dimanche 13 mars 2011

Mulatu Astaké en Cosmic Groove Session


Une figure de marque était de passage hier soir sur Montpellier, un de ces rares musiciens dont on puisse dire qu'ils ont inventé un style musical à eux seuls, ici l'éthio-jazz. Voici donc Mulatu Astatké en Cosmic Groove Session sur la scène du JAM.

Les quatre soirées de cette saison abordent chacune un style différent. Après la soul, avec Charles Bradley et Lee Fields, avant l'afro-beat avec le Souljazz Orchestra et Kokolo, avant le funk de Brass Construction, voici donc l'éthio-jazz de Mulatu Astatké.

Les musiques éthiopiennes ont le vent en poupe. Depuis quelques années, elles ont fait naître des vocations un peu partout dans le monde, comme quelques années auparavant l'afro-beat qui avait déclenché semblable fièvre. Un phénomène très surprenant, surtout que cette musique est à la fois exotique et inscrite dans une période donnée. Car quand on parle de cette influence éthiopienne, il faudrait plus exactement préciser qu'il s'agit de celle d'un certain âge d'or éphémère et révolu, quand la musique éthiopienne s'ouvrait aux influences étrangères. Sans rentrer dans les détails, on sait que ce phénomène trouve sa source dans la série de compilations intitulée Ethiopiques, lancée par Francis Falceto en 1998. Ou même, avant cela, dans la réédition, en 1986, par Crammed Discs d'un album de Mahmoud Ahmed, album qui est également à l'origine du coup de cœur de Falceto pour la musique éthiopienne. Qu'ensuite le choix de Jim Jarmusch d'utiliser quelques morceaux de, justement, Mulatu Astatké dans la B.O. de Broken Flowers, en 2004, a servi de caisse de résonance et a donné une audience infiniment plus large à sa musique. En soulignant qu'il fallait tout le sens musical de Jarmusch pour sentir que cette musique collerait bien à l'ambiance de son film et qu'il a probablement dû batailler pour convaincre des studios qu'on imagine réticents sur le sujet.

Depuis lors, des vocations ont vu le jour : en Europe, aux Etats-Unis, on ne compte plus les groupes s'étant fait une spécialité de ce groove si particulier ou en intégrant une ou deux pièces à son répertoire. Au point qu'on ait l'impression que c'est presque devenu un passage obligé.

Mulatu Astatké a su profiter de cet engouement nouveau. Et alors qu'il approche des soixante-dix ans, il a sorti deux albums fantastiques ces dernières années. Le premier dans la série Inspiration Information lancée par le label Strut où il rencontrait The Heliocentrics pour mettre un son plus électrique à sa musique et, plus récemment, un disque plus jazz, Steps Ahead.

Certains des musiciens qui accompagnaient Mulatu pour ce concert ont participé à cet album. Ils appartiennent peut-être à cette génération ayant découvert récemment, grâce aux rééditions, la musique éthiopienne. Tous jeunes et excellents. Aucun éthiopien, semble-t-il. Une formation originale où on trouvait un trio rythmique, basse, batterie et percussions, un clavier, deux souffleurs, trompette, saxophones, flûte et, plus étonnant, un violoncelliste.


Et Mulatu, leader discret qui aurait pu être le père de tous ces jeunes gens inspirés. Un leader qui est entouré d'un vibraphone, d'un clavier et de congas et qui semble se régaler d'entendre son groupe jouer ses compositions. La dernière, nous dit-il, "I wrote for myself and it's called 'Mulatu'". Cela pourrait sembler pompeux de nommer une composition à son nom mais venant de lui, on n'y perçoit aucune trace de prétention.

S'il leur laisse tout l'espace nécessaire à leurs interventions respectives, on sent le respect qu'il inspire, cette façon qu'ils ont de chercher son regard. Mulatu Astatké est un maître et si la musique éthiopienne a fait naître de nombreuses vocations ces dernières années, c'est à lui seul que l'on doit sa dimension jazz. Francis Falceto est absolument clair à ce sujet : "l’expression 'ethio-jazz' appartient à et relève strictement de Mulatu Astatqé, seul. A part ce cas d’espèce, aucun musicien éthiopien, et surtout aucun chanteur, ne revendiquera une quelconque appartenance au jazz". Si Mulatu a inventé l'éthio-jazz, on sent dans sa musique, comme c'est le cas pour quasiment tous les musiciens africains modernes qu'ils soient congolais, sénégalais ou donc éthiopiens, l'influence latine, ou plus exactement afro-cubaine. Cette pulsation et les langueurs de ce groove éthiopien si particulier, nous donne un formidable moment de musique.

Entre les interventions de ces brillants solistes et le groove collectif, la musique de Mulatu nous a captivé sans que notre attention en perde un seul instant. De nous avoir délivré musique si merveilleuse et envoûtante, nous lui pardonnerons l'absence de rappel. Absence de rappel qu'on mettra sur le compte de son grand âge.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire