samedi 6 août 2011

Gerônimo et Guga Stroeter embrassent la mer


Enfin les vacances. A la veille d'aller passer quelques jours en face du Brésil, simplement séparés par l'Océan Atlantique et un hémisphère, je voulais un morceau qui contienne cet élan mystique qui nous relie à la mer. Le titre choisi m'accompagne depuis quelques semaines, il s'agit de "Agradecer e Abraçar", composé et chanté par Gerônimo, figure essentielle de la scène musicale bahianaise. Ce morceau figure sur Agô! Cantos Sagrados de Brasil e Cuba, un fantastique album.


Cet album initié et dirigé par Guga Stroeter entend relier le Brésil et Cuba, deux Mondes musicaux si loin si proche qui ont des racines communes en raison de l'héritage yorouba de ces deux pays. Héritage qui s'exprime ici par le biais des chants religieux du Candomblé au Brésil, de la Santeria à Cuba. Il faut préciser que Guga Stroeter est un de ces rares musiciens brésiliens qui se soient intéressés de près à la salsa et la musique cubaine. Car malgré quelques essais réussis, au premier rang desquels nous placerons Identidade, l'album cubain d'Olivia Byington, ou Carlito Marron de Carlinhos Brown, les collaborations sont finalement assez rares entre musiciens de ces deux géants de la musique qui, peut-être, ont tendance à se toiser drapés de jalousie et d'orgueil.

Même si, sur Agô!, les voix principales sont celles d'authentiques ogãns, Sapopemba et Valdemar, Guga Stroeter n'a pas souhaité enregistrer un disque de musique religieuse. A la tête de son Orquestra HB, il a réalisé un fantastique travail sur ces rythmes ancestraux en les parant de la sophistication du jazz. "Ainsi, expliquait-il, cette musique cesse de n'avoir qu'une valeur anthropologique pour devenir une musique qu'on aura envie d'écouter ou qui nous donnera envie de danser en dehors de tout rituel".


Agô! a été enregistré entre le Brésil et Cuba en 2001. L'album est sorti en 2003 sur Sambatá, label et ONG fondé et dirigé par Guga Stroeter lui-même. Il vient de sortir un autre album qui poursuit son exploration des musiques et rythmes religieux du candomblé (de Nação Ketu), Xirê Reverb. Mais de Guga Stroeter et de son traitement "jazz" des musiques religieuses afro-brésiliennes, nous reparlerons prochainement. Dans quelques heures, je serai sur la route et le seul sujet du jour, c'est cette ode à la mer interprétée par Gerônimo.

A travers sa chanson "Eu Sou Negão", Gerônimo a joué un rôle essentiel pour l'affirmation de la culture afro dans la société de Bahia. Mieux que quiconque, avec beaucoup de spontanéité, "Eu Sou Negão" a su chanter le "Black is beautiful" en version bahianaise. Mais de cela aussi nous reparlerons une prochaine fois, en 2012, puisque nous avons déjà prévu de revenir sur le phénomène qu'a provoqué ce morceau. Aujourd'hui, nous n'évoquerons Gerônimo qu'à travers sa participation à Agô!. S'il n'est pas lui-même ogãn, la spiritualité du candomblé irrigue sa musique. Son morceau le plus célèbre et souvent repris, "É d'Oxum" associait  déjà les habitants de Salavador à la déesse des eaux douces, Oxum. "Nessa cidade todo mundo é d'Oxum / Homem, menino, menina, mulher". Quand il chante que tout le monde est d'Oxum, "homme, garçon, fille, femme", Gerônimo signifie que les Bahianais de Salvador possèdent les mêmes qualités (et défauts) que cette orixa, la beauté, la séduction et la vanité !

"Agradecer e abraçar" qu'il interprète ici, commence par une incantation, un oriki à Oxum interprété sur un rythme ijexá*, avant de finir en salsa ! Aux percussions consacrées, les atabaques et agogôs, viennent se joindre dans la deuxième partie les congas, clave et timbales qui donnent sa couleur cubaine au morceau. S'il fait partie des titres favoris de son répertoire et que Gerônimo a déjà enregistré cette composition sur un de ses albums, la richesse des arrangements lui donne ici une toute autre dimension.

Si "Agradecer e abraçar" est devenu un des titres qui ont rythmé ces dernières semaines, c'est parce qu'il fallait une bonne dose de foi ravie pour porter des paroles d'une telle simplicité : "abracei o mar na lua cheia, abracei". Si on traduit, "j'ai embrassé la mer par une nuit de pleine lune", ça a tout de suite l'air un peu cucul. Seuls justement l'enthousiasme et la bonne humeur de Gerônimo pouvaient parer ce morceau de vertus insoupçonnées. Il irradie quelque chose d'intense de ce gros bonhomme, une familiarité si forte qu'on a tout de suite envie de chanter avec lui.


Ne me demandez pas pourquoi on commence ici par célébrer Oxum, orixa des eaux douces, pour ensuite vouloir embrasser la mer et s'en remettre donc à Iemanjá... Peut-être parce qu'on est vite bigame quand il est question d'eau. Parce que dans "É d'Oxum", Gerônimo chantait "Toda gente irradia magia / Presente na água doce / Presente na água salgada", dans l'eau douce et l'eau de mer... Peut-être...

Mais alors que nous l'avons écouté et réécouté en ces temps de beaux jours, il nous console même d'une légère déconvenue météorologique à la veille de prendre la route, alors que la bruine nous cache le soleil. Et je sais que quand je découvrirais les plages face à l'océan, j'ouvrirais moi aussi les bras pour embrasser la mer, le regard tendu vers l'horizon et au-delà, vers le Brésil, juste en face, en bas là-bas...

Gerônimo avec l'Orquestra HB & Grupo Abaçaí, "Agradecer e Abraçar", Agô! (2003) mp3 320kbps

En complément, même si le son est mauvais et l'image floue, voici une vidéo où Gerônimo interprète "Agradecer et Abraçar"... Pour se faire une idée de l'entrain de notre bonhomme...



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* On retrouve le morceau sur Xirê Reverb (2011), interprété cette fois-ci par Aloísio Menezes

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