mardi 20 décembre 2011

Anelis, ou comment la fille d'Itamar Assumpção s'est fait un prénom


Si São Paulo est devenu la capitale culturelle du Brésil et abrite aujourd'hui une grande diversité de scènes musicales, le phénomène est encore récent. De cette nouvelle génération pauliste, certains musiciens revendiquent l'héritage du premier mouvement indépendant issu de la ville, la Vanguarda Paulista. Un mouvement avant-gardiste tourné vers l'expérimentation pour s'émanciper des carcans dominé par les figures d'Itamar Assumpção et d'Arrigo Barnabé. Parfois, au sein de cette relève, les liens avec la Vanguarda Paulista sont carrément filiaux. Ainsi Iara Rennó est-elle la fille de la chanteuse Alzira Espindola et du parolier Carlos Rennó, tous deux acteurs de cette scène. Tulipa Ruiz est la fille d'un musicien d'Itamar Assumpção. Quant à Anelis, une des filles d'Itamar en personne, elle a sorti cette année son premier album.


Lancé au printemps dernier, Sou Suspeita Estou Sujeita Não Sou Santa a été depuis mis à la disposition du public par Anelis, en téléchargement gratuit (mp3 320kbps) sur la Musicoteca. Ce qui est le prétexte pour qu'on en parle : il vous sera facile d'aller vous le procurer ! Pour des débuts, elle a mis la barre assez haut. Avait-elle le choix ? Non. Quand on est la fille d'un musicien culte, on est attendu au tournant. C'est d'ailleurs la voix d'Itamar Assumpção que qui ouvre cet album de façon magistrale avec l'excellent "Mulher Segundo meu Pai". Un titre inédit de celui-ci qu'elle interprétait déjà en 2005 sur l'album Filme Brasileiro de son premier groupe, Dona Zica. Un groupe indépendant de São Paulo clairement en avance de quelques années sur son temps. Et pour souligner l'inscription familiale, Anelis a également invité sa sœur Serena et sa fille Rubi !

S'il est parfois considéré comme un artiste maudit", le "maldito da MPB", Itamar Assumpção est donc une légende. Un documentaire vient d'ailleurs de lui être consacré, Daquele Instante em Diante. Outre son œuvre majeure, Itamar s'est illustré pour avoir, parmi les premiers, voulu s'affranchir des majors. Il était rebelle à ce système et donc dérangeant. La liberté artistique a un prix et ce combat, son combat, n'était pas encore à l'ordre du jour pour ses pairs musiciens. Aujourd'hui, sa démarche trouve un écho au sein de la nouvelle génération qui peut se revendiquer de lui. On ne s'étonnera donc pas qu'Anelis ait sorti ce premier album sur un label indépendant. Ni qu'elle le propose désormais en téléchargement gratuit. Si Itamar était encore là*, nul doute qu'il aurait été le premier à inciter sa fille à adopter une telle démarche !

S'adapter à un nouveau modèle de diffusion de la musique est une chose, encore faut-il signer une œuvre exigeante pour être à la hauteur d'un tel pedigree. C'est là que les choses se corsent car il n'est pas aisé de se faire un prénom. Mais sur ce plan-là aussi, Anelis réussit brillamment ses débuts en solo. Sous ses airs de gamine espiègle, à trente ans, elle a déjà un long parcours dans la musique : encore adolescente, elle accompagnait déjà son père sur scène aux chœurs, avant d'être de l'aventure Dona Zica, formation où elle retrouvait sa copine d'enfance Iara Rennó, autre enfant de la balle.


Ce premier album a visiblement été longuement mûri et les morceaux déjà rodés sur scène depuis plusieurs années. Car Anelis signe là un disque d'auteur, composant la plupart des titres. Et ils sont nombreux ! Quand la très grande majorité des albums brésiliens semble encore marquée par les traces d'un phonograph effect qui limite à douze le nombre de chansons et à une quarantaine de minutes la durée, elle signe un "double-album" de plus d'une heure et dix-sept morceaux**. Un telle durée étant peut-être une façon de conjurer la pression ou de démontrer qu'elle tient la distance.

Sou Suspeita... est aussi l'accomplissement de son travail de chanteuse. Elle est impeccable dans tous les registres, y compris le rap (ce qui ne surprendra personne : elle anime en effet l'émission Manos e Minas consacrée au rap et aux cultures urbaines). Sa voix ne souffre ici aucune comparaison, même quand elle s'entoure de ses consœurs CéU, Thalma de Freitas ou Karina Buhr.

Entre les ballades et le reggae et ses grosses basses, se glissent sans perdre le fil ni la cohérence globale du projet des touches jazzy rétro sur "One Day", rock ou afros sur "Sonhando". Pour donner corps à ce répertoire, lui donner un son, elle est accompagnée d'une formation particulièrement pointue dont la moitié des membres appartient au groupe de reggae pauliste Rockers Control, paraît-il le meilleur de la ville : Cris Scabello (guitare), Mau Pregnollato (basse) et Bruno Buarque (batterie). Elle s'inscrit aussi dans la lignée familiale puisqu'on trouve également à ses côtés Lelena Anhaia (guitare) et Simone Sou qui avaient fait partie des Orquídeas do Brasil, le groupe féminin qui accompagna Itamar. Les invités sont nombreux et contribuent à étoffer la texture sonore de ce disque. Citons simplement Curumin à la batterie (son mari à la ville) ou Daniel Ganjaman aux claviers...

A côté de morceaux reggae qui trouveraient sans mal leur place sur la bande-son ensoleillée de nos humeurs légères, les ballades sont inspirées, de vraies chansons. Anelis Assumpção nous offre un album où les trames sont complexes et qui s'avère si dense que les écoutes ne l'épuisent pas mais en révèle toute la riche matière. Une vraie révélation.


Anelis, Sou Suspeita Estou Sujeita Não Sou Santa (2011) 

@ Musicoteca (mp3 320 kbps)

01. Mulher Segundo Meu Pai
02. Bola Com Os Amigos
03. Amor Sustentável (avec Gero Camilo)
04. Passando a Vez
05. Deita I
06. Secret (avec Céu et Thalma de Freitas)
07. Neverland (avec Céu)
08. Sonhando (avec Karina Buhr et Flávia Maia)
09. Estrela
10. Quaresmaira (avec Alzira E)
11. One Day (avec Cris Scabello)
12. Alta Madrugada (avec Céu et Thalma de Freitas)
13. Deita II
14. Luz Nos Meus Olhinhos
15. Paixão Cantada (O Urso da Cara Brilhante)
16. O Importante é o que interessa (avec Lurdez da Luz et Rodrigo Brandão)
17. Como é Gostoso

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* Itamar Assumpção est décédé en 2003, à cinquante-trois ans seulement.
** Macunaima, le très ambitieux premier album de son amie Iara Rennó, inspiré du roman de Mario de Andrade, avait également la durée d'un double-LP.

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