Demain soir, je vais refaire quelques grillades. Malheureusement, comme nous sommes à la fin du mois et que mon découvert est abyssal, on se contentera de merguez plutôt que de délicates côtelettes d'agneau. Et, pour la première fois, cet élan primitif qui pousse l'homme à faire du feu pour cuire sa viande aura trouvé sa bande-son idéale. Seu Jorge vient en effet de sortir un nouvel album : Musicas para Churrasco, Volume 1. Soit littéralement Musiques pour Barbecue. Seu Jorge étant depuis ses débuts un de nos artistes favoris, nous n'allions pas manquer de présenter ce projet !
Mais contrairement à ce qu'un tel titre pourrait laisser croire, Seu Jorge ne s'est pas converti subitement à la musique fonctionnelle, laquelle repose sur d'autres critères qu'esthétiques. Par exemple, la meilleure danse de la pluie est celle qui fait pleuvoir en abondance. La meilleure musique de barbecue serait donc celle qui vous permet de réussir la cuisson parfaite de vos viandes. Quand le gras de l'agneau est tout croustillant mais sa chair encore rosée, fondante et juteuse. Repensez à ces expériences inoubliables, à ces premiers coups de dent qui vous font réaliser combien la notion d'orgie végétarienne n'est qu'un oxymore, combien il y a une incompatibilité entre les deux termes. L'orgie est forcément carnivore. Certes accompagnée de quelques crudités. Et de vin. Dans une perspective fonctionnelle, Seu Jorge raterait son coup. Car au lieu de vous aider dans la réussite de vos grillades, il vous distrait au contraire de l'attention qu'elles réclament pour vous donner envie d'aller bouger, boire un verre avec les amis et autres activités qui, si elles stimulent l'ambiance de la réunion et fluidifient les liens entre ses participants, ne sont point garantes de sa réussite gastronomique. Là, n'est pas l'essentiel, me direz-vous. Un bon churrasco, c'est avant tout un moment à partager avec des amis. A la bonne franquette.
Pourtant qui a des amis brésiliens, notamment gauchos, sait combien au Brésil le churrasco est une véritable institution. Les grillades y sont un sujet trop sérieux pour être laissé aux femmes. Même celui qui ne met jamais les pieds dans la cuisine se fait un devoir de cuire sa viande avec l'aplomb de qui repartirait chasser l'auroch le lendemain matin. Le plus fameux pique-nique dont je me souvienne eut lieu au bois de Vincennes avec une bande de copains de fac où les Brésiliens représentaient une bonne moitié de l'équipe. Ils avaient eu la généreuse attention d'aller acheter du bœuf argentin et l'un d'entre eux avait pris les choses en main, au point de gagner le titre de "Monsieur Viande" pour sa maîtrise du feu et de la cuisson d'une côte de bœuf des familles.
C'est justement parce que le churrasco est une institution au Brésil que Seu Jorge choisit de lui consacrer un album. Ce disque est celui de son retour à la brasilianité. On sait que sa carrière de chanteur et d'acteur l'a conduit à être impliqué dans de nombreux projets internationaux. On se souvient par exemple que son récent album de reprises avec Lucio Maia et Pupilo, membres de Nação Zumbi, avait été signé sur le label californien Now Again Records, sous-division de Stones Throw. Aussi avec Musicas para Churrasco, Volume 1, Seu Jorge veut-il renouer avec une inspiration typiquement brésilienne.
Le thème du barbecue dominical dans un quartier périphérique est traité par le biais de personnages croqués au gré des morceaux. "Il s'agit d'une chronique sur une banlieue de Rio de Janeiro où les gens se retrouvent", expliquait Seu Jorge à la presse en invitant chez lui les journalistes à un... churrasco ! Les morceaux s'enchaînent en une galerie de portraits, celle de voisins rassemblés en pareille occasion : le meilleur pote, la nouvelle voisine dont on ne connaît pas encore le nom mais qui est canon, l'amie de sa femme, la Japonaise, etc... L'ambition de Seu Jorge est de donner suffisamment de consistance à ses personnages pour qu'on les retrouve sur de prochains albums. A vrai dire, il rêve même d'en tirer un film au terme de la trilogie prévue pour les années à venir. Ce qui n'étonnera personne tant il a su trouver sa place dans l'univers du cinéma. On se souvient également que le clip de "The Model", sur son précédent album, réalisé par Kahlil Joseph sur les collines de Los Angeles, était déjà un véritable petit court-métrage en noir et blanc en deux parties (première ici et deuxième là).
Alors que Seu Jorge imagine déjà la distribution d'un tel film, nous en sommes encore à découvrir l'album et, hormis la pochette particulièrement vilaine, à nous en réjouir. Nous avions découvert Seu Jorge en 2001, avec son premier album Samba Esporte Fino, et y avions apprécié son mélange irrésistible de samba et de funk, son débit hyper-rapide chevauchant le rythme avec un aplomb unique. S'il a enregistré par la suite des albums plus intimistes et minimalistes où sa voix faisait également merveille, il renoue ici avec sa veine plus festive. Carrément funk*. Si América Brasil, sorti en 2007, a obtenu un beau succès au Brésil, Musicas para Churrasco, Volume 1 s'apprête à faire encore mieux : "A Doida" tourne déjà en boucle sur les radios. De plus, la notoriété acquise ces dernières années lui a ainsi valu de signer ce premier album chez Universal.
Pour Seu Jorge, réussir un disque ou une viande s'appuie sur le même principe : "il n'y a de l'animation que si le collectif est bon. Il faut une bande motivée et bien disposée. Il faut que ça bouge : il y en a un qui amène la viande, un autre qui la prépare, un qui allume le feu, un autre qui choisit la musique. On peut avoir des légumes, des fruits. Tu peux griller ce que tu veux. Le churrasco, ce n'est pas que de la viande. C'est manger, boire et chanter". Je concèderai que nous ne chantons pas assez dans nos barbecues mais nous partageons la même philosophie.
Si Seu Jorge dit avec humilité que ce sont là des chansons à écouter en lavant sa voiture, ou sur son iPod en allant acheter le pain, il dit aussi que l'ambition de cet album est de donner envie de danser. En constituant ce qu'il appelle un "quarteto fantástico" pour balancer du funk, il devrait atteindre sans souci cet objectif. Il retrouve pour cela son vieil ami Gabriel Moura, avec qui déjà il faisait équipe lors de ses débuts au sein du groupe Farofa Carioca, convie Pretinho da Serrinha, percussionniste très sollicité et également partenaire de longue date, et Rogê, autre Carioca de talent menant sa propre carrière de front. Sans oublier Mario Caldato Jr., autre fidèle, toujours à la production. L'expérience californienne de Seu Jorge & Almaz lui aura aussi permis de nouer des contacts précieux. Ainsi, on retrouvera ici le brillant Miguel Atwood-Ferguson aux arrangements de cordes, notamment sur le titre qui vient clore l'album sur une tonalité plus apaisée, "Quem Não Quer Sou Eu".
Chez moi, l'espace dédié aux grillades est des plus rudimentaires. Plutôt que sur un barbecue de beauf', je grille la viande sur une grille simplement posée sur deux grosses pierres. C'est roots mais on se régale quand même. J'espère simplement qu'avec l'écoute conjointe de Musicas para Churrasco, Volume 1, mes merguez ne seront pas calcinées ou qu'au contraire je n'oublierai pas d'attiser mes braises !
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* Du vrai funk, pas celui qui rend fou un million de Cariocas chaque week-end !
A propos de viande et de barbecue, je recommande un fascinant article :
RépondreSupprimerhttp://bossanovabrasil.fr/on-ne-rigole-pas-avec-la-picanha-188363.html
J'ai bien sûr lu ce fascinant article et je sais que j'ai à faire à un gourmet connaisseur. Et je ne suis pas dupe : les merguez, c'est un truc de "petit joueur". Le bœuf, faut pas se rater !
RépondreSupprimerHello mate nice post
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