mardi 27 décembre 2011

Les Alchimistes du Son : un documentaire sur l'innovation dans la musique brésilienne


Je me lamente suffisamment de ne pas avoir accès à de nombreux documentaires réalisés sur la musique brésilienne pour ne pas manquer de signaler celui-ci. Et, même mieux, le partager ici-même. Alors, sortez le fauteuil et posez-vous, voici Alquimistas do Som de Renato Levi, d'après un scénario de Fernando Salém

, un film d'une heure consacré à l'innovation dans la musique populaire brésilienne.

Nous y découvrons des images d'archives et les témoignages entrecroisés de Tom Zé, Lenine, Arnaldo Antunes, Egberto Gismonti, Carlos Rennó ou Arrigo Barnabé. Comme il le dit en introduction, pour Lenine, le fait d'être issu d'un peuple métis et d'avoir une culture hybride pousse le musicien brésilien à l'expérimentation. Et Arnaldo souligne que le Brésil a déjà une tradition de musique populaire très sophistiquée. Et comme Arrigo Barnabé, toujours dans l'introduction, estime que les traditions n'ont pas le même poids historique en Amérique du Sud qu'en Europe, on en déduira que le Brésil est un terrain propice à l'innovation musicale.


Découpé en époques, le premier chapitre de ce film évoque João Gilberto et la bossa nova. Enfin, surtout João Gilberto. Et Tom Zé de rappeler que, quand la bossa apparaît en 1958, alors qu'il a vingt-deux ans, elle fut vraiment la folie de sa jeunesse, l'étendard de sa génération. Lenine rappelle que le Brésil était alors considéré comme le pays du futur. Brasilia, sa capitale sortait du néant imaginée par les plans d'Oscar Niemeyer, un architecte visionnaire (et communiste)*. La bossa a mis le Brésil sur la carte du Monde, comme le dit Tom Zé : "nous n'étions jusqu'alors qu'à la périphérie de la planète et le monde ignorait tout de nous puis, grâce à la bossa nova, le monde entier a su ce qu'était le Brésil"... Il nous dit combien le chant feutré de João Gilberto était tellement impensable en ces temps de chanteurs à voix qu'il fut surnommé le "ventriloque" !

L'époque suivante est celle du Tropicalisme qui introduit les guitares électriques, fait redécouvrir au pays ses rythmes régionaux, cherche du côté des musiques contemporaines et voue un culte à João Gilberto ! Mouvement culturel comme il y en eut quelques uns de par le monde à la fin des années soixante, le Tropicalisme fut considéré comme "une trahison à la nation", rappelle Tom Zé. Et en matière d'expérimentation, le lutin bahianais possède une imagination des plus fertiles. Au tout début du film, on le voit interpréter, en 1978, un de ses morceaux "Música et Músicas", œuvre avec orchestre, bandes et outils. Il intègre à sa musique des bandes, des transistors, de vrais instruments et où il fait chanter la rencontre des cloches agogô et d'une disqueuse ! Du Tom Zé en majuscule ! Comme le dit Arnaldo Antunes, ce n'est pas seulement de la musique mais aussi de la performance, pour la dimension scénique, pour l'attitude, cette intégration des objets et bruits du quotidien.


On voit des images de Caetano Veloso, en pleine période hippie, expliquer que le Tropicalisme était né d'une révolte contre les limites établies du bon goût. Ce qui demeure aujourd'hui une caractéristique forte chez lui.

C'est Egberto Gismonti qui propose une belle métaphore pour décrire la portée du mouvement. Il prend l'image de la catapulte : pour projeter quelque chose loin dans le futur, il faut d'abord qu'elle se tende vers le passé.

Est ensuite présentée la Vanguarda Paulista et ses figures comme Arrigo Barnabé et Itamar Assumpção. Apparu à la fin des années soixante-dix à São Paulo, cette scène mêlait elle-aussi les références en une musique parfois difficile. Barnabé était un musicien savant qui avait l'ambition d'introduire des éléments dodécaphoniques ou atonalistes dans la musique populaire brésilienne. Pour filer la métaphore un brin caricaturale, si Jobim c'est Debussy, alors Arrigo Barnabé, c'est Schönberg ! Entendez par là que cette Vanguarda Paulista n'a pas choisi la facilité, que sa musique n'était pas du genre à nous caresser dans le sens du poil. Mais aussi avec Itamar Assumpção et Arrigo Barnabé, même l'expérimentation peut être funky !


Dans la partie suivante, on flirte avec les musiques savantes. Pour Uakti, l'innovation passe par l'invention d'instruments originaux et fabriqués sur mesure. L'influence, entre autres, de Walter Smetak et Hans-Joachim Koellreutter est évoquée. Ce grand compositeur allemand installé au Brésil dans les années trente, a développé un enseignement dont peuvent se revendiquer Tom Zé, ou Marco Antônio Guimarães, fondateur du groupe Uakti. "J'ai eu le bonheur, dit Tom Zé, d'avoir fréquenté, dans un pays où des gens crèvent de faim, une école de musique hyper-sophistiquée qui a pu ouvrir les yeux de tant d'élèves".

Marco Antônio Guimarães souligne qu'en matière d'invention de nouveaux instruments, la richesse du monde de la percussion est infinie. Ce qui est très bien illustré par le film. Carlinhos Brown serait un représentant de cette école mais, ici, c'est Naná Vasconcelos qui fait montre de cette incroyable inventivité. Mais ce grand maître prévient : "la percussion, ce n'est pas seulement pour faire du rythme. C'est aussi pour faire des sons. Les sons de la nature, du vent, de la rivière, des animaux". On entendra en écho Hermeto Pascoal déclarer que "tout le monde veut imiter les animaux". Difficile, en effet, d'évoquer l'innovation dans la musique brésilienne sans retrouver Hermeto Pascoal.
Renato Levi, Alquimistas do Som (2003), en intégralité :


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* Il quittera d'ailleurs le pays quand celui-ci basculait dans la dictature et profitera de son exil français pour dessiner notamment le fameux siège du Parti Communiste Français, place du Colonel Fabien. Aujourd'hui centenaire, Niemeyer a également eu l'inspiration d'écrire les paroles de quelques sambas, comme nous l'apprenait BossaNovaBrasil.


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