La mort si précoce d'Amy Winehouse, aussi prévisible ou inéluctable soit-elle, est un choc. Depuis son apparition tapageuse avec le succès de Back to Black, elle semble n'avoir jamais cessé de frôler l'issue fatale.
La première fois où j'ai entendu parler d'elle, c'était à la sortie de ce deuxième album enregistré avec les Dap-Kings. J'avais raté l'épisode Frank, son premier disque. En la découvrant, j'avais été frappé par ses tatouages. Ce genre de mauvais tatouages que seul un matelot fin bourré pourrait se faire graver sur la peau. Ces tatouages vulgaires me semblaient alors une marque d'autodestruction. Quant à sa voix et sa musique, je les ai toujours trouvées d'une noirceur abyssale, "Love is a losing game" est le genre de truc qui vous fiche la chair de poule. Poignant et très étonnant venant d'une gamine de vingt-trois ans. Son destin confirme qu'Amy Winehouse n'a jamais fait semblant, qu'elle ne trichait pas.
Je ne passe pas ma vie à interpréter les signes mais, rétrospectivement, je suis parfois étonné de certaines coïncidences. Ainsi, hier soir, je cherchais sur mon ordinateur une photo de George Clinton quand je suis retombé sur un cliché, grappillé à l'époque de Back to Black, avec une légende Avant/Après. Le contraste est saisissant entre la gironde jeune fille en mini-jupe et celle anorexique et marquée. Et aujourd'hui, je me suis surpris à fredonner dans la journée une chanson de Joseph Racaille, "le squelette humain est une frêle créature mais il est si joli quand il s'habille en rose". Une chanson légère, contrairement à ce que le sujet pourrait laisser croire. Légère, je le répète. Mais quand j'ai appris le décès d'Amy Winehouse, j'ai aussitôt repensé à cet air que j'avais dans la tête plus tôt dans la journée en me disant que, désormais, on savait à qui était ce squelette. Mais parce qu'elle était coquette, elle s'était offerte une poitrine de silicone comme la première Zahia venue, pour un cocktail bien frappé de maigreur maladive et de rondeurs de synthèse débordant outrageusement du décolleté.
Du fin fond du sordide d'où nous parvient cette triste nouvelle, on se demande si ce n'est pas finalement une belle mort, comme peut l'être un suicide mûri de longue date. Elle a fait ce choix et il y a quelque indécence à trop se focaliser sur son cas d'alcoolique décharnée quand, chaque jour, un conducteur en état d'ivresse vient faucher des vies innocentes. Après maintes désintoxications et rechutes, on retiendra qu'elle était celle qui disait "no, no, no" au sevrage et à la guérison. C'est peut-être triste et sordide mais personne n'ignorait sa souffrance ni qu'elle était en train de se foutre en l'air avec une constance qu'elle ne mettait plus dans son travail depuis longtemps.
Mais on peut aussi se dire "et si...". Si son destin avait été tout autre ? Autre que celui de cette brindille ivre, cette teigne aux frasques traquées par la presse people. Parce qu'on se souvient avoir lu il y a seulement quelques semaines, qu'Amy Winehouse était très marrante, ou avait été très marrante. C'est Jamie Woon, le chanteur de soul-dubstep qui racontait avoir été dans sa classe à la Brit School : "Elle avait déjà une voix impressionnante. C'était une fille étrange et drôle, elle faisait rire tout le lycée" (Vibrations n° 135). Parce que, ce soir, on relisait le portrait que lui avait tiré Stéphanie Binet pour Libération, en 2008, où elle confiait rêver devenir une mère de famille qui cuisinerait des petits plats pour ses enfants, on se dit, "et si...". Mais ce n'est pas l'image que l'on retiendra d'Amy Winehouse, bien qu'avec un seul grand album à son actif son bagage soit infiniment plus léger que celui de ces autres légendes, la presse préfère l'introniser dans ce "Club des 27", cette confrérie très select des rockeurs ayant passé l'arme à gauche à l'âge de 27 ans : Brian, Jimi, Jim, Janis, Kurt... Elle a mis du sien pour y parvenir.
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