dimanche 6 février 2011

West Coast Theory, dans la manufacture du son

Sous-titré Behind the Hits, West Coast Theory est un documentaire de Maxime Giffard et Félix Tissier consacré à la manière dont sont composés et produits les morceaux de rap californien. Formidable voyage dans les entrailles de la bête que ce documentaire, idéal pour conclure cette semaine californienne ! A tous ceux qui ont kiffé sur les sons made in L.A. et aussi à tous ceux qui ont rejeté ce style, surtout à eux, je conseille de le voir. Contrairement aux critiques le ramenant à un truc vulgaire, violent et primaire, oubliant la musique pour se borner aux faits divers et préjugés, ce film démontrera le talent de ces musiciens et producteurs. Rappel préliminaire : la caractéristique du son West Coast, c'est le funk. Tout au long du film, c'est sa pulsation qui guide tous ses acteurs. Dans West Coast Theory, il n'est pas un instant question de gangsters, de viols, d'armes à feu, aucun cliché réducteur. Non, seule la musique et ses processus de créations intéressent ici les réalisateurs.


Nos deux french lascars emboîtent les pas de Richard "Segal" Huredia, l'ingé son de référence sur le créneau. C'est lui qui bossait sur The Chronic ! Avant cela, Dr. Dre, qui est considéré à L.A. comme leur Quincy Jones, avait "dans l'idée que son spectre sonore est trop restreint et que, s'il utilise des prises live, il pourra aller beaucoup plus loin. Dans son entourage, il a des ingés sons de l'époque de Death Row qui ne sont pas capables de passer au live et puis il y a un mexicain qui a une culture hip hop mais qui ne s'arrête pas là puisqu'il a dû enregistrer du Fleetwood Mac, du Steely Dan et ce genre de choses, c'est à dire la crème du son rock californien qui précède. 

Ce mec c'est Richard Segal Huredia qui sait enregistrer une guitare, une basse etc et qui, en plus, écoute du rap et sait comment faire sonner ça. Cette musicalité vient quelque fois d'un sample qu'ils rejouent, déjà parce que c'est moins cher mais aussi parce que ça rend le son beaucoup plus 'rond' et large". 



Figure charnière du film, le projet est d'abord né de sa rencontre. C'est autour de lui que s'articulent toutes les rencontres, c'est lui qui leur ouvrira les portes de ses collègues. Et ils sont nombreux ! Snoop, B Real, DJ Muggs, Blaqthoven, Fredwreck, Buba, Focus, Jelly Roll, Will.I.Am, Defari, Roger Lynn... Quelqu'un comme Snoop, malgré sa notoriété, tenait absolument à figurer dans le film, comme le confiaient Maxime Giffard et Félix Tissier, à l'Abcdr du Son. Après, on bascule dans une autre réalité : "Snoop, c'était une belle rencontre parce que j'avais l'impression d'être dans une tente de bédouin dans le désert. C'était une sorte de prince qui a un petit plateau d'argent sur lequel il roule ses joints. Quand t'as passé la barrière de sécurité, tu te rends compte que le mec est constamment sollicité pour une faveur. C'est presque féodal"...

Pour que tout le monde joue, enregistre, explique sa manière de faire, le son qu'il cherche, il fallait gagner leur confiance. "Ils étaient super touchés que des mecs viennent de loin pour leur parler d'autre chose que ce qui tournait autour de la mythologie West Coast, des clichés gangsta, des embrouilles, etc. L'interview était bien quand le mec avait l'impression que, pour une fois, il n'avait pas répété la même chose que d'habitude et qu'il n'a pas eu à se protéger en permanence parce qu'il était dans une posture faussement agressive.La plupart du temps, ces mecs là sont préséntés sous un air assez violent et c'était bien d'arriver chez eux à 11 h du matin, de les voir le sourire aux lèvres et content de nous recevoir. Après, ça passe aussi par rentrer dans l'univers d'un artiste. C'est typiquement le cas avec Fredwreck. Je pense que quand on le voit chez lui dans son pyjama, avec son narguilé, on comprend aussi des choses sur lui. Au-delà de l'interview, c'est important d'arriver à trouver de la vie".

Le film est riche en scènes mémorables. Ainsi quand Jelly Roll nous fait pénétrer dans ce qu'il appelle son "donjon", son studio, où il fait une démonstration sur l'art de créer un beat en ce qui semble deux coups de cuiller à pot mais représente des années de boulot.


Fredwreck qui explique comment étaient enregistrés les claps de Bootsy Collins pour qu'ils sonnent bien forts, ou qui nous fait un numéro de talk box, celle ayant appartenu à Roger "Zapp" Troutman qu'il a faite réparer. Ou encore Blaqthoven pianotant sur son clavier tout en jouant des filtres et des effets pour en moduler le son...

Ou encore le batteur Trevbeat, s'essayant à jouer des triples croches, expliquant à sa façon le concept de cercle socio-culturel, la boucle rétro-active inventée par Abraham Moles : "it takes a village to raise a child, it takes a village to make a song". Il faut un village pour élever un enfant, c'est pareil pour une chanson. Au sens où faire de la musique tout seul, c'est se priver de l'influence des autres, de la façon dont votre idée de départ sera modifiée et enrichie par les apports de chacun.

Rarement film aura été aussi didactique... pour comprendre les rouages, les maillons de la chaîne et, surtout, être dans le studio, assister à toutes les étapes de la création d'un morceau. De petites animations viennent résumer les choses et, sous leurs airs ludiques, permettent de comprendre ce milieu de manière synthétique...


Si tout le monde semble bien cool et détendu sous le soleil, la nostalgie affleure quand est évoquée la fermeture de tous les grands studios d'enregistrement, signe que l'âge d'or est envolé.

Dans cette longue interview accordée à l'Abcdr du Son, d'où sont extraites toutes nos citations, nos deux compères racontent leur périple, livrent des anecdotes sur le making of de leur film, ces anecdotes nous permettant d'être dans les coulisses des coulisses en quelque sorte. Ils donnent quelques conseils précieux, du style : "il faut éviter de fumer sur les joints de B-Real [Rires]. Notre cadreur se la jouait un peu en nous disant 'T'inquiète, je sais ce que c'est'. Il est d'origine guadeloupéenne et, après avoir tiré sur le joint de B-Real, il est quand même revenu vert fluo..."

On laisse aux réalisateurs le mot de la fin : "c'est très fréquent dans l'amateurat de critiquer ce que vont faire ces gars établis plutôt que de respecter leur boulot. Quand tu les vois travailler, tu comprends ce qui te sépare d'eux".



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