mercredi 24 juin 2009

"Tchiriri" à la conquête du dancefloor

Dans le Rétro (de Goutte de Funk)
(A)Post(Eriori
)

En postant les archives de l'émission, on retrouve des titres et des passages sur lesquels on éprouve le besoin de rajouter quelques commentaires. Notamment parce que certains morceaux diffusés ici sont devenus des tubes. Parfois à notre plus grande surprise avec l'exemple d'aujourd'hui, le "Tchiriri" de Costuleta.



Au préalable, précisons les strates temporelles à l'œuvre sur ce blog. Si cet espace s'ouvre seulement au public (depuis le 20 juin), cela fait désormais une paire de mois que, dans mon coin, je poste les archives (écrites) de mon émission Goutte de Funk, diffusée sur Divergence-FM, à Montpellier (93.9) et sur le net (www.divergence-fm.org). Goutte de Funk termine sa troisième saison d'antenne. Les vieux numéros des deux premières saisons (2006-2007 et 2007-2008) sont donc archivés en mars et avril 2009, suis-je clair ?

En septembre 2007, nous commencions la Saison 2 par un retour aux fondamentaux du funk, le booty. Saisi dans toute sa dimension régressive, nous donnions à l'émission le titre poétique de Cosmogonie de la paire de lunes et proposions une sélection musicale multi-genres dont le point commun était de joindre le fond et la forme : parler du booty en tant que tel et, si possible, le faire bouger groovalamment.

Nous n'allions pas échapper cette fois-ci à mon enthousiasme pour le kuduro angolais (nous en avions déjà parlé lors de la Saison 1, sans prendre le temps d'en écouter), dont le nom lui-même le rendait incontournable en pareille circonstance : kuduro = "cul dur" (paraît-il en hommage au musclé postérieur du très aware Jean-Claude Van Damme). Parmi la brève sélection de la play-list de ce soir-là, outre un titre de Gata Agressiva & Kuduro Sound System (le collectif rassemblé par Frédéric Galliano), nous diffusions le "Tchiriri" de Costuleta.

La trajectoire de ce morceau est l'unique motif de ce Dans le Rétro, de ce (a)post(eriori). Car "Tchiriri" est devenu un tube. Sans qu'on l'ait vu venir, il faut bien l'avouer... Et, le 16 mai 2009, Costuleta chantait devant plus de 60 000 personnes au Stade de France, ouvrant les festivités pour les 30 ans de Kassav' (photo ci-contre).

J'ai découvert le kuduro par la lecture d'un article, avant même de pouvoir en écouter. Ma curiosité dès lors titillée, j'entrepris aussitôt d'en chercher des illustrations sonores sur le web. Et, à l'époque, il y a trois ans de cela environ, le butin de mes recherches fut assez maigre. Je dénichais quelques titres sur le site d'une radio angolaise, quelques mp3 dont les infos étaient réduites à leur portion congrue. Mais, parmi ces morceaux figurait déjà le "Tchiriri" de Costuleta. Un titre dont je me suis tout de suite entiché. Et, avouons qu'il est franchement addictif et d'un impact instantané.

Dans le même temps, j'avais également pu visionner quelques vidéos d'un spectaculaire danseur unijambiste qui réalisait d'acrobatiques figures à l'aide de ses béquilles. Est-ce les commentaires des vidéos ou mon imagination, sachant que l'Angola était un des pays les plus touchés par ce fléau, je croyais voir là une victime de mines anti-personnelle. Je repensais à certains romans de l'immense Antonio Lobo Antunes, dont le lecteur gardera à vie le souvenir de certains passages. Ainsi, le très autobiographique Le Cul de Judas, dont le narrateur fut médecin militaire pendant la guerre d'indépendance :
"Avant cela, il y avait eu la jambe de Ferreira, ou plutôt, l'absence de la jambe de Ferreira qu'une anti-personnel a transformé en un saci* à l'agonie, les cuisses en lambeaux du caporal Mazunguidi, dont j'ai retiré jusqu'à des œillets de lacets, le pansement de fraîcheur du matin sur mon front perplexe lorsque je suis arrivé sous le préau du poste de secours avec ma chemise tâchée de sang et que j'ai reçu comme une insulte la clarté indifférente du jour" (p. 68).
"Docteur il faut que vous alliez dans la jungle, parce qu'on a mis les pieds sur une antipersonnel dans une ornière, six kilomètres de Mercedes à toute pompe, et soudain le peloton dans une clairière, le caporal Paulo, couché, gémissant, et, en dessous du genou, après une pâte pétrie de sang, rien, rien Monsieur le Président et Messieurs les Eunuques, rien, imaginez Monsieur le Président, ce que c'est de voir disparaître brusquement des bouts de soi-même, les descendants légitimes des Cabral et des Gama disparaissant par fractions : une cheville, un bras, un bout de tripe, les couilles, mes chères petites couilles évaporées ; il est décédé au combat explique le journal, mais est-ce cela décéder sales fils de putains !" (pp. 116-117).

Et si ce ne fut pas la guerre d'indépendance, ce fut la guerre civile entre le MPLA et l'UNITA... Et quoi qu'il en soit, c'est encore aujourd'hui que sur le terrain des actions sont menées pour prévenir les risques des mines anti-personnel, pour permettre l'appareillage et l'insertion professionnelle des victimes (cf. Handicap International, par exemple)...

Ce n'est que beaucoup plus tard que j'appris que l'interprète de "Tchiriri" et l'acrobatique danseur unijambiste était la même personne, à savoir Costuleta. Et ce n'est pas sur une mine qu'il perdit sa jambe mais dans un accident de voiture, à l'âge de 4 ans. Ce qui ne l'empêcha pas de devenir danseur pour Tony Amado, l'homme qui lança le terme même de kuduro. Puis, Costuleta fila au Portugal d'où il démarra sa carrière de chanteur avec ce "Tchiriri" qui, semble-t-il, est son premier single.

Si cela mérite d'être nuancé, le kuduro est souvent présenté comme la première musique électro africaine. Notre œil de sociologue de la musique décela de suite dans ce style la confirmation d'une théorie élaborée lors de notre doctorat et développée dans mon livre L'Âme-sueur, à savoir : une musique populaire touchera un public élargi dès lors que celui-ci pourra s'encanailler au son de celle-ci. Le cool est avant tout canaille. Et la canaille vient souvent des cultures urbaines, des faubourgs autrefois, des ghettos désormais. Et le cool, souvent, est un euphémisme de noir. Dès lors, le trajet anthropologique du kuduro suivra le chemin depuis les bas-fonds de Luanda aux clubs branchés des mégapoles du monde entier.

A ce titre, il est intéressant de lire les commentaires récents publiés sur le blog de la radio Masala. A signaler que c'était sur ce blog que je trouvais les seuls articles en français sur le kuduro quand je cherchais pour la première fois des infos sur ce style il y a quelques années. Dans un post récent (27 avril 2009), proposant une sélection de 10 Essential Tracks, on pouvait par les réactions des visiteurs faire le point sur la percée du kuduro dans nos contrées.

Reproduisons quelques extraits de ces échanges :

"Pour ma part je n'ais pas du tout l'impression que le kuduro a explosé en France. Buraka a certes eu de nombreux articles dans la presse musicale ces derniers mois. Mais c'est loin d'être une explosion et ca les concerne surtout eux. Très peu de gens joue cette musique à Paris à ma connaisance. Et ça reste un son qui est dur a passer. J'adore le kuduro mais j'ai du mal a croire que ce genre ait un jour la faveur des parisiens. C'est une musique trop sauvage pour le clubbing d'ici qui a mon avis a du mal a sortir de son coté chic et sage. Hélas !

Ceci dit ca sera toujours une bonne chose de continuer a faire connaître cette musique un peu partout."
(Yassine aka DJ Alfred Hitchcock)
Ce à quoi, Khiasma, l'auteur du post, répond :
"Re:Yassine
Je fais en fait plus référence aux clubs antillais et "black" au sens large. Depuis un peu plus d'un an, j'ai vu apparaître Kuduro aux cotés de Zouk, Dancehall, reggae, hip-hop, Coupé Décalé et Soca sur les affiches des clubs. Y compris dans ma ville natale d'Orléans qui n'est vraiment au sommet du branché. 
Je parle pas du public blanc et branché quand je fais référence à l'explosion. Ce qui est intéressant c'est que cette musique lusophone angolaise (et quasiment nationaliste dans son imagerie) est opérée un véritable cross-over dans l'univers musical black en France pour être adopté d'abord par les cap-verdiens et ensuite par le reste du public antillais/africain. Du moins, il me semble".
Ce que Yassine aka DJ Alfred Hitchcock admet volontiers :
"Oui tu as raison, c'est clair que dans les clubs africains le kuduro est omniprésent".
El Capitan, un autre intervenant, va plus loin :
"Je parle d'un point de vue personel mais a mes souvenirs dans les "communauté afro" en europe c'était vers 2003/2004 ou 2004/2005 que le kuduro était déja gros... 
Galliano et d'autre on peut etre donné de la visibilité au kuduro pour d'autre milieu mais dans la communauté afro ils ne sont pas des references... Pour le cross-over ça ne me choquent pas en france la diaspora africaine dans les soirées on trouve toujours plusieurs genre avec toujours quelque genre dominant comme le soukouss ndombolo le coupé décalé le zouk le dancehall le kuduro..."

Dans cette perspective, le "Tchiriri" a suivi un chemin identique et n'a pas besoin de se prévaloir d'être le plus authentique des morceaux issu de la scène kuduro. Comme le souligne Akwaaba Music sur ce billet :
"So here's the word from Luanda... Costuleta is more of a mystery here, he certainly did not pay anyone for their contribution to Tchiriri, in particular not Znobia who did the beat, or Vagabanda or any others who also released previous versions of the song - and hence are technically its AUTHORS.

Et en français: en gros Costuleta est un imposteur, il a pris des beats et est parti vendre ça à des labels peu scrupuleux. Les auteurs du morceau n'ont rien à voir avec lui. Classique non?

Malheureusement ce n'est pas le seul, les gens venus à Luanda pour le kuduro ont en général laissé un goût assez amer... et tandis que tous les clubs + blogs un peu trendy parlent de kuduro, pendant que le NY Times loue les mérites du kuduro de BSS, rien ne change en Angola...

Je compte bien renverser tout ça, bientôt une avalanche de kuduro en direct de Luanda via Akwaaba!!!".

Et ce que confirme, l'extrait ci-dessous d'une émission de télé angolaise. Costuleta a piqué sans vergogne la compo de DJ Znobia. Ce qui ne nous surprendra pas outre mesure tant l'histoire des musiques populaires regorge de ce type de larcin. Au rayon des tubes mondiaux, le cas de la lambada, pour ne citer que celui-là, est digne d'un telenovela, avec ses nombreux épisodes...



Il n'empêche, Costuleta ramasse le magot. A l'image de ce type de pochettes, annonçant, en 2008, "Tchiriri" comme le n°1 dans les clubs...

Depuis, une étape suivante est atteinte, après le succès sur le terrain du dancefloor. Cette fois-ci, l'artillerie lourde promotionnelle se met même en place. Et c'est Sony Music qui s'y colle. Pour lancer la compil' Kuduro Connection, le 29 mars dernier, a été mis en ligne un jeu vidéo servant d'accroche à celle-ci. On appelle ça un advergame, puisque la finalité n'est autre que la promo d'un produit associé. Au son de "Tchiriri", le jeu nous invite à faire danser un personnage. Au choix, parmi les choix possibles, Costuleta lui-même et sa célèbre béquille.

Le cas est donc particulièrement révélateur du fonctionnement de l'industrie musicale, toujours en quête de "chair fraîche", que ses cool-hunters sont prêts à débusquer dans des zones toujours plus éloignées de l'épicentre occidental, afin de satisfaire la faim de s'encanailler du dancefloor globalisé. Loin d'être nécéssairement cynique et bassement commercial, ce mouvement pourrait chez certains beatmakers être comparé à une quête. A l'image de Diplo et sa façon de s'approprier le baile funk carioca, entre autres, pour le malaxer à sa sauce. Diplo, justement, sera à Sète, la semaine prochaine, à l'affiche du Worldwide Festival de Gilles Peterson... A suivre...

*Saci : de Saci-Pererê qui, dans le folklore brésilien, inspiré de la mythologie africaine, est un jeune gamin noir, unijambiste et facétieux.

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