mardi 20 septembre 2011

Ederaldo Gentil, la perle fine du samba de Bahia


Ce n'est rien de dire que la vieille garde des sambistes de Bahia nourrit une aversion particulière pour l'axé music. Celle-ci l'a tout bonnement mise sur la touche avec la morgue satisfaite d'une camelote bling bling devant un bijou d'orfèvre. Mais si ces sambistes réalisaient parfois un travail d'orfèvre, leur matériau était toujours modeste, leur sagesse ne se méprenant pas sur la valeur des choses, comme en témoigne le sublime morceau d'Ederaldo Gentil que nous allons présenter aujourd'hui, "O Ouro e a Madeira", l'or et le bois.

Ederaldo Gentil est probablement un maudit ! Même s'il a fait partie de cette scène historique du samba de Salvador au sein de laquelle il occupe une place de la même grandeur que ses aînés Batatinha ou Riachão, pour ne citer que ces deux-là. Car Ederaldo, comme Batatinha et Riachão, s'est vu offrir (de son vivant) un album tribute, rassemblant des invités prestigieux pour interpréter les titres les plus marquants de son répertoire. Sur Perolas Finas, produit par son compère Edil Pacheco en 1999, on retrouve rien moins que Gilberto Gil, João Nogueira, Elza Soares, Beth Carvalho ou Carlinhos Brown, pour n'en citer que quelques uns. On regrettera que dans les arrangements et le son, le travail d'Edil Pacheco souffre cruellement de la comparaison avec celui de Paquito et J. Velloso pour Batatinha (Diplomacia, en 1998) et Riachão, (Humaneochum, en 2001).

Quand le vieil ami Edil Pacheco a rassemblé ces collègues pour rendre un hommage à Ederaldo, cela faisait déjà longtemps qu'il était tombé dans l'oubli. Lui-même ayant préféré se retirer du monde de la musique après les déconvenues qu'il lui avait infligé. Pourtant ces chansons les plus connues faisaient toujours partie des répertoires, quand bien même leurs interprètes ignoraient tout du nom de l'auteur. On raconte ainsi que, lorsqu'il passait des soirées dans le Pelourinho, quartier historique de Salvador, il ne pouvait s'empêcher de corriger ceux qui reprenaient ses sambas, en oubliant les paroles ou se trompant sur la mélodie.

Si l'oubli est un destin commun à de nombreux sambistes, rien n'y prédestinait Ederaldo. Il ne en effet manquait pas de talent. Même mieux, il possédait les deux talents les plus prisés dans son pays, celui de la musique et celui du football.

Ederaldo Gentil est né en 1947 dans une famille modeste dans le Largo Dois de Julho, un quartier du centre de Salvador où son père possède une échoppe d'horloger. La famille s'installe ensuite dans le Tororó, alors le quartier le plus actif de Salvador en matière de samba, lieu de résidence de plusieurs ensembles carnavalesques : les Apaches do Tororó, les Filhos do Tororó... Encore enfant, il est repéré par les anciens de l'école de samba Filhos do Tororó, impressionnés par son aisance à jouer des percussions. Puis, dès l'adolescence, il compose ses premiers morceaux. Mais parce qu'il ne peut vivre de la musique, il cherche d'autres voies. Notamment le football, jouant un temps pour le club (dissous depuis) de l'A.D. Guarany, au poste de milieu gauche, avant d'entraîner brièvement le Vitoria, un des deux principaux clubs de la ville. Si ce n'est pas donné à tout le monde de jouer à ce niveau, il lui manque peut-être le talent pour devenir un grand joueur. Il reprend l'horlogerie familiale tout en continuant à composer.

Ses sambas sont les succès des Filhos do Tororó, l'école à laquelle il est affilié, mais pas que. Les autres écoles profitent d'une brouille d'Ederaldo avec les Filhos pour le solliciter. A l'arrivée, durant le carnaval de 1970 à Salvador, il est l'auteur de toutes les compositions des neuf écoles de samba, sauf de la sienne. Inédit et encore unique à ce jour.

Le carnaval ne saurait combler toutes ses attentes tant son registre ne se limite pas aux sambas-enredos joués pendant les défilés du carnaval. Il compose aussi des morceaux plus intimistes et vise une reconnaissance nationale. Au début des années soixante-dix, il s'approche du succès quand Jair Rodrigues reprend "Berequetê", un titre qu'il composa avec son fidèle partenaire Edil Pacheco.

En 1972, il part une première fois pour São Paulo où il espère enregistrer un disque, participer à des émissions de télé. Sans succès. Il rentre à Salvador, reprend l'horlogerie de son père mais, toujours, écrit et compose. En 1975, enfin, il peut enregistrer. Un 45Tours avec "O Ouro e a Madeira" et "Triste Samba". Puis, plus tard, la même année, un album Samba, Canto Livre de um Povo, qui contient lui aussi "O Ouro e a Madeira". Les années soixante-dix sont celles de la reconnaissance mais il n'enregistre qu'un seul album de plus, Pequenino, en 1976. Il retourne à Salvador où il retrouve sa clique de sambistes locaux pour une série de concerts O Samba Nasceu na Bahia.


Mais, dès le début des années quatre-vingt, c'en est déjà fini. Il doit batailler pour sortir un album sur un label indépendant, Identidade, en 1982. A Salvador, le samba est passé de mode. Ederaldo Gentil se retire de la scène. Il vit en reclus chez sa sœur. Puis, seul, souffrant de trouble panique l'empêchant même de revoir ses amis et partenaires. Perolas Finas, l'album-hommage organisé par Edil Pacheco, se fait sans lui. Ederaldo est un sambiste maudit, le talent et la grâce avaient probablement plus à lui offrir mais la réalité est parfois comme un mur... Mais un mur qui renvoie toujours l'écho de ses plus belles chansons, qui résonne toujours du refrain : "O Ouro afunda no mar, no mar"... Indémodable.

Cela faisait longtemps que je me promettais de mettre en ligne cette vidéo où Ederaldo interprète "O Ouro e a madeira". Je l'avais découverte en cherchant des images filmées de Batatinha. Puis, la semaine dernière, alors que j'estimai le moment venu, incroyable coïncidence, je recevais un message de... son neveu, Luisão. Je n'en dis pas plus, nous en reparlerons prochainement.

En attendant, voici un témoignage inestimable où l'émotion est vraiment à fleur de peau. Enregistré en 1974, Ederaldo a le regard perdu. Il est entouré des fidèles Riachão, Batatinha et, semble-t-il, Edil Pacheco. Cette version surpasse de loin celle figurant sur disque embrouillée des habituels violons sirupeux d'un quelconque maestro à la noix. Tandis que là, tout est concentré sur l'essentiel, les voix, une guitare et de discrètes percussions. Sublime. 

Si "O Ouro e a madeira" est un morceau si beau et intemporel, c'est aussi en raison de ses paroles où Ederaldo explique qu'il préfère être une source plutôt que la mer, l'épine plutôt que la rose, etc... Mais derrière cette humilité, un vraie sagesse : "l'or coule au fond de la mer, le bois flotte / L'huître se développe dans la vase mais donne naissance à une perle fine"*. 


"Não queria ser o mar
Me bastava a fonte
Muito menos ser a rosa
Simplesmente o espinho
Não queria ser caminho
Porém o atalho
Muito menos ser a chuva
Apenas o orvalho
Não queria ser o dia
Só a alvorada
Muito menos ser o campo
Me bastava o grão
Não queria ser a vida
Porém o momento
Muito menos ser concerto
Apenas a canção
O Ouro afunda no mar
Madeira fica por cima
Ostra nasce do lodo
Gerando pérolas finas"

____________________________________

* Une image que l'on pourrait rapprocher de celle disant que le funk est "la fleur qui a poussé sur une poubelle".

1 commentaire:

  1. Third, distributors are so confident in its skills that
    they present money back guarantees for folks who try it out.


    Feel free to surf to my homepage :: Www.marsvenusatwork.Com

    RépondreSupprimer