mercredi 29 février 2012

O Deus..., le nouvel album de Lucas Santtana en téléchargement gratuit !

Depuis hier, 28 février, le nouvel album de Lucas Santtana, O Deus Que Devasta Mas Também Cura, est disponible en téléchargement gratuit (mp3 320 kbps) sur la page Facebook de l'artiste. On l'écoute et on en reparle !


Lucas Santtana, O Deus Que Devasta Mas Também Cura (2012)

1. "O Deus Que Devasta Mas Também Cura"
2. "Músico"
3. "É Sempre Bom Se Lembrar"
4. "Se Pá Ska. S.P."
5. "Ela É Belém"
6. "Vamos Andar Pela Cidade"
7. "Para Onde Irá Essa Noite"
8. "Dia de Furar Onda no Mar"
9. "O Paladino e Seu Cavalo Altar"

jeudi 23 février 2012

Les Musiques de Rio (une "conférence" du Dr. Funkathus)


Aussi improbable que cela puisse paraître, le Conseil Municipal de Rio a voté un avis favorable au jumelage avec Montpellier ! Plus étonnant encore, Montpellier ne s'est pas empressé de valider l'invitation*. Cela ne nous a pas empêché de proposer une présentation des musiques de Rio dans le cadre des animations du dimanche de la Médiathèque Centrale d'Agglomération Emile Zola. Et puis, après tout, Montpellier possède un beau point commun avec Rio, la ville a ses Arceaux quand Rio a ses Arcos da Lapa. Des ouvrages d'art qui, d'ailleurs, datent sensiblement de la même époque.



Le Carnaval s'est achevé et c'est aussi une occasion de rappeler que le samba a plusieurs facettes, qu'il n'est pas simplement la musique des défilés mais aussi une façon bouleversante de raconter le quotidien. A l'aide d'extraits de chansons et de films, nous proposerons donc un panorama de quelques uns des artistes qui ont marqué l'histoire de la musique carioca, de Pixinguinha à Teresa Cristina...

Rio et les deux visages du samba, conférence d'Olivier Cathus
Dimanche 26 février

Auditorium Musique, 16h
Médiathèque Emile Zola
Avant la Coupe du Monde de football (2014) et les Jeux Olympiques (2016), chaque année, Rio est au centre de toutes les attentions pendant son carnaval, le plus célèbre du monde. Mais le défilé des écoles de samba ne doit pas occulter l'autre visage de la samba, celui qui rythme les jours, exprime la joie ou des abîmes de tristesse.

Une visite musicale de la Cidade Maravilhosa. De Pixinguinha et Cartola à Marisa Monte et Seu Jorge, la samba, qui traverse les époques, demeure l'âme d'un peuple.

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* C'est début 2011, le 11 janvier, que le conseil municipal de Rio a voté une loi qui déclare "villes sœurs la ville de Montpellier, en France, et la ville de Rio de Janeiro, au Brésil". Un article de cette loi précise également que "le pouvoir exécutif signera l’accord de jumelage et promouvra des programmes de coopération et de fraternité à travers des échanges culturels, sociaux, touristiques et économiques" (Midi Libre, 4/5/2011). Un an après, rien ne bouge du côté montpelliérain ! L'occasion était belle, avant que le projet ne sot enterré de présenter les musiques de la "grande sœur" !

CéU, Caravana Sereia Bloom : avec le sourire

jeudi 16 février 2012

Aurélie et Verioca : Au-delà des Nuvens


Avant de les écouter, on se dit qu'Aurélie et Verioca sont des inconscientes. Que deux Françaises se lancent dans la musique brésilienne, c'est très bien mais la première chose que vous leur souhaiterez sera peut-être juste de ne pas craindre le ridicule. Pour exceptionnel que cela paraisse, Além des Nuages, le premier album d'Aurélie et Verioca n'offre aucune prise au sarcasme. Aucune réserve mais une belle surprise devant une telle réussite. Leur musique est techniquement irréprochable et d'une sensibilité toute personnelle.


Si vous en doutez encore, un coup d'œil à la liste des participants devraient achever de vous convaincre. Que Guinga, Marcelo Pretto et Casuarina soient de la partie est un sacré gage*. La reconnaissance par de très grands musiciens brésiliens du talent et de la sincérité de ces deux femmes. Car il n'y a nul calcul dans leur démarche, seulement un amour au long cours pour le Brésil, sa culture et ses musiques.

Si l'album s'ouvre un beau chorinho en français et portugais, "Reconciliação", Aurélie et Verioca ne se contentent pas d'un seul style. Elles embrassent aussi allègrement MPB, couleurs nordestines et samba. Et Dieu sait qu'il faut du culot pour se frotter au samba.

Du culot ? De l'inconscience ? En tout cas, de l'humilité et du talent.

Reprenons le cours des choses...  pour rappeler qu'une telle démarche ne se nourrit pas que de passion et d'água de coco mais suppose un investissement poussé, un apprentissage sur la durée, des années de pratique. Verioca n'est pas née de la dernière pluie. Depuis sa sortie du conservatoire, elle creuse son sillon brésilien, en décortique toutes les subtilités pour mieux trouver la voie de ses propres compositions... Multi-instrumentiste, elle est une formidable guitariste et une percussionniste inventive. Alors qu'elle avait déjà sorti deux albums en solo où elle jouait de tout, l'arrivée d'Aurélie Tyszblat au chant l'oblige à s'ouvrir. En témoignent les prestigieuses collaborations sur cet album.

Les rôles semblent bien répartis, à Verioca les musique, à Aurélie les paroles. Ce duo complémentaire a aussi adopté un mélange de français et de portugais qui, sur le papier, pourrait sembler bancal ou forcé mais qui, à l'écoute, est tout en naturel et fluidité. Si Aurélie commence une phrase en français, il n'y a aucune contradiction à ce qu'elle la finisse en portugais. Mais c'est aussi sur ses épaules, ou plutôt sa voix, que repose la crédibilité du projet.

Leur position de Françaises passionnées de musique brésilienne est interrogée. Outre la richesse et la complexité de cette musique, on pourra toujours se demander si cette attitude, vivre ici dans la culture de là-bas, n'est pas une fuite de la réalité. Et, comme vous vous en doutez, à travers leur propre questionnement, c'est ma propre posture que j'interroge. Consacrer un site à la musique brésilienne vue de France pourra plus encore être considéré comme une fuite hors de notre réalité. Faire de la musique brésilienne en France ne l'est-il pas aussi ? Aurélie et Verioca sont-elles à la musique brésilienne ce que l'Orquesta de la Luz est à la salsa ou Osaka Monaurail au funk ? Un duo aussi givré que ces combos japonais et leur troublant mimétisme à l'égard des originaux ? Eh bien, non. Leur musique est éminemment personnelle, faisant sienne la fameuse anthropophagie culturelle  brésilienne : les influences sont si bien digérées qu'elles nourrissent la production d'une œuvre originale.

Et va-t-on, de nos jours, demander à tous ces groupes de pop-rock hexagonaux s'ils trouvent cohérents d'avoir choisi l'anglais pour s'exprimer ? On peut pourtant se sentir plus d'affinités latines avec la culture brésilienne qu'avec les climats anglo-saxons, non ? Aurélie et Verioca devancent la question et interroge cette situation sur le morceau "Será que eu sou francesa".
Cette idée de mélange des ingrédients se retrouve sur le ludique "Ratatouille" où le toujours impressionnant Marcelo Pretto vient faire ses rythmes de bouche et percussions corporelles : Aurélie aime l'idée qu'avec des ingrédients communs, personne ne préparera la ratatouille de la même façon !

Parmi les autres temps forts de Além des Nuages, l'adaptation avec l'aval de la famille de Baden Powell du "Canto de Ossanha" en "Pour un Homme qui dit non" est une réussite ayant bien saisi l'esprit de l'original. Mais, évidemment, ce formidable exercice de samba, "Viver é Ser Feliz". A ce moment du disque, on se pose la question : y a-t-il déjà eu des musiciens français pour si bien réussir un samba ? Aucun nom ne me vient à l'esprit. Certes, la présence de Casuarina n'est pas pour rien dans la réussite du morceau mais n'empêche, bravo !


Si le titre de leur album nous fait forcément penser à un film de Michelangelo Antonioni, Par-delà les Nuages, nous sommes aux antipodes des thèmes du cinéaste : l'incommunicabilité et le caractère fugace de l'amour. Aurélie et Verioca œuvre au rapprochement et à la "reconciliação". Au-delà des nuages, c'est bien sûr un ciel bleu qu'elles nous tendent.


Concerts :

02 mars : La Soupape, Bruxelles
10 mars : Le JAM, Montpellier
15 mars : Satellit' Café, Paris (dans le cadre du festival Paris / Brasil)
17 mars : La Quadra, Arles

Puis en mai, viendra le temps d'une petite tournée au Brésil, de Rio à São Paulo, en passant par Belo Horizonte.

Le site officiel...

D'ici là, vous pourrez découvrir prochainement une interview d'Aurélie et Verioca que j'ai réalisé il y a quelques jours...
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* L'album compte aussi avec les participations de Philippe Baden Powell, Paula Santoro, Osman Martins, Pierrick Hardy et quelques autres...

mercredi 15 février 2012

Céu dans le rétroviseur, fidèle à son image


Le nouvel album de Céu est sorti hier au Brésil, et sortira le mois prochain en France. Il s'appelle Caravana Sereia Bloom. Elle en a annoncé la couleur avec le clip de la chanson "Retrovisor" que je vous présente aujourd'hui. C'est d'ailleurs de son tournage qu'est tirée la photo de sa pochette.


Pour ce troisième album, allait-elle évoluer dans la continuité des précédents ou opérer un virage de style ? Même si j'ai depuis quelques semaines eu la chance de l'écouter afin de le chroniquer, je n'en dirais guère plus aujourd'hui. Si ce n'est qu'il ne faut pas forcément se fier à ce premier extrait pour se faire une idée de la couleur de l'album...

Sur ce "Retrovisor", on sera certes sensible au charme du morceau et de son interprète mais Céu semble presque surjouer son style. "Retrovisor" n'évite pas la redite.

Parmi les albums les plus attendus de 2012, on trouve notamment ceux de Lucas Santtana, Rodrigo Campos, Gaby Amarantos et bien sûr celui de Céu, Caravana Sereia Bloom. En deux albums, Céu s'est imposée à l'international comme l'égérie de la nouvelle génération de chanteuses brésiliennes. Pour le monde, elle a endossé avec grâce le rôle d'ambassadeur de la scène indé de São Paulo. Mais il règne là-bas une telle émulation que son album se devait d'être à la hauteur de ceux de ses consœurs... Mais de cela, nous en parlerons une prochaine fois, très vite.

Sur ce clip, on la retrouve qui cultive son image sensuelle toute de langueur et d'abandon, et son style hippie chic. Tournée à Vila Velha, sur l'île d'Itamaracá, dans le Pernambouc, cette vidéo de Renan Costa Lima et Ivo Lopes Araújo suit Céu dans sa déambulation, dans la campagne, le long d'une route, pour la filmer sous toutes les coutures... Une belle lumière, de belles images et, même si le charme agit, rien de franchement nouveau non plus.


En attendant de lire prochainement la chronique de Caravana Sereia Bloom, ce très bel album, vous pouvez télécharger "Retrovisor", ici :



mardi 14 février 2012

Juremir, de la Patagonie avec Houellebecq et du disque caché au fond du tiroir


Sorti en septembre dernier, En Patagonie avec Michel Houellebecq est un carnet de voyage, le récit de quelques jours de vacances entre amis. Son auteur, Juremir Machado da Silva est devenu proche de Houellebecq après avoir traduit en portugais Extension du domaine de la lutte, son premier roman, publié par une petite maison d'édition de Porto Alegre, Sulina. S'il est sociologue, journaliste, professeur, traducteur, etc..., Juremir est avant tout un homme de lettres, un écrivain tout terrain. Outre de ce voyage et de littérature, j'ai quand même voulu le faire parler de musique...

Il est difficile de trouver plus francophile que le Gaúcho Juremir. S'il a déjà publié en français, notamment Le Brésil, pays du présent, chez Desclée de Brouwer, adapté de sa thèse de sociologie, il est regrettable que ses romans ne soient pas encore traduits. Car malgré toutes ses casquettes, c'est à son œuvre littéraire que Juremir est attaché par dessus tout. Juremir écrit tout le temps. On peut discuter autour de lui, il trouvera quand même le moyen d'écrire son article, ce qui est très impressionnant. Il a déjà publié une vingtaine de livres, entre romans et essais.

Je ne vais pas faire semblant : Juremir et sa femme Claudia sont mes amis de vingt ans. Ensemble, nous avons passés nos années de doctorat, entre conversations sans fins, parties de foot du samedi. Quand il est arrivé en France pour faire sa thèse, Juremir avait un sacré bagage. Il enseignait déjà à l'université à Porto Alegre, avait publié plusieurs livres dont une paire de romans. Il était ami avec Edgar Morin et Jean Baudrillard, avait déjà interviewé la plupart des grands penseurs français. En tant que journaliste adepte de la polémique, il s'était également mis à dos la moitié de la ville ! Jamais froid aux yeux, il ne craignait pas de se faire des ennemis, peut-être parce qu'en contre-partie, il a un sens de l'amitié qui dépasse celui du commun des mortels.

Cela fait plusieurs années que nous ne nous sommes pas vus, aussi avons-nous fait cette interview en vidéo-conférence le soir où Criolo donnait un concert à Porto Alegre, le 1er novembre 2011. Si nous l'avions enregistré ces derniers jours, nous aurions probablement parlé de Wando. Car si nous avons évoqué ici-même le chanteur brega romantique décédé la semaine dernière, Juremir lui a rendu un bel hommage sur son blog, appréciant que celui-ci soit "brega com sentimento" !

"Morreu o cantor Wando.
Ele era muito brega.
Eu também sou.
A breguice de Wando era o romantismo meloso.
As calcinhas perfumadas distribuídas nos shows.
Assim como as rosas do rei Roberto Carlos.
Pode haver algo mais brega do que ser o “rei”?
Wando era maravilhosamente brega"

Mais nous avons eu cette conversation il y a quelque temps déjà et nous avions convenu qu'elle porte principalement sur Michel Houellebecq et ce fameux voyage en Patagonie. Mais nous avons quand même parlé de musique, y compris d'un disque secret... Un des plaisirs cachés de mon ami. Secret parce que pire que brega...


O. C. : Salut Juremir, mais dis-moi, ce soir, tu n'es pas au concert de Criolo ?

Juremir Machado da Silva : Qui ça ?

O. C. : Criolo, tu connais pas ? Je croyais que c'était devenu un phénomène au Brésil. C'est la révélation de l'année. Il est à Porto Alegre ce soir. Il passe à l'Opinião, tu connais la salle ?

Juremir Machado da Silva : Oui, je la connais. C'est ton Criolo que je ne connais pas… Mais il va bientôt y avoir un concert de João Gilberto à Porto Alegre, ce qui est très rare. Et après il y aura aussi Chico Buarque.

O. C. : Chico, c'est plus sûr, parce que João Gilberto, il risque d'annuler au dernier moment.

Juremir Machado da Silva :  Mais, tu vois, pour aller voir Chico Buarque, ça coûte 200 R$, ce qui est le prix normal, et pour aller voir João Gilberto, ça coûte 1000 R$, cinq fois plus (près de 450 euros, ndla !!!) ! João Gilberto, comme il fait très peu de concerts, il peut demander des prix absurdes.

O. C. : Et puis, c'est une légende vivante !

Juremir Machado da Silva : Oui, ce sera peut-être la dernière fois. Mais, pour moi, ça sera la première (le concert a finalement été annulé, comme c'était prévisible, ndla).

O. C. : João Gilberto et Chico Buarque, ce sont tes vieilles références musicales. Depuis que je te connais, tu m'en parles…

Juremir Machado da Silva :  Mais maintenant que tu me parles de ce Criolo, je vais chercher ! Pour savoir qui s'est...

O. C. : Depuis le temps qu'on se connaît, je suis content de voir enfin un de tes livres traduit en français. Car je sais que ce sont tes romans qui te tiennent à cœur et que tu aimerais voir publiés ici. Pour revenir à celui-ci, ce voyage en Patagonie avec Michel Houellebecq ne craignais-tu pas que ça devienne ce que tu appelles un "plan d'indien" ? C'est-à-dire un plan foireux, un truc complètement raté et improbable. Tu n'avais pas peur que le dépaysement et l'isolement fassent ressortir une tension ou une sorte d'incommunicabilité ?

Juremir Machado da Silva :  La maison d'édition m'a envoyé tous les articles qui ont été publiés sur le livre. Je les ai lus et il y en a quelques uns qui disent que c'est moi qui ai entraîné Houellebecq en Patagonie. Mais ce n'est pas vrai, c'est lui qui m'a invité à aller en Patagonie. C'est lui qui avait cette idée. Et quand on échangeait des e-mails pour organiser son voyage à Porto Alegre, il m'a dit, à un moment donné, qu'il fallait que je lui organise un voyage en Patagonie et pour savoir si j'étais partant pour qu'on y aille ensemble. Comme Claudia, ma femme, avait ce rêve d'aller en Patagonie, alors j'ai dit oui. Après, évidemment, on se demandait si ça allait marcher parce que Houellebecq est un peu replié sur lui-même. Est-ce qu'il va bavarder, ouvrir la bouche ou passer tout le temps sans rien dire ? Il y avait cette inquiétude mais l'idée, au départ, était de lui. Moi, j'aime ce type de choses, c'était une occasion intéressante pour être ensemble, discuter, bavarder avec lui, et pour voir la Patagonie. Et ça a marché à la fin. Houellebecq est vraiment différent au quotidien. Je me sentais en me promenant avec lui comme si j'étais avec un copain comme toi. On discutait. Ce n'était pas comme si je promenais avec le grand écrivain, il n'est pas comme ça. C'était comme des copains qui se taquinaient, qui disaient n'importe quoi. C'était très simple. Et il a même commencer par prendre des initiatives. Il disait par exemple, "bon, c'est moi qui me charge d'aller chercher du vin". Nous sommes même allés acheter des chaussures. J'avais besoin d'acheter une paire de chaussures et lui, ça l'a beaucoup amusé. Nous sommes allés en Patagonie pour briser la glace et c'était chaleureux.  

Maintenant, je trouve ça intéressant de voir ce qu'écrivent les journaux : il y a des clichés. Et c'est bien sûr pareil au Brésil. Les choses doivent se passer d'une certaine façon même si ce n'est pas vrai. Donc j'ai appris avec ce livre là, en lisant ce que les journaux ont écrit, que les journalistes français sont exactement comme les Brésiliens. Ils organisent la réalité d'une certaine façon et il faut que ça soit comme ils l'ont imaginé même si c'est le contraire !


O. C. : Mais ça tu ne le découvres pas, tu as vécu en France, tu sais que les clichés sont courants dans la presse.

Juremir Machado da Silva : Il y a par exemple un truc amusant. Je crois que c'est l'AFP qui a commencé ça. Et beaucoup de journaux de certaines villes françaises l'ont répété. C'est l'histoire des pingouins-manchots et des loups de mer-lions de mer. Pour nous, les oiseaux qui existent en Patagonie, ce sont des manchots. Mais j'ai lu qu'en français, on utilisait de plus en plus le même mot pour parler des pingouins et des manchots. C'est-à-dire les manchots, eux, ils peuvent voler. Tandis qu les pingouins qui sont dans le Nord, eux ne volent pas. Donc, nous, ce sont des manchots. Mais dans notre conversation, Houellebecq et moi, principalement à cause de moi, on disait 'pingouins'. Et j'ai mis 'pingouin' dans le texte. Et quand Erwann le traducteur a voulu mettre manchot, je lui ai dit de laisser 'pingouins'. Et Erwan s'est fait critiquer et a eu des remarques disant qu'il ne s'y connaissait pas en zoologie. Mais ce n'est pas sa faute, c'est moi, parce que dans notre conversation on parlait de pingouin. Et pareil pour le lion de mer. En Patagonie, on utilise les deux mots pour le même animal. Et on a une discussion dans le livre. Je dis : "est-ce que ce sont vraiment des loups de mer ou est-ce que ce sont des lions de mer ?" Et Houellebecq dit : "ce sont des lions de mer". Et, finalement, j'ai demandé : "est-ce que ce ne sont pas des éléphants de mer ?". Lui, il me disait, "non". Mais, donc, on discutait sur les noms utilisés. Ce n'était pas une conversation scientifique. Et je lisais les journaux qui écrivaient : c'est dommage qu'ils aient utilisé improprement pingouins et loups de mer. Il y a même une remarque bizarre. Je ne sais pas si c'était Libération qui écrivait : "ils ont utilisé pingouin et loups de mer et le CNRS n'a même pas sourcillé" ! C'était un bavardage, c'était pas scientifique.

O. C. : Je me rappelle très bien ce passage, ça fait presque deux ans que je l'ai lu,  quand tu m'avais envoyé le manuscrit. Je m'en rappelle. C'était un des plus amusants du livre donc ça ne m'a pas étonné que la presse reprenne les anecdotes et cite les passages où Houellebecq parle du mauvais exemple que donnent les loups de mer et le bon exemple que donnent les pingouins.

Il y a une question que j'ai envie de te poser depuis des années mais tu ne m'as jamais vraiment répondu quand je t'en parlais. Alors qu'on insiste souvent sur la dimension sordide pour évoquer Houellebecq et ses livres, il y a un des aspects de ses romans qui me semble complètement sous-estimé : ils sont drôles ! Il fait partie des auteurs les plus drôles que je connaisse. Et, franchement, il est assez rare de vraiment rire lors d'une lecture. En raison de ton amitié avec Michel Houellebecq, je t'ai demandé plusieurs fois de lui poser la question mais tu ne m'as jamais répondu : rigole-t-il lui même pendant qu'il écrit ? Cherche-t-il à être drôle ? Tu m'as souvent dit que vous rigoliez bien ensemble, qu'il avait de l'humour mais comme romancier, est-ce une dimension de son œuvre à laquelle il est attaché ?

Juremir Machado da Silva : Tu as raison, Houellebecq, c'est quelqu'un qui cherche l'ironie et la satire. Il veut vraiment trouver les mots qui blessent mais, en même temps, qui font rire. Je suis toujours étonné de voir qu'on dit que son écriture était plate. Son but n'est pas d'enjoliver les phrases mais d'être caustique, sarcastique. Il nous a raconté que ça donne beaucoup de travail d'arriver à provoquer cet effet sarcastique. Donc je trouve que c'est un style difficile à construire. Il faut avoir l'inspiration, trouver les mots et il les trouve ! Son but n'est pas de faire des phrases difficiles ou jolies…

O. C. : Mais la question c'est : est-ce qu'il rigole tout seul en écrivant ?

Juremir Machado da Silva : Ca, je ne sais pas. Je crois. Moi, je rigole énormément en lisant Houellebecq. Je trouve ça intelligent, ça fait rigoler. Je trouve ça étonnant quand j'entends qu'il a une mauvaise humeur incroyable, qu'il n'aime rien du tout, qu'il déteste tout le monde. Non ! C'est un mec qui s'amuse énormément. En discutant du monde, il se moque. Il y a eu aussi un journaliste qui a critiqué en disant qu'il s'attendait à beaucoup plus d'informations sur la façon dont Houellebecq travaille, comment il construit les personnages. Mais, pendant ce séjour, je crois qu'il ne voulait pas trop parler de ça.

O. C. : Ben, il était en vacances !

Juremir Machado da Silva : Je crois que ça n'est pas venu. Moi, j'étais là pour faire un livre, je n'étais pas là pour faire des entretiens. On parlait. J'ai simplement raconté ce dont on parlait de façon spontané. On s'amusait, on bavardait, on buvait. Donc je ne posais pas des questions en me disant, "tiens, il me manque ça". C'est après coup que je me suis dit : tiens, mais, finalement, je peux écrire un livre sur ça.

O. C. : Pour parler de musique. Ce que j'ai remarqué en lisant le livre, c'est que vous aviez un goût en commun. Vous êtes tous les deux admiratifs du style de Charles Trénet.

Juremir Machado da Silva : Moi, j'adore Charles Trénet. Et Houellebecq, il était gentil, vraiment sympathique. Il le chantait pour moi. Mais je ne sais pas s'il aimait vraiment.

O. C. : Parce que Trénet, on voit plus le côté positif, presque premier degré, alors que si Houellebecq est plus cynique, sarcastique… Ou alors il aime ça au second degré, il rigole de tant de naïveté ?

Juremir Machado da Silva : Peut-être… Je sais qu'il connaissait les chansons, les paroles et qu'il les chantait très bien. Et ça m'a beaucoup amusé, ça m'a fait plaisir parce qu'il chantait pour moi des trucs que j'aimais bien. Et moi, j'aime vraiment Charles Trénet. Moi, je suis un paysan, j'aime ce côté nostalgique, la "Douce France", "Que Reste-t-il de nos amours", ces choses-là… Je ne pensais pas que Houellebecq sache chanter des choses comme ça, je pensais qu'il était très sophistiqué. Et ça a animé nos soirées. Des petits concerts de Houellebecq juste pour nous.

O. C. : Il a enregistré des disques, tu sais ?

Juremir Machado da Silva : Oui, mais je n'ai jamais vraiment écouté vraiment, juste un peu sur internet…

O. C. : Bon, j'ai un CD à la maison mais je dois bien dire que je ne l'ai jamais écouté. Et toi, pourrais-tu envisager de faire comme lui, d'enregistrer un disque. Et si c'était le cas, quelle musique choisirais-tu comme accompagnement ?

Juremir Machado da Silva : Ce serait impossible pour moi parce que je chante tellement faux…

O. C. : Mais Houellebecq, il ne chante pas non plus, il dit ses textes sur un fond musical...

Juremir Machado da Silva : Bon… J'aimerais chanter mais c'est tellement faux. Cette année, j'ai fait beaucoup de conférences à propos de mes livres. Souvent elles étaient organisées par des mairies. J'ai fait cinquante-trois villes et à chaque fois, il fallait chanter l'hymne national. Mais là aussi c'était tellement faux que j'ai arrêter de chanter. Même l'hymne national.

O. C. : Je sais que c'est un secret mais j'aimerais que tu me parles de ce disque que tu caches au fond d'un tiroir de ton bureau. On parle beaucoup de musique brésilienne dans nos colonnes et quelques lecteurs en sont de vrais connaisseurs mais je suis sûr que, même parmi les plus incollables d'entre eux, personne ne le connaît.

Juremir Machado da Silva : (rires) José Mendes. Ca fait longtemps que je ne l'ai pas écouté. (Il cherche parmi ses disques à portée de main). Ah, ça s'est important : Charles Trénet. Et ça aussi : Yves Simon.

O. C. : Yves Simon ? Mais ça, tu l'écoutes seulement parce que c'est un de tes amis !

Juremir Machado da Silva : Non, non, j'écoute. Et je trouve ça bien. (Brandissant enfin le CD) Ah, voilà José Mendes. Je vais te faire écouter ça. C'est un chanteur de musique régionale, de la musique gaúcha. C'est, disons, très ringard mais j'aime quand même. Tu entends ? C'est sa chanson la plus célèbre. L'accordéon et la façon de chanter sont typiques de l'Uruguay et d'ici, de cette partie du Brésil. C'est aimé par l'équivalent brésilien des lecteurs de Chasse, Pêche, Nature et Traditions. Très ringard.


O. C. : Il y a un accordéon mais c'est quoi comme style ?

Juremir Machado da Silva : Ca s'appelle de la musica gaúcha ou de la musica gaúchesca. C'est la musique traditionnelle du Rio Grande do Sul.

O. C. : Et même parmi tes amis, il n'y a que toi qui écoute ça ?

Juremir Machado da Silva : Mais bien sûr ! Ils trouvent ça horrible (rires) !

O. C. : Pour en revenir à ton livre, il a été bien accueilli par la critique. Cela t'a-t-il permis de nouer des contacts avec des éditeurs pour faire traduire tes romans puisque je ne pense pas que les Editions du CNRS publie de la littérature ?

Juremir Machado da Silva : Si ça se vend bien peut-être que j'aurai des ouvertures pour publier mes romans. Au niveau de la presse, ça se passe bien. Je crois qu'il y a déjà eu une trentaine d'articles dans les journaux, même si ce n'était des gros papiers mais plutôt des petites notes. Mais il y a eu quelques avis très positifs. Christophe Bourseiller, Le Figaro, Le Point...

O. C. : Et tu es déjà sur d'autres projets ?


Juremir Machado da Silva : Oui, je vais écouter Criolo !



A lire :
Juremir Machado da Silva, En Patagonie avec Michel Houellebecq, CNRS Editions (2011)
On a beaucoup écrit sur Houellebecq, souvent en quête de scabreux ou de sensationnel. Voici le récit de moments partagés, dans une certaine forme d'intimité, dans un vrai rapport d'amitié. Houellebecq a accepté la publication du texte de Juremir, sans y opposer la moindre correction, sans lui demander de supprimer les passages qui évoquent le mouchoir qui lui sert de doudou. C'est aussi un beau livre sur la littérature à travers ces échanges entre deux écrivains passionnés. Et c'est l'occasion de découvrir le style de Juremir. Pour le connaître, je le retrouve bien là. Et j'en suis d'autant plus impatient de voir ses romans traduits en français.


Vous pouvez également retrouver Juremir Machado da Silva sur son blog hébergé par le Correio do Povo, un des quotidiens de Porto Alegre.
Et voir son incroyable bibliographie sur sa page Wikipédia...

jeudi 9 février 2012

Wando : une seule "Nega do Obaluaê" et 17 000 petites culottes


Les hommages à Wando se multiplient dans la presse brésilienne : à soixante-six ans, le chanteur romantique qui vient de mourir d'une crise cardiaque avait trouvé une place bien particulière dans le cœur de ses compatriotes. Jusqu'à sa mort, j'ignorais son immense popularité. J'en étais resté à deux de ses premières chansons, en 1975, une reprise assez groovy de l'inusable "Na Baixa do Sapateiro" et "Nega do Obaluaê", découverte bien plus tard.


Si j'avais aimé ses débuts assez funky, je n'avais pas réalisé que Vanderley Alves dos Reis, dit Wando, était devenu une telle vedette. Quand j'ai vu les premières annonces de sa mort, je n'ai même pas réalisé qu'il s'agissait du même chanteur. Certes, sa silhouette avait considérablement changé. Il a été emporté par une crise cardiaque car, s'il ne buvait ni ne fumait, Wando avait des problèmes de poids. Son organisme ne pouvait supporter les 110 kg d'un type qui ne faisait pas d'exercice et qui mangeait trop gras et trop de viande... Ah, les dégâts du churrasco !

J'avais découvert sa version de "Na Baixa do Sapateiro" il y a une bonne dizaine d'années car elle figurait sur la compilation Brazil 70's sorti à cette époque par les Disques Superclasse. Bien entendu, elle était largement outrepassée sur l'album par des morceaux de Tim Maia et Gerson "King" Combo, respectivement "Terapêutica do Grito" et "Swing do Rei". Mais si inusable que soit le standard d'Ary Barroso, on n'en compte plus les versions superflues, d'où le mérite de Wando d'être parvenu à en faire un truc qui balance bien, inspiré de la vague du samba-rock alors en vogue.

L'année suivante, en 2001, je découvrais sans le savoir un des succès de Wando. Sur leur album Zona e Progresso, Pedro Luis e A Parede reprenaient "Nega do Obaluaê". C'était même un de mes titres préférés d'un excellent album (album où, pour info, ils chantaient également le "Saudação ao Toco Preto" de Candeia). Je n'avais alors pas fait le rapprochement entre son auteur et l'interprète de la reprise funky d'Ary Barroso. Ce n'est que quelques années plus tard, à l'époque où des blogs de musiques brésiliennes avaient vu le jour et proposaient de vieux albums en téléchargement, que je cherchais trace de Wando et de l'album où figurait sa version de "Na Baixa do Sapateiro". Je  pensais alors avoir à faire à un obscur chanteur de soul brésilien depuis longtemps relégué à l'anonymat. Et je fus heureux de finalement découvrir cet album de 1975, sobrement intitulé Wando, celui-là même où figurait cette reprise mais aussi ce terrible "Nega do Obaluaê" ! Que je pus donc attribuer à son auteur.


Wando était donc devenu un chanteur à succès. Dans un registre qui avait fait une croix sur la finesse. Car il était chanteur romantique, célèbre pour ses chansons abordant frontalement ces choses-là. Les histoires d'amour entre hommes et femmes. Le sexe. Il avait même gagné le surnom de "chanteur le plus érotique du Brésil", ce qui n'est pas rien. Rappeler que ses plus gros tubes s'intitulent "Fogo e Paixão" ou "Obsceno" devrait permettre de se faire une idée assez imagée de son répertoire. Mais pour comprendre le déclic qui donnera son style inimitable à sa carrière, il faut évoquer son "morceau de bravoure", un geste dont il ne pourra se défaire jusqu'à la fin et que le public réclamera à chaque concert. Cela commença à l'époque de son album Tenda dos Prazeres, en 1990. Il se coiffa sur scène d'une petite culotte. A chaque artiste son indispensable accessoire, à Screaming Jay Hawkins le cercueil, à Alice Cooper le serpent, et à Wando... la petite culotte. Ce rituel bien établi lui donna une originalité probablement enviée par nombre de ses collègues.

Les culottes, il confessait dernièrement en compter plus de 17 000 dans sa collection ! De toutes tailles, formes et couleurs. Car son public féminin était généreux. Plutôt que de lui envoyer des fleurs, les femmes lui jetaient leur petite culotte. Qu'il se faisait ensuite un honneur d'humer passionnément. Parce que j'ai un fond charitable et que je souhaite avant tout honorer sa mémoire, je ne vous proposerai pas la moindre la photo de lui, la culotte sur la figure, mais si vous faites une recherche d'image sur votre moteur de recherche habituel, vous pouvez être sûr que c'est la première qui apparaîtra.

Emporté trop tôt, il avait lancé un blog dédié à la petite culotte, Historias de Calcinhas. Véridique ! Il avait l'ambition d'en faire un projet interactif : "ici, je vous vous raconter mes histoires de culottes, et toi ? Tu vas me raconter les tiennes ?". On en est malheureusement resté à la déclaration d'intention.

Wando était donc une figure, un chanteur romântico-brega, un maître du samba-joia, terme qui désigne le pendant brega du samba. Justement, c'est Gaby Amarantos, la diva du tecnobrega, qui lui a rendu le plus curieux des hommages, avec une déclaration d'une poésie toute surréaliste sinon brega : "cette homme connaissait la valeur d'un café versé dans la culotte" ("Esse homem sabia o valor de um café coado na calcinha").