lundi 1 novembre 2010

"Evil Boy" : la circoncision chez les Xhosas et le tokoloshe selon Die Antwoord

Je ne saurais trop dire si j'aime bien ou pas. Je constate simplement que, parmi les vidéos sorties ces dernières semaines, celle de Die Antwoord, "Evil Boy", dévoile un univers étrange, voire un peu malsain, dans un genre où on préfère trop souvent se pavaner dans une opulence de parvenu, bling bling quoi. "Evil Boy" combine le côté conventionnel d'un clip de rap, son approche frontale où les intervenants débitent leur texte dans des gesticulations convenues, mêlant le verbe et la langue des mains, et le bizarre... Les rappeurs balancent leur texte face à la caméra, comme s'il n'y avait aucun autre moyen de les filmer, mais le décor derrière eux, avec ses sculptures aux bites saillantes, confère pourtant à l'ensemble une dimension troublante. Et malgré ce manque d'imagination dans la façon de mettre en scène ses interprètes, on serait presque tenter de voir dans la présence de Diplo le seul garant de normalité, au sein d'un univers assez glauque. Die Antwoord est donc un groupe de rap. Un groupe de rap sud-africain mais aux antipodes de leurs compatriotes Tumi & The Volume. Aux côtés de la blonde glaciale Yo-Landi, Ninja en est le leader, avec ses airs de petite frappe, ses mauvais tatouages de "taulard", de maigrichon qui joue au dur, qui se serait fait tatouer les soirs de beuverie par un pote ne sachant pas dessiner ou qui imagine, dans ces moments épiques, que ses pensées mériteraient d'être gravées à même le corps. Les paroles s'envolent et les pensées se tatouent : "Pretty Wise". Mais il ne faut jamais juger les gens sur les apparences. Et Ninja a plus à nous révéler que ces seules traces sur l'épiderme, la culture de son pays, indépendamment de la couleur de peau, s'inscrit sous-jacente dans les propos et les images du groupe. 

C'est Ninja lui-même qui a réalisé la vidéo de "Evil Boy". Il l'a préparée longuement, toujours accompagné de son carnet de croquis pendant les tournées du groupe, afin  d'imaginer les visuels assez frappants du décor. "Nous voulions saturer les sens. Nous avons pris soin de chaque détail afin que l'arrière-plan ait autant de force que le premier-plan. L'idée était que votre cerveau ne puisse pas tout saisir d'un coup afin que vous soyez obligés de revoir souvent ces images et y remarquer quelque chose de différent à chaque fois".

Pour le magazine Pitchfork, il s'est longuement expliqué sur le sens des images et de certaines paroles de ce morceau. Cela leur donne un éclairage étonnant et nous permet de réaliser que ce petit film est fondamentalement sud-africain, évoquant la circoncision chez les Xhosas ou le tokoloshe, ce terrible petit démon poilu. Influences qui ne nous avaient pas sauté aux yeux de premier abord.

Avant de déceler cette dimension africaine, on aura d'abord remarqué que le corps est très présent dans ce clip. Le torse nu des garçons, Ninja et Wanga, jeune invité. La tenue de Ninja se résume le plus souvent à un short de boxeur (catégorie poids-mouche), histoire de bien exhiber ses tatouages. Les seins des filles. On y découvrira ainsi une femme aux seins lisses, dépourvus de tétons, on y verra aussi Yo-Landi dénuder sa poitrine pour dévoiler sur ses seins, des yeux.

Et, bien sûr, sous forme de sculptures, tous ces phallus. Mais ça, c'est justement le thème central du morceau et c'est la raison pour laquelle les paroles de Wanga, le jeune rappeur invité, sont sous-titrées, pour en souligner le sens.
Ninja : "C'est quelque chose de très profond, en fait. C'est essentiellement à propos de circoncision tribale. C'est une tradition de l'ethnie Xhosa en Afrique du Sud. Quand tu atteins dix-neuf ans, tu pars dans le bush pendant une semaine juste avec une couverture et des slips, sans chaussures, pour qu'on te coupe le pénis avec un couteau de cuisine. Il n'y a pas de désinfectant, pas d'anti-inflammatoire. Tu as seulement de la cendre dont tu te recouvres le pénis et le visage.

On connaît Wanga depuis qu'il est gamin. Cette année, il était supposé participer à un de ces rituels parce qu'il n'est pas encore circoncis. Nous pensions que peut-être il devrait simplement ne pas y aller, à cause des soixante jeunes qui sont morts cette année de complications. Alors, je lui ai demandé ce qui se passerait s'il n'allait pas dans le bush et il m'a dit qu'il ne deviendrait pas un homme et ne serait pas autorisé à parler aux autres hommes. Alors, je lui ai demandé pourquoi il me parlait et il m'a répondu : "parce que tu es cool, Ninja". Puis il a regardé mon tatouage et a déclaré qu'il voulait être "Evil Boy for Life".



Les pires mots en xhosa sont "umnqundu wakho". Qui signifient "trou du cul". Tu n'es même pas supposé les prononcer à voix haute parce que ça fait flipper les gens. Alors, nous nous sommes dit, "putain, on devrait commencer le morceau avec ça". Aussi quand tu passes "Evil Boy" en Afrique du Sud auprès des groupe de gens qui comprennent le xhosa, tu vois toujours des femmes qui, dès qu'elles les entendent, hurlent comme si on venait de leur voler leur bébé.

Un autre truc aussi dans les paroles évoque le fait que ces Xhosas avec leur pénis circoncis sont aussi incroyablement homophobes. Wanga s'en fout, on n'est pas anti-gay mais son rap est aussi une raillerie quand il dit "Don't touch my penis / I'm not a gay.". Ce qui est la pire insulte pour les Xhosas, qui sont donc homophobes, et prennent dans leurs mains les pénis des jeunes garçons de dix-neuf ans. Alors que c'est quand même très bizarre de toucher le pénis d'un autre homme quand vous n'êtes pas gay. (...) Les paroles de Wanga disent qu'il préfèrerait être une star plutôt qu'un gamin mort, gisant dans un fossé avec un bout de pénis coupé".

Autre aspect intriguant du clip, qui est le monstre poilu et quelle est sa symbolique  ?
"Le monstre ! Oh mon Dieu ! Ca s'appelle un tokoloshe. C'est le plus craint des démons africains, les Africains sont très superstitieux. C'est juste un petit truc noir et poilu, un petit homme avec un gros ventre. Il est vraiment terrifiant et sort la nuit. Il a un pénis aussi gros que celui d'un cheval. Des femmes nous ont expliqué que si tu fais un rêve érotique, ça signifie que le tokoloshe est en train de te posséder dans ton sommeil et que ton mari ne sera plus jamais en mesure de te satisfaire à cause de la méga-bite du tokoloshe. C'est pour ça que quand tu vas dans le ghetto, tu remarques que les femmes ont posé leur lit sur des piles de briques pour le surélever (le tokoloshe est tout petit, je vous le rappelle, ndla). Tu peux jeter un sort à quelqu'un et demander à un sorcier qu'il lui envoie un tokoloshe. Le sorcier (witch-doctor) va préparer une mixture avec des herbes et du sang, qu'il versera sur une poupée-vaudou de tokoloshe, qui viendra alors à la vie. Le sorcier pourra alors l'envoyer foutre la merde dans ta vie, te ruiner, te faire divorcer... L'autre moyen de donner naissance à un tokoloshe, et il y en a qui le font dans les ghettos, est le sexe avec un animal. L'homme va avoir un rapport avec l'animal et, ensuite, l'animal donnera naissance à un tokoloshe. Seulement les enfants sont capables de voir le tokoloshe, il est invisible aux adultes. Alors, on a pensé que ce serait cool d'avoir un tokoloshe dans la vidéo. Il y a quelqu'un qui m'a dit qu'il ressemblait aux monstres de Max et les Maximonstres. (...) Nous cherchions juste des incarnations possible d'Evil Boy et le tokoloshe dans son genre est un Evil Boy lui-même. Il est une sorte de créature espiègle, un homme-enfant, avec ce pénis géant de démon".


Quant à la participation de Diplo, on a l'impression que Ninja et Yo-Landi se sont bien amusés à lui en faire voir de toutes les couleurs... "Il a fait le beat et je lui ai dit que s'il voulait être dans la vidéo, il faudrait qu'il se coupe les cheveux. Ca l'a fait chier parce que ça faisait déjà un moment qu'il se les laissait pousser. Il tirait un peu la gueule quand je les lui ai coupés mais il s'en est remis. Nous ne connaissions pas Diplo mais quelqu'un nous a dit qu'il était devenu obsédé par la voix de Yo-Landi. Puis il nous a envoyé un de ses e-mails débiles et on a commencé à échanger. Diplo ne sait pas écrire correctement, il est complètement dyslexique et ses messages sont idiots. Mais dans son genre il est marrant et c'est devenu un de mes meilleurs amis. (...) Il nous a envoyé ce beat. Il nous plaisait mais on a oublié de le lui dire. Du coup, il doutait vraiment : "ouais, vous avez raison, il craint ce beat, oubliez que je vous l'ai envoyé". On a dû le rassurer : "mais non, andouille, on l'aime vraiment ton beat". 


Pour la vidéo, Yo-Landi lui a dit qu'on ne pouvait pas garder ses scènes car il avait l'air trop gros. Alors il nous a demandé, "s'il vous plaît, laissez-moi une deuxième chance". Pendant trois semaines, il n'a rien bouffé et il était complètement affamé. Et, bien sûr, il n'est pas gros".

Le tableau ne serait pas complet si Ninja n'avait pas précisé à Pitchfork qu'il s'était fait tatouer Wat Kyk Jy, le titre du court-métrage qu'il s'apprête à tourner avec Harmony Korine, sur le pénis. Ce fut douloureux mais il en est très content. Ah oui, et ça signifie : "qu'est-ce que tu regardes ?"

Si les explications de Ninja dévoilent effectivement une dimension cachée des images d' "Evil Boy", on est en droit de se demander s'il est bien malin de couper un jeune garçon de sa communauté ou de chercher à provoquer les dames xhosas... Je ne connais pas assez la réalité de l'Afrique du Sud post-Apartheid pour en juger. Le sociologue en moi s'interroge : dans la société qui fut longtemps la plus raciste qui puisse s'imaginer, les imaginaires ont-ils des références communes, que l'on soit blanc ou noir ? Ou : cette façon de mettre en scène un tokoloshe va-t-elle plus loin que le cliché ? A défaut d'avoir la réponse, accordons au moins à Ninja un côté punk, ce qui l'autorise à se livrer à ce type de provocation sans qu'on interprète celle-ci comme un préjugé raciste.


6 commentaires:

  1. Excellent article merci pour ces précisions sur ce clip effectivement provoquant mais pas dénué de sens... apparemment ;-)

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  2. Ton article est tout simplement génial .
    Bien rédigé ... J'adore ce groupe.
    Heureux que tout cet univers décalé laisse transparaitre quelque chose de sensé !

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  3. de pire en pire , ou se trouve le respect se soi meme ?????????????

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  4. quel plaisir que d avoir les precisions utiles (lorsqu on parle aussi mal Anglais que moi) sur ce groupe que je trouve reellement de plus en plus genial. Je suis tout à fait d accord sur le fait de devoir faire attention a respecter les us et les cultures, surtout lorsqu il ne s agit pas des notres. Mais le monde va son chemin, et il est plus qu essentiel de pouvoir questionner nos origines comme celles des personnes qui nous entourent au quotidien.

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  6. ce groupe est magique et cette article me permet de confirmer la magie de ce groupe et de leurs clips

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