Pour la cinquième année, se tenait à Sète le Worldwide Festival créé par Gilles Peterson. Encore une fois, la programmation donnait envie d'être là tous les soirs mais il fallait se contenter d'un seul. Plutôt que d'aller enfin découvrir Flying Lotus sur scène, après son forfait de dernière minute l'an passé, où il était pourtant la tête d'affiche, nous avons opté pour Raphael Saadiq et Konono n°1. Ma compagne souhaitait par dessus tout voir Raphael Saadiq tandis que je tenais absolument à assister à la décharge de likembés distordus sur fond de rythmes étourdissants que balance Konono n°1. Heureux hasard de la programmation, ils étaient programmés le même soir et au même lieu. Une affiche fédératrice, donc.
La particularité du Worldwide est qu'il attire tellement d'Anglais qu'ils constituent la très large majorité du public. Une particularité très surprenante qui en dit long sur la popularité de Gilles Peterson Outre-Manche. Il est prescripteur et ses choix sont suivis fidèlement, les yeux fermés. L'harmonie planétaire ne se fera que si chacun fait un pas vers son voisin. Le mien de pas, dans ce contexte anglo-méditerranéen, illustra ma fantastique capacité d'adaptation et m'a vu délaisser le demi pour prendre une… pinte. Comme tous les Anglais alignés le long du bar. Au rayon des bonnes surprises de la restauration proposée aux festivaliers : des glaces au mojito, à la caïpirinha ou au pastis. Des glaces artisanales confectionnées par une équipe de jeunes Sètois qui a proposé ses trouvailles au Worldwide qui les a accueillies dans ses stands sur les trois sites.
Cette soirée au Saint Christ, au pied du Phare du Mole, débutait vers 20h pour se terminer au petit matin. Nous sommes arrivés vers 22h, juste à temps pour assister à la fin d'un set des DJs du Sofrito Soundsystem, qui s'offraient là une tranche de rab' après avoir déjà animé dans la journée la plage du Worldwide. Oui, la plage. Et parce que le clou du festival est sa Beach Party de conclusion, 18 heures d'affilée !, il s'imposait d'en faire un site toute la durée du festival. Après tout quoi de mieux pour des Anglais en goguette que de passer les journées à la plage avec du bon son et du soleil ?
Parmi cette majorité d'Anglais, nous remarquions plusieurs personnes qui traînaient la patte ou boitillaient. Intrigant. J'émis l'hypothèse que c'était le premier jour de l'année où nos Anglais portaient leurs sandales neuves et que ça s'accompagnait de quelques ampoules à la clé...
Le site est superbe, entouré par la mer, au pied du phare, avec vue sur le mont Saint Clair et les lumières de Sète mais je ne m'explique pas que, comme l'an dernier, le fond de la scène soit aussi laid. Un rideau de lumières qui semble être emprunté à la première berlusconnerie venue de la télévision italienne. Si les oreilles sont gâtées, cette faute de goût gâche le plaisir des yeux.
Sitôt que Sofrito lâcha ses platines, Konono n°1 investit la scène. Nous étions arrivés juste à temps. L'audience était encore clairsemée. La formation est composée de trois likembés, dont un basse et un soliste. Le joueur de likembé basse est assis sur son instrument, les deux autres sont debout. Au centre de la scène était installé le joueur de cloches, deux doubles cloches métalliques fixées sur un pied. Derrière, un batteur et un percussionniste. Avec le succès, le groupe a abandonné son charleston bricolé avec de vieux enjoliveurs, l'a remplacé par de vrais éléments de batterie. Le percussionniste jouait lui de quelques tambours traditionnels, qu'on appellera génériquement des ngomas à défaut d'être plus précis. Le joueur de likembé d'accompagnement invitait le public à "bougez bougez, dansez dansez". Le septième membre du groupe, la seule femme, était une danseuse, probablement enceinte.
Sitôt que Sofrito lâcha ses platines, Konono n°1 investit la scène. Nous étions arrivés juste à temps. L'audience était encore clairsemée. La formation est composée de trois likembés, dont un basse et un soliste. Le joueur de likembé basse est assis sur son instrument, les deux autres sont debout. Au centre de la scène était installé le joueur de cloches, deux doubles cloches métalliques fixées sur un pied. Derrière, un batteur et un percussionniste. Avec le succès, le groupe a abandonné son charleston bricolé avec de vieux enjoliveurs, l'a remplacé par de vrais éléments de batterie. Le percussionniste jouait lui de quelques tambours traditionnels, qu'on appellera génériquement des ngomas à défaut d'être plus précis. Le joueur de likembé d'accompagnement invitait le public à "bougez bougez, dansez dansez". Le septième membre du groupe, la seule femme, était une danseuse, probablement enceinte.
On rappelait il y a quelques jours que Konono n°1, ainsi que d'autres groupes tradi-modernes congolais avait amplifié leur musique pour se faire entendre des esprits des ancêtres alors que les bruits de la ville la couvrait. J'ignore si les Bazombos de Kinshasa ont cherché à communiquer avec les esprits des ancêtres ce soir. Mais ils ont joué suffisamment fort pour s'en faire entendre. Quand le soliste se lançait, le son du likembé envoyait de fulgurantes stridences et déchirait à rendre jaloux un guitar-hero. On comprend que tant d'artistes aient flashé sur le son de Konono n°1. On regrette qu'ils n'aient pas joué plus tard, que l'ordre de passage n'ait pas été inversé avec David Rodigan qui leur succédait et sut chauffer l'ambiance en vieux pro.
David Rodigan est un DJ sexagénaire absolument dingue de reggae. Il émaillait son set d'anecdotes vécues, évoquant par exemple ses rencontres avec King Tubby, etc... Comme une sorte de professeur hystérique, il délivrait un cours d'histoire des musiques jamaïquaines, revisitant cinq décennies en alignant des morceaux emblématiques. Très populaire en Grande-Bretagne, ce DJ atypique a su cristalliser l'attention du public, lequel chantait à pleine voix les refrains de Bob Marley. Alors que les musiciens de Raphael Saadiq étaient déjà sur scène à effectuer leurs derniers réglages, Rodigan n'était toujours pas décidé à quitter la scène. Cela en devenait presque tendu : il réclamait cinq minutes de rabe et n'entendait pas renoncer à sa requête. Il finit par balancer "Could You Be Loved" en guise de conclusion, comme dans une sorte de défi à Saadiq et ses musiciens.
Raphael Saadiq attaqua pied au plancher avec les quelques titres très rock de Stone Rollin', son dernier album. Mais je dois bien reconnaître que je n'imaginais pas le voir se lancer dans des solos* de guitare. Raphael Saadiq a beaucoup d'allure, d'une sobriété très élégante, arrivant sur scène coiffé d'une casquette, dans un col roulé noir qu'il quitta vite pour garder un simple t-shirt blanc. Jean, t-shirt, la simplicité lui seyait bien. Sous ses airs étonnamment juvéniles, Saadiq est un résilient. Issu d'une famille très modeste, il grandit à Oakland et, dans son enfance, perdit deux frères (balle perdue, règlement de compte) et une sœur (accident de voiture) dans cet environnement particulièrement violent. Peut-être était-ce pour tourner la page que Charlie Ray Wiggins est devenu Raphael Saadiq, qu'il n'a pas seulement pris un nom d'artiste mais a carrément changé de nom à l'état-civil. Il a aussi changé plusieurs fois de style, il fut ainsi parmi les pionniers du new jack swing, puis de la nu soul (terme qu'il exècre), inventeur sur son premier album solo du gospeldelic, avant d'aller chercher ses influences dans la soul des années soixante ou le rock'n'roll des années cinquante. S'il s'est inspiré de Chuck Berry sur ce nouvel album, il n'est pas allé jusqu'à exécuter son fameux duckwalk sur scène.
Avec lui, une formation serrée : guitare, basse, batterie, claviers, plus un choriste. Un concert forcément "à l'américaine", super-carré, pro, impeccable, sans le moindre temps mort. Pro, mais où on sent les musiciens contents de jouer, avec le sourire. Un concert où le batteur s'est lancé dans un solo de la mort qui tue, un solo de batterie comme on n'en fait plus, le truc monstrueux de cinq bonnes minutes de folie.
Avec lui, une formation serrée : guitare, basse, batterie, claviers, plus un choriste. Un concert forcément "à l'américaine", super-carré, pro, impeccable, sans le moindre temps mort. Pro, mais où on sent les musiciens contents de jouer, avec le sourire. Un concert où le batteur s'est lancé dans un solo de la mort qui tue, un solo de batterie comme on n'en fait plus, le truc monstrueux de cinq bonnes minutes de folie.
Outre les nouveaux morceaux, Raphael Saadiq en reprit bien entendu d'autres de son précédent album, The Way I See It, dont l'excellent "Big Easy" inspiré du groove de la Nouvelle-Orléans. Il revisita aussi quelques titres plus anciens. "Dance Tonight" qui figurait sur son projet Lucy Pearl. Ou le très "stevie-wonderien" "Still Ray", probablement la plus belle ballade de son répertoire, qui figurait sur son premier album solo, Instant Vintage. Selon Libé, il a donné à Sète, ce soir-là, "un des meilleurs concerts de sa tournée". En guise de final, il reprit et fit chanter au public le tube de Hair, "Let the Sunshine in" et n'eut même pas le droit à un rappel.
Il était déjà presque deux heures, tant pis pour le set de Cut Chemist. Avec boulot le lendemain, il était déjà grand temps de refaire la route jusqu'à Montpellier.
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* En bonne règle, je devrais écrire soli au lieu de solos mais je passerais pour un pédant. Et puis, on un dit bien un panini au lieu d'un panino, alors !
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