Si je ne peux pas prétendre avoir jamais été un de ses fans, c'est pourtant avec une émotion certaine que je glisse ces quelques mots (qui ne peuvent être en ces instants qu'hagiographiques) pour rendre hommage à Michael Jackson...
Star inaccessible, créature mûtante, verrouillée de l'intérieur, mais dont les failles remontaient criantes à la surface. Michael Jackson, c'est l'énigme suivante : comment le plus mignon des gamins devient-il cette créature au physique inquiétant ?
Rarement star aura vu courir plus de rumeurs sur son compte. Il était encore annoncé mourant d'un cancer de la peau il y a quelques semaines. Par exemple, on pouvait lire que, se sachant condamné, il avait veillé à ce que sa sœur Janet puisse, à sa mort, bénéficier de la garde de ses enfants. Et, rongé par le stress, bouffé par les surdoses médicamenteuses, c'est le cœur qui lâche. Fidèle à lui-même, il travaillait d'arrache-pied à ses prochains concerts. Michael était un workaholic. En professionnel exemplaire, il voulait simplement offrir à son public un spectacle à la hauteur de sa légende, une légende à mille lieues de ce qu'était devenue sa réalité. Pareil type de spectacle représentait une véritable performance physique, probablement devenue hors d'atteinte. Pourtant, il devait probablement suer sang et eau pour parvenir à relever ce dernier défi. Comme on avait coutume de dire de James Brown qu'il était "the hardest working man in the show business", Michael devait être son second.
Bien sûr, Michael Jackson, c'est le plus spectaculaire des blanchiments de peau mais c'est surtout le flou le plus total sur les catégories qui semblent pourtant les plus établies enfant/adulte, blanc/noir, homme/femme... Vouloir échapper à ces catégories établies impose le plus lourd tribut qui soit à payer, non une libération, au contraire, un enfermement aux yeux des communs dans son étrangeté radicale. On pourra toujours rétorquer que ce n'est que la rançon de la gloire, la condition pour être une star, qui d'autre sera allé aussi loin ? Combien d'individus dans le monde ont-ils pu affirmer leur identité hors des carcans, encouragé par ce modèle, quand Michael lui-même s'enfermait plus avant dans... dans quoi justement ? Michael Jackson, c'est aussi l'illustration la plus touchante que les cultures populaires sont plus complexes qu'il n'y parait. Pourtant existe-il œuvre plus démocratique que la sienne ? Car si le son incroyable de Thriller a partout été reconnu, il faut savoir que Quincy Jones l'avait pensé pour bien sonner sur le plus ordinaire des transistors. Pas juste pour les audiophiles et les techniciens, pour tout le monde. Et derrière le lisse des apparences, le clinquant du synthétique, se dissimulait une âme tourmentée. Et puisqu'il est de bon ton dans un cadre intello de louer les artistes dont l'œuvre est d'accès difficile, vanter leur polysémie, qui pourra prétendre avoir réellement compris Michael Jackson ? Qui a pu comprendre la psyché de cet être ? Et quand on parle de "faire de sa vie une œuvre d'art", façon Oscar Wilde, dandies et poètes maudits, la vie et le personnage de Michael ne dépassent-ils pas son œuvre, œuvre qui pourrait finalement se résumer à quelques grands tubes universels et pas de danse magiques ?
Michael ne pouvait être qu'Américain, du pays où est né le capitalisme régressif, lequel voudrait que la vie soit le lieu où l'on va satisfaire ses besoins à la façon compulsive d'un enfant. Seulement, pour Michael, cette jouissance enfantine de la vie n'allait pas de soi, n'avait rien d'une évidence naturelle. Goûter aux plaisirs de l'enfance dont il avait été privé était le combat d'une vie.
Bien sûr, son Dark Side of the Moonwalk est encore à être révélé, pourtant rarement quelqu'un aura semblé aussi asexué. Et les accusations de pédophilie, survenues notamment après le documentaire de Martin Bashir, semble à mon humble avis une incompréhension fondamentale de la personnalité de Michael Jackson. Plus que par n'importe qui d'autre avant, Michael Jackson s'est senti trahi par Bashir. Car si on est pédophile, va-t-on déclarer face caméra que l'on dort dans la même chambre que de jeunes garçons ? En rhétorique, ça s'appelle un corax, c'est-à-dire un "argument montrant qu'une chose est si vraisemblable qu'elle en devient invraisemblable : mon client a trop de charges contre lui pour être coupable" (Olivier Reboul, Introduction à la rhétorique). S'il est sorti acquitté de tous les chefs d'accusation, Michael Jackson semble avoir été profondément affecté par un procès (où on l'a même vu un jour se présenter en pyjama !) qu'il a ressenti comme la plus incroyable des injustices. Selon ses proches, il ne s'en est même jamais remis. Et tout le monde sait bien que s'il avait besoin de s'allonger, ce n'était bien sûr pas auprès de jeunes garçons mais sur le divan d'un shrink !
Michael a renommé moonwalk, un pas déjà existant, qui s'appelait le backslide. Moonwalk, une façon de souligner que sa danse semblait échapper à la pesanteur.
Mais ce pas, devenu sa marque de fabrique, pourrait finalement être la métaphore de sa vie. Le moonwalk, c'est l'expression de son "syndrome de Peter Pan", rester dans une enfance qu'il n'a jamais vraiment connu normale, et de sa frayeur de l'âge adulte : s'il faut y aller, c'est à reculons .
Quelle ironie du sort que le décès de l'inventeur du moonwalk survienne à quelques jours du 40ème anniversaire des premiers pas de l'homme sur la Lune. (Est-ce à dire que cela fait du moonwalk un "grand pas pour l'humanité" ?)
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