mardi 2 février 2010

2 février, jour de la Festa de Yemanjá

Aujourd'hui, Montpellier et Salvador ont un point en commun : le trafic routier y est perturbé et des déviations proposées aux automobilistes. Chez nous, c'est en raison des travaux de la troisième ligne de tramway. A Salvador, c'est en raison de la fête de Yemanjá. Chez nous, ça va encore durer des mois, là-bas, c'est seulement pour aujourd'hui.

D'abord, un titre pour se mettre dans l'ambiance, sorte de macumba à la sauce samba-rock, portée par l'incroyable voix de basse profonde de Noriel Vilela :

Noriel Vilela, "Para Iemanja levar", Eis o "Ôme" (1968)




C'est devenu traditionnel, le 2 février est la fête de Yemanjá, la déesse de la mer dans le candomblé. Il s'agit d'une date importante du calendrier bahianais, au même titre que le "pélerinage" au Bonfim et le lavage de ses marches. A Salvador, c'est dans le quartier de Rio Vermelho que se déroulent les festivités. Les représentants religieux organisent la cérémonie, avec chants et musiques, les fidèles ont préparé les offrandes qu'un cortège de barques va jeter à la mer.

Ce sont les pêcheurs de ce quartier qui, en 1923, déçus du peu de poissons ramenés, décidèrent d'implorer l'orixa de la mer, Yemanjá, et de lui faire des offrandes afin de bénéficier de son soutien et renouer avec des prises plus généreuses.

Depuis, cette manifestation dépasse largement le cadre religieux. C'est devenu une véritable fête populaire. Il convient toutefois de préciser le sens de cette fête. Comme le remarque Roger Bastide, dans Images du Nordeste mystique en noir et blanc, parler de "fête populaire" "n'est pas une expression bien exacte. En réalité, la fête s'ajoute, comme une excroissance de joie, à une cérémonie rituelle qui est le centre mystique, la cellule génératrice". Bastide décrit alors la cérémonie à laquelle il a assisté sur la plage de Rio Vermelho et montre comment on y trouve le candomblé, bien sûr, mais aussi, un peu plus loin la samba et la capoeira. "La fête ensuite devient triple. Près de la baraque, à l'ombre des palmiers, le candomblé. Un peu plus loin, sur un terre-plein, les sambas. Dans les rues voisines, les capoeiras. Je passe du mystique au profane, du monde divin à celui des jeux".

Aujourd'hui, cette confusion, ou plutôt cette conjonction demeure. Cette année encore, les rues seront bloquées. Cette fois-ci pour que les tambours du groupe Psirico puissent défiler et faire leur arrastão. Une scène sera dressée, où se produira notamment Lucas Santtana, ainsi que de nombreux artistes de la nouvelle scène locale. Des DJs et VJs seront également présents, de même qu'une école de samba. Afin de soutenir les acteurs authentiques du culte, une grande feijoada sera préparée, et les bénéfices qu'elle amènera seront reversés au Terreiro Ilê Axé Omin Dá.

Je n'ai jamais assisté à cette fête de Yemanjá, mes séjours bahianais ne coïncidant pas à cette période. L'évoquer rend plus vive ma saudade car j'ignore quand j'aurai la possibilité d'y retourner. Le récit de Bastide, témoignage d'un autre temps, cultive lui aussi une nostalgie sensuelle de ces moments, dans un style inhabituel chez ce grand maître : "j'oublierai difficilement le spectacle de cette foule massée, sous un soleil de plomb, en haut d'un rocher qui domine l'Océan. Avec leurs vêtements rouges, blancs, jaunes, leurs blouses de dentelles, les Bahianaises chargées d'or et d'argent, traînant leurs jupes sur l'herbe desséchée, paraissaient un immense bouquet de fleurs agitées par la brise. Des corps lascifs ébauchaient sur le sable tiède des pas de danse, tandis que dans l'eau des négrillons entièrement nus paraissaient se vêtir à chaque vague d'une dentelle éphémère d'écume. La foule heureuse échangeait d'un groupe à l'autre des rires, des regards réjouis, des conversations paisibles et des cantiques de carnaval".

Tout le monde vient faire ses offrandes à Yemanjá. Une véritable flottille de barques, jangadas et voiliers prend la mer pour aller jeter à la mer les présents pour l'orixa, et faire qu'ils l'amadouent pour l'année à venir.

Dorival Caymmi, ce grand poète de la culture populaire bahianaise, a bien entendu consacré une chanson à ce jour si particulier...

Dorival Caymmi, "2 de Fevereiro", Caymmi e seu violão (1957)





"Dia dois de fevereiro, Dia de festa no mar, Eu quero ser o primeiro
a saudar Iemanjá. Escrevi um bilhete a ela Pedindo pra ela me ajudar. Ela então me respondeu Que eu tivesse paciência de esperar
o presente que eu mandei pra ela. De cravos e rosas vingou
Chegou, chegou, chegou
Afinal que o dia dela chegou"


Bastide en son temps avait décrit cette profusion... "Les personnes entraient une à une, par la porte étroite pour déposer dans l'immense corbeille les objets qui plaisent à la reine des mers, la sirène vaniteuse : peignes pour ses longs cheveux d'algues, miroirs où elle sourira à son image, parfums riches qui glisseront sur ses écailles d'azur, poudre de riz, rubans multicolores, bouquets de roses et d'œillets ainsi que des poupées, car tout femme est toujours un peu enfant... Les billets pliés en quatre glissent vers la corbeille mêlés aux présents, demandes d'amour, de santé ou de bonheur, humbles prières à la toute-puissante, murmures d'adoration, les fleurs du cœur au côté des fleurs du jardin".

Une fois les offrandes jetées à la mer, il faut attendre et espérer qu'elle les acceptera. Malheur si on les retrouve repoussées par les vagues sur le rivage.

Peut-être pourrions-nous écouter un dernier titre ? Un extrait du deuxième album d'Os Tincoãs, ce groupe bahianais qui mêlaient harmonies vocales assez pop, guitare sèche et percussions pour interpréter des morceaux inspirés du candomblé. Pour info, on peut retrouver Mateus Aleluia dans le film de Fernando Trueba, Le Miracle du Candéal, consacré principalement à Carlinhos Brown. S'il se produit encore sur scène, dans le documentaire, Mateus se présente comme chercheur. Il est vrai que les Brésiliens se considèrent assez facilement comme pesquisador, au moins est-ce une façon de valoriser la curiosité intellectuelle tout en désacralisant la recherche. Ce qui n'empêche pas Mateus d'y être particulièrement pompeux... Sur la pochette, c'est celui qui se trouve le plus à droite sur la photo. Outre que j'aime beaucoup ce morceau, les voir marcher torse nu sur la plage m'amuse toujours autant.

Os Tincoãs, "Na Beira do Mar", Os Tincoãs (1973)




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