jeudi 2 septembre 2010

"Coquet Coquette" : la vidéo discrépante d'Of Montreal ?

"Je préfère vous abîmer les yeux
plutôt que de les laisser indifférents"
(Isidore Isou, Traité de bave et d'éternité)

En rentrant de ces vacances où j'étais déconnecté et largué de tout, je découvrais en ouvrant le site des Inrocks que le clip de "Coquet Coquette" du groupe Of Montreal, anticipant de quelques semaines la sortie de leur nouvel album False Priest, provoquait une sorte de petit scandale et choquait les bonnes âmes. Diantre.

Coïncidence, en Lozère j'étais peut-être déconnecté mais j'avais au moins amené une copie de ce nouvel album à la sortie imminente. Pas complètement largué, finalement... Et c'est même quasiment la seule musique que j'ai pris le temps d'écouter là-haut. Avec plaisir. Je ne vais pourtant pas crâner : j'avoue mon ignorance quant à l'importance d'Of Montreal. J'avais bien déjà emprunté leurs derniers albums à la médiathèque mais n'avais même pas pris le temps de les écouter. Nouveaux visiteurs sur ce blog, je vous le confesse : le Dr. Funkathus n'est pas très au fait de ce qui se fait en matière de rock, même indie. Le déclic qui me rendit si curieux de les écouter venait de leur participation au morceau "Make the Bus", sur l'album de la brillante Janelle Monáe. Son duo avec Kevin Barnes, le leader du groupe, était des plus réussis et je me disais qu'après "Tightrope", la miss tenait peut-être là un tube fédérateur, quoique pointu... En retour, la "crazy girl" Janelle est invitée sur deux titres de False Priest ("Our Riotous Deffects" et "Enemy Gene"). Ce n'est pas un de ceux-là qu'a choisi Of Montreal pour annoncer son album par un clip polémique.

Celui-ci, réalisé par Jason Miller, "est violent, sexiste, barbare, saignant, frisant même parfois le ridicule", peut-on lire sur Musique Mag : "si la chanson s’appelle "Coquet Coquette", les images n’en sont pas moins gores".

Concédons que ça frise effectivement le ridicule. Après, pas de quoi fouetter un chat ! Par contre, en écoutant la chanson, je n'avais pas imaginé un instant qu'elle puisse être illustrée par ce petit film. Mais qui a dit que les images d'un clip devaient coller à la musique ?

Certains y lisent malgré tout une métaphore des paroles dans ce grotesque affrontement digne d'une bonne série Z :

"Coquet, Coquet, you know I won’t forget
How you kissed me strange to prove you were mythical
My Coquet, you used my voice as your ugly vehicle
Coquet, Coquet, you know I won’t forget
How you hurt me twice to prove you were cynical
My Coquet, you are the death, you are the pinnacle"

Peut-être ? Sur Beatcrave, ils en sont persuadés : "the song carries anger, lust, fear and a bitterness only Kevin Barnes could articulate. Directed by Jason Miller, this barbarian nightmare is a fight to the death over a prize that is completely unclear. It boils down to the ugliest part of desperation and human survival". Mouais... N'empêche, pour moi, les images ne collent pas à la musique ou à l'ambiance du morceau. D'où la question : ce clip serait-il discrépant ?

Appliqué au cinéma, c'est à Isidore Isou, fondateur de l'Internationale Lettriste, que l'on doit la notion de discrépant. "Avec le Traité de bave et d'éternité, scandaleusement présenté au festival de Cannes en 1951, Isou invente le montage discrépant qui a pour principe la disjonction du son et de l'image. Il les traite de manière autonome comme deux colonnes indépendantes et pures sans aucune relation signifiante" (Le Lettrisme.com).

Greil Marcus, qui avait consacré de longues pages à Isidore Isou dans Lipstick Traces - Une Histoire secrète du vingtième siècle, écrivait avec humour que l'on pouvait aussi trouver du cinéma discrépant dans les films d'Elvis. Involontairement, bien sûr. "Quand Elvis gratte sa guitare acoustique, on entend un solo électrique. Quand on voit une guitare et une basse l'accompagner, on entend des cuivres et un piano. Lorsqu'il chante la bande-son est désynchronisée la bonne moitié du couplet. Un jour, les critiques français découvriront ces films et proclameront qu'ils sont un exemple unique de cinéma discrépant".

Cette disjonction discrépante possède la caractéristique de frapper les esprits, ce qui en fait une bonne méthode pédagogique : "a discrepant event puzzles the observer, causing him or her to wonder why the event occurs as it did. These situations leave the observer at a loss to explain what has taken place", écrit Thomas R. Koballa, Jr. dans The Motivational Power of Science Discrepant Events.

La discordance ou la dissonance sont considérés comme presque synonymes de la discrépance, laquelle est parfois définie comme une "simultanéité désagréable"...

D'où peut-être l'intérêt de ce petit film ridicule "Coquet Coquette", inciter à se prendre un peu la tête pour y chercher du sens... Si ce n'est qu'il a tendance à nous faire oublier la musique... Ce qui est dommage vu la qualité de l'album. Espérons que les prochaines vidéos illustreront mes titres préférés : "Hydra Fancies", ou "Sex Karma", avec Solange Knowles (la sœur de Beyoncé), voire les titres avec Janelle Monáe. Kevin Barnes, avec ses faux airs d'Emmanuel Mouret ayant troqué son look BCBG pour l'extravagance tout azymut, a probablement de quoi nous surprendre dans les prochains essais vidéos du groupe.


Maintenant, il faut bien admettre que les clips discrépants sont particulièrement fréquents. On pourrait : soit envisager de leur consacrer une rubrique. Soit aussi se rendre compte du caractère pour le moins foireux de mon analyse... Ce qui en fait donc une démonstration magnifiquement funk-a-logique...

2 commentaires:

  1. Isidore Isou, fondateur de l'Internationale Lettriste ? Vous en êtes sûr docteur ? Je croyais au contraire que l'Internationale Lettriste avait été fondée par Guy Debord et Gil J Wolman en juin 1952 et en quelque sorte contre Isou et les lettristes esthètes…

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  2. Merci pour le rectificatif, monsieur. Ma mémoire me joue des tours et je n'ai pas pris la peine de vérifier.

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