mardi 31 janvier 2012

Criolo à Bahia avec Ilê Aiyê : "Somo crioulo doido e somo bem legal"


Criolo était ces derniers jours à Salvador pour rencontrer Ilê Aiyê et tourner un nouveau clip haut en couleurs. Pour l'occasion, Criolo a participé à l'enregistrement d'une nouvelle version de l'hymne d'Ilê Aiyê, "Que Bloco É Esse". Un choix tout à fait de circonstance... En effet, cette rencontre entre le rappeur pauliste d'origine cearense et le plus ancien des blocos afros de Bahia était écrite ! Certes pas dans le "Grand Rouleau" mais, plus prosaïquement, dans les paroles originales du morceau :

"Somo crioulo doido e somo bem legal
Temos cabelo duro é só no black power"

Nous rappellerons que jusqu'alors Kleber Gomes était connu dans les cercles du hip hop de São Paulo sous le nom de Criolo Doido, "Créole Fou", et qu'il vient seulement d'abandonner le "doido" !


Fondé par Vovô en 1974, Ilê Aiyê n'est pas seulement le plus ancien des blocos afros de Salvador, c'est aussi le plus intransigeant. C'est dans le quartier de Liberdade, le plus grand quartier noir d'Amérique du Sud en nombre d'habitants, qu'Ilê Aiyê a vu le jour. Il présente la particularité d'exclure de ses rangs les Blancs et les Métis. Il fut donc accusé de racisme alors que personne ne s'était jusqu'alors offusqué que le club de tennis de Bahia soit resté si  longtemps interdit aux Noirs.

A l'origine, la formation devait s'appeler Poder Negro mais la police l'aurait interprété comme une menace. Dans l'impossibilité d'adopter ce nom, Vovô se tourna vers les coquillages, les buzios, cette pratique divinatoire du candomblé, pour en choisir un nouveau. Ce fut donc Ilê Aiyê qui sortit, un nom qui signifie en yoruba maison de Noirs !

Dès l'origine, Ilê Aiyê ne s'est jamais éloigné du candomblé. Il faut dire que la figure vénérée du groupe, sa matriarche, était elle-même une très respectée mãe de santos : Mãe Hilda, mère du fondateur Vovô, à la tête du terreiro Ilê Axé Jitolu.

Ilê Aiyê a toujours eu vocation à réinventer son Afrique mythique, fantasmée, tribale. Et comme tous les blocos afros, il a ses propres couleurs : jaune, rouge et noir. Mais s'il a toujours incarné le combat pour la fierté des populations noires brésiliennes, il s'est fait connaître par la grâce de quelques morceaux popularisés par des vedettes nationales : Gilberto Gil a ainsi chanté "Que Bloco É Esse" et Daniela Mercury, "O Mais Belo dos Belos".

Ilê Aiyê, c'est aussi une armée de percussionnistes, comme on en voit tant à Salvador, et qui en fait une des formations emblématiques du genre. Au point d'en être son volcan ? C'est ce que suggère Criolo dans les paroles qu'il a ajouté au morceau : "o volcão da Bahia é o tambor d'Ilê Aiyê / Hoje a terra vai tremer". "Le volcan de Bahia est le tambour d'Ilê Aiyê, aujourd'hui, la terre va trembler" !

Le clip, réalisé par Ricardo Spencer, est construit autour de cette image. On découvre Criolo partir à la recherche d'Ilê Aiyê. Alors qu'il monte vers la ville haute à bord du funiculaire de Pilar, il remarque que l'alarme vibre. Effectivement comme si la terre tremblait. Il se lance ensuite à la poursuite du son des tambours dans les rues de Liberdade jusqu'à rencontrer le bloco et sa sculpturale chanteuse d'Ilê Aiyê, Iracema Killiane, pour y être accueilli et adopté.

Après vingt ans de carrière dans l'underground, Criolo était la plus belle révélation brésilienne de 2011, porté par son fantastique album Nó na Orelha. Il enchaîne la nouvelle année et d'emblée se trouve au bon endroit pour rendre ce bel hommage au bloco afro le plus radical de Bahia.




Le clip a été présenté samedi 28 janvier lors de la Noite da Beleza Negra, d'Ilê Aiyê, la Nuit de la Beauté Noire, où devait être élue la nouvelle Deusa do Ébano, la Déesse d'Ébène.

Quant à Criolo, il sera de retour à Salvador le 5 février pour donner un concert à la Concha Acústica.


dimanche 29 janvier 2012

Le Retour de D'Angelo


D'Angelo est en ce moment même sur la scène du Zénith. Ce retour méritait hommage. Annoncée depuis quelques mois, sa tournée européenne demandait confirmation le moment venu. Pensez, après une douzaine d'années d'absence, on pouvait sérieusement douter de son retour. Allait-il une fois de plus faire faux bond ?


Un come-back de D'Angelo ? De l'artiste le plus brillant et charismatique de sa génération ? Si brillant que personne n'a depuis pris sa place, personne ne sort du lot des chanteurs de soul, funk, R&B comme lui s'en détachait à l'époque. Son retour ? On avait presque cessé d'y croire. Il a d'ailleurs tout fait pour qu'on n'y croit plus. Lui, l'auteur de l'album le plus essentiel de ce début de millénaire, Voodoo, semblait avoir pris le gâchis pour compagne. Les rares morceaux inédits qu'il ait proposé pendant toute cette période ne dépassaient pas le stade de la démo ! Seul le titre de l'un d'eux, "I Found my Smile Again", laissait espérer que leur auteur aille mieux et qu'il ait, littéralement, retrouvé son sourire !

Cette longue traversée du désert l'aura vu aux prises avec les abus divers. Classique. De ces années-là a-t-il seulement tiré une "connaissance par les gouffres" ? Même pas.

?uestlove, un de ses amis proches qui était son batteur lors de la tournée de Voodoo, a révélé combien D'Angelo était quelqu'un de tenaillé par le doute. Un aveu qui semblait difficilement imaginable à quiconque a eu la chance de le voir lors de son légendaire concert du Grand Rex, en 2000. Je n'avais jamais envisagé une seconde que ce type puisse douter de lui, comme le soulignait ?uestlove ! Au contraire, l'homme qui était sur scène semblait tellement sûr de son propre charisme. Le type pouvait tout oser. En état de grâce, jouant avec le public et ses émotions. D'Angelo avait un charisme et une présence inouïs.

Pourtant, ?uestlove expliquait combien, certains soirs, c'était un calvaire pour lui de monter sur scène, combien il ne se sentait pas près physiquement à le faire. Que les retards étaient dûs à ses doutes ! D'Angelo se sentait prisonnier de son image, de ce fameux clip de "Untitled" qui l'avait consacré sex-symbol à la musculature parfaitement sculptée ! Aussi, disait ?uestlove, quand son ami ne se sentait pas assez affuté, retardait-il le concert pour se lancer dans des séries de pompes et d'abdos à n'en plus finir !

Au Grand Rex également, il était arrivé très en retard. Les sifflets et les cris montaient dans la salle. L'ambiance brûlait d'une incroyable tension. Puis, l'obscurité se fit et le son lourd suffit à calmer tout le monde. D'Angelo apparut et avait déjà tout le monde dans sa poche. Qui aurait pu imaginer qu'il flippait en coulisses et s'épuisait en exercices ! 

Alors, ce soir, je ne suis pas au Zénith... C'est dommage. En même temps, même si les premiers témoignages de son concert à Stockholm sont enthousiastes, je doute que cette tournée puisse rivaliser avec celle qui suivit la sortie de Voodoo. Peut-être vaut-il mieux garder le souvenir d'une soirée électrique, d'un groupe de musiciens fantastique qui jouait un funk torride au service d'un artiste au sommet de son art. Peut-être le concert le plus extraordinaire que j'aie jamais vu !

Ces dernières années, on avait compris que D'Angelo allait mal. S'il était familièrement appelé D' tout court par ses proches et ses fans, on rappelera qu'en français, D' tout court, ça se prononce "déprime" ! Les rares images circulant de lui montraient quelqu'un qui avait pris beaucoup de poids. Quand on sait l'importance qu'il attachait à son apparence, on imaginait qu'il devait se sentir au fond du trou, son narcissisme en vrac. Et, en même temps, on mesurait ses contradictions. Car, après tout, il était bien celui qui avait écrit un simili-manifeste pour le livret de Voodoo où il regrettait le manque de spiritualité de ses contemporains. Celui qui y affirmait : "I, personnally, believe in art as it exists in the context of the phrase 'thou art God'. In this phrase, art is the word that connects the individual (thou) to their higher self (God) or to that which is universal". Et Dieu, qu'est-ce qu'il en a bien à foutre que vous ayez des biceps affutés et des abdos en tablettes de chocolat, hein ? D'Angelo devenu bouffi n'avait pas besoin d'un préparateur physique ou d'un diététicien, plutôt d'un bon shrink !

Mais, forcément, quand les seules images d'un artiste que l'on voit pendant des années sont des photos volées où il n'est pas à son avantage, pour rester poli, on sent bien que l'apparence est un sujet épineux pour l'intéressé. Surtout quand les affiches pour ces nouvelles dates de 2012 sont illustrées par une photo d'avant ! Il y a bien malgré nous une curiosité malsaine qui vient nous titiller : à quoi resemble-t-il aujourd'hui ? Est-il toujours bouffi ?

Les premières images de D'Angelo sur scène en 2012 sont rassurantes. Le bonhomme est évidemment plus massif, plus lourd mais il se présente avec un t-shirt sans manches, biscottos à l'air ! N'aurait-il rien compris ?


Bon, n'allez pas croire que je pinaille, qu'importe le physique, bien sûr que je me réjouis qu'il soit en forme plutôt que négligé. Sur les vidéos du concert de Stockholm, il semble détendu, souriant, heureux d'être là et c'est l'essentiel. Le retour d'un si grand artiste est forcément un grand moment. Demain, je me précipiterai même pour chercher des compte-rendus et des vidéos de ce concert au Zénith. Et, surtout, vite la suite ! Je suis franchement impatient de découvrir son nouvel album, qu'il sonne comme un vieux disque de Funkadelic, guitares au vent, ou n'importe... Félicitations à Michael Eugene Archer, dit D'Angelo, pour ce retour. Nous lui souhaitons, après cette longue épreuve surmontée, une belle et longue carrière !




Parce qu'il le vaudou bien : D'Angelo (Re-Post)

A l'heure qu'il est D'Angelo est sur la scène du Zénith. Un tel come-back de l'enfant prodige méritait bien un petit hommage. Tout d'abord en re-postant un texte publié il y a deux ans et reprenant une chronique de Voodoo que j'avais écrite dix ans plus tôt ! Il se trouve que ce message est la page la plus lue de tout l'Elixir ! Notre number one absolu en terme de visites ! C'était le premier volet d'une série que j'inaugurais et destinée à présenter mes albums favoris de ce début de millénaire et Voodoo était sans discussion possible mon disque favori de cette nouvelle ère.

Parce qu'il le vaudou bien : Voodoo (Les 10 du Millénaire)

Avec quelque temps de retard, je réalisais que nous venions de clore la première décennie de ce siècle et donc du Millénaire. Le genre de date qui invite toujours à un premier bilan. Le déclic eut lieu il y a quelques jours, alors que je découvrais le nouvel album de Build An Ark. Je me faisais la réflexion que Dawn, leur précédente production, était assurément un des disques qui m'était le plus cher de ces dernières années. Du coup, je me demandais : tiens, à propos, c'est quoi mes disques préférés de ce début de 21ème siècle ? Ce en toute subjectivité, bien entendu.


L'occasion de jeter un regard dans le rétro et d'évoquer des coups de cœur inscrits dans la durée, des albums qui auront résisté à l'épreuve du temps. Mes incontournables perso... L'occasion de les évoquer ici sous une bannière grandiloquente : les 10 du Millénaire. Présenté comme ça, ça en jette. Je ne garantis pas que j'irai jusqu'à dix mais commençons...

Premier sur la liste, indétrônable : le Voodoo de D'Angelo, sorti en l'an 2000. Cette année-là, mon podium aurait été complété par le Tudo Azul de la Velha Guarda da Portela et par le Zumbi d'Andrea Marquee, deux disques brésiliens. Ce choix de Voodoo en number one du millénaire prend un tour particulier quand l'on sait que son auteur n'a toujours pas, depuis, sorti de nouvel album. Dix ans déjà ! Puisse 2010 être enfin l'année du retour fracassant de celui qui avait définitivement quelque chose à part, ou de plus, que ses collègues. Un égo ? Une mystique ?

Voilà ce que j'écrivais à l'époque de la sortie de Voodoo dans les colonnes de la revue Cultures en Mouvement...

Parce qu'il le vaudou bien...
Voodoo (EMI), album au titre pour le moins ambitieux, marque le retour de D’Angelo cinq ans après. Révélé par Brown Sugar en 1995, D’Angelo fut d’emblée bombardé tête de file de la « nouvelle » soul, au même titre que Me’shell Ndégeocello ou Erykah Badu, par exemple. Sévère avec ses pairs trop exclusivement dédiés au bizness, D’Angelo a préféré, à la fructification de son capital commercial, une voie qu’il décrit comme spirituelle. Nous n’attendions pas autre chose de celui que Libé a proclamé rien moins que le « Dalaï-Lama de la soul » (et qui ne l’empêche pas de vouloir absolument nous montrer ses abdos). Il n’y a pas dans la voie de D’Angelo le moindre renoncement au corps, au contraire sa musique évolue dans la plus sensuelle des moiteurs. Construite sur des tempos alanguis posés de la frappe sèche d’Amir ?uestlove, batteur de The Roots, accompagnée d’une guitare minimaliste ou de Roy Hargrove aux cuivres, les voix curieusement mises un poil en retrait, la soul de D’Angelo prend le temps d’enfoncer le clou du groove, s’immisce par la longueur des morceaux et reste brute sur cette colonne du beat qui doit autant au hip-hop qu’à cette analogie vaudou librement adaptée. Ce « vaudou » est aussi une référence au « voodoo child », Jimi Hendrix, dont l’esprit a inspiré l’album, d’ailleurs enregistré dans son Electric Lady Studio (mais on trouvera aussi l’influence de Prince sur certains morceaux). Un disque envoûtant, parce qu’il le vaudou bien.
(Olivier Cathus, Cultures en Mouvement n°27, mai 2000)

Dix ans ont passé. Que s'est-il passé, où a-t-il dérapé ? De cette génération, une autre figure emblématique a également explosé en vol à l'orée d'une carrière prometteuse, Lauryn Hill. Wyclef Jean, son partenaire des Fugees, aurait confié à la presse qu'elle serait bipolaire... Mais, dans le cas de Michael Archer, dit D'Angelo, quelle embryon d'explication peut-on évoquer ? Car l'exigence artistique ne suffit plus, dix ans après. Des rumeurs de nouvel album courent depuis plusieurs années sans que rien ne vienne. Un coup, c'est son ami ?uestolve qui dit qu'il s'est remis sérieusement au boulot, un autre coup, c'est D'Angelo lui-même qui annonce un projet dans l'esprit des premiers Funkadelic... Sans suite... A l'arrivée, seules deux chansons circulèrent : "Really Love", dont on dit que c'est ?uestlove lui-même qui serait responsable de sa "fuite" sur le net, et "I Found my smile again", dont le titre laissait espérer que son auteur aille mieux...

De quoi souffrirait-il, bon sang, celui qui faisait se pâmer les filles quand il s'exhibait torse poil, tout en pec' et tablettes de chocolat ? Quelques abus de toxiques, une fréquentation trop assidue des paradis artificiels, ? Bah, rien que de très banal, c'est le travers habituel d'un musicien en panne d'inspiration. Faudrait-il plutôt chercher du côté du narcissisme ? En effet, il est avéré que notre homme a beaucoup grossi. Je suis trop charitable pour vous montrer directement la photo mais certains commentaires l'apostrophaient du style, "eh mec, tu te laisses aller, tu ressembles plus à rien, on dirait le frère d'Ol' Dirty Bastard". Ayant ainsi perdu de sa superbe, lui est-il trop difficile de se montrer aujourd'hui ? Car, pour rester dans la métaphore, alors que Libé le comparait à l'époque au "Dalaï-Lama de la soul", disons qu'aujourd'hui D'Angelo en serait plutôt le Bouddha ventripotent. S'il a souvent comparé sa musique à une quête spirituelle, pareille métaphore devrait l'encourager sur ce long chemin...

mercredi 25 janvier 2012

"Músico", un extrait du prochain Lucas Santtana en écoute


Il faudra attendre jusqu'au mois de mars avant de découvrir le prochain album de Lucas Santtana. Pour patienter, voici un premier extrait de O Deus que Devasta Mas Também Cura, son cinquième album. Nous venons d'en dévoiler la pochette, et nous en comprenons mieux le sens après avoir lu l'article que lui a consacré Marcus Preto* pour la Folha de São Paulo. C'est un divorce qui a inspiré le thème de l'album. Le jour où Lucas Santtana a quitté le domicile conjugal, en mai 2010, Rio connaissait une de ses pires tempêtes. Outre la pluie, le sable dans les rues empêchait la circulation, paralysant la ville. D'où cette peinture de Gregory Thielker où le monde est vu à travers une pluie battante sur le pare-brise d'une voiture !


"Músico", cette première chanson que l'on découvre avant la sortie de l'album, est la reprise d'un morceau de Paralamas do Sucesso en collaboration avec Tom Zé... Pour l'enregistrer avec lui, Lucas Santtana s'est entouré d'une équipe de choix. Pensez, on y retrouve CéU, Curumin, Gustavo Ruiz, Maurício Fleury (Bixiga 70), Rica Amabis (Instituto), Bruno Buarque et Marcos Gerez (Hurtmold). Et encore, j'attends encore un peu avant de compléter la liste des musiciens ayant participé à l'album !



En proposant ce morceau en avant-première, Lucas Santtana a voulu remercier le FAM (Fundo de Apoio a Música), le fond de soutien à la musique de la Municipalité de Rio, qui l'a aidé à réaliser cet album.
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* Marcus Preto, "Lucas Santtana transforma fim do casamento em mote do novo CD", Folha de São Paulo (24/1/2012)

samedi 21 janvier 2012

La Pochette du prochain album de Lucas Santtana


Quand nous avions interrogé Lucas Santtana début novembre, il nous avait confié être déjà dans la phase de mixage de son prochain album. Son cinquième. Il me disait qu'on y trouverait toujours beaucoup de samples mais cette fois-ci des "samples symphoniques".

Dernièrement, nous avions appris le titre de l'album : O Deus que Devasta mas Também Cura. Nous venons maintenant de découvrir sa pochette.


Celle-ci est l'œuvre de Gregory Thielker, peintre américain adepte du photoréalisme et dont l'eau est au centre de son travail puisqu'il peint le monde comme vu à travers le prisme d'un pare-brise ruisselant d'une pluie battante.

A signaler également, avant d'avoir pu découvrir l'album, que Lucas Santtana interprétait déjà le morceau "O Deus que Devasta mas Também Cura" sur l'album de Gui Amabis, Memórias Luso Africanas, sorti l'an dernier...

Le site de Gregory Thielker http://www.gregorythielker.com/

jeudi 19 janvier 2012

Un avant-goût de Nothing for Granted, le nouvel album de Sandra Nkaké...



Nothing for Granted, le deuxième album de Sandra Nkaké sort le 20 mars prochain. La pochette a été dévoilée. Prochainement, et pour patienter, c'est une interview exclusive que nous proposerons. Une interview qui dessine le portrait d'une artiste entière et sincère, une sacrée personnalité !



Un teaser vient maintenant d'être mis en ligne pour annoncer la couleur de l'album. On y entend un extrait du morceau "Like a Buffalo". On ne s'en étonnera pas car, en novembre, lorsque nous avions pu découvrir les chansons de ce nouvel album lors du concert de Sandra Nkaké à Gignac, c'est le titre qui se détachait. D'ailleurs, Sandra et ses musiciens l'avaient interprété deux fois dans la soirée, le rejouant lors du rappel.

mardi 17 janvier 2012

Bertha Butt est veuve de Jimmy Castor


On a appris hier soir le décès de Jimmy Castor. Personne mieux que lui n'aura su incarner le funk des âges farouches ! Jimmy Castor, né en 1947, a commencé dans le doo-wop, remplaçant la jeune vedette Frankie Lymon au sein des Teenagers, avant de passer au saxophone, ou d'alterner allègrement la musique et la comédie. Avant d'obtenir son plus gros succès avec le fuzzy en diable "Troglodyte (Cave Man)" en 1972, vendu à plus d'un million d'exemplaires et qui figurait sur son deuxième album, It's Just Begun. Certes, on ne saurait réduire Jimmy Castor à Bertha Butt, sa vénus callipyge de Néanderthal, mais c'est pourtant par cette seule figure que nous souhaitons lui rendre hommage. Un hommage que nous lui avions rendu de son vivant dans l'émission Goutte de Funk, sur Divergence-FM, lors d'une édition consacrée exclusivement au booty. "Booty Regression : Petite Cosmogonie de la Paire de Lunes", ça s'appelait.


Le booty était déjà là à l'âge des cavernes, aux temps des troglodytes. Il faisait déjà tourner les têtes et dresser les gaules. En témoigne ce titre de Jimmy Castor, un des plus drôles de l'histoire du funk. Rarement un artiste aura aussi bien rendu le râle viril de nos ancêtres préhistoriques. Le titre étant devenu son plus gros succès, il lui donnera quelques années plus tard une suite, "The Bertha Butt Boogie", du nom de la big woman qui rend fou notre troglodyte. Notre homme des cavernes en quête de plaisir s'en va attraper une femme par la tignasse. Il s'agit de Bertha. Bertha Butt. Mais il s'avère qu'elle est bien plus grande et forte que lui. Car à écouter Jimmy Castor, il est clair que cette Bertha n'a pas la silhouette de Raquel Welch (ou de Rae Dawn Chong) mais semble davantage s'être échappée d'un dessin de Robert Crumb où les femmes sont démesurément plus grandes que les hommes. Ainsi, Bertha aurait aisément pu écraser le troglodyte, à l'inverse, elle se prit d'affection pour lui. Pour leur plus grand plaisir réciproque.


"What we're gonna do right here is go back, way back, back into time. 
When the only people that existed were troglodytes... cave men... cave women...
Neanderthal... troglodytes. 
Let's take the average cave man at home, listening to his stereo. 
Sometimes he'd get up, try to do his thing. 
He'd begin to move, something like this : "Dance... dance". 
When he got tired of dancing alone, he'd look in the mirror : 
"Gotta find a woman gotta find a woman gotta find a woman gotta find a woman". 
He'd go down to the lake where all the woman would be swimming or washing clothes or something. 
He'd look around and just reach in and grab one. "Come here... come here".
He'd grab her by the hair. 
You can't do that today, fellas, cause it might come off. 
You'd have a piece of hair in your hand and she'd be swimming away from you (ha-ha). 
This one woman just lay there, wet and frightened. 
He said: "Move... move". 
She got up. She was a big woman. BIG woman. 
Her name was Bertha. Bertha Butt. 
She was one of the Butt sisters. 
He didn't care. He looked up at her and said:
"Sock it to me sock it to me sock it to me sock it to me sock it to me
sock it to me sock it to me sock it to me!". 
She looked down on him.
She was ready to crush him, but she began to like him. She said (falsetto):
"I'll sock it to ya, Daddy". 
He said: "Wha?". 
She said (falsetto):
"I'll sock it to ya, Daddy". 
You know what he said? He started it way back then. I wouldn't lie to you. 
When she said (falsetto)
"I'll sock it to ya, Daddy", 
he said "Right on! Right on! Hotpants! Hotpants! Ugh...ugh...ugh".

C'est ça le problème avec les comiques : même quand il meurent, on rigole encore...

mercredi 11 janvier 2012

Letieres Leite : "les traditions afro ancestrales nous parviennent par la fibre optique"


On ne pouvait rêver mieux alors que nous lançons un nouveau projet de site dédié aux musiques brésiliennes et à leur matrice, les afro-sambas, que de traduire une interview que Letieres Leite, maestro bahianais à la tête du formidable big band Orkestra Rumpilezz, vient d'accorder à Guilherme Xavier Ribeiro pour MTV Brésil. Il y analyse la place des musiques afros au Brésil, tout en distinguant deux contextes sociaux très distincts selon que l'on soit dans le Nord ou le Sud du pays.


Nous avions relevé en 2011 que l'afrobeat longtemps ignoré (ou inconnu ?) au Brésil commençait à faire naître des vocations. Les exemples de Metá-Metá, Bixiga 70 ou Pipo Pegoraro figurant parmi les vraies réussites de 2011 en la matière. La réflexion de Letieres Leite embrasse plus large et profond que ce phénomène récent, elle se fait même prophétique, imaginant avec sagesse le futur prochain de la musique mondiale.

Maestro, c'est à vous...

L'afrobeat au Brésil, en temps que musique afro et ses conditions d'émergence :

"C'est un fait, il y a désormais une nouvelle manière de considérer la musique afro-brésilienne. Je me suis rendu compte qu'il y a des gens dans le Sudeste qui cherchent à découvrir la musique ancestrale avec sérieux et beaucoup d'implication et à comprendre ses origines. Des recours à cette musique ont été utilisés sur les disques de Mariana Aydar, dans le projet de Kiko Dinucci, dans celui de Bixiga 70, celui d'Otto et, en quelque sorte, cela finit par constituer un courant au sein duquel on retrouve également des gens du Nordeste, avec les groupes de percussions de Récife ou du Maranhão. Et ce type de recours vaut pour n'importe quel style de musique, ça peut se retrouver dans le rock, l'électro, ou la musique savante.

L'afrobeat est une musique qui ne correspond pas à ses clichés : l'idée qu'il est une musique intuitive. C'est une musique qui exige une véritable science, qui est organisée, qui a de la rigueur, de la complexité, au contraire de ce que les gens peuvent imaginer. C'est une musique qui a une conscience totale de ce qui se passe mais parce qu'elle n'a pas été reconnue au sein du monde académique et par la systématisation rigoureuse de la vision européenne, a toujours cette image de musique mineure. Mais les gens commencent à se rendre compte de sa richesse.

Le Brésil possède une prétendue démocratie raciale qui n'existe pas. Culturellement il y a de très sérieux problèmes de l'acceptation de la culture noire comme culture élaborée. C'est un vrai problème d'identité, d'accepter le métissage des personnes. Le Brésil est noir, il n'est pas blanc.

Que des Noirs soient loin de l'afrobeat, c'est un fait, cela mérite d'être discuté. Cela se produit à Rio et à São Paulo mais moins à Salvador. Les gens qui font de l'afrobeat à Salvador vivent à la périphérie. C'est un phénomène qui date de la fin des années soixante-dix, dans le quartier de Liberdade, à Salvador, où il y avait quelques musiciens. C'est le contraire à São Paulo où seule la classe moyenne y avait accès parce que les informations circulaient à l'intérieur d'un univers virtuel, donc les personnes qui avaient un accès privilégié à internet les découvraient en premier. Mais à Bahia, c'est le contraire. C'était produit à la périphérie et c'est le capitalisme oligarchique qui l'a usurpé de façon asservissante, en utilisant la créativité de la musique produite à la périphérie pour faire de l'argent.

J'ai l'impression que ce mouvement venu du Sudeste et qui a commencé dans un milieu virtuel, dans la mesure où il va s'étendre, va rencontrer un écho à la périphérie. Parce que tu vas difficilement trouver un lieu de prédominance noire au Brésil où il n'y ait pas des gens qui s'identifient à ces rythmes à cause de la religion, comme le candomblé, qui est la matrice de ces rythmes, et du samba. Parfois, les gens l'oublient mais le samba est un rythme afro-brésilien. Son ADN est arrivé amarré dans la cale d'un navire négrier".

Les musiques afro peuvent-elles devenir des musiques de masse ?

"Le risque, c'est que la conception de ces médias de masse consiste à extraire, sans replanter. On prend quelque chose pour en tirer des bénéfices exorbitants et ensuite le jeter à la poubelle. Mais je crois peu probable que cette musique soit absorbée de la sorte. Tout d'abord en raison de ses origines et, ensuite, parce que ces systèmes de mass-médias gigantesques s'effondrent. Aujourd'hui, il n'y a pas de grands arbres, pas de grandes plantations. Les grands conglomérats de production musicale de l'industrie du disque ne font plus aussi peur qu'il y a vingt ans. Auparavant, un artiste restait dans l'ombre de cet arbre gigantesque dans l'espoir d'un jour pouvoir en croquer le fruit. Aujourd'hui, tu parviens, de diverses manières, à faire que ton travail soit diffusé. Je trouve que l'afro est bien engagé sur ces nouvelles voies. La tendance, c'est que la musique ancestrale chemine par la fibre optique. Elle vient de l'argile pour circuler par la fibre optique".

Le futur ?

"La tendance est que la musique ait de moins en moins en elle de traces régionales, car le grand nom de la musique dans le futur sera musique universelle. Je me rend compte que la production équilibre de plus en plus ses divers éléments, plus rien n'est vraiment exacerbé, très technologique ou très acoustique. Tout est utilisé de manière plus intelligente. Et c'est ce qui se passe partout dans le monde, je le vois aussi bien à Istanbul, Buenos Aires ou au Nigéria. Avec moins de notions individualistes et en se soumettant plus au collectif, par le biais de collaborations".


"Negros estão longe desse afrobeat", l'interview intégrale en version originale...


dimanche 8 janvier 2012

Une Mue spectaculaire


Cela faisait longtemps que j'en rêvais, c'est désormais réalité. Un vrai site est sur le point de voir le jour pour tout ce qui traite des musiques brésiliennes. Cette fameuse mue spectaculaire évoquée dans la présentation du "programme" de l'année. Le nom de domaine est acheté... Je m'étonne même qu'il ait été encore disponible. Il y a encore beaucoup à faire. D'autant que des échéances professionnelles se mettent de la partie. L'activité de l'Elixir s'en trouve donc considérablement ralentie...

Les archives de l'Elixir y seront également transférées et je m'apprête à passer quelques heures à expurger mes textes des mentions faites à ce havre de passion partagée !

Je ne vous donne pas encore le nom de ce nouveau projet, je vous en annoncerai le lancement très prochainement ! Et merci à tous ceux qui m'ont encouragé ici depuis bientôt trois ans.

mercredi 4 janvier 2012

L'Autotune comme lifting ? Quand Gal Costa est métamorphosée par Caetano


La grande surprise de la fin d'année fut la sortie du nouvel album de Gal Costa, entièrement composé et produit par Caetano Veloso, surprise parce que ce Recanto est carrément électro ! Un virage dans la carrière de Gal que seul Caetano probablement pouvait la convaincre d'effectuer. Car il faut une sacrée confiance en l'autre pour se livrer à lui de la sorte...


Que Gal Costa et Caetano Veloso travaillent ensemble sur un album, quoi de plus normal. Ils ont commencé la carrière ensemble, en 1967, par un disque en duo, le très bossa-nova Domingo, un album qui contient une chanson de Caetano ayant traversé sa carrière, le délicieux "Coração vagabundo". Et, depuis quarante-cinq ans, Gal n'a jamais cessé de chanter les compositions de Caetano. Entre eux, les liens sont plus qu'amicaux, presque fraternels.

Gal Costa n'avait pas sorti d'album studio depuis longtemps, depuis Hoje, en 2005. Celui-ci contenait de belles choses et voyait Gal se rapprocher de la jeune génération ou choisissant le répertoire du disque parmi les chansons d'auteurs moins fameux que ceux auxquels elle se dédiait habituellement. Hoje était surtout marqué par une approche acoustique d'où notre surprise aujourd'hui.

Gal a donc délaissé l'acoustique pour l'électro. Elle a soixante-six ans. Caetano soixante-dix dans quelques mois. On sait qu'au fond de lui, il y a toujours un adolescent curieux, que son art est sa jeunesse éternelle. Quitte pour cela à vampiriser ses jeunes collègues. Mais être resté "jeune" ne fait pas forcément de vous un musicien capable de sortir un album de musique électronique consistant. Autour de lui, pour l'enregistrer, on retrouve donc des musiciens plus jeunes : son fils Moreno, le désormais indispensable Pedro Sá, Donatinho, fils de João Donato, Kassin, ainsi que Rabotnik et Bartolo (Duplexx). Qu'en est-il des textures, des rythmiques ? Le disque est très downtempo et minimal, mais surtout on a l'impression que l'électro sert à obtenir des couleurs dures et froides. C'est le parti-pris de Caetano... Et quand on tient le "tube", le morceau qui va se danser, "Neguinho", c'est pour mieux y épingler le matérialisme et le manque de curiosité de ses contemporains !

Car avec Recanto, on a l'impression que Gal s'est livrée aux mains de Caetano, en baissant la garde et lui laissant toute liberté. Que l'album soit une œuvre de Caetano, cela ne fait aucun doute. Il n'a pas fait que composer l'intégralité des morceaux, dont neufs titres inédits, et produire l'album, il l'a pensé et conceptualisé. Une impression renforcée par l'interview qu'ils ont donné pour présenter l'album. Il ne lui laisse pas en placer une ! Il parle, parle et Gal semble curieusement en retrait, presque étrangère au processus. Dans le processus, il semble que Moreno a beaucoup joué le go-between. Gal recevait les morceaux que lui envoyait Caetano en mp3 et c'est avec Moreno qu'elle s'en imprégnait, y apportait ses suggestions. Puis Moreno revenait vers son père pour avancer dans la création de l'album.

Pour décrire un tel virage dans la carrière de Gal, peut-on parler, à son âge, de mue ? Et si l'épiderme doit servir de métaphore, plutôt que d'une mue, est-il plus juste de parler d'un... lifting ? Curieuse impression car si les habits sont modernes, rien n'est fait pour cacher l'impact du temps sur la voix de Gal. Son visage s'affiche fièrement, sans maquillage, sans artifices. Sublime, toujours, mais quelle est loin l'insouciante sensualité de l'icône des années hippies, celle dont nous évoquions les fameuses dunes où se retrouvaient la jeunesse rebelle. Que le verso de la pochette les montre en leurs jeunes années ne fait que renforcer cette idée, souligner la distance. Le chant de Gal n'a plus la même souplesse, sa voix est plus grave. Et c'est aussi ça le thème du disque. Ne rien cacher du temps qui passe, de ce qui signifie vieillir. Aussi cette sobriété imposée par l'âge doit-elle se révéler plus que se cacher, contrairement à ce pourrait laisser croire l'électro du projet.


Emblématique de cette idée, "Autotune Autorerótico". Comme son titre l'indique, il joue avec l'autotune. On pourra toujours moquer Caetano, se dire qu'il est le vulgaire suiveur d'un effet déjà éculé et devenu insupportable, que c'est un outrage fait à la voix de sa muse, ce serait se tromper : jamais l'utilisation de l'autotune n'avait été faite avec une telle sensibilité. En ce sens, il n'est pas question de lifting, mais au contraire de souligner le trucage... Le geste n'est pas le même de mettre un filtre d'autotune sur la voix d'un jeune n'ayant jamais su chanter juste que sur celle d'une des grandes divas de la musique brésilienne de ces cinquante dernières années. Comme une manière à la fois ludique et émouvante de dire que les personnes âgées ont besoin d'assistance ! De même "Tudo dói", littéralement "tout fait mal", qui rappelle qu'avoir mal c'est être encore vivant.

Caetano a parfois besoin de passer par la voix des autres pour être personnel. Il signe un album d'une rare émotion. Il glisse les échos de son enfance et de son Recôncavo natal sur "Segunda" où le rythme est gratté au prato e faca, par un couteau sur une assiette, comme le faisait son nounou Dona Edith qui s'en était fait un nom : do Prato. Et Caetano puisque ce n'est pas lui qui chante peut bien s'amuser à balancer un rap ! Caetano a déjà rappé, ce n'est pas nouveau, c'était au début des années quatre-vingt, sur le morceau "Lingua", en duo avec Elza Soares. C'est donc sur l'autre titre dansant, "Miami Maculelê", le dernier morceau de l'album, alors qu'on ne l'avait pas entendu jusque-là,  qu'il se lâche ! Et même si son flow est loin d'être impérissable,  pouvait-il rêver plus beau pied-de-nez ? Il invente l'électro et le rap de vieux et vous emmerde !

mardi 3 janvier 2012

Jorge Ben chante "Umbabarauma" (version 2010)


2012, c'est l'année où l'on va fêter la génération brésilienne de 1942. Rendre hommage pour leurs soixante-dix ans à Ben, Gil, Caetano, Tim, Milton et Paulinho. Pour tout de suite être dans le bon tempo et commencer l'année sur les chapeaux de roue, il fallait un morceau dantesque, une bombe de groove. Et en la matière, Jorge Ben a tout ça en catalogue. Et histoire de prendre de ses nouvelles, voici une version de "Umbabarauma" enregistrée en 2010 avec Mano Brown à São Paulo, dans les magnifiques studios YB.


Faut-il encore présenter Jorge Ben ? Selon leurs goûts, les admirateurs de Jorge Ben préfèreront tel ou tel disque,  Samba Esquema Novo, en 1962, A Tábua de Esmeralda, en 1974, etc... On peut avoir un penchant pour d'autres disques qu'Àfrica Brasil mais il faut reconnaître que, de toute sa carrière, celui-ci ne sonne comme aucun autre.

Sorti en 1976, c'est le premier album où il joue de la guitare électrique, instrument qu'il adopte à partir de cette date, au détriment de sa fidèle guitare-nylon. Mais la guitare électrique ne fait pas tout et n'explique pas ce qui distingue Àfrica Brasil des autres disques de Jorge Ben. Ce n'est pas son disque qui "balance" le plus : tous ses disques "balancent". Mais c'est son disque à la fois le plus funk et le plus rock. Il a doublé la batterie, multiplié les percussions, introduit des breaks de rythmes redoutables. Il a forcé sur sa voix. Oubliée la caresse, il crie presque. Ce son brut et cette voix éraillée font d'Àfrica Brasil un disque à part dans la carrière de Jorge Ben.

Le premier morceau est déjà un hymne : "Ponta de Lança Africano (Umbabarauma)" ! Il ne faut pas en attendre considérations ésotériques ou alchimiques. Non, si hymne il y a, c'est à la gloire d'un joueur de football, l'homme-but, l'homem-gol. Umbabarauma était son nom, il était ce "fer de lance africain" et portait le n°10. Ce n'est pas la seule fois où Jorge Ben a consacré une chanson au football. Mais où "Fio Maravilha" évoquait la malice, "Umbabarauma"dégaine la grosse artillerie : tribal !

Pour être admis à travailler avec le maître, on s'est probablement bousculé au portillon ! On retrouve dans l'équipe sélectionnée pour façonner le son de cette nouvelle interprétation, des figures contemporaines majeures : Daniel Ganjaman (Instituo, Criolo...), Duani Martins et Zegon (N.A.S.A.). Mais aussi Pupilo et Gustavo da Lua (Nação Zumbi) aux percussions. Et parce que "Umbabaurama" est aussi un morceau porté par ses chœurs féminins, ils sont ici confiés aux Negresco Sisters, à savoir Céu, Anelis Assumpção et Thalma de Freitas ! Participe également à l'aventure Gabriel Ben Menezes, fils de Jorge.

Mais le personnage principal de cette nouvelle version, c'est bien entendu Mano Brown. Le leader des Racionais MC's*, groupe culte du rap brésilien, est un personnage d'une incroyable notoriété alors même qu'il a toujours fui les médias. Ce n'est rien de dire que leurs tableaux des quartiers périphériques de São Paulo lui ont garanti une street cred' à vie !

Qu'attendre d'une nouvelle version de "Umbabarauma" ? Pas grand-chose. Le morceau est déjà un classique et ce n'est pas aujourd'hui que Jorge Ben pourra en donner une meilleure interprétation. D'ailleurs, Daniel Ganjaman est des plus lucides à ce sujet : on ne pourra jamais faire mieux mais, pour lui, c'est déjà un peu entrer dans la légende que de participer à ce projet. Et, ma foi, ça tient plutôt bien la route.

Evidemment, un tel projet n'avait pu voir le jour qu'une année de Coupe du Monde. Ce serait gâcher le plaisir que d'en donner le sponsor, je vous le laisse deviner... Restons-en là, c'était sympa de voir Jorge Ben interpréter un de ses morceaux cultes avec fraîcheur et sentir l'admiration dans les yeux de ses jeunes partenaires !


Pour ceux qui en deviendraient mordus, il existe un making-of du morceau en trois parties...
1/3
2/3
3/3
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* Sur leur album Sobrevivendo no Inferno, en 1997, ils avaient repris "Jorge da Capadócia"

lundi 2 janvier 2012

Le Programme de 2012 ?


"La vie est une chose trop importante 
pour être prise au sérieux
(Chesterton)

Meilleurs Vœux à tous ! En attendant la grande mue spectaculaire que j'espère, un grand merci à tous ceux qui nous accompagnent dans cette aventure et, en particulier, ceux qui veulent bien laisser des commentaires, c'est le meilleur des encouragements. En récompense, si l'Elixir du Dr. Funkathus régulièrement vous consommez, 2012 ne sera pas l'année de la lose.

Bien sûr, on a beau accueillir le nouvel an les bras ouverts, on ignore ce qu'il va nous réserver en surprises et découvertes musicales. Parmi les artistes que l'on suit, on sait cependant que Lucas Santtana et Rodrigo Campos vont sortir prochainement leur nouvel album. Déjà deux bons motifs d'impatience. Mais comme d'habitude, peut-être par angoisse de la page blanche, nous allons trouver des prétextes à célébrations. Puisque nous ne pouvons inventer la suite, on peut déjà annoncer quelques rétrospectives et hommages que nous allons rendre cette année !

La formidable génération 1942 fête ses 70 ans

Au Brésil, 1942 fut une année exceptionnelle. Sont ainsi nés cette année-là, entre le 22 mars et le 12 novembre, Jorge Ben, Gilberto Gil, Caetano Veloso, Tim Maia, Milton Nascimento et Paulinho da Viola. Combien de pays rêveraient d'avoir ne serait-ce qu'un seul de ces six artistes pour égayer tout un siècle ? Mais, voilà, à lui tout seul, le Brésil est une planète musicale.


En plus, ils ont plutôt l'air en forme nos garçons de 1942, certains ayant depuis longtemps adopté une hygiène de vie irréprochable, hormis Tim Maia, déjà parti de ses excès... Caetano ? Il faut l'écouter se lancer dans le rap sur "Miami Maculelê", un titre de Recanto, l'album électro de Gal Costa qu'il vient de composer et produire, pour comprendre que le bonhomme cherche encore à surprendre et provoquer comme un adolescent rebelle ! Nous profiterons donc de 2012 pour fêter à tous leurs soixante-dix ans... Et c'est Jorge Ben qui sera premier de la liste !

Les 50 ans de Carlinhos Brown

... et quand, en novembre, nous en aurons fini d'honorer cette génération de 1942, il sera tout juste temps de fêter les cinquante ans de Carlinhos Brown !

1987 ? What the F*** ?

Après avoir revisité 1991, vingt ans après, nous renouvellerons nos plongées en archéologie musicale. Je ne suis pas nostalgique mais vingt-cinq ans, c'est une date ! Nous évoquerons deux formations britanniques. Car, que je sache, en matière de libération des droits d'auteur, personne n'est allé aussi loin dans la provocation que The Justified Ancients of Mu Mu en cette année 1987...

Et, c'est encore du côté de Bahia, avec Gerônimo et quelques autres, que nous poursuivrons ce voyage dans le temps, mais je ne vous en dis pas plus...

Voilà quelques pistes pour animer 2012.

D'ici là, avec le son, c'est bon !