jeudi 15 décembre 2011

FFF : quand le funk français était adoubé par George Clinton (1991, vingt ans après)


"Leurs cauchemars sont nos rêves, 
leurs peurs sont nos espoirs. 
Dès que nos tempos résonnent, 
ils sont dans le brouillard. 
Je dédicace ce couplet 
à tous les bourgeois de la terre, 
se sent concerné qui doit, ou qui veut
(FFF, "Tout pour le Kifff")

Il serait impensable de boucler cette rétrospective sur 1991*, vingt ans après, sans rendre hommage à FFF dont le premier album, Blast Culture, est sorti cette année-là. Plus encore que sur disque, les découvrir sur scène fut une claque monumentale ! Car avant d'être adoubé par George Clinton, FFF, la Fédération Française de Funk, a chauffé les salles avec une saine fureur !


Avec FFF, il faut commencer par le début et dire l'impact incroyable de leurs concerts. Avant de découvrir leur premier album, je les avais vu sur scène. Lors de je ne sais plus quelle soirée, j'avais aussi remarqué sur les murs de l'Hopital Ephémère, dans le XVIIIe, des affiches annonçant : "FFF, ils arrivent". Ou un truc dans le genre... Se replonger dans cette époque, le début des années quatre-vingt-dix, c'est se souvenir qu'il y eut sur Paname un petit microcosme dédié au revival funk. Un funk placé sous les meilleurs auspices, allant biberonner à la meilleure source, pas celle d'un moonshine frelaté mais celle des purs millésimes, celles des cuves de master blenders. Au sein de ce microcosme, si Juan Rozoff avait la flamme, les deux groupes majeurs étaient sans conteste FFF et la Malka Family, récemment présentée ici en plusieurs épisodes.

Les deux formations se détachaient mais étaient assez complémentaires. Quand Malka poussait loin le bouchon du bordel ambiant tout en cultivant la disponibilité de guys next door, FFF semblait taillé pour le succès. D'ailleurs, ils ont tout de suite signé chez Sony ! Il est plus facile de gérer six gars que douze, en termes d'image et de marketing s'entend ! Le problème de Malka était bien là : comment construire sa carrière quand il faut partager les cachets à parts égales entre une bonne douzaine de gars ! Certes, FFF était deux fois plus nombreux qu'un power trio mais deux moins que Malka. Et, surtout, le groupe possédait sa star, sa personnalité charismatique capable d'être sur le devant de la scène et tirer les autres comme une locomotive. Marco Prince était une vraie bête de scène. Le type qui démarre la journée en arrosant ses céréales d'une bonne rasade d'égo-trip. Mais suffisamment malin pour cultiver la mégalomanie au second degré, parce qu'il sait très bien qu'elle est le bagage minimum pour qui prétend chanter dans un groupe de funk ! Le refrain du premier titre de l'album, quand un chœur de nanas chantent : "Marco, viens m' chercher", est à prendre dans ce sens-là. Humilité et grand spectacle ne font pas bon ménage.


Alors oui, quand j'ai vu débarquer ces types sur scène, ce fut une bonne claque. Si Marco Prince était le chanteur qui faisait défaut aux autres formations, et qui en plus jouait du trombone, la palme d'argent de la présence la plus forte revenait tranquillement à Niktus, le bassiste. La première fois que je l'ai vu, j'ai à demi-halluciné : avec son manteau de plumes blanc (le même que dans le clip ci-dessous), ces énormes bagouzes à tous les doigts, on aurait cru un Lemmy échappé de Mötörhead pour empoigner la basse de Bootsy ! Et le type demeurait imperturbable sur scène, planté droit, impassible : il nous rappelait que l'art du cool commence par savoir rester de marbre et ne rien laisser passer de ses émotions. J'apprenais ensuite qu'il était un ancien de Cosmic Wurst, un groupe de hardcore mené par Pat Ca$h, un des types qui donnait l'air d'être parmi les plus branchés de Paname (il organisait des fêtes et était dans la mouvance de Nova-Actuel) mais avait aussi des airs de poseur tête à claque. Nicolas Baby, alias Niktus, était d'ailleurs à l'origine de FFF. C'est lui et Marco Prince qui ont commencé à jouer ensemble avant que ne se greffent au projet Krichou Montieux à la batterie, Yarol Poupaud à la guitare, Philippe Niel, aka "Félix", aux claviers, et "Pinpin" au saxophone. Ce dernier était un rescapé de la génération précédente, Philippe Herpin (de la Croix Herpin pour l'état civil) avait en effet joué dans Marquis de Sade, emblématique formation de la new wave rennaise.


Le moins qu'on puisse dire, c'est que FFF la jouait musclé. Plus que du funk, comme leur nom, splendide trouvaille, le laissait croire, ils disaient jouer du fonck ! A savoir un mélange de funk et de rock. Et, en matière de rock, ils pouvaient compter sur un guitar hero littéralement déchaîné : Yarol Poupaud, frère de l'acteur Melvil. J'avais à l'époque un ami qui me disait répéter dans le local mitoyen de celui de FFF : l'enfer ! Ils étaient tellement à donf et jouaient tellement fort que c'était juste impossible de s'entendre. Et à ce petit jeu, je soupçonne Yarol d'avoir été le premier à pousser le volume de son ampli. Sur scène, c'était la même chose : il lui était difficile de mettre fin à un solo ou une envolée bruitiste. En matière de raffut, Krichou n'était pas loin derrière. Il faisait partie de ces batteurs pour qui la performance est également physique. Notre grand costaud à dreadlocks tapait comme un malade. Je l'ai vu une fois sur scène pour son projet Liquid, dans mon souvenir plutôt drum n bass, rivaliser avec une boîte à rythmes et il faut dire que c'était assez impressionnant.

FFF ? Qu'on n'aille pas dire qu'ils se la pétaient. C'est juste que ça faisait partie du job et, en la matière, ils assuraient grave et avaient une sacrée allure.

Dans la foulée de Blast Culture, un album produit par Bill Laswell, ma chère, il ne passa pas inaperçu que l'on retrouve George Clinton dans le clip de "New Funk Generation". Mieux, de son épée, il les adoubait au pied du Sacré Cœur. Waaahhh, trop la classe !!! A ce stade, je précise que le chauvinisme n'a que peu à voir avec le patriotisme, encore moins le nationalisme, surtout avec celui qui nous est emballé-pesé par le gouvernement, ce truc qui pue la xénophobie. En voyant Clinton dans le clip de FFF, on était juste fier, c'était une reconnaissance de ce qui se passait ici en matière de funk. Certains en ricaneront aujourd'hui mais il y a vingt ans, c'était juste inespéré. Dans la foulée, le groupe fut admis au sein de la Black Rock Coalition. Là encore, c'était historique. Dites-moi si je me trompe mais je ne pense pas qu'un autre groupe français ait jamais été invité à faire partie de cette confrérie.

Tant pis s'il n'est pas toujours un poète inspiré, Marco Prince a signé sur Blast Culture des refrains définitifs comme : "Mama Fonck, plus fonck que toutes les mamas" ! Eh, qu'est-ce que vous voulez ajouter à ça ! Quant à son veni vedi vici, c'était presque la devise de toute une génération : "FFF vit, a vécu et vivra : TOUT POUR LE KIFFF !!!

Sorti en 1993, Free For Fever, leur deuxième album, était encore meilleur. Une bombe indémodable, un boucan d'enfer, une déflagration qui n'a pas pris une ride. On en reparle pour ses vingt ans ?


Quand j'ai acheté l'album, c'était en double-vinyl. Outre l'album, il y avait un disque live en bonus. Si j'arrive à le faire ripper d'ici la fin du mois, je vous le propose en téléchargement. C'est un témoignage historique de ce formidable bruit de funk et de rock que jouait FFF.
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* J'espère encore trouver le temps de présenter le premier album de Galliano, emblématique de l'acid-jazz et du premier label de Gilles Peterson, Talkin Loud !

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