Il arrive qu'un album connaisse une deuxième vie. Il s'agit parfois d'une perle dénichée au fond d'un vieux bac à disques poussiéreux, le rêve de tout crate-digger. Sinon ce sont les aléas de la promotion et du succès/échec qui dictent une telle renaissance. C'est ce qui se produit avec le Kinshasa Succursale de Baloji. L'album devait sortir l'an dernier sur Kraked, petit label français. Baloji raconte sur son blog comment, au dernier moment, il lui a fait faux bond :
"Kinshasa Succursale devait initialement sortir le 4 octobre 2010 en France, jour où j’étais à Paris avec 3 de mes musiciens pour une semaine de promotion. Au programme: plusieurs directs notamment sur RFI, France Inter, Le Mouv ou Africa n°1, des interviews avec des médias presse tels que Libération et les Inrocks, un single en rotation sur 3 radios et une couverture de Mondomix. Quelques minutes avant de démarrer le premier live pour Le Fou du Roi sur France Inter, j’apprenais que mon album ne sortirait pas ce jour là pour des soi-disantes questions de distribution. Sur l’instant je ne réalise pas encore bien et tente de faire front afin de privilégier la dynamique de la promo en cours. Ce n’est que plusieurs semaines après que je comprendrai qu’il n’y aura jamais de sortie avec ce label.
Au-delà de la frustration, j’ai beaucoup appris dans ce fiasco qu’il m’importe peu de détailler ici mais qui aura des conséquences réelles sur l’agenda de mes projets suivants. Malgré cette déconvenue, j’ai, avec mon équipe, continué à construire les choses avec un début de développement international du live. Avec rigueur et passion, nous avons mis sur pied plusieurs dates internationales (USA, Canada, Suède, UK, Espagne,..) qui ont porté leur fruits. En 2012, nous retournerons dans certains de ces pays mais également dans d’autres contrées. Les retours presse et média (The Guardian, New-York Times, MTV US, …) et la reconnaissance du projet par des personnalités de scènes diverses telles Gilles Peterson, Nick Cave, Questlove, Idris Elba, … m’ont aussi motivé à ne pas laisser tomber ce disque.
Aujourd’hui, plus d’un après, Kinshasa Succursale existe à l’international. Il sort ce 21 novembre sous ce label défricheur et mythique qu’est Crammed Discs. Car la maison n’accepte pas l’échec".
C'est donc Crammed Discs qui a repris le flambeau. Un mal pour un bien. Avec ce nouveau label, sous une nouvelle pochette, nul doute que Kinshasa Succursale va avoir droit à l'attention qu'il mérite. D'autant que Crammed s'est imposé comme une référence en matière de musique congolaise (tradi-)moderne. Pourtant, internet oblige, nous avions bel et bien découvert l'album du rappeur belgo-congolais dès l'an dernier. Mieux, nous l'avions vu sur scène quelques jours après qu'il n'apprenne l'abandon du projet par son label.
D'emblée, une telle œuvre s'impose comme un coup de cœur. Nous avions été saisi par l'urgence du propos, qui coïncidait alors avec le cinquantième anniversaire de l'indépendance du Congo-Kinshasa. L'histoire derrière la musique était aussi une belle aventure. Retrouvons la chronique d'alors :
Baloji passe ce soir au Zénith de Montpellier dans le cadre des Nuits Zébrées de Nova. Côté concerts, c'est un des événements locaux en ce début d'automne, l'occasion de découvrir sur scène un artiste dont le nouvel album, Kinshasa Succursale, est un vrai coup de cœur. Un album mêlant introspection sans fard et regard lucide sur le Congo, l'année du cinquantenaire de son Indépendance.
S'il apparaît sur les photos en dandy plus classe encore qu'un sapeur, s'il s'autorise même une ambiguïté que n'oserait pas un rappeur, ce ne sont pas les apparences qui importent. Car les textes de Baloji ne sont pas seulement intelligents, ils brûlent d'une urgence, urgence du propos à laquelle vient se greffer celle des conditions d'enregistrement. Seulement six jours à Kinshasa pour mettre une quinzaine de titres dans la boîte. Car à l'origine du projet, il y avait la volonté de Baloji de donner une seconde vie à certains morceaux figurant sur son album précédent Hotel Impala, en les ré-enregistrant à Kinshasa. Ils en sortent littéralement transfigurés. "A Kinshasa, il y a quelque chose de brûlant, d'intense qui bouffe la ville, la folie créatrice, ça pue la sueur. Ca m'a tellement inspiré. On voulait juste rejouer les anciens morceaux, mais au final on a fait quelque chose de totalement différent" (Vibrations n° 127).
Quelques années plus tôt, le jeune rappeur belgo-congolais avait pourtant raccroché le micro. Avec une honnêteté qui n'est pas si courante, Balo du groupe Starflam, estimait n'avoir plus rien à dire. Il s'arrêta donc de rapper. Jusqu'à ce qu'un événement particulier lui redonne une source d'inspiration depuis intarissable.
Cet événement, il l'a raconté souvent. C'est, après vingt-cinq ans de silence, une lettre de sa mère restée au Congo. Car L'histoire personnelle de Baloji est marquée par un déracinement. A l'âge de trois ans, il quitte le Congo pour la Belgique avec son père. Du coup, pendant longtemps il s'est défini comme un "Blanc aux cheveux crépus", un "Afropéen". Cette lettre fit alors office de déclic. En réponse à cette mère lointaine, il découvre en lui la matière pour enregistrer un album, Hotel Impala. Alors qu'il n'a pas mis les pieds au Congo depuis vingt ans, il se rend à Lubumbashi, pour retrouver sa mère. Il a alors la maladresse de lui offrir en guise de cadeau l'album que sa lettre lui inspira. Ce n'était pas le bon présent pour quelqu'un qui vit dans le dénuement et a d'autres jeunes enfants à nourrir. Un album ? Malaise, malentendu culturel. "Ce sont des cadeaux d’occidental, d’Européen. Ce n’est pas ça qu’elle attend. Qu’est-ce qu’elle attend ? Je suis son fils aîné, elle est veuve, j’ai cinq demi-frères et sœurs, et ils sont dans l’urgence… Ils attendent autre chose. Donc… C’était déplacé".
Ce fut une leçon et maintenant, après Hotel Impala, c'est donc l'épreuve du terrain. L'enregistrement sur place de Kinshasa Succursale. Véritable album de rencontres, sa force, outre la conviction du jeune homme, doit beaucoup à ces musiques incarnées. L'accompagnent l'Orchestre de la Katuba, la Chorale de la Grâce et la Fanfare de la Confiance. Ces apports transcendent littéralement sa musique. La comparaison s'impose puisque l'on retrouve de nombreux titres d'Hotel Impala. On voit la différence de traitement. L'intensité que leur confère le fait d'avoir été enregistré dans l'urgence avec les moyens du bord, en se pliant à la loi de l'Article 15.
Cet événement, il l'a raconté souvent. C'est, après vingt-cinq ans de silence, une lettre de sa mère restée au Congo. Car L'histoire personnelle de Baloji est marquée par un déracinement. A l'âge de trois ans, il quitte le Congo pour la Belgique avec son père. Du coup, pendant longtemps il s'est défini comme un "Blanc aux cheveux crépus", un "Afropéen". Cette lettre fit alors office de déclic. En réponse à cette mère lointaine, il découvre en lui la matière pour enregistrer un album, Hotel Impala. Alors qu'il n'a pas mis les pieds au Congo depuis vingt ans, il se rend à Lubumbashi, pour retrouver sa mère. Il a alors la maladresse de lui offrir en guise de cadeau l'album que sa lettre lui inspira. Ce n'était pas le bon présent pour quelqu'un qui vit dans le dénuement et a d'autres jeunes enfants à nourrir. Un album ? Malaise, malentendu culturel. "Ce sont des cadeaux d’occidental, d’Européen. Ce n’est pas ça qu’elle attend. Qu’est-ce qu’elle attend ? Je suis son fils aîné, elle est veuve, j’ai cinq demi-frères et sœurs, et ils sont dans l’urgence… Ils attendent autre chose. Donc… C’était déplacé".
"On a fait des rencontres incroyables, comme Rodrigue, un guitariste qui trouvait chaque riff en moins de cinq minutes, ou la fanfare de la Confiance, avec ses trombones fendus par le soleil, qui joue sur six titres. Konono N°1 a joué sur un titre, il y a eu trois coupures de courant pendant la prise, on n’a gardé que le likembe de Mingiedi. C’était compliqué, mais c’est du groove de la brousse, mon titre préféré. Kinshasa c’est une ville basée sur du temporaire. Dans Kinshasa Succursale, tout a été provisoire et tout le monde s’est adapté" (Mondomix).
Grand amateur de soul, il a voulu retrouver la transe des enregistrements "live", tous ensemble, sans overdubs, en une ou deux prises seulement, à l'ancienne. Et dans cette effervescence, il a bel et bien puisé une partie de son inspiration dans la soul. Ainsi, "Nazongi Nadko", ce titre étonnant avec les vétérans de Zaïko Langa langa et... Amp Fiddler, inspiré par Marvin Gaye. Baloji raconte qu'en effet, quand son père lui fit quitter le Congo, c'était pour l'emmener au pays de Marvin Gaye. "Quand j’ai eu ma mère en ligne, elle m’a dit 'je t’ai vu à la télé, sur MCM Afrique. On m’a dit que tu faisais de la musique, je t’ai tout de suite reconnu, j’ai toujours su que tu ferais ça : ton père m’avait dit qu’il t’emmenait au pays de Marvin Gaye'. Après m’avoir dit ça, j’hallucine un peu… C’est une métaphore, le sens de la formule comme on peut avoir dans le rap… Je suis arrivé en 1981 avec mon père, je vivais à Ostende, et effectivement Marvin Gaye vivait au même endroit. C’était un point de départ intéressant. Et ensuite j’ai découvert ce morceau de Marvin Gaye qui termine l’album, et putain c’est prophétique ! 'I’m going home to see my mother, I’m going home to see my dear old dad'… J’ai pris ce morceau comme s’il avait été fait pour moi".
Soul, funk bien sûr, intensément funk, plein de sa sueur, rumba, Baloji peut tout se permettre accompagné de ces formations bouillonnantes, porté par cette bande-son de feu. Cette musique incandescente couvre un flow peut-être un peu convenu, rattrapé par une impeccable diction. Indispensable pour saisir des textes riches de sens. Car c'est un regard d'une rare maturité que pose Baloji sur notre monde. Même sa reprise de "Indépendance Cha Cha", le "tube" pan-africain des Indépendances signé par Grand Kalle, est détournée pour faire sens, alors que la plupart de ses collègues n'en aurait tiré qu'un gimmick aguicheur, un refrain accrocheur. Lui l'utilise pour illustrer sa réflexion sur le contexte d'aujourd'hui, cinquante ans après cette indépendance du Congo.
"J'ai repris cette chanson fédératrice, symbole de la crédulité des prémices /
Pour que les démocraties progressent, il faut qu'elles apprennent de leurs erreurs de jeunesse"
Dans une interview à Mondomix, il explique son choix et les conditions dans lesquelles il a pu l'enregistrer : "la mélodie est incroyable et c’était un challenge intéressant. Je suis arrivé avec les textes écrits, il fallait juste qu’on trouve les interprètes… Mais ni l’arrangeur ni les musiciens ne voulaient mettre ces paroles sur ce titre parce que c’est un monument, qui fait partie du patrimoine musical. Je dis qu’après l’indépendance, le temps s’est arrêté au Congo. On a vraiment cette impression à Kin, parce qu’il y a très peu de constructions modernes. Tout date de l’époque coloniale : du chemin de fer aux institutions, c’est incroyable. Les musiciens étaient d’accord avec mon texte, mais ils avaient peur des représailles. Les services secrets, c’est certainement le truc qui marche le mieux au Congo. Ce sont les seuls à être « aware » comme on dit là bas. Finalement, à force de quatre heures de discussion, on les a convaincus de jouer".
Et en parlant de jouer, je suis impatient de le découvrir sur scène ce soir, en espérant que seront de la partie l'Orchestre de la Katuba, la Fanfare de la Confiance et la Chorale de la Grâce !
O.C. (8 octobre 2010)
Merci pour ce post / j'adore cette chanson
RépondreSupprimerhey hey independence :)