lundi 21 mars 2011

Pourquoi le Site internet de Maria Bethânia crée une gigantesque polémique


Une polémique agite le Brésil depuis quelques jours. Depuis qu'on y apprit que Maria Bethânia allait pouvoir toucher près de 1,3 millions de reais, soit près de 550 000 €, pour mettre en ligne un site sur internet. La somme laisse effectivement rêveur.

Il faut préciser que la polémique n'est pas tant liée à la somme en elle-même mais à sa provenance et à la façon dont un tel négoce fut rendu possible. Pour obtenir une telle levée de fond, le projet de Maria Bethânia a été approuvé par le CNIC, la Commission Nationale d'Encouragement de la Culture (la Comissão Nacional de Incentivo à Cultura). Cette commission a notamment pour rôle de sélectionner les projets qui, selon elle, mérite de bénéficier de la Loi Rouanet. Cette loi a été créée pour inciter les entreprises à devenir des mécènes culturels sous couvert d'avantages fiscaux, toutes leurs donations étant déductibles d'impôt. Intention louable en soi mais qui suscite la critique suivante : ce sont ceux qui en auraient le moins besoin qui en profitent le plus, à savoir les artistes déjà les plus célèbres. Au hasard, pour ne citer qu'eux, Caetano Veloso ou ici sa sœur Maria Bethânia. Cette dernière avait déjà bénéficié de profits remarquables grâce à la Loi Rouanet lors de la tournée qu'elle effectua, en 2007, avec Omara Portuondo et qui rapporta 1,8 million de reais.

Pour être honnête, contrairement à ce qu'on entend parfois, c'est un site internet et non un blog que va créer Maria Bethânia. Il s'appelera O Mundo Precisa de Poesia (le Monde a besoin de Poésie, ndla). Elle l'alimentera quotidiennement d'une vidéo où elle dira un texte ou une poésie. Pour l'accompagner, l'anthropologue Hermano Vianna assurera la coordination du projet et le réalisateur Andrucha Waddington dirigera les vidéos.

J'ai suffisamment d'admiration pour les Veloso, Caetano et Maria Bethânia, pour m'autoriser la critique. Je n'oublierai jamais que leurs vieux albums furent mes portes d'entrée sur la musique brésilienne dans toute sa richesse et sa diversité. Pour dire combien ces artistes me sont importants, je dirai simplement que je regrette encore de n'avoir pu descendre du car à Santo Amaro, leur ville natale, lors de sa brève halte sur la route de Cachoeira. Pour l'anecdote, dans ce même car, j'étais justement en train de lire le livre de Caetano, Verdade Tropical, éminemment de circonstance. Ceci posé, je me permets donc de dire que Caetano est désormais d'une prétention et d'une arrogance stupéfiantes, n'envisageant plus sa place dans la musique brésilienne autrement que comme celle de nombril autour duquel tourne tout le reste. A l'inverse, je voyais encore Maria Bethânia comme une belle personne. Il y a quelques années, le documentaire de Georges Gachot qui lui était consacré, Musica é Perfumé en témoignait. Alors, je ne sais que penser, j'ai du mal à reconnaître l'image que je me faisais d'elle dans ce portrait la montrant âpre au gain. Pour moi, ça ne colle pas mais les faits sont têtus...


Si une partie du public et des médias crie au scandale, d'autres préfèrent décortiquer le projet pour démontrer qu'il n'y a rien de choquant dans tout cela. On apprend déjà que Maria Bethânia elle-même ne touchera que la moitié de la somme, soit 600 000 R$, plus 36 000 pour des "recherches", soit un total d'environ 268 000 €, le reste étant partagé entre les autres intervenants et les divers coûts de production. Les gens sont choqués en se disant qu'un blog ne coûte quasiment rien mais les tournages, par exemple, sont plus onéreux. Un article relativisait la somme en calculant que chaque vidéo ne coûterait finalement que 3 480 R$, soit même pas 1500 €, une broutille. Andrucha Waddington, le réalisateur à venir de ces vidéos, s'offusque même des réactions en rappelant que "la finition  audiovisuelle des vidéos sera de première qualité. Les gens s'étonnent quand on parle de ça parce que c'est destiné à internet, comme si c'était quelque chose de mineur. (...) Si ça avait été un film ou un documentaire qui ne serait vu que par cinq mille personnes, on n'aurait rien trouvé à y redire".

Certes, certes mais ce qui choque visiblement le plus, c'est le biais par lequel elle a obtenu ses fonds, cette fameuse Loi Rouanet, synonyme de niche fiscale. D'autant que la commission du Ministère de la Culture aurait rejeté dans un premier temps son projet et que c'est Juca Ferreira, alors ministre de la Culture, qui fit annuler sa décision pour finalement avaliser le projet. Une forme de passe-droit qui donne un argument de poids à ceux qui considèrent que cette loi ne profite qu'aux artistes déjà reconnus... Ana de Hollanda, l'actuelle ministre de la Culture, a tenté de désamorcer la polémique, en vain. J'ignore le bilan de la Loi Rouanet, j'ignore si elle a permis de soutenir des artistes débutants ou plus confidentiels. Je crains qu'elle ne soit une bonne illustration du proverbe "on ne prête qu'aux riches".

Toutefois, si le projet a reçu l'aval du CNIC pour trouver des mécènes, selon Jorge Furtado, cinéaste gaucho, "rien ne garantit qu'après être allé mendier auprès de l'élite entreprenariale brésilienne, le plus fréquemment illettrée, les producteurs du blog réussissent à rassembler une telle somme. Le plus probable est qu'ils soient obligés de revoir le projet à la baisse". Farouche défenseur de la Bethânia, Furtado dénonce dans cette polémique les préjugés encore liés aux Nordestins et Bahianais dans lesquels se vautre et se complaît le "ghetto blanc pauliste de droite qui pense que la poésie n'est que charabia".

Depuis toujours, Maria Bethânia intègre la poésie dans ses spectacles et albums, mais depuis qu'est née cette polémique sur son "blog", une représentation de son spectacle de lectures, Bethânia e as Palavras, spectacle qui a inspiré le projet de site, programmé à Vitoria en octobre, est dores-et-déjà annulée.

En attendant que Maria Bethânia s'exprime, cette polémique a au moins le mérite de déclencher une avalanche de commentaires sur les forums. Les avis contradictoires s'y confrontent joyeusement. Personnellement, j'ai du mal à reconnaître cette grande dame dans le portrait à charge présenté par certains. Si elle avait été à ce point attirée par l'argent, elle aurait fait des disques plus commerciaux et, surtout, ne se serait pas échinée à faire découvrir au public brésilien les grands poètes lusophones...

Aux dernières nouvelles, je n'ai encore jamais demandé la moindre subvention pour soutenir le grand projet culturel qu'est ce blog.


Pour en savoir plus...
Un article de Globo qui essaie de présenter les enjeux nichés dans cette polémique.
Anti : un texte très polémique de mon ami Juremir Machado da Silva qui écrit sur son blog publié par le quotiien de Porto Alegre, O Correio do Povo : "comment peut-on dépenser 1,3 millions de R$ dans un blog de poésie ? Uniquement en payant les lecteurs".
Pro : La défense acharnée de Jorge Furtado, qui soutient ardemment le projet de Maria Bethânia, sur le site Casa de Cinema de Porto Alegre, allant jusqu'à dire qu'après cette confusion, c'est le Gouvernement qui devrait financer le projet et lui offrir un beau bouquet de roses pour sa mauvaise gestion de l'affaire...

4 commentaires:

  1. Peut-être que Marie Bethânia va exprimer clairement ses opinions ?
    C'est une artiste avant tout !

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  2. Je n'apprécie pas beaucoup Maria Bethânia, ni artistiquement, ni personnellement. Sa reputation ds la communauté des musiciens est execrable et c'est vrai quelle et son frère filent un drôle de coton, a la façon des bourgeois de Brel.
    En l'espèce, j'y vois quand même un mauvais procès. Et les sommes en cause, une fois payées les videos sont loin, très loin de ce qu'une Lady Gaga peut gagner ou de ce que les businessmen de SP ou les banquiers de nos pays gagnent chaque année !

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  3. Je vous invite à me lire.
    je vis à Bahia depuis 11 ans.
    Déjà plus de 900 articles, petits et grands, en français, écrits depuis 20 mois...
    Cordialement
    Bahiaflâneur

    http://www.bahiaflaneur.net/blog2/2011/03/bafoues-par-letat-les-jeunes-artistes-creatifs.html

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  4. Merci pour le message,

    Je connais ton site, je l'ai déjà cité plusieurs fois sur l'Elixir. Moi qui ai rêvé dix ans de Bahia avant d'y mettre les pieds, où je ne suis pas retourné depuis trop longtemps, j'apprécie beaucoup de lire les nouvelles que tu en donnes... Du coup, je viens de mettre Bahia Flâneur en lien sur la liste de blogs...

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