Riche année pour Danyel Waro, après avoir sorti Aou Amwin, un double album, il va recevoir aujourd'hui, 31 octobre, le prestigieux Womex Artist Award. Il y a deux semaines, Les Inrocks partaient en reportage à sa rencontre, chez lui à La Réunion. Il y était décrit par Stéphane Deschamps comme "un petit volcan bipède en activité depuis cinquante-cinq ans". Volcan, il a maîtrisé le feu, en pratiquant depuis l'an dernier ce rite tamoul de purification consistant à marcher sur des braises. "Sa musique fait trembler la terre, sa voix fiche la chair de poule, sa personnalité force le respect".
Dans le climat nauséabond actuel, la diffusion des propos et valeurs défendus par Danyel Waro devrait être considérée comme une mesure de salubrité publique. Il faudrait le dire et le répéter : il n'y a point d'avenir pour notre "identité nationale" hors de la batarsité !
Il n'en fallait pas plus pour que nous sortions de nos archives un entretien réalisé il y a une dizaine d'années. A l'époque, il n'avait encore sorti que deux albums et était encore réticent à l'égard du marché de la musique. C'est à cette époque qu'il accepta de donner ses interviews en français et non plus en créole. Le jour où je l'interrogeais, début 2000, au studio Davout, il venait d'apprendre quelques heures plus tôt qu'il avait obtenu le Prix Charles Cros.
Après l’intense Batarsité (au beau titre-manifeste), Danyel Waro sort son deuxième album, le tout aussi intense Foutan Fonnkér, et se voit récompensé du Grand Prix de l’Académie du Disque Charles Cros. C’est enfin l’occasion de découvrir en métropole le maloya réunionnais, percussif et vocal, et Danyel Waro, son poète rouquin à forte tête, sa voix haute et envoûtante et son créole magnifique. Le maloya est un véhicule de l’identité réunionnaise et fut même un temps interdit par les autorités. Quant à Waro, il reste rare et rebelle (insoumis), préfèrant vivre de son artisanat (la fabrication d’instruments de musique) que faire des concessions et "faire carrière". Rencontre...
Dans le climat nauséabond actuel, la diffusion des propos et valeurs défendus par Danyel Waro devrait être considérée comme une mesure de salubrité publique. Il faudrait le dire et le répéter : il n'y a point d'avenir pour notre "identité nationale" hors de la batarsité !
Il n'en fallait pas plus pour que nous sortions de nos archives un entretien réalisé il y a une dizaine d'années. A l'époque, il n'avait encore sorti que deux albums et était encore réticent à l'égard du marché de la musique. C'est à cette époque qu'il accepta de donner ses interviews en français et non plus en créole. Le jour où je l'interrogeais, début 2000, au studio Davout, il venait d'apprendre quelques heures plus tôt qu'il avait obtenu le Prix Charles Cros.
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Après l’intense Batarsité (au beau titre-manifeste), Danyel Waro sort son deuxième album, le tout aussi intense Foutan Fonnkér, et se voit récompensé du Grand Prix de l’Académie du Disque Charles Cros. C’est enfin l’occasion de découvrir en métropole le maloya réunionnais, percussif et vocal, et Danyel Waro, son poète rouquin à forte tête, sa voix haute et envoûtante et son créole magnifique. Le maloya est un véhicule de l’identité réunionnaise et fut même un temps interdit par les autorités. Quant à Waro, il reste rare et rebelle (insoumis), préfèrant vivre de son artisanat (la fabrication d’instruments de musique) que faire des concessions et "faire carrière". Rencontre...
Danyel Waro : Le maloya est aussi une revendication identitaire, une bataille pour la langue créole, pour dire qu’on est mélangé et que l’on vient de diverses souffrances. On ne connaissait pas le maloya quand j’étais petit. Seules certaines familles ont permis qu’il continue et faisaient ça en cachette, en tant que cérémonie. C’est vrai que le Parti Communiste Réunionnais a encouragé Firmin Viry à ne pas chanter que dans un cadre rituel mais cet interdit était aussi, pour une bonne part, de l’autocensure. Tout ce qui était africain, malgache ou "pays" était auto-censuré. La réussite était de devenir blanc.
Pourquoi enregistrez vous si peu ?
D. W. : L’important est qu’il n’y ait pas d’intermédiaire. Il faut être en face des gens. C’est le non-progrès. Ne pas se faire représenter, ne pas multiplier les disques commes des petits pains. Et ne pas céder à la machine, ne pas tomber dans le rendement. Il faut jouer devant les gens, transpirer avec eux. Il faut qu’avec la musique il y ait une ambiance, des odeurs. Maintenant, je sais que je suis dans un monde moderne et de communication, donc il est normal que j’utilise aussi cela. Même si je vois sur le long terme. C’est ça la spiritualité, c’est un besoin de réflexion, de respirer, un besoin de nature. On a besoin de la nature et ce n’est pas quelque chose d’écolo-bourgeois de dire ça. Moi, j’ai découvert ce besoin de nature dans les champs. En apprenant à respecter le bourgeon que je devais protéger et à vivre avec les saisons. Je considère que garder son indépendance, c’est pouvoir choisir sa vitesse. Même si c’est magique la communication et d’être là quand quelques heures plus tôt j’étais à des milliers de kilomètres...
Le maloya est à la fois traditionnel et métissé, va-t-il intégrer d’autres influences ?
D. W. : La batarsité, c’est une réalité qui n’est pas encore prise en conscience, on n’est pas encore conscient de notre richesse. Il y a encore un refus. On doit la revendiquer mais elle ne peut uniformiser car il n’y a pas un pur bâtard, il y a autant de différences qu’il y a de bâtards. Et cela veut dire l’ouverture à faire sur nous-mêmes avant même de se tourner vers le voisin. On est différent de nous-même. Il faut que ça devienne harmonie, il faut que ça s’entende parce que c’est déjà fait. Même au niveau musical, le maloya n’est pas quelque chose d’arrêté. Le tambour malbar commence à y entrer. On fera du maloya avec de la techno, et du rap mais ce qui est en nous-mêmes, on ne le voit pas. Ici, beaucoup de musiciens ne se soucient du maloya que quand ils voient Waro au Japon, et se demandent "avec sa musique boum-boum, comment y-est-il arrivé ?"...
Faites-vous une nuance entre bâtard et métis ?
D.W. : Bâtard, j’ai choisi ce mot car il est considéré comme péjoratif. Bâtard, ça suppose d’être rebelle, excommunié de sa propre communauté. C’est quelqu’un qui est sorti de sa communauté par amour. Il y a plein de bâtards, des bâtards kafs, des bâtards malbars, des bâtards chinois. Et c’est une richesse, cette gueule de bâtard, cette gueule de conflit.
Les gens qui arrivent à La Réunion, de l’extérieur, ne peuvent qu’être heureux de nous voir non pas les uns à côté des autres mais, carrément, les uns dans les autres. Il y a tous les tons et déclinaisons possibles, et ça va, ça vient, toujours les uns dans les autres. Mais il faut toujours continuer d’arroser pour que ça tienne. Et chaque part doit être redécouverte, la part kaf, la part malbar. Il faut prendre conscience de sa richesse. Il faut se dire qu’avoir plein de racines, c’est être en avance, que c’est possible. Il ne faut pas oublier l’amour dans tout ça parce que je suis là, avec ma carcasse, et sans l’amour, qu’est-ce que je fais de ma carcasse ? Et il faut que je continue de chanter le maloya car c’est ma condition de survie, l’expression de ce que je suis, de cette bâtarsité que je dois continuer de prôner pour en montrer toutes les joies et les plaisirs...
O.C.
(interview parue dans Cultures en Mouvement n°24, février 2000)
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