dimanche 5 décembre 2010

Les Funkakazis d'Osaka Monaurail en Cosmic Groove Session

Hier soir, pour la cinquième fois, à raison d'un concert par an, Osaka Monaurail se produisait sur la scène du JAM, dans le cadre des Cosmic Grooves Sessions montpelliéraines. On peut considérer que pareille fidélité tient plus à la satisfaction du programmateur, via de bons retours par le bouche-à-oreille, qu'à un amour immodéré du groupe pour notre région. Au moins, doivent-ils éprouver une sincère reconnaissance à l'égard de Mister Cosmic Groove himself puisqu'il fut le premier à les inviter à se produire sur une scène européenne.

Et quand les funkakazis* d'Osaka Monaurail repassent par Montpellier une fois de plus, le public est là, la salle pleine. La version nippone des J.B.'s a gagné sur les planches sa réputation. Sur disque, bof, comme pour beaucoup de ses contemporains de quelque origine qu'ils soient, on préférera toujours écouter les originaux d'époque, même de seconde zone, plutôt qu'un ersatz d'aujourd'hui. Qu'importe, adepte de cette vague du rétro-funk, le groupe se propose de nous ramener à la fin des années soixante, "let's go back, let's go back", pas celles débraillées et chevelues du psychédélisme mais celles des costumes bien taillés et des chaussures bien cirées des musiciens de James Brown.

En début de ce concert démarré pied au plancher, embarrassé d'un verre de vin encore à la main, alors que le groupe venait de finir son premier morceau sous les acclamations de la salle, je me souvenais de ce célèbre kōan : "on connaît le bruit de deux mains qui applaudissent mais quelle est le bruit d'une main qui applaudit ?"... Et j'avoue que je n'ai pas pris le temps de chercher une réponse et me suis contenté d'un vague claquement de doigts de ma main libre en guise d'approbation, la méditation zen attendra...


Osaka Monaurail a attaqué en version instrumentale, avec ses huit musiciens en uniforme, à savoir costume noir aux motifs pied-de-poule et cravate, deux trompettes, sax, trombone, deux guitares, basse, batterie, tous l'air étonnamment juvénile. Le leader se faisait désirer, à l'ancienne ! C'est de bonne guerre. Le groupe chauffe la salle avant qu'il ne vienne porter l'estocade. Celui-ci, Ryo Nakata, ne sait ni vraiment chanter, ni vraiment danser, ni super bien jouer du clavier mais c'est lui le patron, lui qui parle et qui ambiance. De James Brown, il a retenu les cris, les interjections ryhtmiques, il faut dire que le reste est probablement hors de portée du commun des mortels. Il surjoue donc les mimiques et instaure une parodie de tension.

Depuis James Brown, on sait qu'il existe une hiérarchie dans les groupes de funk : le leader, ses lieutenants et la troupe. Ryo Nakata est le vrai patron... Si tous portent des mocassins, seuls les siens sont à glands. Son costume n'est pas le même que ceux des musiciens, plutôt inspiré de celui de James période Gettin' Down to It...


Mais Osaka Monaurail, à sa façon, anéantit une partie des clichés et préjugés en vogue à l'égard des Japonais. Vous voyez bien de quoi je parle, le côté fourmis laborieuses. Thierry Roland dirait : "le Japonais est studieux". Il bosse comme un malade. Même en musique, le phénomène prête parfois à sourire. Ainsi, l'Orquestra de la Luz qui reproduit la salsa avec une fidélité de véritable maniaque... Certes, Osaka Monaurail a un sens du détail lui aussi maniaque et pousse assez loin le mimétisme. Certes, ils pratiquent le funk avec sérieux : le groove ne supporte pas d'approximation, mais Ryo Nakata introduit une ironie qui peut surprendre... En exagérant le moindre geste, il signifie bien qu'il ne faut pas prendre ça trop au sérieux. Il est pitre ou meneur de revue pour se faire pardonner de ne faire qu'un simili-demi-grand écart, de ne savoir qu'esquisser le funky chicken et autres danses que James exécutait avec une énergie diabolique. On cite ses références : le nom du groupe renvoie à un titre du maître et des siens, "(It's not the Express) It's the J.B.'s Monaurail". La propension à régenter ses troupes avec une discipline militaire du Parrain est gentiment moquée : "quand vous rejoignez Osaka Monaurail, il est interdit de sourire sur scène, toi (le saxo, ndla), tu viens de sourire, je vais te donner dix, quinze, vingt euros d'amende"... A la limite parfois de la Comic Groove Session, sans le s, malgré l'air imperturbable des musiciens.

Qu'il existe des groupes japonais jouant le funk à l'ancienne pourra bien en étonner certains qui croiraient qu'il a à peu près autant de sens du groove chez les funkakazis que d'amour des petites fleurs chez Materazzi. Comme si l'essence même du funk était incompatible avec la nipponité, selon quelques vieux préjugés, du moins.

Ce serait oublier que nous vivons déjà dans la culture globale et plus encore, si l'on veut bien y réfléchir un instant, cela est bien moins incongru qu'il n'y paraît. En effet, Kokichi Shoji, dans son article "Le Nipponisme comme méthode sociologique" (in Sociétés - Revue des Sciences Humaines et Sociales n°31, 1991) expliquait que, dans la culture japonaise, la conception de la personne est à l'opposé de l'individualisme occidental. Avant tout comptent les relations. S'appuyant sur l'oeuvre philosophique de Tetsuro Watsuji, qui a servi de base au nipponisme, Shoji montrait que l’homme occidental serait le kojin, c'est-à-dire l’individu, quand le Japonais serait le ningen, c'est-à-dire l'homme, ou plus exactement, non pas l’homme mais les hommes considérés dans les relations qu’ils entretiennent entre eux. "Watsuji souligne que le lot ningen se compose du mot hito (homme) et du mot aida (entre) et que cela signifie que le ningen n'est que son aidagara (les relations elles-mêmes entre les hommes".

Le funk, lui, pourrait se définir comme une "togetherness in motion", un être ensemble en mouvement. C'est-à-dire : le funk est une musique profondément collective, chacun apporte sa pierre à l'édifice et trouve sa place dans le groove, la grande roue rythmique. Nous pourrions donc funk-a-logiquement en conclure que l'aidagara d'Osaka Monaurail pourrait être interprété comme une expression de la togetherness-in-motion du funk. Mais je me trompe peut-être...

Sur scène, en tout cas, ça marche... Sans se prendre au sérieux et, surtout, sans jamais perdre le fil du groove.



* Funkakazi : néologisme georgeclintonien qui signifie "oriental funkateer"

1 commentaire:

  1. C'est vrai qu'ils sont vraiment à ce qu'ils font les musiciens japonais. Quand ils apprennent la bossa ils bûchent jusqu'à jouer comme João Gilberto... Et dans les stages de flamenco à Grenade ils travaillent nuit et jour. D'un autre côté on ne peut pas dire que leurs musiques traditionnelles s'exportent facilement !

    RépondreSupprimer