Dimanche, nous avons appris le décès de Solomon Burke. Perçu depuis cet humble blog, il y a quelque ironie à évoquer celui qui était le dernier géant de la soul alors que, depuis quelques semaines, nous honorions la mémoire de Candeia, autre géant, majestueux sambiste cloué dans un fauteuil roulant. Solomon Burke lui aussi était, depuis quelques années, condamné au fauteuil. Dans son cas, c'était en raison d'une obésité invraisemblable. Mais ce n'est pas seulement parce qu'il pesait près de deux-cents kilos que Solomon Burke était bigger than life. Lui aussi était un "Roi". Le "King of Rock and Soul". Il s'en était donné les apparats. Sur scène, il se présentait sur un trône, avait une couronne, un sceptre ! Il était, selon Jerry Wexler dont l'avis ne peut-être qu'éclairé, "le meilleur chanteur soul de tous les temps". Lui qui était proche de Sam Cooke et James Brown n'avait plus aucun pair de sa stature.
A la différence de James Brown, Otis Redding et autres, Solomon Burke n'était pas reconnu par le grand public pour un album marquant, ou même un morceau particulier. Son plus grand tube, sa seule œuvre universellement célèbre, l'est devenue grâce à la reprise des Blues Brothers : "Everyboody Needs Somebody to Love", et peu de gens savaient qu'il en était l'auteur.
Des tubes, pourtant il en avait eu, "Just Out of Reach (of my two empty arms)", "Cry to me"... Selon Jerry Wexler, c'est grâce à lui et ses disques qu'Atlantic a pu se maintenir à flot entre 1961 et 1964. Mais la carrière de Solomon Burke a toujours fonctionné par cycles. Depuis quelques années, il avait bénéficié d'un spectaculaire regain d'intérêt du public. Il fut admis au Rock 'n' Roll Hall of Fame. En 2002, son album Don't Give Up On Me, produit par Joe Henry, réunissait des compositions de Bob Dylan, Elvis Costello, Van Morrison ou Tom Waits, excusez du peu. Il reçut le Grammy du Meilleur Album de Blues cette année-là. J'ai croisé plusieurs personnes ayant assisté à un de ses concerts, à l'occasion d'une récente tournée, et qui insistaient pour dire l'incroyable générosité qui se dégageait de chacun de ses passages sur scène, des moments qui leur resteraient longtemps comme le souvenir d'un moment fantastique.
Des tubes, pourtant il en avait eu, "Just Out of Reach (of my two empty arms)", "Cry to me"... Selon Jerry Wexler, c'est grâce à lui et ses disques qu'Atlantic a pu se maintenir à flot entre 1961 et 1964. Mais la carrière de Solomon Burke a toujours fonctionné par cycles. Depuis quelques années, il avait bénéficié d'un spectaculaire regain d'intérêt du public. Il fut admis au Rock 'n' Roll Hall of Fame. En 2002, son album Don't Give Up On Me, produit par Joe Henry, réunissait des compositions de Bob Dylan, Elvis Costello, Van Morrison ou Tom Waits, excusez du peu. Il reçut le Grammy du Meilleur Album de Blues cette année-là. J'ai croisé plusieurs personnes ayant assisté à un de ses concerts, à l'occasion d'une récente tournée, et qui insistaient pour dire l'incroyable générosité qui se dégageait de chacun de ses passages sur scène, des moments qui leur resteraient longtemps comme le souvenir d'un moment fantastique.
La vie de Solomon Burke est un roman. Celui-ci a déjà été en partie écrit par Peter Guralnick dans son livre Sweet Soul Music. Si en raison de son sujet, plus large, cet ouvrage n'est pas une biographie, le chapitre consacré à Burke s'en détache. Il est d'ailleurs le "parrain" du projet : "et comment voulez-vous faire un livre sans parler au Roi de la Soul ?". "Je rencontrais Solomon peu de temps après, écrit-il, et je compris qu'il avait raison : je n'aurais pas pu écrire ce livre sans avoir parlé au Roi. Il était exactement comme je l'avais imaginé à travers sa musique, et même plus encore - à tous égards plus grand, plus chaleureux, plus truculent".
Comme l'écrivait Philippe Garnier pour Libération, "ce livre est si bon qu'il peut survivre à la photo page 26 dont pourtant peu d'auteurs se relèveraient - une photo qui en dit long aussi sur le projet : niché sous l'ample aisselle de l'immense Solomon Burke, on y voit sourire un Guralnick en chemise à carreaux, jeans, front dégarni, dégageant autant de soul et de classe qu'un chihuahua bouilli".
La vie de Solomon Burke regorge d'anecdotes incroyables et le "chihuahua bouilli" se fait un plaisir de les recueillir et nous les narrer. Sous nos yeux apparaît un type incroyable, jamais à court de ressources. Eleanor, sa grand-mère visionnaire, lui avait prédit une vie qui enchaîneraient succès et sévères revers de fortune. Cette grand-mère joua un rôle essentiel dans sa vocation. Déjà douze ans avant sa naissance, il lui était apparu en rêve. Ce qui l'inspira pour fonder une Eglise, le Temple de Salomon : Solomon's Temple : The House of God for All People ! Déjà guide spirituel avant même d'être né ! Comme Sam Cooke, il a la vocation tout gamin, il n'a même pas dix ans qu'on le surnomme déjà le "wonder boy preacher". On devine dès lors qu'il incarne cette ambiguïté, ce va-et-vient, entre le sacré et le profane, le gospel et la soul. Car Solomon Burke pouvait tout chanter, comme il le rappelait au convaincu Guralnick. "Tu dois te rappeler ça : j'étais capable de tout chanter". Country, ballades, soul, gospel, "du plus pur ténor aux basses les plus vibrantes". Et comme le remarque Guralnick, "il est surprenant de n'y trouver aucune inflexion raciale ni aucun accent religieux appuyé, quand on pense que ce chanteur allait être si impliqué dans la création de la soul". "Il était capable de faire se dresser une salle comme peu en sont capables. Et ce n'était pas pour le decorum : "ma seule présence suffisait. Je n'avais qu'à apparaître. Pas besoin d'une quelconque atmosphère particulière. Toutes ces chansons faisaient partie de ma vie, des choses que je vivais".
S'il dirigeait aujourd'hui une église, c'est à la marge de la religion qu'il exerce son premier métier : thanatopracteur dans l'entreprise de pompes funèbres de son oncle. Après une escapade vers la chanson qui tourne mal et qui le renvoie à la rue, il retournera vers cette activité et fera même fortune comme entrepreneur de pompes funèbres. Mais, comme l'avait prédit la grand-mère, entre revers et pics de gloire, la vie de Solomon Burke ne manque pas de rebondissements.
Personnage à part, même dans les périodes les plus fastes de sa carrière de chanteur, il menait toujours plusieurs affaires de front. Et Solomon Burke de raconter pour la millième fois à Guralnick ces histoires qui, quelles qu'en soient les variantes, étaient toujours vraies*. Ainsi, c'est l'invraisemblable stock de pop-corn qui se retrouve un jour en sa possession et qu'il obtient de pouvoir vendre dans la salle où il se produit. Ce sont les incroyables provisions de sandwiches et boissons qu'il embarque pour une tournée en bus dans les états du sud qu'il essaie de vendre à un prix raisonnable à ses comparses embarqués... "Je vais être assez bon pour vous vendre à tous des sandwiches. Un sandwich, un soda, un hot dog pour seulement 5$, et les chips sont offertes !" Lesquels refusent, préférant aller se ravitailler à la prochaine halte. Où ils découvrent les interdits liés à la ségrégation et, bredouilles, se voient reprendre le bus le ventre vide. Où pour le coup, ils sont ravis de pouvoir acheter les sandwiches du bon Solomon... qui leur annonce alors "un sandwich, le soda et un hot dog – 9$, et seulement 1$ pour les chips!"
Pour The Independent, le journaliste Robert Chalmers avait eu l'occasion de rencontrer Solomon Burke dans son église de South Central, L.A., et lui avait même posé les questions qui fâchent. Enfin, qui en auraient fâché d'autres que lui, inébranlable du haut de sa sagesse roublarde...
Chalmers le titillait : "l'humilité est un pilier de la foi, n'est-ce pas ? Vous devez rester humble, modeste.
- Tout à fait.
- Si j'évoque ce sujet, c'est parce qu'il y a une ou deux choses qui me dérangent chez vous...
- Comme quoi ?
- Eh bien, je ne sais pas : votre trône doré, votre couronne, votre spectre...
- Mon trône symbolise plusieurs choses. Il indique que je suis sous la direction de Dieu...
- La façon dont on vous appelle "King Solomon" sur votre site internet.
- Nous sommes tous rois.
- Non, nous ne le sommes pas.
- Nous le sommes.
- Je ne le suis pas.
- Mais si tu l'es. C'est simplement à toi de l'accepter. Mais si tu me dis que tu préfère être duc, eh bien sois un duc, c'est comme tu préfères...
- Ce n'est pas ce que je mets sur mes en-tête.
- Pourquoi pas ? Pourquoi tu n'essaierais pas, pour voir ce qui se passe ? Et que tu essaies ou pas, à partir de maintenant je vais t'appeler Duc Chalmers".
Qu'est-ce que vous voulez répondre à cela ? Il y a une réelle démesure chez Solomon Burke, bien entendu pas seulement physique. Il en faut plus pour désarçonner notre homme. Chalmers tentera bien de remettre le sujet sur le tapis...
"- Vous dites : 'Dieu m'a mis sur ce trône'. Qui vous a mis dans ce fauteuil roulant ?
- Dieu. Dieu m'a mis dans ce fauteuil roulant.
- Et quel était son message quand il a fait cela ?
- (en riant) 'Tu es trop gros!' "
"- Vous dites : 'Dieu m'a mis sur ce trône'. Qui vous a mis dans ce fauteuil roulant ?
- Dieu. Dieu m'a mis dans ce fauteuil roulant.
- Et quel était son message quand il a fait cela ?
- (en riant) 'Tu es trop gros!' "
à suivre...
* Peter Guralnick disait : "Solomon Burke est un des plus grands fabulistes que j'aie jamais rencontré. Ses histoires contiennent une vérité plus saisissante que ne l'aurait révélé le seul récit des faits. Il possède une mémoire photographique. Au long des ans, il ne m'a jamais raconté une histoire qui ne s'appuie pas sur une base réelle solide et des faits avérés".
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