samedi 19 décembre 2009

Lu-Fuki ya Kongo, ou la Malédiction de l'Article 15

GdF #3.8 et #4.1
(mai et septembre 2009)
Goutte de Funk @Divergence-FM (Montpellier 93.9 et www.divergence-fm.org)

Enfin mis en ligne !!!

Play-List :
Docteur Nico & African Fiesta, "Kiboloso", Eternel Docteur Nico 1963-1965
Staff Benda Bilili, "Je T'aime", Très Très Fort (2009)
Papa Wemba Et Viva La Musica, "Zonga Zonga", Congo 70 - Rumba Rock
Isaac Pedro Et OK Jazz, "Si tu bois beaucoup", African Pearls 1 : Congo - Rumba on the River (1962)
Docteur Nico & Rochereau Et African Fiesta, "Paquita", African Pearls 1 : Congo - Rumba on the River (1965)
Docteur Nico & African Fiesta, "Me voy a cantar", Eternel Docteur Nico 1963-1965
Docteur Nico & African Fiesta, "Tu m'as déçu Chouchou", Congo 70 - Rumba Rock (1969)
Grand Kalle Et African Jazz, "Indépendance Cha Cha", African Pearls 1 : Congo - Rumba on the River (1960)
Depiano & Beguin Band, "Gouvernement Ya Kongo", Ngoma (Souvenir Ya L'Indépendance) (1961)
Franco Et OK Jazz, "Grupo OK Jazz", African Pearls 1 : Congo - Rumba on the River (1959)
Tabu Ley Rochereau & L'Orchestre Afrisa, "Sebene - 182" (1973)
Tabu Ley Rochereau, "Aon Aon", The Voice Of Lightness (1973)
Trio Madjesi, "8e Round Interview (Saak Saakul)", African 91.162 (Madjesi SOS28)
Trio Madjesi & Orchestre Sosoliso, "Sex Madjesi", Congo 70 - Rumba Rock
Bavon Marie Marie & Négros Succès, "Libangana Libumu", Congo 70 - Rumba Rock


Depuis que Goutte de Funk a vu le jour et a commencé à s'écouler sur les ondes depuis Divergence, il était inscrit que nous plongerions un jour vers cette source authentique du funk, le Congo. Mais si c'était effectivement planifié depuis l'origine du projet Goutte de Funk, cette célébration ne pouvait plus attendre : après tout, la plus authentique des sensations de cette année 2009 est la sortie de l'album du Staff Benda Bilili, lequel Staff, après avoir enflammé la Fiesta des Suds marseillaise, sera prochainement au Rockstore. Pour donner une idée de ce qui nous attend, signalons que, l'été dernier, l'organisateur des Eurockéennes de Belfort regrettait de ne pas les avoir programmés sur la scène principale tant ils ont cassé la baraque.

Avant l'accueil médiatique enthousiaste réservé à ce groupe étonnant, le terrain a été au préalable balisé par une série de compilations qui rendent à la rumba congolaise toute sa gloire et son éclat, citons celles de la série African Pearls, initiée par Ibrahim Sylla, ou celles de Stern's consacrées à Rochereau et Franco, exemplaires. Sans parler du son tradi-moderne remis au goût du jour par la série Congotronics de Vincent Kenis et ayant trouvé des adeptes, avec le projet CongopunQ de Cyril Atef, ou les Américains de Nomo, sans parler de Björk, qui invita Konono n°1 sur son album Volta. Mais du tradi-moderne, il sera question dans une autre émission. Ce soir, c'est rumba...


En guise d'introduction à notre périple du jour, "Kiboloso", un titre du Docteur Nico que j'ai cherché pendant des années. Un morceau qui sonne comme une démo, pas franchement abouti, mais dont justement la spontanéité le rend imparable. J'avais à l'époque (il y a une bonne vingtaine d'années) enregistré l'album sur une cassette, la dite cassette ayant tourné en boucle sur de multiples magnétos a fini par quasiment rendre l'âme... Et là, récemment, miracle de la serendipity du web, le soir même où je commençais à plancher sur ce projet d'émission, je tombe miraculeusement dessus via le blog Global Groovers. Il s'agit d'un album des années 1963-65, de la collection Merveilles du Passé, intitulé Eternel Docteur Nico (ici).



La Source du funk

A tous les amateurs de James, George, Sly, Michael, sachez donc que le Funk trouve sa source au Congo. Nous avons suffisamment expliqué que la vocation de la Goutte de Funk mensuelle de Divergence est de débusquer l'esprit plus que la lettre du funk. D'où la rumba et son sébène au menu de ce jour. Et question groove, vous n'allez pas faire le voyage musical pour rien, le Dr. Funkathus s'en porte caution. Pour la rumba, préparez la petite serviette pour éponger votre front de danseur endiablé, préparez une bonne bière en guise de rafraîchissement, même si elle est un peu tiède, et montez le son.

Pour nous accompagner dans cette première exploration des musiques congolaises, nous avons convié François Bensignor à nous donner quelques clés pour comprendre les subtilités de cet art contagieux afin d'en mieux goûter les vertus. S'il est une des plumes de référence des musiques du Monde en France, l'auteur du livre Sons d'Afrique et du Guide Totem des Musiques du Monde (ouvrage auquel votre humble serviteur a collaboré sous sa direction), ou encore le réalisateur du documentaire Papa Wemba Fula Ngenge, c'est avant tout au passionné de rumba que nous nous adresserons ce soir... (J'essaierai prochainement de mettre en ligne sa version audio.)

Lu-Fuki, sous l'aisselle des anciens
Le funk viendrait donc du Congo ? C'est ce que l'étymologie du terme semble, en effet, indiquer selon Robert Farris Thompson, le grand historien de l'Art africaniste. Dans son ouvrage célèbre Flash of the Spirit, il montre combien l'apport africain est présent dans ce qui caractérise l'essence de la culture noire américaine, et par extension l'ensemble de la culture populaire américaine : le cool vient du yoruba, le hip du wolof et le funk du ki-kongo, comme nous le verrons ce soir.


Selon Farris Thompson, le funk dériverait du terme lu-fuki, qui signifie littéralement forte odeur corporelle mais dont le sens n'est pas négatif. La notion de "choc des civilisations" est une erreur coupable qui nous a mis dans une belle merde ces dernières années. A l'inverse, il existe bel et bien un frottement des civilisations. Ainsi, insistons sur le fait que le développement du funk aux Etats-Unis révélait un rapport fondamentalement différent au corps que celui de mise dans les sociétés occidentales et anglo-saxonnes. Le funk, et sa sueur étymologique, témoigne d'une conception africaine plus simple et décomplexée, comme en témoigne le rapport aux odeurs corporelles. Aux Etats-Unis, elles doivent être purement et simplement effacées. Dans le funk, on est comme on est : l'important est d'être bien dans sa peau, même quand on sue, même quand on pue.

La notion de lu-fuki insiste également sur la notion très africaine du respect dû aux anciens. Il est considéré que l'odeur corporelle des anciens est plus forte, mais elle est aussi perçue comme une énergie positive émanant de leur personne. Les plus jeunes iront donc chercher comme une forme de "bénédiction" auprès d'eux, dans le creux de leur odeur. On dira donc (pour faire un jeu de mot facile mais qui fait sens) que les anciens ne les prennent pas seulement sous leur aile, mais littéralement sous leur aisselle. On rendra hommage aux aînés en déclarant : "yati, nkwa lu-fuki ! Ve miela miami ikwenda baki" (c'est-à-dire : voici une personne très funky, mon âme se tend vers elle pour qu'elle me bénisse) (p. 104). Comme le dit un proverbe lingala, "zóba libosó, mayélé na nsima" , qui se traduirait par notre classique : "la sagesse vient avec l'âge".

Le Très très fort chant d'amour des parias de Kinshasa
L'album Très Très Fort du Staff Benda Bilili est un bienfait musical inouïe, prodiguant émotion et réconfort. Il a été réalisé in situ, avec les moyens du bord. Le soir, dans le parc zoologique de Kinshasa, à la belle étoile. Vincent Kenis l'a enregistré avec son Mac et quelques vieux micros, dont un ayant servi à Brel ! Un son terrible qui a du grain, qui met du funk dans la rumba. Le son de la seule basse, à plat, quasi pas amplifiée, est déjà une leçon de groove. J'avais découvert le Staff Benda Bilili en voyant La Danse de Jupiter, le doc de Renaud Barret et Florent de La Tulaye. Tous polios, arpentant la ville dans leurs vélomoteur-tricycles customisés façon lowrider, ils crevaient déjà l'écran de leur présence. Des vieillards pour un pays où l'espérance de vie ne dépasse pas les 47 ans, alors que Ricky, le leader, en a déjà 57.

Plus tard, j'ai grave kiffé la vidéo de leur interprétation de "Je t'aime", leur "Sex Machine", quand je l'ai découverte sur internet :


On y retrouvait celui qui m'avait fasciné dans La Danse de Jupiter : un gamin qui grattait un instrument de fortune, bricolé par ses soins. Le regard dans le vague, d'une intense gravité, le môme tirait d'incroyables solos de sa seule corde.


Je constatais ensuite que ce jeune, Roger Landu, un "shégué", un de ces innombrables enfants des rues, avait rejoint le groupe. Yann Plougastel, pour Le Monde 2 (11 avril 2009), avait consacré un reportage à ce Staff de Kinshasa. Il décrivait assez bien l'intégration de Roger dans le son du groupe : "lorsqu'il eut l'idée d'électrifier son satongué, ce fut comme si Jimi Hendrix débarquait au milieu de l'équivalent congolais du Buena Vista Social Club". Rencontré à cette occasion, Roger racontait au journaliste sa vie de misère : "j'en ai assez de vivre dans ce ghetto, de crever de faim. Le Congo est un pays où l'on souffre sans cesse. J'ai besoin d'une vie meilleure, vraiment meilleure. Je joue de la musique pour obtenir quelque chose plus tard. Je travaille la musique sans frontière, l'international blues. Musicien, c'est un métier, pas un jeu...". Pour autant, avoir été adopté par ces anciens fut pour lui une opportunité de rêve. Il a pu bénéficier de leur lu-fuki pour s'épanouir comme musicien et nul doute qu'il saura saisir sa chance tant est grand son talent. Il n'est qu'à voir comment il s'approprie l'espace qui lui est donné pour balancer des solos qui déchirent. Comme le dit Vincent Kenis, à propos de la boîte de conserve qui lui sert d'instrument, "pour faire une mélodie à partir de ça, il faut vraiment avoir une oreille". Nul doute que les pointures de la pop mondiale éclairée vont se l'arracher, Damon Albarn en tête...

Le Cœur de l'Afrique
Le Congo, c'est le cœur de l'Afrique, sous la plume de Joseph Conrad, son "cœur des ténèbres" , quand la carte du Monde était encore incomplète, avec ses enclaves de terra incognita que les explorations de Livingstone (et autres...) cherchaient à combler. Le Congo, c'est aussi une fascination particulière dans l'imaginaire collectif. Une part de l'Afrique la plus profonde et la plus fantasmée : quelque part entre la réalité ethnologique des Pygmées et le racisme fondamental de Tarzan. Quelque part entre les massacres de civils dans le Kivu et l'Ituri et la grâce d'une des plus belles musiques que nous ait laissé le vingtième siècle : la rumba congolaise, dont la douceur mélodique et l'aisance rythmique ne peuvent que rendre la vie plus belle.

Certaines provinces de la République Démocratique du Congo, l’Ituri et le Kivu, par exemple, sont encore le théâtre des pires actes qui puissent s'imaginer sur cette Terre. On lisait, il y a quelques années seulement, dans Le Monde, que, dans l'Ituri, des soldats du Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba s'étaient livrés à une véritable chasse à l'homme dans la grande forêt congolaise. Le témoignage d'une femme pygmée nous donnait des hauts-le-cœur : "Au retour de la chasse, mon mari a vu ces soldats qui découpaient sa mère, son frère, sa soeur et deux enfants. Ensuite, les soldats ont commencé à griller des morceaux. Il pouvait sentir l'odeur. Puis ils ont boucané le reste et l'ont emporté. Les soldats disent que manger de la viande de Pygmée ou boire du sang rend fort, très fort."

Pourtant, le Congo, c'est bien autre chose, une richesse culturelle qui vaut plus que celle de son sol et que la plume de Francis Dordor résumait avec sa finesse habituelle : "Ceux qui en connaissent sommairement l’histoire moderne ou l’actualité brûlante savent que le Congo n’est pas exactement une destination recherchée. D’y surprendre musique si onctueuse fait partie de ces petites choses qui, malgré tout, contribuent à nous faire croire encore en l’homme".

Outre sa réalité, le Congo s'est aussi implanté dans nos imaginaires par ses diasporas américaines, réelles ou mythiques. Nous en donnerons ici un seul exemple : Congo Square, cette place de la Nouvelle Orléans, qui était, aux temps de l'esclavage, le seul espace de liberté où les tam-tams étaient autorisés. D'ailleurs, nous ne devrions pas dire tam-tam (mot d'origine asiatique) mais ngoma. Le ngoma, c'est le tambour dans de nombreuses langues d'Afrique Centrale. Olivier Sangi Lutondo, de l'Institut des Arts de Kinshasa, souhaiterait même que le terme soit reconnu par l'Académie Française ("Vie, Sacralité et Valeur des Ngoma africains, cas des Cokwe : Piste pour de nouvelles conservations", in Itinéraires et Convergences des Musiques Traditionnelles et Modernes d'Afrique, p. 409). Sans être mauvaise langue, j'ai comme dans l'idée qu'il n'aurait pas fallu compter sur Maurice Druon pour encourager la requête...

Histoire et Politique : Mobutu et l'authenticité zaïroise...
Le Congo dont il est question ce soir est celui qui a pour capitale Kinshasa. Pour éviter la confusion, rappelons que sur l'autre rive du fleuve Congo, se trouve les voisins de la République du Congo, dont la capitale est Brazzaville. D'où la distinction faite parfois entre les deux pays par l'appelation Congo-Kinshasa et Congo-Brazzaville. Signalons encore la déplorable habitude française de nos préfectures d'accoler sur les cartes de séjour des citoyens congolais de l'ancien Zaïre la mention CB, pour Congo Belge. Comme quoi, le colonialisme est encore ancré dans nos mentalités. S'en étonnera-t-on en repensant au nauséabond discours de Dakar de notre président ?

Rien que pour cette raison, il ne faut surtout pas censurer Tintin au Congo. Au titre du devoir de mémoire, il importe de se rappeler comment étaient présentés les Africains au cœur du XXème siècle, dans notre civilisation du Progrès. Ce serait se donner bonne conscience à peu de frais que de retirer de la vente l'ouvrage d'Hergé.

Quand on parcourt les événements ayant marqué ce pays tout au long du XXème siècle, comment peut-on oser dire que l'homme africain n'est pas "assez rentré dans l'Histoire". Celle du Congo, fut-elle violente, est d'une réelle complexité politique. Ainsi, depuis l'indépendance de 1960, le pays a changé plusieurs fois de nom (et déjà cinq fois de drapeau) pour s'appeler successivement :
République du Congo-Léopoldville (1960-1963)
Congo-Kinshasa (1963-1971)
Zaïre (1971-1997)
République Démocratique du Congo (depuis 1997)

Ce grand pays, fier de sa culture, devrait être riche, à l'image de son sol, renfermant les plus incroyables réserves de minerai, lesquelles ne profitent malheureusement pas à la population. La corruption et les conflits l'ont mis dans un état de délabrement unique.


Si l'histoire de l'indépendance congolaise a son martyr, Patrice Lumumba, nul doute que la figure ayant le plus marqué la vie politique du pays est Mobutu. Alors que Joseph Kasavubu est le premier président à l'indépendance (malgré que le MNC, Mouvement National Congolais, parti fondé par Lumumba ait obtenu plus de voix aux élections), en 1960, Joseph-Désiré Mobutu qui accède au pouvoir par le biais d'un coup d'Etat le 24 novembre 1965, pour s'y maintenir trente ans durant.

Un des phénomènes les plus marquants de son règne est la campagne de "zaïrianisation" entreprise au début des années 70, avec la volonté d'un "recours à l'authenticité", une démarche assez semblable à celle initiée en Guinée par Sékou Touré.

Le 27 octobre 1971, le pays devient Zaïre. Symboliquement, on supprime les prénoms chrétiens, comme gage d'une nouvelle naissance, d'une nouvelle identité des Congolais. On accole donc un "post-nom". Le "souverain" montre la voie. Joseph-Désiré Mobutu devient ainsi Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa za Banga, ce qui signifie "le coq qui va de conquête en conquête sans avoir peur".

Ce n'est pas sans entraîner de grosses complications administratives : favorise la fraude car tous les noms n'apparaissent pas systématiquement dans tous les documents administratifs. Mais surtout, l'authenticité s'accompagne de problèmes identitaires.

Derrière la légitimité de la campagne, s'émanciper des temps coloniaux et leur endoctrinement, on a pourtant l'impression que le régime navigue à vue. Comme l'illustre la règle des "trois ni" : officiellement, le Zaïre de mobutu n'est "ni à gauche, ni à droite, ni même au centre". Après tout, pourquoi vouloir décalquer une vision politique qui corresponde à notre échiquier alors que la réalité est autre en Afrique. Il n'empêche, à cause de ces "trois ni", certains ironiseront sur "l'inexistence" du Zaïre sur la scène diplomatique (cf. Jean-Jacques Arthur Malu-Malu, Le Congo Kinshasa).

Il n'aura échappé à personne que mobutisme rime avec jusqu'au-boutisme et on ne s'étonnera pas que les trente ans de son règle aient finalement laissés le pays exsangue, ruiné par la corruption. A titre indicatif, à sa mort sa fortune personnelle est estimée entre 5 et 6 milliards de $, tandis que la dette qu'il laisse au pays est de 13 milliards !

Le grand pays est ruiné, il n'est plus, pour reprendre un proverbe lingala, que "mbwá ya makeléle míngi akoswáka té", c'est-à-dire "le chien qui aboie, ne mord pas" (oui, vous avez bien lu, en ligala, "makélélé" se traduirait par "bruit"). Autrement dit, il n'effraie plus ses petits voisins. Pour renverser Mobutu, en 1997, Laurent-Désiré Kabila s'appuie même sur une coalition ougando-rwandaise (c'est d'ailleurs depuis cet épisode que des factions rebelles massacrent des populations civiles dans les provinces de l'Est du pays).

C'est tout l'orgueil du pays qui en prend un coup, lui le grand, manipulé par ses petits voisins. C'est encore plus mal vécu par les Kinois. En effet, Kabila préfère utiliser le kiswahili, voire l'anglais, plutôt que le lingala, ou même que le français. Il place des "Congolais de la diaspora", des "américains", à des postes clés.

En août 1997, il est décrété que la RDC pratique une "économie sociale de marché", ce qui à l'image des "trois ni" de Mobutu continue d'entretenir un certain flou sur la direction donnée au pays. Il n'empêche la situation est telle que, dans le préambule du "programme triennal minimum", un texte officiel donc, il est déclaré : "la RDC est un pays ruiné où tout est à reconstruire et même tout ce qui a été fait est à refaire".

Et quand la Constitution n'a plus court, ne demeure pour les Kinois et les Congolais que l'impératif Article 15, né des nécessités de la rue : en gros, "quand t'es dans la merde, débrouille-toi". L'Article 15 est souvent le guide de survie, la seule loi, de toute une population livrée à elle-même. Apparue dans les années cinquante, l'expression viendrait du scoutisme. Selon Crispin-Régis Ludoki, ancien louveteau et scout de l'unité Saint-Mathieu, à Mbanza-Ngungu (anciennement Thysville), "l'article 15 est juste le 15ème article des boy scouts qui invite les patrouilles perdues dans la jungle à se débrouiller (en cas de perte de communication avec les autres patrouilles, l'article 15 des scouts dit textuellement : "débrouillez-vous"). C'est là l'origine de cette expressions devenue courante au Congo".

Et si l'Article 15 est la description la plus fidèles qui soit de la réalité congolaise contemporaine, notre projet d'émission, je dois bien vous l'avouer, a lui aussi été placé sous le signe de l'Article 15, à une échelle moindre, celle privilégiée d'un pays développé. N'empêche. En mai dernier, le jour de la diffusion prévue, l'émetteur de Divergence tombait en panne. Nous condamnant à la seule diffusion via le net. Sans FM, plus d'auditeurs. Dans l'ambiance décontractée et spontanée de l'enregistrement d'autres soucis techniques vinrent se greffer, sans altérer cependant l'enthousiasme du Dr. Funkathus. Rendez-vous était néanmoins pris le mois suivant pour la refaire sur la FM, la musique congolaise méritant la plus large audience (du moins celle que peut offrir Divergence sur le bassin montpelliérain) et clore la saison sur un air de rumba. Las, la radio se lançait dans une inédite campagne de soutien afin de récolter des fonds et suspendait pour le mois sa grille des programmes. Retour en septembre. Cette fois-ci, c'est la voiture du technicien, au moteur noyé par les pluies torrentielles de saison, qui nous abandonne. Heureusement, Gilles, notre directeur qui mouille le maillot, assura l'interim au pied levé !

Les origines de la rumba et l'influence afro-cubaine
La rumba congolaise est une musique urbaine. Le début du XXe siècle a vu l'apparition d'une musique semi-moderne au Congo. La musique congolaise moderne voit sa gestation remonter aux années trente. Mais c'est aux débuts des années cinquante que les influences étrangères afro-cubaines vont donner naissance à la si particulière rumba congolaise. Son originalité, par rapport au modèle afro-cubain, réside notamment dans le fait que c'est la guitare qui tient la vedette. Laissons la parole à Dordor qui, dans Les Inrocks (23 février 2009), résume les faits :

"Tous les manuels scolaires vous le diront : la grande affaire de la musique moderne congolaise, c’est la rumba. Qui, contrairement aux apparences n’est pas une stricte adaptation d’un genre homonyme notoirement cubain, ni de ses variantes mambo et cha cha cha. Plutôt la résurgence d’une racine musicale sur sa terre d’origine, lorsque les premiers disques d’Orchestra Aragon et du Trio Matamoros se mirent à inonder les grandes villes ouest africaines.
Outre la langue, le plus souvent le lingala, l’élément qui distingue la Congolaise de sa cousine caribéenne, c’est la guitare. Celle-ci, d’abord désignée en tant que «guitare katangaise» puis «zaïroise», se mit à régner sur toute l’Afrique à partir des années 60. Tous les groupes fondés à l’époque l’auront été le plus souvent autour de virtuoses transposant sur des instruments acoustiques bricolés, puis sur des Gibson SG importées par les studios, la technique et les modes propres au likembé, le lamellophone des régions forestières.
L’essor de la guitare zaïroise fut considérable et fit de la rumba le genre panafricain par excellence. Tous les musiciens du continent voulaient s’en approprier les particularités esthétiques, cette fluidité phénoménale, cette maîtrise technique du finger picking renversante, ce parfait équilibre entre rythme et trame mélodique. Curieusement, elle mit aussi à contribution d’éminents musicologues, conscients d’avoir affaire à l’une de ces manifestations spontanées du génie humain dont l’Afrique a le secret. Comme John Low, qui compara le jeu de Mwenda Jean Bosco, premier de la lignée, à une chorégraphie. « Le morceau peut être regardé » disait-il. En effet, rarement instrument aura produit une telle sensation de voltige sonore, comme un ballet de libellules phosphorescentes au clair de lune."

Cette "voltige sonore", ce "roulis charnel des guitares", pour reprendre l'expression de Sylvain Bemba (Cinquante ans de musique du Congo-Zaïre, Ed. Présence Africaine, p. 93) trouve a s'exprimer en un point culminant, lors du sébène que nous présenterons un peu plus avant. Mais, même hormis ce moment clé, ce sont les grands guitaristes qui ont marqué le développement de la rumba. Il y eut Henri Bowane, qui accompagnait Wendo. Il y eut Zacharie Elenga, dit Jhymmy Hawaïen, qui comme son surnom l'indique a développé un style de jeu inspiré de la guitare hawaïenne : "Jhymmy a eu l'ingénieuse astuce de régler d'un demi-ton la mi-chanterelle, la cinquième et la sixième (mi-bourdon) cordes de sa guitare". Il en résultait, quand il jouait de sa guitare ainsi accordée, des sonorités extraordinaires et envoûtantes et, sur la piste véritablement en ébulition, des "contorsions des corps" proches de l'hystérie" (Itinéraires et Convergences, p. 75).
Il y eut Franco, "sorcier des guitares". Il y en eut bien d'autres, des Dino Vangu, des Papa Noël (côté Brazza, celui-là)...

Il y eut aussi le Docteur Nico, que nous écoutions en introduction. Sur cet album, une réédition de ses morceaux des années 63-65, si nous prenions le temps de lire les notes de pochette nous comprendrions bien l'importance incroyable qu'il a pu exercer sur la musique congolaise de son temps, que dis-je : sur la musique internationale d'hier, aujourd'hui et demain... Ecoutez-ça :
"Technicien remarquable de la guitare (il utilisait au moins les six cordes sinon tous les registres dans un morceau), mélodiste des plus inspirés et des plus délicats (il exécutait toujours différemment une même œuvre et pénétrait un studio d'enregistrement avec un son nouveau), sa carrière dans l'African-Jazz (1953-1960, 1962-1963), l'African-Jazz-Nico (1961), l'African Fiesta (1963-1965), l'African-Fiesta-Sukisa (1966-1973), ne fut que créativité : portamento, trémolo, vibrato, chromatismes de guitare dans la musique africaine moderne, c'est lui - les mordants (ces petits ornements mélodiques pendant ou après chaque passage de chant), c'est lui - les sons "Likembé" (appelé à tort "sanza"), balafon piano, reproduit à la guitare sans artifice ni accessoires, c'est toujours lui - la guitare hawaïenne, de laquelle sortit des sons inédits aujourd'hui assimilable à ceux de l'orgue-synthétiseur, c'est encore lui - la guitare d'accompagnement dite "Mi-composé", création originale de Mwamba Déchaud, le plus grand accompagnateur de l'histoire de notre musique, c'est avec lui. C'est lui qui découvrit en 1960 la meilleure sonorité de base des guitaristes de la planète.
Entré vivant dans la légende, les attaques et les résonances de la guitare n'avaient aucun secret pour lui. Il sut restituer à cet instrument son âme, lui rendre tout son caractère émotionnel. La guitare de Nico chante, pleure, rit. Elle remplit parfaitement toutes les fonctions de l'orchestre. Des basses aux riffs de cuivres elle embrasse tout le spectre sonore. Toucher raffiné, jeu limpide, les improvisations sont d'une parfaite logique harmonique et semblent bâties avec le consentement de l'éternité. Sonorité riche et bien timbrée, le verbe, tendre, percutant, musclé et lyrique balance joyeusement, simplement, sans problème, avec l'unique souci de faire de la bonne musique. Un style qui tend à toucher la sensibilité plus que les "tripes". Ainsi Docteur Nico offre-t-il ce paradoxe d'être à la fois le soliste le plus facile à jouer des débutants et le plus difficile à imiter des expérimentés. Près de 90% de solo-guitaristes africains sont de son Ecole, le son-cristal qui l'a tant caractérisé, leur idéal, si ce n'est leur pierre philosophale. (...)
Docteur Nico, le plus grand soliste africain de tous les temps. Une œuvre d'une grande sensibilité, d'une indéniable grandeur et d'une beauté formelle encore inégalée. Il est à déplorer que la "barrière culturelle" longtemps dressée par l'Occident contre la musique africaine moderne, maintienne des populations entières dans l'ignorance d'un GENIE ABSOLU de notre époque et des générations futures." Signé : Audifax-Bemba-Lounianga.

Je ne connais pas ce monsieur mais son dithyrambe au lyrisme enflammé me laisse sans voix de fascination. Docteur Nico, vous l'aurez compris, est donc une des légendes de la musique congolaise. Maintenant, si on laisse de côté les fondateurs comme Wendo Kolosoy, Bukasa Léon ou Paul Kamba, pour situer le Docteur Nico sur la carte de cette musique, il faut rappeler les deux grandes écoles de la rumba moderne. D'un côté, celle de l'OK Jazz, de l'autre celle de l'African Jazz. L'African Jazz est fondé par Joseph Kabasele, dit "Grand Kallé", et sera poursuivi par Tabu Ley Rochereau. De l'autre, l'OK Jazz est fondé par Franco. Celui-ci crée l'orchestre OK Jazz en juin 1956. En schématisant un peu, on considérera souvent que Rochereau est le moderniste quand Franco va cultiver la tradition. L'Ecole Franco sera parfois désignée par l'expression de "Makiadisme", ou d'école makiadiste. Le nom de Franco étant Luambo Makiadi, ("Makiadi" signifiant "orphelin", puisque son père était en prison à sa naissance). Pour une présentation de la musique congolaise en ligne, voir ce lien vers Congo on line.

Le sebene du guitar hero congolais
Dans une émission consacrée au funk, même au sens large, dans l'esprit plus qu'à la lettre, on ne peut que mettre l'accent sur le sébène, ce moment clé de la rumba congolaise. On l'a dit, la guitare y est l'instrument roi. Elle vole littéralement la vedette au reste de l'orchestre lors du sébène. Lequel serait à définir comme suit :

"Le Sebene est cette partie rapide dans la rumba congolaise. Sebene est une corruption du mot anglais seven signifiant dans le jargon musical congolais « accord de septième » et indique un changement de mouvement dans un rythme. Dans la Soukous, la partie lente de la rumba tend à se réduire à sa plus petite expression. Le changement de tempo indiquant le passage de la partie chant à la partie instrumentale disparaît. La mélodie et les textes sont relégués au second plan au profit du rythme ponctué par une animation désordonnée dans le Ndombolo. (...) Le Sebene congolais atteint des limites psychédéliques au sortir du refrain qui lui, repose généralement sur une mélodie tendre et romantique oscillant dans un joli passage majeur-mineur, avec le plus souvent les réponses des choristes. En quelques mesures, le tour est joué et l’orchestre mord d’emblée dans un Sebene effréné avec un riff décapant. D’où une ambiance sonore qui commande un enchevêtrement d’accords qui se multiplie à l’infini avec les mêmes sonorités comme dans un jeu de miroir. Tous les solistes ont appris à faire bouger les foules par un style de pincement rapide des cordes, en boucle, afin de provoquer une sorte d’extase immédiate" (extrait d'un article sur l'Amicale Lipopo du guitariste Dino Vangu).

Si l'on considère comme un critère esthétique déterminant le fait qu'un musique donne envie de se lever et danser, alors, bien sûr, le sébène en est un épitomé, au même titre qu'un bon break ou un groove hypnotique dans le funk... D'ailleurs, l'œuvre de James Brown est incontestablement un des plus grands manifestes artistiques du siècle passé.

Rumble in the Jungle et l'impact de James Brown
James Brown justement... Rochereau est un des premiers musiciens à s'avouer fasciné par James Brown. Au début des années 70, il entreprend une carrière internationale qui le conduira sur la scène de l'Olympia, à Paris, ou du Palladium, à Londres. Selon lui, "il faut absolument "browniser" la scène musicale congolaise (...). En clair, il faut définitivement renoncer, non pas tant à la rumba, matrice de la musique nationale, ou au soukous, version améliorée de cette rumba, mais à certains de ses mouvements lents, et introduire à la place des déhanchements inédits, comme ceux qui caractérisent le jerk, le twist, le rock ou la pop music" (Jean Mpisi, Tabu Ley Rochereau Innovateur de la musique africaine, p. 231-232). Il introduit ce que Sylvain Bemba une "nouvelle 'grammaire' dansante", inspiré de James Brown.


James Brown lui-même viendra plusieurs fois au Congo-Zaïre. Une première fois en 1970. Puis en 1972. Enfin, en 1974, lors du festival qui accompagne le Rumble in the Jungle, le championnat du Monde de boxe opposant Mohamed Ali-George Foreman, catégorie poids-lourd. Le public prendra fait et cause pour Ali, symbole du Black Power, et qui avait déclaré en conférence de presse avant le combat : "chaque fois que je frapperai Foreman, ce sont les Zaïrois qui frapperont les Belges". Et le public de chanter "Ali, boma ye" (Ali, achève-le), puis "Ali, abomi ye" (Ali l'a tué) lors de sa victoire au 8ème round.

James Brown se produit lui aussi au Stade du 20-Mai devant un public conquis. Son influence sera manifeste sur la jeunesse.

"Depuis qu'il avait découvert le Zaïre, alors Congo, en juin 1970, il s'en était épris. (...) Eh bien, ce "Mr Dynamite" a eu vent du "grand événement" de l'authenticité qui "secouait" le Zaïre à partir d'octobre 1971 et décide de venir dans ce pays pour encourager ses habitants - et surtout ses dirigeants - à persévérer sur cette voie !
Il arrive à Kinshasa le vendredi 2 juin 1972, juste avant minuit. Flattées les autorités politiques l'accueillent à bras ouverts, lui facilitent son séjour (le mot d'ordre est qu'il se sente à l'aise à la "patrie de ses ancêtres") et son travail. Le lendemain, l'heureux hôte du peuple zaïrois donne en matinée un show époustouflant au Théâtre de la Verdure du Mont Ngaliema (ex-Mont Stanley). Le soir du même jour et le mardi suivant, il explose au Stade du 20-Mai, avant de se rendre à Lubumbashi, seconde ville et capitale économique, pour égayer les mélomanes" (Jean Mpisi, ibid., p. 265). A signaler : le documentaire Soul Power, sorti cette année au cinéma, nous a donné l'occasion de revoir des images d'archives d'un James Brown moustachu au sommet de sa forme lors de ses prestations zaïroises...


Alors que la musique afro-cubaine était l'influence étrangère prédominante jusqu'alors, la jeunesse congolaise vibre sur le groove de James Brown. De nouveaux artistes, tels Lita Bembo et Bavon Marie-Marie, ou le Trio Madjesi, s'en inspirent. Les commentaires des auteurs chrétiens ne manquent pas d'épingler un certain relâchement des mœurs : "les traits caractéristiques de cette époque sont notamment la production scénique ou gestuelle, l'introduction des cris d'animation et le recours incontrôlé aux musiques traditionnelles, au libertinage et à la désinvolture dans la structure de la chanson. En d'autres termes, cette musique se caractérise par le non respect des canons ou de la structure classique, la prolifération des orchestres, l'obscénité et l'individualisme dans les danses..." (Martin Fortuné Mukendji Mbandakulu, "Itinéraires et Convergences des musiques chrétiennes et profanes en République Démocratique du Congo", Itinéraires ibid. p. 152).

(Siongo) Bavon Marie-Marie, chanteur et excellent guitariste de l'orchestre Negro-Succès, devient l'idole de cette jeunesse kinoise. "A l'époque, une seule vedette, dans le monde des "jeunes" , fait concurrence ou ombrage à BMM : Jean Kembo, le percutant buteur de football de Vita Club et de l'équipe nationale Les Léopards. Tous deux sont de beaux gars aux corps d'athlètes ; ils se distinguent par le port systématique des pantalons "patte d'éléphant", par des cheveux dressés et coiffés au "peigne chaud", par leurs visages d'anges éclaircis par le savon "Ambi". A pieds, ils ont une démarche dandinante ; mais le plus souvent ils roulent en vespa, la fameuse motocyclette italienne. Bref, ce sont des jeunes premiers au charme ravagueur et à la séduction évidente. Ils utilisent des baratins savoureux, et se disputent la faveur des jeunes et des filles. Aucune de celles-ci ne leur résiste" (Jean Mpisi, ibid., p 228).

Hélas, tragédie, Bavon Marie-Marie se tue au volant de sa R16, le 5 août 1970. Il aurait été saoûl et a percuté un véhicule à l'arrêt. Sa copine en sort amputée des deux jambes. Quelques mauvaises langues accusent Franco, le frère aîné de Bavon Marie-Marie. L'accident se serait en effet produit après une violente dispute entre les deux frères. Bavon, accusant son aîné d'avoir couché avec sa petite amie, aurait par la suite noyé sa colère dans l'alcool.

La "soul à la sauce moamba" du Trio Madjesi : Alright, cool
Cette idole trop vite disparue, le groupe emblématique du début de cette décennie est probablement le Trio Madjesi, composé de Mario, Djeskin et Sinatra. Ils font partie de ces jeunes gens qui décident de rompre avec I'ancienne musique, connue alors sous le nom de « Tango ya Ba Wendo » , Wendo, ce pionnier de la rumba. Mario, Djeskin et Sinatra et se font appeler le Trio Madjesi et leur nouvel ensemble est l'Orchestre Sosoliso. Ils introduisent de nouveaux pas de danses. Leur show est "vigoureux, nerveux et démonstratif. Les trois danseurs-vedettes sont des athlètes qui cherchent à fixer, à impressionner, à hypnotiser leur public. Ils exécutent des pas de danse qui concordent avec une instrumentation faite pour l'essentiel ds cuivres et des guitares. L'effet orchestral garantit un sebene plus fébrile, plus fougueux, plus dynamique" (Jean Mpisi, ibid. p. 251).


Le trio invente ce que la presse qualifie "de la soul à la moamba" (la moamba étant la sauce à l'huile de palme).

"Ils ont comme tenue vestimentaire un look copié de James Brown, et des "cheveux longs coiffés au peigne chaud : Ils font le show dans les bars et même dans les stades. Ils inaugurent un nouveau style d'habillement : on porte Jacket américain, Jeans, pantoufle ; les chaînettes et autres bijoux en or sont à la mode, puis, avec le retour des Léopards de la Coupe d'Afrique et de la Coupe du monde, ils concurrencent les footballeurs en se faisant brunir la peau, surtout au niveau du visage, avec les célèbres crèmes et antisepsies Ambi et Asepso".

En effet, les rêves de grandeur de Mobutu trouvaient une incarnation dans la sélection nationale, les "Léopards", qualifiés pour la Coupe du Monde 1974 de football, qui se déroulait en Allemagne (alors RFA). Le Zaïre rentrait ainsi dans l'Histoire en tant que première sélection d'Afrique Noire à participer à une phase finale de cette compétition. Le Trio Madjesi était sur la même vague. La vidéo ci-dessous en est un désopilant témoignage. Le groupe avait introduit des chorégraphies dans ses performances. Ici, en tenue de footballeur, chaque membre tente tant bien que mal de jongler avec son ballon. Maladresse touchante et joyeux bazar sur le plateau à la clé...


Le parcours des Léopards ne fut pas à la hauteur des espoirs qui s'étaient faits jour. Battu d'entrée par l'Ecosse, le Zaïre se faisait ensuite étriller 9-0 par la Yougoslavie. A l'issue de cette déroute, avant de devoir rencontrer le Brésil, Champion du Monde en titre, quelques représentants de la garde présidentielle vinrent mettre un sacré coup de pression aux joueurs : s'ils perdaient ne serait-ce que 4-0, ils pouvaient faire une croix sur la possibilité de rentrer au pays. Ouf, ils ne s'inclinèrent que 3-0...

L'extrait ci-dessous, pour hilarant qu'il soit sur l'art de prendre un carton jaune de la plus bête manière qui soit, n'est guère charitable. La sortie du défenseur Mwepu Ilunga en est même devenue "culte". A sa façon, elle est entrée à la postérité... Alors que si l'on revoit le début du premier match contre l'Ecosse de Bremner et Dalglish, on verra une équipe qui joue plutôt bien, à une touche de balle et semble avant tout manquer d'expérience et de réalisme dans ce type de compétition...


Depuis, jamais le Congo ne s'est qualifié pour une phase finale. Sans perdre espoir cependant. A en croire Jean-Jacques Arthur Malu-Malu, le Kinois aurait tendance à vivre "dans un monde onirique. C'est ainsi que certains footballeurs qui n'ont connu, pour toute compétition, que les matches de quartier, se surprennent, à 30 ans, à rêver d'une brillante carrière dans les grands clubs européens" (Le Congo Kinshasa, p. 54).

Concernant les Trio Madjesi, signalons que Loko-Masengo, dit Djeskain, est revenu sur le devant de la scène en participant au succès du groupe Kékélé qui propose, non plus de la soul à la sauce moamba, mais revisite tout simplement la rumba d'antan avec goût et talent ! Après tout, comme l'écrit Olivier Sangi Lutondo ("Vie, sacralité et valeur des Ngoma africains", in Itinéraires et convergences des musiques traditionnelles et modernes d'Afrique, p 409), à qui nous laisserons le mot de la fin :

"Le traditionnel est comme les fondations enfouies dans la saleté du sol, mais qui portent les beaux murs décorés qu'on admire ou critique tant, c'est-à-dire le moderne".

3 commentaires:

  1. Merci pour cet article vivant et très intéressant. Vincent Kenis raconte que la rumba cubaine est devenu populaire à Kinshasa grâce à un Dj belge de l'unique radio de l'époque fan de cette musique. Ce Dj serait l'oncle de Vincent qui passa un temps à chercher sa tombe dans le cimetière de la Gombe. L'article 15 a permis au Staff benda bilili de venir jusqu'à nous. FLT

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  2. Je suis ravi de ce commentaire, surtout de la part de quelqu'un de si bien placé sur le sujet. Bravo pour le travail. Je suis curieux de découvrir vos prochains projets.

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  3. Et un Congomix à découvrir sur Guarana Groove
    http://www.guarana-groove.com/congomix
    A bientôt Doc

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