mardi 27 juillet 2010

L'authenticité ? Diplo s'en fout...


Pitchfork vient de mettre en ligne une longue interview de Diplo. Y a-t-il témoin plus avisé que Wesley Pentz, alias Diplo, pour parler de la globalisation culturelle, de la diffusion des musiques du ghetto à travers le monde, de la manière dont il se sert des sponsors sans réticence éthique ? De la façon dont les jeunes branchés vont s'encanailler sur le baile funk ? Du cool et des chasseurs de cool ? Diplo sillonne en permanence la planète. Il n'est même plus jet-lag, juste un témoin privilégié et lucide de ce qui fait tourner les dancefloors du monde.

DJ, producteur, fondateur du label Mad Decent, ex de M.I.A., alors que sort un nouvel EP de Major Lazer, Diplo a toujours plusieurs casseroles sur le feu, plusieurs cordes à son arc. Alors que pour de nombreux DJs, crate-diggers maniaques, le bonheur est d'être enfermé dans le sous-sol d'un vieux disquaire, entourés de piles poussiéreuses de vinyls prêtes à s'écrouler (cf. la scène avec DJ Shadow dans le documentaire Scratch !), Diplo appartient à une autre école. Il n'écume pas les bacs à disques, à la recherche d'un obscur vieux 45 tours, en quête du break parfait, non, lui est à l'affût de ce qui bat, ce qui émerge dans n'importe quelle périphérie du monde moderne. Ancré dans son époque. Parmi les plus notables faits d'armes de Diplo, il faut lui reconnaître d'avoir contribué à populariser le baile funk en dehors du Brésil. Ce qui était une musique des ghettos, apparue dans les favelas cariocas, était devenu un style en vogue dans les clubs branchés de toutes les métropoles. Ce trajet anthropologique du baile funk est un phénomène commun à la plupart des musiques populaires. Elles touchent un nouveau public dans un contexte plus paisible et permette à celui-ci de s'encanailler sur des musiques encore brutes. Une thématique à laquelle j'ai consacré un chapitre de mon ouvrage L'Âme-Sueur (1998) mais que je ne vais pas développer ici.

Je ne vais pas plus rentrer en quelques lignes dans une analyse fouillée de ce que peut représenter aujourd'hui Diplo. Mais on ne peut que souligner qu'il sera toujours perçu par certains comme le "white boy who stole the soul". Par sa façon de s'approprier les musiques du ghetto, le baile funk donc, ou plus récemment le dancehall avec Major Lazer, Diplo est un maillon essentiel de la grande chaîne de la chasse au cool, le cool étant ce carburant vital des industries de la mode et du divertissement. Il en est tout à fait conscient : "a lot of people are bothered by me being white and doing stuff like this. I keep doing this stuff. I think I'm good at it".

Le Baile-Funk, du ghetto pour le ghetto, et au-delà
Concernant le baile funk, il revient ici sur la façon dont le style s'est développé, à partir de la Miami Bass, pour aboutir à cet hybride typiquement carioca. Tout en relevant la structure de ce marché, résolument à l'écart, en circuit fermé, du ghetto pour le ghetto, ce qu'a déjà bien souligné Hermano Vianna, l'anthropologue brésilien y ayant consacré pas mal de recherches (voir, par exemple, "Funk et Culture Populaire carioca")

"Something like baile funk is so complex. It's just Miami bass, a subset of hip-hop. It's like evolution. Australia has crazy-ass marsupials because it's an island and they bred themselves into something weird. That's kind of what happened with baile funk. Miami bass got trapped there and became this strange, hybrid Brazilian thing. But the thing about funk was there wasn't an industry. For a while they were selling singles, but it was only in Rio. It was done on bootleg CDs. There was no giant hand helping to move it one way or another. It's just how kids wanted it, as raw as possible. And that's what's so interesting about that scene. I've never seen it develop like that anywhere else while I've been traveling.

The first time I went to Brazil, you couldn't hear that music anywhere but Rio. Maybe in São Paulo. What helped make it grow were people were playing it outside of Brazil. People in Brazil were like, we can play this now, it's not just ghetto music or black music, it's our music. It's cool-- white kids in Europe are dancing to it now. That helped it spread.

The same thing happened with samba. It was really ghetto stuff, then the records came out on Verve and they started fusing it with jazz and big band and stuff. Same thing happened with baile funk, except that it became ultra Backstreet Boys-style, easy-to-digest pop music after the first wave came back to Brazil. It's become really cheesy. I haven't liked it for the last four years. If you do go to Rio and you go back to the ghetto and you hear the parties promoted by the gangsters you can still hear it where it's pretty raw. Like any underground scene, when it gets too glossy, the whole thing collapses and then goes back underground".

M.I.A., l'ex et ses contradictions épinglées
Vous n'êtes probablement pas sans ignorer le fameux article "M.IA.'s Agitprop Pop" que Lynn Hirschberg a consacré à M.I.A. pour le New York Times. On pourrait parler d'un portrait à charge. La journaliste semble prendre un malin plaisir à pointer les contradictions de M.I.A. Que la rebelle ait épousé un fils à papa, héritier multimillionnaire de l'empire Seagram. Que ses prises de position sur la politique sri-lankaise soient caricaturales et ne fassent que jeter plus d'huile sur un feu déjà bien attisé. Ces contradictions de M.I.A. furent cristallisées par Lynn Hirschberg à travers l'anecdote des "frites à la truffe" et cette phrase qui tue : " 'I kind of want to be an outsider', she said, eating a truffle-flavored French fry". Ce qui a rendu M.I.A. hystérique : elle a même mis en ligne son propre enregistrement de la commande prise par la serveuse, pendant l'interview, afin de prouver que c'était, en fait, la journaliste qui avait commandé ces frites à la truffe par qui le scandale arrive !!!).


Interrogé sur le sujet, Diplo avait, explique-t-il à Pitchfork, déjà conseillé depuis un moment à M.I.A. de laisser tomber les sujets politiques. Et pour ceux que la politique intéresse, il conseillait sagement :
"If you want politics read Howard Zinn books or go to Ted.com. That's a way better fucking place to get your information from then M.I.A.'s album. If you want awesome music, buy her record".

Vendre son cool tout en pensant à demain
Diplo est un tastemaker, un défricheur qui va lancer des tendances. Il jouit de ce crédit auprès des marques qui vont utiliser son nom et sa notoriété pour colorer leur image. C'est de bonne guerre. C'est le jeu qu'il faut jouer aujourd'hui et il s'y est parfaitement adapté. Ce sont d'ailleurs des gros clients qui le sollicitent...
"You have to play the game to reach people these days. You're selling your cool to them so they can sell your music to people. It's a hard game to play and there are some sponsors we never work with for certain reasons. Then there are some people who we just happen to work with, like Red Bull, who have done fucking amazing things for us. They're helping us with the carnival party and workshops for kids. Even Diesel, they're helping us with our block party this year. I can't believe how much freedom they give us to do shit, and they barely get anything out of us, it seems".

Il suffit de faire attention et ne pas choisir la planche pourrie.
"But it is hard because those are the people who have the real media outlets. We just have the material. It's kind of weird. You have to be careful. (...) It's like stepping stones; you step on the wrong stone, you fall into the water".

J'avais lu un jour dans une critique que si Marc Bolan n'avait pas déjà pris le nom, Wesley Pentz aurait probablement choisi de s'appeler T. Rex plutôt que Diplo. Rapport à son comportement carnassier. Diplo est cependant conscient qu'il ne doit pas scier la branche sur laquelle il s'assied. Il est le pourvoyeur de rythmes du ghetto global pour les clubbeurs de la Terre entière. Il faut donc que les kids des ghettos-favelas-périphéries continuent d'inventer ces musiques afin que des gens comme lui se les approprient et les recyclent pour la jeunesse branchée du monde privilégié.
"You know the kids that are making the ghetto stuff I can't even reach are the ones that are inspiring me to play music for the other kids in the city they don't even know about. If I don't get those kids making music, there won't be an original kid DJing like me in five-to-10 years".

On comprend bien sûr que pour justifier sa position, la notion d'authenticité soit bannie de son vocabulaire. Qu'il s'agisse de celle de la musique, bien sûr, à une époque où des hybrides donnent naissance à d'autres hybrides et où, parfois, on ne parviendra même plus à identifier les sources ayant donner naissance à ces hybrides d'hybrides. Et, surtout, qu'il s'agisse de celle de son auteur. Oubliée la notion de street-cred', évacuée la légitimité. Ne reste plus que des formes malléables que l'on doit manipuler avec talent.

"There's no level of authenticity. When I started working in Jamaica, being some white guy going to Jamaica to tour, someone requested some cheesy house music and Chumbawamba. Who cares about authenticity now? It doesn't matter. All that matters is people are enjoying themselves. Authenticity--that word doesn't exist in my vocabulary anymore".

5 commentaires:

  1. super blog ! et que d'écriture, que d'efforts ! merci

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  2. Chouette analyse partagée. J'irai même plus loin.
    Concernant son aspect défricheur, en particulier pour le baile funk, Diplo a été "initié"par l'allemand Daniel Haaksman, fondateur du label Man Recordings. Label de qui a d'ailleurs produit les 1° Diplo ;) et qui a sorti les 1°compilations Baile Funk (Favela Booty Beats vers 2003..)
    Ensuite pour avoir observé très attentivement l'ascension de Mad Decent, il faut reconnaître que Diplo est un BOSS de la com et de l'utilisation des médias.
    Il faut mettre à son crédit que c'est un gars qui ne s'économise pas, un workaholic. D'ailleurs la qualité de ses prods s'est largement élevée.
    Un autre point sur lequel l'américain est très fort : il met d'accord mainstream & underground ; ce n'est pas rien.
    Je dirais que Diplo est un synthèse de ce que j'appellerai "l'entertainment 2.0"

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  3. Effectivement, Diplo est tout à fait 2.0 comme gars. Entertainment 2.0, oui. Et certainement autre chose aussi. Et puisqu'il parle d'évolution dans son interview pour Pitchfork, lui a carrément réussi sa mutation pour s'adapter aux nouvelles lois de l'économie musicale, c'est-à-dire "vendre son cool", comme il le dit.

    Mais ma réponse élude le talent du bonhomme. Un artiste vraiment emblématique de ce qui s'invente aujourd'hui et dont je pense qu'on aura l'occasion de reparler.

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  4. Intéressant article. Je découvre ce blog, mais rien qu'à voir la liste de tags à gauche, je sais que je suis ici en territoire ami ;-)

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  5. Bienvenue Boebis,

    Merci. J'espère qu'on aura l'occasion de se recroiser dans les parages.

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