Ces derniers jours, nous sommes attristés par la mort de Ramiro Musotto. Avec lui, la musique bahianaise vient de perdre un de ses piliers les plus novateurs. Cruel 11 septembre où un musicien de 45 ans, à l'aube de sa carrière internationale, est emporté par les complications d'un foudroyant cancer de l'estomac.
Pendant des années, Ramiro Musotto était, pour moi, un nom que je relevais fréquemment sur les notes de pochette et j'en suis un grand lecteur, si je puis dire. Un bon livret doit toujours indiquer, pour chaque morceau, les musiciens qui l'enregistrent et préciser les instruments qu'ils utilisent. C'est ainsi que je me suis vite familiarisé avec ce patronyme en soi assez frappant : Ramiro Musotto. C'est facile à retenir et ça sonne bien.
Crédité quasi-systématiquement dès qu'un berimbau intervenait sur un titre, il était évident que notre bonhomme était devenu la référence absolue en la matière. Il était partout, jouait avec tous : Lenine, Marisa Monte, Daniela Mercury, Os Paralamas do Sucesso, Caetano Veloso, Gilberto Gil, Lulu Santos, Zeca Baleiro, Adriana Calcanhotto, Titãs, Fernanda Abreu, Sergio Mendes, Gal Costa, etc... Sur Eletro Ben Dodô, le premier album de Lucas Santtana, sa participation à la reprise de James Brown, "Doin' In The Death", tournait même au morceau de bravoure. Pour donner corps au "we're gonna have a funky good time" répété comme une litanie, le groove du Godfather y était ré-interprété au berimbau, prototype acoustique d'un explosif funk à la bahianaise.
Ramiro Musotto me semblait appartenir à cette clique de brillants percussionnistes bahianais, au même titre que Boghan Costa ou Gustavo di Dalva. Aussi fus-je surpris d'apprendre qu'il était en fait Argentin. Argentin mais installé depuis longtemps au Brésil, à Salvador de Bahia évidemment.
Devenu une des figures centrales de la scène musicale brésilienne, Ramiro Musotto était le Bahianais d'adoption d'un pays qui sait reconnaître comme ses plus chers siens les étrangers qui aiment et connaissent leur culture d'accueil avec plus de profondeur que la plupart des Bahianais de souche. Cette culture plonge ses racines dans le candomblé. Et, comme Pierre Verger avant lui, Ramiro Musotto était imprégné de ce sacré. Comme le rappelait Lucas Santtana dans son texte d'hommage à l'ami disparu, "Ramiro était un musicien complet, il connaissait profondément toute la liturgie rythmique du candomblé, au point de pouvoir la retranscrire sur partitions". Respectueux de cette dimension spirituelle de la musique, Ramiro Musotto était donc un Bahianais d'adoption.
Il était en fait deux fois bahianais puisque natif de Bahia Blanca, en Patagonie. On pourrait y lire une ironie du destin, ou une coïncidence pour comprendre un itinéraire artistique en forme de quête.
Celle qui va entraîner un jeune homme d'une vingtaine d'années de Bahia la Blanche à Bahia la Noire. On sait que la culture noire est aujourd'hui quasiment absente d'Argentine. Que le pays a parfois développé des complexes de supériorité à l'égard de ses voisins sud-américains, se considérant plus proche de l'Europe. Il est en tout cas certain que c'est un pays où l'on trouve plus de psychanalystes par habitant que de percussionnistes. Un pays qui a gommé les traces indigènes et noires de sa culture. Comme un juste retour des choses, Ramiro Musotto se lança dans une quête de racines africaines du rythme sur son continent, là où il vibre le plus intensément, Bahia. Pour retrouver les traces du candombe, les danse et musique à l'origine du tango, peut-être fallait-il remonter jusqu'au candomblé ?
Ramiro Musotto avait plus d'une corde à son arc, l'arc en question étant ici un berimbau. Comme Naná Vasconcelos avant lui, il va en devenir un virtuose. Ce berimbau ancestral, venu d'Afrique, il en a exploré toutes les sonorités, a expérimenté tailles et accordages variés, utilisé des caisses de résonance métalliques. Il en a aussi amplifié et trituré les sons, un pied dans les traditions, l'autre dans les machines. Il n'aura hélas pu développer sa musique entre électro et percussions que sur deux albums parus sous son nom, Sudaka (2001) et Civilização & Barbarye (2006). Grâce à la distribution de ce dernier en Europe, il put toucher un nouveau public. Un accueil international très chaleureux et enthousiaste, notamment lors de ses concerts en Europe, donnait à sa toute jeune carrière solo un formidable essor.
Cette mort prématurée nous rend d'autant plus triste qu'elle fut une surprise, y compris pour certains des artistes qui le connaissaient bien. La perte est aussi celle d'une belle personne, appréciée pour ses qualités humaines, celle d'un père pour ses jeunes enfants. Une perte qui fait vibrer la corde sensible du berimbau. Citons une nouvelle fois son ami Lucas Santtana : "Que Oxalá estenda um grande pano branco na sua chegada..." (qu'Oxalá tende une grande toile blanche pour son arrivée)...
L'hommage de Lucas Santtana sur Diginois...
Un interview audio dans un très bon français, à l'occasion de son passage aux Transmusicales de Rennes, en 2008...
L'annonce de sa mort dans le quotidien bahianais A Tarde...
Quelques témoignages de proches parus dans ce même article :
Rose Alcântara (son ex-femme) :
"Ele era incrível. Cabeça dura, trabalhava muito, gostava de fazer tudo com perfeição, tinha uma relação maravilhosa com os filhos. Uma pessoa totalmente do bem. A guarda dos nossos filhos era compartilhada antes mesmo de sair essa lei. Ele cuidava muito bem dos dois."
Aroldo Macêdo (musicien multi-instrumentiste) : "Ele era um gênio. Era um baiano, apesar de não ter nascido aqui. Tudo que era artista do Brasil queria gravar com ele. Todos. Uma figura humana da maior qualidade."
Lenine : "Eu estou triste. Morte prematura é sempre uma coisa que não dá pra entender, é difícil. Ainda mais agora, que ele estava se estabelecendo na carreira própria, no trabalho autoral. Seus horizontes estavam se ampliando. Ele sempre foi muito criativo, foi crucial naquele momento da minha carreira, quando gravamos o InCité. O Ramiro esteve em todo o processo daquele disco. Acho que a música perde de forma prematura um puta criador."