jeudi 30 décembre 2010

Le Bougre inconnu, le rhum et la biguine...


Sur l'air de "Un Deux Trois Ti Punch" interprété par Ce boug'la, je viens de me servir un verre de rhum bien arrangé en ti punch. Je vais donc essayer de conclure cet article et vous offrir deux titres rares en cadeau de fin d'année, avant d'en être rendu incapable par cet élixir à 55°.


Tout cela a commencé il y a bien des années de cela, quand j'ai acheté d'occasion une compilation de biguines des années cinquante où figuraient deux titres de ce Boug'la, dont ce fameux "Un Deux Trois Ti Punch" qui donne envie de lever le coude. Mais, plus exactement, l'étincelle qui m'amène à parler du bougre aujourd'hui est très récente. Il y a quelques semaines, j'ai été invité à fêter les 5 ans du Goûter.com par Sly, son fondateur et principal artificier, par une contribution de mon choix.

Plutôt que la viennoiserie du quatre heures, j'avais anticipé et prévu... l'apéritif...

Pour ne pas arriver les mains vides, je voulais amener un cadeau qu'on ne trouverait nulle part ailleurs. Quelques titres encore absents de cette "bibliothèque de Babel" qu'est internet. Ainsi, ce "Un Deux Trois Ti Punch", avec ses verres de rhum en rafale, et "Mouge (Chant des Dancurs)" de Ce Boug'la remplissaient-ils ce cahier des charges. Une terra incognita encore non révélée sur la Toile. Non seulement vous ne trouverez nulle part sur la toile ces deux titres, mais vous ne rencontrerez pas non plus la moindre information sur cet artiste...

Parenthèse : c'est depuis ce jour où j'ai choisi d'évoquer ce vieux bougre que j'avais envie de boire un bon rhum. J'aurai ainsi attendu jusqu'à mon cadeau d'anniversaire, pour recevoir en cadeau une bouteille de Trois Rivières. J'ai donc rédigé ce billet pour le Goûter.com la gorge sèche et, seulement aujourd'hui, m'autorise ce plaisir redoutable. Après tout, je n'ai guère qu'à copier-coller le message posté chez Sly, à quelques retouches près.

Voici donc choisi une énigme, une quête sans réponse. Car si vous avez désormais l'accès à ces deux titres en exclusivité mondiale, sur Le Goûter puis maintenant sur l'Elixir, nulle part ailleurs sur la toile vous ne trouverez trace de leur auteur*. 

Le pire, c'est que concernant ce bougre, je n'en ai pas plus à offrir dans mes archives papier. Aucune trace de lui dans ma bibliothèque... Les seuls faits concrets et tangibles de l'existence de Ce Boug'la sont donc ces deux morceaux. Ils figurent sur une compilation, Antillaisement Vôtre : Biguines-Salsa, Succès des Années 1950-59, lancée en 1976 et ré-éditée par EMI en 1992... C'est cette dernière version qui est en ma possession, un double CD que j'avais acheté d'occas', il y a des années de cela. Une compilation où figurent quelques orchestres vedettes, ceux d'Al Lirvat, Sam Castendet, Robert Mavounzy ou Moune de Rivel. Malheureusement, le livret est réduit à sa portion congrue, pour ne pas dire inexistant. Il est juste précisé le nom de l'interprète, le titre du morceau et, entre parenthèses, ses auteurs. "Un Deux Trois Ti Punch" est co-signé par Cité - Alphonso - Pépin - Gomis, "Mouge (Chante des Dancurs)" par A. Nabajoth et Alphonso... Ah, ah, et si ce Alphonso, c'était le vrai nom de Ce Boug'la, vu qu'il est présent sur les deux ? D'après le titre de la compil', on peut au moins supposer que ces deux morceaux furent enregistrés dans les années cinquante.


Alors, depuis quelques années, je lance parfois une requête sur Google, comme une bouteille à la mer, pour essayer de trouver quelques traces de ce bougre. Rien. Rien. Rien. Ni en cherchant Ce Boug' la, ni en cherchant un quelconque Alphonso... Tout juste par déduction, pouvons-nous supposer qu'il est guadeloupéen plutôt que martiniquais. 

C'est également sur cette même compilation que j'ai découvert Jenny Alpha et suis littéralement tombé sous le charme rétro de son "Douvant Pote Doudou". D'ailleurs, pendant longtemps, ne remontait guère plus d'informations de cette autre pêche que de celle au bougre... Jusqu'à ce qu'elle revienne sous les feux de la rampe, jusqu'à son centenaire.

Alors, on essaie un autre biais : sachant que les morceaux figurant sur cette compilation ont été choisis par Gilles Sala, qui ne s'est pas oublié dans sa sélection puisque cinq de ses titres y figurent, on entreprend de chercher des informations à partir de son nom à lui. Gilles Sala jouit d'une bien plus grande notoriété mais cela reste toutefois bien maigre. Pas de page lui étant consacrée en particulier, ni sur Wikipédia, ni ailleurs. De loin en loin, on retrouve son nom... On peut trouver quelques uns de ses disques, on découvre qu'il a été un homme de radio d'une grande importance dans la diffusion en métropole des musiques africaines, qu'il serait même à l'origine du soukous congolais, qu'il a réalisé la photographie de la pochette originale du "Soul Makossa" de Manu Dibango... Mais aucune allusion à Ce Boug'la dans les pages qui lui sont consacrées...

C'est sûr, un jour (je me le dis depuis des années), j'irai fouiller dans les archives d'une bibliothèque dédiée à la culture antillaise et je finirai bien par trouver dans quelque livre d'un ethno-musicologue publié chez L'Harmattan ou Présence Africaine, la mention du bougre qui nous préoccupe aujourd'hui.

En attendant, sans aller jusqu'à utiliser les grands mots du style intelligence collective, le mystère qui entoure Ce Boug'la est une question posée à qui passera par là, à qui lira cette page. Car la récompense du blogueur fou vient des quelques commentaires laissés par les visiteurs sur ses pages, souvent pour amener une précision, l'informer d'un détail qu'il ignorait. Cette mutualisation des connaissances permettra peut-être de découvrir quelques indices, une photo...

Il se peut aussi que notre Bougre n'ait enregistré que ces deux titres, un seul petit 45Tours... D'ailleurs, outre le versant festif de "Un Deux Trois Ti Punch", "Mouge (Chant des Dancurs)" est aussi lent et grave que l'autre est enjoué. Deux visages : Face A et Face B ? D'un dépouillement de troubadour des mornes, juste guitare, voix et discret tambour, "Mouge" est une chanson habitée, loin de tout folklore, quelque chose qui semble venir de loin. Pour aimer profondément les musiques roots brésiliennes et l'authenticité de sambistes comme Clementina de Jesus ou Nelson Cavaquinho, je ne peux passer à côté de ce chant du fond des âges, cette voix grave et légèrement voilée... Sans que l'on aille crier au chef d'œuvre inconnu, je pensais que Ce Boug'la méritait de trouver sa place sur la Toile... Ces deux morceaux m'ont accompagné depuis que je les ai découverts. Je les ré-écoute régulièrement, je pourrais presque dire qu'ils font partie de mes morceaux fétiches.

Et peu importe que j'ignore tout de leur auteur. L'imagination est parfois plus belle que la réalité. Quant au fait de rentrer bredouille de ces recherches, peu importe. Ce qui compte n'est pas tant où on arrive que le chemin emprunté, même s'il ne mène nulle part et se termine devant un généreux verre de rhum.


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* J'ai repéré une vidéo portant le même titre "Un Deux Trois Ti Punch" mais il n'y a aucun rapport entre ce mauvais dancehall et le morceau de Ce Boug'la. Par contre, Rony Théophile reprend sur scène "Mouge" avec toute une troupe folklorique de danseurs athlétiques et des danseuses en foulard et madras. 

1 commentaire:

  1. Bonjour,
    Déjà un grand merci pour ce blog, très agréable, et on sent la touche juste en lisant les descriptions, belle plume...
    J'ai réussi à écouter ces 2 chansons "Un Deux Trois Ti Punch" et "Mouge (la derniere est magnifique) mais ton lien est mort....
    Je sais que le post est un peu vieux...mais serait il possible de le republier???
    Merci d'avance
    Suerte!!

    Florian

    ps : pour info je suis tombé sur le blog via celui de delaluneonentendtout.

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