En tant que Dr. Funkathus, laissez-moi vous dire combien il est important d'entretenir votre plasticité synaptique afin d'avoir accès aux milliards d'événements gravés dans les plis et replis de votre mémoire. Rien ne vaut donc un petit coup d' "effet Madeleine" pour faire fonctionner cette complexe mécanique.
Hier, c'est un véritable tsunami de souvenirs qui m'a submergé. Tout commença par un bel exemple de serendipity. Au gré de mes tribulations sur le web, voguant de blog en blog, je suis tombé sur les liens vers deux albums du groupe Singers & Players, emblématiques du label On-U Sound : Leaps And Bounds et War of Words. Cela m'a projeté dans une faille temporelle sidérale, plus communément appelé "effet Madeleine" depuis l'exégèse de l'œuvre d'un certain Marcel Proust.
Les faits remontent à presque vingt ans, septembre 1990 pour être précis. Je me souviens très exactement du moment où j'ai posé la galette de War of Words pour la première fois sur ma platine. "Devious Woman", le premier titre, m'a instantanément scotché par ce son de batterie incroyablement mixé. Le travail de producteur d'Adrian Sherwood a ses admirateurs mais, pour moi, ce son-là symbolise par le détail l'ensemble de son approche. Alors qu'à l'époque, j'habitais un petit studio sur les hauteurs du XXe arrondissement de Paris, le son de cette intro de batterie possédait à la fois une présence presque organique et une incroyable profondeur (je ne vais pas jusqu'à dire que ça me donnait l'impression de gagner des m² mais presque).
Je me souviens très précisément de ce moment car je rentrais tout juste de Londres où je venais de fêter le carnaval de Notting Hill Gate, pour la première (et seule) fois de ma vie.
Je passerais sur les détails. Le flou qui entoure le jeune homme que j'étais sur la photo ci-contre donne finalement un aperçu assez fidèle de ce séjour. J'avais partagé mon temps de carnaval entre Didine, l'amie martiniquaise avec qui j'avais prévu de longue date ce voyage, et dont on devait retrouver sur place des potes de Fort-deFrance, et Matt, un copain anglais, pour le dernier jour. Pour tenir le rythme des festivités, je voyageais léger mais m'étais tout de même équipé d'une bouteille de tequila. Bizarrement, les Martiniquais, gros buveurs d'après les récits que m'en faisais mon amie, la dédaignèrent, car refusant de faire la moindre infidélité au rhum. C'est donc seul que je me la suis sirotée en une journée. J'étais assurément dans le rythme de la fête. Le jour suivant aussi, soutenu par quelques poignées de gélules de guarana, dont j'avais lu quelque temps auparavant qu'elles étaient le complément idéal pour qui recherchait une smart endurance festive.
Passé le carnaval, j'avais prévu une dernière journée pour aller fouiner dans les bacs à disques, en bon crate digger que j'étais alors, et j'avais déniché cet album de Singers & Players. Pour ma plus grande joie. Je me souviens avoir aussi acheté ce jour-là un album d'un groupe complètement inconnu à mon bataillon : West India Company. L'impulsion d'achat, pour parler comme un type du marketing, tenait à pas grand chose, rien que le titre d'un morceau : "Bengalis from Outer Space", qui me semblait déjà tout un programme. Une très bonne surprise également car, loin d'être une pure kitscherie, il s'agissait de la musique accompagnant une chorégraphie de La La la Human Steps.
Ce jour passé à flaner aux alentours de Portobello m'a également laissé un souvenir inoubliable : avoir croisé Joe Strummer dans la rue, qui se baladait peinard avec ses gamins. Ouais, je sais, c'est tout con mais ce type représentait tellement en terme d'intégrité rock que j'en suis encore content même vingt ans après.
Autre anecdote, quelques minutes avant ou après avoir croisé Joe Strummer, j'avais acheté dans une boutique mi-bio/mi-rasta, un mélange de plantes à fumer, mêlant des herbes et des fibres cotonneuses. Rien là-dedans en matière de THC ou de tout autre produit psychotrope, juste une alternative au tabac à rouler, déjà hors de prix en Grande Bretagne à cette époque-là. C'est donc en glissant "Devious Woman" sur ma platine, par une belle journée ensoleillée de septembre parisien, que je roulais une cigarette de ce curieux mélange, très parfumé, avec quelque chose d'un goût de pomme, agréable ma foi.
Pour revenir à Singers & Players, j'avais complètement craqué sur Leaps And Bounds, emprunté quelques années plus tôt à la bibliothèque de mon quartier. J'avais donc, comme on avait coutume de le faire à l'époque, enregistré l'album, à partir du vinyl, sur une cassette. C'était tout bonnement mon disque de reggae préféré. Mais je n'ai jamais réussi à mettre la main dessus pour l'acheter. Même bien des années plus tard, lorsque j'entendis parler d'une réédition en CD. A défaut, j'avais trouvé Revenge of the Underdog, autre très bonne pioche. Mais malgré "Water the Garden", où la voix abyssale de Prince Far I fait des merveilles, et "Thing Called Love", que l'on pourrait décrire comme leur manière d'être festifs, le titre "Moses", notamment avec son passage choral a cappella, qui ouvrait Leaps And Bounds, restait pour moi un sommet introuvable.
Si, outre les productions d'Adrian Sherwood, le charme du groupe résidait pour bonne part dans cette alchimie vocale, née du contraste entre la voix caverneuse de Prince Far I et celle caressante de Bim Sherman, la musique de Singers & Players est pour moi associée à des moments particuliers.
Avant de tomber par cet heureux hasard sur les liens vers leurs deux albums, par une coïncidence, funeste celle-ci, je repensais déjà ces derniers jours à leur musique. Lors d'un séjour Erasmus à Rome, Mammo (?, j'avoue ne plus être très sûr de son nom), un pote, sorte de titi local, nous avait proposé une virée jusqu'à Florence. Lors du retour, au milieu de la nuit, il nous a également fait découvrir une source chaude à ciel ouvert, s'épanouissant sous forme de baignoires naturelles. La chaleur de l'eau provoquait un brouillard et mon esprit était lui même embué. Nous avions roulé, dans la nuit et le brouillard, sur ce qui me semblait être une sinueuse route montagneuse pour arriver jusque-là. Dans l'auto-radio, j'avais glissé une cassette de Singers & Players. Malgré le son étouffé par la faible qualité de l'appareil, cette vibration dub ouatée incarnait au plus juste l'ambiance de cet instant intense malgré nos esprits fatigués, enfumés...
Le tremblement de terre à L'Aquila m'avait rappelé cette nuit entre Rome et Florence, car j'ignore complètement où se trouvait cette source, et j'ai spontanément soupçonné qu'elle puisse être dans les parages du séisme...
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