Ces derniers jours avait lieu la première de Coming Back For More, le documentaire de Willem Alkema consacré à Sly Stone. Une nouvelle actu pour le plus grand reclus de l'histoire du funk... Déjà, il y a quelques semaines, on apprenait qu'il avait, paraît-il, écrit une chanson pour Michael Jackson en vue de son prochain album. Un scoop quand on sait qu'il n'a rien écrit depuis une éternité...
Alors qu'il n'y a pas si longtemps, Sly vivait dans une belle demeure de la Napa Valley et paradait en chopper trois-roues, ses droits d'auteur continuant à lui garantir un train de vie confortable. La photo ci-dessous, où l'on aperçoit sa maison au fond du jardin semble en témoigner.
Malheureusement, sa situation s'est depuis considérablement dégradée. En août, un article du Guardian annonçait que le film d'Alkema révélait la situation précaire de Sly, réduit à aller d'hôtels minables en mobil-homes, depuis que son manager Jerry Goldstein avait cessé abusivement de lui verser ses royalties.
L'annonce de sa tournée en 2007 avait été la plus grande surprise que l'on puisse imaginer. A l'époque, un autre grand revenant, qui n'avait pas foulé les scènes de France depuis 34 ans, s'apprêtait à lancer une tournée : Polnareff ! Quand un artiste se retire, encore faut-il en connaître la raison. Dans le cas de Polnareff, je m'étais à l'époque mépris sur le motif de son exil américain. Alors tout gamin, j'ai cru qu'il avait du quitter la France pour avoir montré ses fesses sur une affiche. Je me souviens que l'image m’avait frappé, la nudité n'était pas courante sur les affiches à cette époque préhistorico-pompidollienne.
Infiniment plus funky que le booty de Polnareff, Sly... Avant d’aller plus loin, rappelons que le funk a sa propre trinité : James Brown, Sly et George Clinton. Clinton lui-même reconnaît volontiers que ce sont les deux autres qui l’ont inspiré. De Sly, il dit : "He's my idol, forget all that peer stuff. I heard Stand!, and it was like: Man , forget it! That band was perfect. And Sly was like all the Beatles and all of Motown in one. He was the baddest thing around. What he don't realize is that him making music now would still be the baddest”. Rien que ça : tous les Beatles et tout Motown à lui tout seul (d'accord, Clinton n'est pas réputé pour son sens de l'euphémisme...)
On a déjà assisté à quelques retours étonnants ces dernières années, notamment celui d’Al Green, qui s'autorisa une escapade de son église du Full Gospel Tabernacle pour enregistrer de la musique profane, alors qu'il avait lâché la carrière depuis 1979, mais cela n'est rien en comparaison du retour de Sly, un come-back sur lequel personne n'était près à mettre le moindre kopek.
Il faut dire que cela faisait presque 30 ans qu'il ne s'était pas produit sur scène, après déjà quelques années où on ne retrouvait sa trace que sur quelques enregistrements erratiques, des apparitions fugaces, quelques concerts et une participation The Electric Spanking of War Babies, un album de Funkadelic, avec Clinton, l’occasion pour les deux hommes d’être arrêtés en possession de cocaïne... Sly est entrée dans la légende. Il a disparu. Mais la rumeur la plus fréquente le décrivait juste en zombie ravagé par la coke...
Pourtant, n'est-ce pas son retrait qui établit définitivement sa légende ? Pour avoir eu le courage de refuser un rôle factice qui aurait donné bonne conscience à son pays...
Rappelons un instant sa grandeur, avec les mots de Greil Marcus, auteur de Sly Stone : le mythe de Stagger Lee (Ed. Allia, 2000), quand, en 1967, il apparaît au grand jour à la face du Monde : "La musique noire dont les figures majeures étaient Aretha Franklin, Wilson Pickett et Sam & Dave, avait atteint un pic commercial et approchait de l’impasse artistique, alors que l’inspiration laissait place la formule. Otis Redding devint l’espoir blanc des nouveaux fans de rock’n roll (...). Mais six mois plus tard il était mort. Un vide musical s’ouvrait, et les contradictions raciales de la contre-culture sourdaient en surface. Aucune musique pour résoudre les contradictions, aucune musique pour remplir le vide. C’est ce moment que Sly & The Family Stone émergea des bars blancs démodés de Hayward et Redwood City - banlieues pour classes moyennes avec une musique que ses membres désignaient éffrontément comme “un truc complètement neuf" (pp. 16-17). Sly, "le plus sauvage des dandies que le rock’n’ roll ait jamais vu - ce qui n’est pas rien -, une bête de scène outrancière dont le style était celui d’un souteneur fou et défoncé du quartier de Filmore" (p. 18), est non seulement un grand musicien parvenant tirer la plus cohérente des synthèses de ses influences, tant James brown que les Beatles mais un artiste politique. "Ses gros succès auprès des gosses noirs et des gosses blancs (chariaient) tous les bons sentiments de la Marche sur Washington, avec en plus le cachet de la rue que cette marche n’avait jamais eu. Le vrai triomphe de Sly, c’est d’avoir les deux" (pp. 19-20).
Sylvester Stewart, alias Sly Stone, allait inventer le rêve fédérateur de ces années euphoriques. Sa "Famille" était mixte, hommes et femmes, Noirs et Blancs, et lui en leader charismatique, rayonnant. Le pays a vite fait de le surnommer The Great Reconciler !
Mais la “fin du rêve”, qui marqua la fin des 60’s, se retrouve dans la musique de Sly. Dès cette période, la pression des deux côtés, tant du côté noir que blanc, contribuèrent à le perturber profondément, les abus de cocaïne, et un soi-disant dédoublement de personnalité d’après son médecin de l’époque n’arrangeaient rien. L’album There's a Riot Goin' On, en 1971, en est le témoignage : l’élan enthousiaste cède la place au découragement, au pessimisme. Ce qu'il cède en espoir, il le gagne en profondeur et c’est probablement le plus beau disque de la carrière du groupe.
Après, c'est encore Fresh (1973), pas mal, puis la dégringolade avec encore une paire d'albums sans conviction... Mais dont les titres laissent à penser qu'il aimerait bien qu'on le rappelle : Heard Ya Missed Me, Well I'm Back, ou Back on the Right Track. Disparu de la circulation depuis le début des années 80, les rumeurs abondent. Marcus cite John Dakks, un fan lui ayant consacré un site, qui raconte avoir été contacté par Sly en 98 pour lui jouer une oeuvre inédite à vous arracher des larmes : "rien n’avait changé - tout le talent était intact. Je crois que s’il n’a pas fait de come-back, c’est qu’il n’en avait pas envie. Il peut faire une réapparition fracassante quand il veut" (p. 91).
Pour Greil Marcus, le recul de Sly s’explique par un changement de vision. Dès 73, il raconte l’avoir vu sur scène sans qu’il joue un seul titre de Riot. “Chanter sur disque, en privé, est une chose. C’en est une autre de regarder tous ces gens en face et de leur dire que le bon vieux temps est révolu”.
Pour son frère Freddie, c'est tout simplement que “Sly ne veut plus être sur le devant de la scène. Le glamour ne veut plus rien dire pour lui. Il veut juste être normal”, déclara-t-il au magazine Spin, au début des années 80.
Avec des rentes confortables en droits d’auteur, Sly peut rester ailleurs. Pour Rickey Vincent, l’auteur de Funk: The Music, the People, and the Rhythm of the One : "I don’t think Sly has been hurting from his underground status - I think he likes the mystique".
Car c’est bien là l’essentiel, pour revenir, encore faut-il n’avoir pas été oublié... Jouir du statut de légende, bénéficier d’un culte. Cela a beau être le cas de Sly, “the only thing harder than leaving show business is coming back” disait Dave Chappelle, quand la présence de Sly était évoquée à l’occasion d’un hommage qui lui était rendu lors de la cérémonie des Grammy Awards, début 2006, et qu’il avait la charge d’introduire. La veille, les organisateurs ne savaient toujours pas si Sly serait sur scène alors que les membres de la Family Stone reconstituée avait répété. Il fut bien là : il monta sur scène dans le plus incroyable, improbable, flamboyant des looks : un manteau d’argent et un iroquois platine de 20 centimètre dressé sur un crâne rasé. Avec la Family Stone, déjà sur scène, ils interprétèrent “I Wanna take you higher”. Absent depuis si longtemps, il ne fallait pas non plus trop lui en demander : il quitta la scène au bout d’une paire de couplets, sans finir le morceau, laissant tout le monde en plan, avec la nette impression d’avoir été victime d’une sorte d’hallucination collective. Une chose était confirmée : : Sly semblait bel et bien passé dans une autre dimension. Peut-être pas non plus exempte de roublardise. Comme le disait Adam Levine, du groupe Maroon 5 qui participait à l’hommage (ainsi que Will.I.Am des Black Eyed Peas, Van Hunt, John Legend ou Steve Tyler d’Aerosmith), à propos de la performance de Sly : “Can you really argue with an unbelievable looking mohawk and a silver jacket?”. Il aurait simplement pu dire : “qu’est-ce que vous pouvez dire à Sly ?”
Cette apparition était cependant un signe qui validait l’idée d'un come-back. Se montrer était le premier pas. L'entourage familial semblait l'encourager. En effet, rarement groupe aura été si bien nommé car la Famille Stone en est une vraie de vraie. L’aventure commena dès 1952, avec les Stewart Four (Sly, Freddie, Rose et Vaetta) et un 78 tours : “On the battlefield of the lord” / “Walking in Jesus name”. On les retrouvera dans la Family Stone, avec Larry Graham, un cousin, et une future femme de Sly, Cynthia Robinson.
Puis, Larry Graham a viré témoin de Jéhovah et Freddie est devenu le pasteur Frederick Stewart. Mais, malgré tout, après toutes ces années, la famille continuait d'entretenir l’héritage avec un groupe Tribute, jouant régulièrement tous les classiques de Sly, sous le nom de Phunk Phamily Affair. Sly qui, paraît-il, les dirigeait de l’ombre, a renommé le groupe Family Stone, fin 2005. Avec aujourd’hui, leur fille qui les rejoint sur scène, la nièce Lisa, fille de Rose, etc... Même Greg Errico, le batteur, est resté attaché à cette notion familiale, puisqu’après avoir quitté Sly, il a nommé son groupe Family Without Stone !
Ceux qui ont assisté aux concerts de 2007 ont constaté que le groupe tenait bien la route. Quant à Sly, ma foi, pouvait-on espérer plus que des prestations fantômatiques d'un quart d'heure les bons soirs ? Il semblerait que l'état dans lequel se trouve Sly aujourd'hui ne lui permette plus de tenir son rang, au moins son apparition doit-elle se suffire à elle-même, comme ce fut le cas un an plus tôt, lors de la cérémonie des Grammy Awards...
Outre le film d'Alkema, Brady Spencer lui a également consacré un documentaire : Higher, The Story of Sly Stone, où il apparaît dans des looks toujours aussi flamboyants, tel ce tartan écossais du plus bel effet, répond aux questions et bichonne son chopper-tricycle. En voici un extrait...
Peut-être parce qu'il est une légende, le mérite de Sly est de conserver son mystère alors même qu'il se montre, marqué par les excès. Le journaliste David Kamp, a réussi à l'interroger pour Vanity Fair, en 2007. Cela faisait des années qu'il le "traquait". Quand il put enfin le rencontrer, en chair et en os, qu'il confrontait le mythe à sa réalité d'aujourd'hui, il se demandait forcément à quoi pouvait bien ressembler la vie quotidienne de Sly. Il lui posa donc la question : Do you have a normal life or more of a Sly Stone life?
La réponse de Sly démontra alors que, chez lui, même ce qui peut ressembler à un halo brumeux est, en réalité, une aura fabuleuse : "I do regular things a lot. But it's probably more of a Sly Stone life. It's probably … it's probably not very normal."