jeudi 26 août 2010

Madlib et ses Jazzcats Crossing the Hudson

Août, huitième mois de l'année. Huitième volet de la série Madlib Medicine Show à son infernale cadence mensuelle. Cette nouvelle mixtape intitulée Advanced Jazz revisite l'histoire du jazz telle que Madlib l'envisage. C'est-à-dire en s'enfermant avec ces piles de vieux vinyles et ses platines. Sa collection ne se compte même plus en nombre de disques, elle se pèse : environ quatre tonnes !!!

Mais sur ce nouvel opus, c'est la pochette qui a d'abord attiré l'attention. Elle est illustrée par un tableau d'Emanuel Leutze intitulé Jazzcats Crossing the Hudson et représentant quelques grands jazzmen sur une barque. Réalisé en 1851, "the painting is remarkable for the fact that it was created decades before the birth of any of these jazz artists", peut-on lire sur le site de Stones Throw, qui invente pour l'occasion une citation de Wikipédia !


Et dire qu'il y a toujours quelques naïfs qui postent leurs commentaires étonnés ! Naïfs et incultes car le tableau de Leutze qui a inspiré Jazzcats... est particulièrement célèbre, il s'agit de Washington Crossing the Delaware, illustrant un moment clé de la révolution américaine de 1776. Tableau toujours exposé au Metropolitan Museum of Art.

Ceci posé, vous pouvez toujours essayé de reconnaître les Jazzcats sur leur barque s'apprêtant à conquérir New York... Et si vous séchez, voici les réponses :


L'image a tellement frappé les imaginations qu'à la demande de nombreux internautes qui la réclamaient en poster, Stones Throw a bien voulu l'offrir en wallpaper. Petit commentaire amusant d'un dénommé Chinecack, relevé sur RappCats : "this crossing of course took several additional hours due to bluntedness" !

Maintenant, dans notre France contemporaine, il va s'en dire que si un artiste devait effectuer pareil détournement, en guise de barque, nous n'aurions plus guère que Le Radeau de la Méduse.

"You can rest now because you've worked to be free" : Hommage à Abbey Lincoln

J'étais tellement coupé de toute actualité lors de ces vacances que je n'ai appris que cette semaine le décès d'Abbey Lincoln, survenu le 14 août dernier. Je ne vais pas refaire ce que vous pouvez déjà lire ailleurs. La robe rouge de Marilyn : l'Abbey ne fait pas le moine... Un nom emprunté au président Abraham Lincoln... Son histoire d'amour avec Max Roach et son éveil aux thématiques politiques à travers leur engagement dans le mouvement pour les droits civiques, au point qu'elle se voit qualifier par un critique de "professionnal negro"... Sa renaissance dans les années 90, quand elle est signée en France chez Verve, par Jean-Philippe Allard, etc...

Simplement, Abbey Lincoln aurait pu se contenter d'être belle. Ce qui serait mal la connaître.

J'ai découvert Abbey Lincoln sur l'album de Max Roach, We Insist! Freedom Now Suite. Un album enregistré il y a exactement cinquante ans : le 31 août et le 6 septembre 1960, troublante coïncidence. Sur cet album-brûlot, son chant passait par tous les états, à l'image du fameux triptyque "Prayer, Protest, Peace". Max Roach lui avait donné comme indication pour interpréter le dernier volet, "Peace", qu'elle devait exprimer "the feeling of relaxed exhaustion after you've done everything you can to assert yourself. You can rest now because you've worked to be free. It's a realistic feeling of peacefulness. You know what you've been through". Ce qui rétrospectivement résonne comme un beau résumé de sa vie, délivré par celui qui fut son seul grand amour.

Sur cet album, elle donnait une ferveur incroyable à "Freedom Day", comme si elle était contemporaine de l'abolition de l'esclavage. Car si Abbey Lincoln est devenue si essentielle, c'est parce que son chant est émotion plus que technique. Abbey Lincoln n'est pas une improvisatrice mais elle vous touche au cœur.


Je n'ai vu qu'une seule fois Abbey Lincoln sur scène. Il y a plus d'une dizaine d'années et je me souviens encore de sa présence et de l'intensité de son chant. Rarement j'ai vu quelqu'un d'aussi ridicule sur scène que celle qui lui succédait ce soir-là, Diana Krall. Tellement vaine et superficielle. J'avais même l'impression que Russell Malone, son guitariste, se foutait de sa gueule dans ses solos. Dur de passer après Abbey Lincoln quand on n'a rien à dire. A cette époque, Abbey Lincoln n'avait déjà plus le coffre. Dianne Reeves qui concluait cette soirée au Grand Rex, était là pour ça quand Abbey portait, elle, un sentiment terrible. A l'image de la version du "Avec le temps" de Léo Ferré qu'elle proposa ce soir-là.

Depuis qu'elle brûla la fameuse robe rouge de Marilyn, Abbey Lincoln n'a cessé de se dépouiller des artifices. Dans le morceau "Naturally", elle écrivit ces mots qui semblent si bien la décrire : "the beautiful lady is so lovely naturally". Et Dieu sait qu'avec ses failles, sa sincérité, ses colères, elle a toujours été si belle naturellement.


Une interview sur L'Express, "Je dois ma résurrection musicale à l'Afrique et à la France"

L'hommage de Vibrations, reprenant un article et interview de 2007


Libération qui s'autorise un jeu de mots foireux : "L'Esprit d'Abbey rôde" (sic !)

mercredi 25 août 2010

Retour vers les doux rivages de Dorival

"Quem vem pra beira do mar, ai
Nunca mais quer voltar"

J'avais bien une petite idée derrière la tête quand j'ai mis en ligne mon précédent post. Cette minute essentielle de João Gilberto était aussi l'occasion de rendre hommage à Dorival Caymmi. Je savais en effet que je ne pourrai le faire le 16 août , jour du deuxième anniversaire de sa mort, puisque sans connexion internet pendant ces vacances.

De retour, je célèbre une nouvelle fois Dorival Caymmi, le "Buda Nagô", comme l'avait affectueusement surnommé Gilberto Gil dans une de ses chansons. Comment ne pas aimer cet homme et son œuvre ? J'avais découvert ses compositions devenues des "standards" par la voix d'autres interprètes avant de pouvoir entendre sa voix, inimitable. Et je l'ai alors beaucoup écouté. Y compris la veille de sa mort, comme si son esprit s'était manifesté jusqu'à nos rivages méditerranéens. Après tout, la mer était si présente dans son univers que, ce jour-là, sur le dos de Yemanjá, ou sur celui d'un dauphin, son esprit vint me susurrer : "é doce morrer no mar". Et j'écoutais ce jour-là avec beaucoup d'émotion cette chanson, ignorant que de l'autre côté de l'océan, il était en train de rendre l'âme.

Cette année, nous évoquerons Dorival Caymmi en reproduisant le texte écrit pour l'hommage que je lui avais rendu dans mon émission Goutte de Funk (@ Divergence-FM), il y a deux ans donc :

Ici même, bien que sa musique soit pourtant à mille lieues du funk, nous souhaitons vivement rendre un hommage à Dorival Caymmi, tant il occupait une place si particulière dans le cercle très restreint de mon Panthéon personnel. L'œuvre de Caymmi est fondatrice d'une partie de la musique brésilienne contemporaine, bahianaise en particulier. João Gilberto le citait comme sa référence absolue, plus importante encore que celle de Jobim, dont il aura pourtant donné aux chansons les traits qui traverseront les époques. Bahianais comme lui, il retrouve derrière sa trompeuse simplicité, l'identité de son peuple. Caymmi, l'homme, sous ses airs débonnaires, sa réputation de paresseux, était un sage. Bahianais, installé depuis les années quarante à Rio, il a su donner de "son peuple" le portrait le plus touchant, avec le même amour que son grand ami le romancier Jorge Amado. De son vivant, il avait déjà une place à son nom dans le village de pêcheurs d'Itapoã, en bordure de Salvador, tant il a littéralement immortalisé son ambiance, la rudesse de la vie de ses hommes de la mer dans son album Canções Praieiras. Itapoã, d'où l'on voit encore les plus rudimentaires des jangadas partir en mer. Caymmi, pourtant, la mer il l'admirait par la contemplation avant tout, d'ailleurs il ne savait même pas nager.



Mais si nous ressentons, le besoin de lui rendre hommage, c'est aussi que son esprit nous a visité. Cet été, j'eus un jour la soudaine et irrépressible impulsion d'écouter quelques unes de ses chansons, ce que je n'avais pas fait depuis plusieurs mois. Il s'agissait justement des Canções Praieiras qui me touchèrent alors en cet instant avec une forte émotion. En particulier, "E Doce morrer no mar" ("il est bon de mourir en mer"). Le lendemain matin, j'appris qu'il venait de mourir la veille, à 94 ans. L'esprit de cet homme était si fort, que dans ses derniers souffles, il circula ainsi jusqu'à nous. Ce fut une impression troublante. A posteriori bien sûr. Pour finir l'histoire, quelques jours après, j'appris que Stela Maris, sa femme depuis 1939, venait également de s'éteindre, exactement une semaine plus tard.

Dorival Caymmi ne composa en tout et pour tout qu'une centaine de chansons de toute sa vie. Mais nombre d'entre elles sont devenues des standards que vous connaissez peut-être sans en savoir l'origine ni l'auteur. Il en va ainsi de l' "âme des poètes" qui pourtant nous accompagne par-delà les ans.

O.C., septembre 2008


Alors, à quand les ré-éditions de ses albums originaux ? A quand Canções Praieiras, Eu Vou Pra Maracangalha, Caymmi e seu violão, etc... enfin accessibles ? Il y a deux ans déjà, j'avais entendu dire que Natura Musica, par le biais d'un de ces mécénats culturels qui sont des aubaines pour qui souhaite défiscaliser, devait ressortir toute sa discographie. Introuvable encore à ce jour ! Alors, allez les chercher sur la toile...

A défaut, Natura a cependant participé à la création d'archives en ligne de l'œuvre de Dorival Caymmi, un vrai travail patrimonial, sous le nom d'Acervo Caymmi. Même si tout un volet du site ne semble pas encore disponible, c'est l'occasion de voir de nombreuses photos, ainsi que des reproductions de ses toiles, puisque Caymmi passait probablement autant de temps à peindre qu'à composer de nouvelles chansons. Au grand désespoir de sa femme Stella qui constatait que cette activité était bien moins lucrative que la musique. Peintre, Dorival Caymmi se décrivait comme un "lyrique", à l'écart des querelles entre abstraction et figuration : "eu acompanhei toda essa querela entre o Abstracionismo e o Figurativismo, mas não cheguei a uma posição definitiva. Sou um lírico em pintura".


mercredi 11 août 2010

La Minute essentielle de João Gilberto

"Quem não gosta de samba
Bom sujeito não é"

João Gilberto disait avoir tout appris de Dorival Caymmi. Réciproquement, celui-ci considérait que le seul chanteur capable d'interpréter dignement ses chansons était João Gilberto. Deux générations de génies bahianais. Une démonstration avec cet extrait de "Samba da Minha Terra" par le plus acariâtre des chanteurs à voix de velours. Une minute et tout est dit. Une minute pour offrir une synthèse idéale de la musique brésilienne.

Une minute, c'est à peu près tout ce dont je dispose, vacances obligent. Cela suffit cependant pour vous proposer ces quelques instants essentiels.

dimanche 1 août 2010

Vacances

Enfin ! Depuis hier soir, je suis en vacances. Reconnaissons cependant que de l'été nous avons déjà bien profité. Puisque la mer est toute proche, voici venu le temps d'un peu de campagne. Quelques jours dans le Périgord profond, là où je n'aurai pas de connexion internet. Même pas de bas débit. Rien, peau de zob.

Puisqu'il fallait marquer cela par une rupture, le ciel s'est mis de la partie. Orage et grosse pluie. Ici, tout de suite, on parle d'averse tropicale. Ce n'est qu'exagération méridionale car on en est pourtant loin en terme d'intensité mais, avouons-le, c'est déjà pas mal. Bien dégoulinant après un bref trajet sous les trombes d'eau, je me suis surpris à fredonner "Aguas de Março". Certes, nous ne sommes pas en mars, mais "l'inconscient est bien fait", comme se plaisait à dire un ami au bout de vingt ans d'analyse ! L'inconscient est bien fait. OK, admettons. En tout cas, ces aguas du 1er août m'éviteront d'arroser les bambous avant de partir.