steppers qui a lui aussi trente ans cette année, Off the Beaten Track, un classique d'African Head Charge, parce que ça coïncide également avec la sortie d'un nouvel album, le premier depuis des années, Voodoo of the Godsent, ainsi que Starship Africa, un classique du dub par Creation Rebel. En fait, Creation Rebel est antérieur à On-U Sound. Cet album a été enregistré en 1979 quand j'avais 20 ans. Mais il n'est pas sorti avant 1980, sur 4D Rhythms, qui existait avant On-U. Et je l'ai sorti avec quelques autres trucs quand j'ai lancé le label On-U Sound. Tout avait commencé par un studio où j'avais beaucoup de grands musiciens : Tony Henry, Misty in Roots, Clifton Morrison de Jazz Jamaica, Crucial Tony de Ruff Cut... Il y avait quelques musiciens britanniques de reggae très importants. Ils étaient tous impliqués dans le Creation Rebel original mais nous étions tous des ados à cette époque-là, on avait juste une vingtaine d'années".

African Head Charge


Avec Bonjo I*

"African Head Charge, à l'origine, était un simple projet de studio et ça a évolué en groupe pratiquement huit ans plus tard. Ca a commencé quand j'ai lu une interview de Brian Eno qui parlait qu'un album qu'il avait fait avec un autre musicien, le type de Talking Heads, My Life in the Bush of Ghosts, et il disait 'j'ai eu une vision d'une Afrique psychédélique'. J'ai pensé : 'oh, que c'est prétentieux'. Mais j'ai commencé à réfléchir et me suis dit finalement, 'non, quelle bonne idée, enregistrons du dub africain vraiment trippy'. Encore aujourd'hui, les gens ont peur de la musique africaine. Vous n'entendez pas beaucoup de tambours africains de malade associés à de grosses lignes de basse. Alors que je trouve que ça sonne bien, avec des guitares hi-life par exemple. Alors j'ai investi ce domaine en utilisant Bonjo, qui était dans Creation Rebel et est un grand percussionniste. J'ai tout construit autour de son jeu de percussions avec l'idée de faire du dub africain complètement barré. C'était ça l'idée. (...) Le studio se trouvait sur Bury Street. C'était un studio en sous-sol. On était là à y fumer comme des pompiers, l'air était irrespirable, le truc vraiment terrible pour la santé. Un donjon, vraiment. L'album d'Eno s'appelait My Life In The Bush Of Ghosts, alors j'ai appelé le mien My Life In A Hole Under The Ground. Et comme Eno parlait toujours d'Afrique psychédélique, on a appelé ça African Head Charge. Mais on ne se moquait pas. Je crois qu'il pensait qu'on se fichait de lui - alors que nous nous en amusions mais avec respect".




Les New Age Steppers
"En 1979, nous avons été invités à tourner avec les Slits et Don Cherry qui était accompagné d'un groupe, Happy House, qui était habituellement le backing-band de Lou Reed. Les Slits venaient assister à nos concerts de Prince Far I et Creation Rebel, en 1977-78. Et quand elles ont pu faire leur première tournée, elles nous ont invité à y participer. Sur cette tournée, nous sommes devenus amis avec Ari et je le suis toujours avec Tessa et les autres. Nous avons fait ensemble quelques enregistrements, Ari et moi avec des musiciens de Creation Rebel, PIL, The Raincoats, Steve Beresford - un tas de gens intéressants et différents que tu ne t'attendrais pas à retrouver ensemble sur un disque, des gens avec un background reggae, funk, jazz ou punk. Et nous avons enregistré cet album. Nous l'avons fait en 1980 et il est sorti en 1981, c'était le premier album On-U. Il résume bien cette période où les gens étaient curieux les uns des autres.

C'était très spontané parce que nous avions comme point de référence les reprises de "Fade Away" (de Junior Byles) et "Love Forever" (de Bim Sherman). Mark Stewart avait déjà écrit sa chanson "High Ideas and Crazy Dreams", aussi nous savions à peu près où nous allions. Les autres morceaux étaient construits à partir des lignes de basse, comme des sortes de jams dub. (...) C'était vraiment un groupe de potes qui se mêlait les uns aux autres. Fondamentalement, c'était Ari et mon amour du reggae et l'envie d'enregistrer quelque chose autour de ça. C'était encore Bury Street, et aussi le studio Free Range, et quelques autres".

Avec Ari Up*
"The Quietus : A chaque fois, il fallait louer ces studios ?
A.S. : Ouais. C'est bizarre, c'était plus cher de louer un studio à l'époque qu'aujourd'hui. Ou aussi cher. Ca coûtait vraiment extrêmement cher.

The Quietus : Il fallait être spontané alors ?
A. S. : Oui, vous ne pouviez pas traîner. Je devais en permanence 10 000£ à un studio ou l'autre et, à cette époque, vous pouviez acheter une maison dans l'est de Londres pour 20 000 !

The Quietus : Alors pourquoi n'avoir pas acheté une maison pour la transformer en studio ?
A. S. : Vous ne pouviez pas faire ça à l'époque. C'est bizarre, il faut avoir à l'esprit comment étaient les choses : la télé s'arrêtait à onze heures du soir, il n'y avait pas de commerces ouverts le dimanche. C'était un autre monde. Les gens ne se souviennent pas. Il y avait aussi beaucoup de tensions raciales. On prend pour acquis les choses telles qu'elles sont mais à l'époque, le salaire moyen était environ de 50£ par semaine. C'est ce que je dépensais pour une heure et demie ou deux heures de studio. Cela semble peut-être naïf aujourd'hui mais ça pouvait vite devenir brutal si tu faisais la moindre erreur quand tu te finançais toi-même. Personne n'était là pour nous aider. Je vendais les disques à l'arrière de ma voiture.

The Quietus : Ameniez-vous votre propre matériel au studio ?
A.S. : Je n'avais rien. Je ne possédais aucun matériel. J'utilisais ce qu'il y avait sur place. (...) J'ai appris en faisant du live, en sonorisant les concerts de Prince Far I. Et après avoir fait du son en live quand tu vas en studio tu sais déjà à quoi tu veux que ressemble le son et tu n'es pas bloqué par la peur. Je pense donc que n'importe qui qui fait de la musique devrait commencer par faire de la scène pour s'éclaircir les idées sur la façon dont les choses doivent sonner.



En studio *

The Quietus : Il n'y a plus grand monde qui procède la sorte. La plupart sont à la maison avec leur ordinateur.
A. S. : Ouais, ils passent le plus clair de leur vie devant un écran. J'essaie de le faire comprendre à mes enfants et ils ne réalisent pas à quel point c'est devenu complètement dingue. Les clubs n'ouvraient que jusqu'à deux heures du matin, les pubs fermaient à dix heures et demie et n'étaient pas ouverts à l'heure du déjeuner. Les gens s'ennuyaient et avaient l'impression que rien n'était fait pour eux, c'est de ça que vient tout le mouvement punk, et reggae. C'était un bol d'air frais qui secoua tout le monde".

Dans ce contexte, votre démarche était-elle politique et revendiqué comme telle ?
A. S. : "Je pense que le reggae porte un message politique parce qu'il parle de souffrance, de Marcus Garvey, de ce retour à l'Afrique, du Pan-Africanisme, de ce truc rasta dont le propos était l'amélioration de la vie des Noirs et la fierté d'être noir. Et de l'autre côté, vous aviez tout ce mouvement punk qui disait : 'je me fais trop chier, faut tout faire péter', cette jeunesses blanche désenchantée. Et tous étaient des jeunes qui avaient été à l'école ensemble, et ce sont tous ces jeunes Blancs qui étaient à fond branchés sur le reggae, qui ont fédéré le tout.

Avec nous, il y avait Mark Stewart qui était très politisé et qui avait fondé The Pop Group et dont les albums disaient : 'nous tolérons les meurtres de masse et nous sommes tous des prostitués, etc.'. Quand nous travaillions ensemble à travers des album sur On-U, et Tackhead et tout ça, tout ce que nous faisions était des informations sur du beat. Mark Stewart était comme notre Gysin ou notre Burroughs.

Cela m'a conduit à être attentif aux actualités alors que cela faisait un moment que, dans ce pays, nous étions complètement dépolitisés. Alors que dans les années 70, il y avait beaucoup de mouvements sociaux pour les droits des travailleurs, la situation politique... Tout ça, on le prenait en pleine gueule et c'est seulement maintenant aujourd'hui que je réalise qu'on a traversé un tunnel de vingt ans où les gens ne se souciaient que de faire de l'argent, ce qui était leur manière d'adhérer à la politique de Thatcher qui a 

essayé de faire de chacun de nous un petit actionnaire, un propriétaire. 
Alors oui, je pense qu'avec On-U, nous essayions d'être aussi politiques que possible. J'ai dû apprendre beaucoup de choses et je l'apprenais beaucoup au travers des gens que je fréquentais. J'ai dû me faire ma propre éducation car ce n'étaient ni les parents ni le système éducatif qui vous apprenaient tout cela. J'ai appris de gens comme Mark. Et j'ai appris en lisant et de la vie qui va... (...) 
Mais les gens commencent à réaliser que ce système ne leur propose qu'une vie de merde à s'enfoncer sous les dettes. Alors j'imagine que nous allons bientôt avoir beaucoup plus de musique politisée
". Et elles auront certainement de bonnes basses !







* Photos exclusives pour The Quietus de Kishi Yamamoto, qui était à cette époque la compagne d'Adrian Sherwood...
Melissa Bradshaw, "Pay It All Back: Adrian Sherwood On 30 Years Of On-U Sound ", The Quietus (19 avril 2011)