samedi 31 juillet 2010

Batatinha, le Diplomate de Bahia

"Na imitação da vida

Ninguém vai me superar

Pois sorrio da tristeza

Se não acerto chorar"
(Batatinha, "Imitação")

Quand on commence à se plonger dans la musique bahianaise, on est vite attiré par le fond, vers les racines. Et ce sont vers ces racines que l'on retourne ensuite le plus régulièrement. Personnellement, du moins. La culture bahianaise est un véritable conservatoire de la musique brésilienne où les formes traditionnelles et populaires restent vivantes et vibrantes. Parmi ces acteurs essentiels de la musique bahianaise, figurent bien sûr quelques sambistes.

Batatinha est l'un d'eux. Quelqu'un dont je chéris tout particulièrement l'œuvre. L'évoquer, c'est me souvenir du temps où je découvrais la musique brésilienne. Caetano Veloso, comme je le rappelais ici il y a quelques semaines, fut mon premier coup de cœur, celui qui ouvrit les portes. Dans la foulée, je découvrais vite sa petite sœur, Maria Bethânia. Formidable interprète que j'écoutais alors beaucoup. Hasard des soldes et des bacs des disquaires, j'avais acheté plusieurs albums live. Sur l'un d'entre eux, Rosa dos Ventos, elle chantait Batatinha. Trois morceaux enchaînés en une sorte de medley : "Toalha da Saudade", "Imitação" et "Hora da Razão". A l'époque, j'ignorais bien qui pouvait être ce Batatinha dont elle disait le plus grand bien avant de se lancer dans son récital mais, déjà, ses chansons se gravèrent dans ma mémoire. Quelque temps plus tard, en achetant le Muitos Carnavais de Caetano, je retrouvais "Hora da Razão", qu'il reprenait à son tour. Je ne sais plus si j'en déduisais que ce Batatinha devait être très connu mais ce nom m'est resté familier pendant des années sans pour autant que j'en apprenne davantage sur son auteur.

Pour en savoir plus, il fallut attendre mon premier voyage à Bahia, début 1999. A Salvador, Goli et Nadja, les amies qui m'hébergeaient, m'offrirent Diplomacia, un album de Batatinha, accompagné de quelques grands noms de la musique brésilienne venus lui rendre hommage. Commençons donc cette évocation du grand sambiste diplomate par un article que j'avais écrit à mon retour, alors que je ramenais dans mes bagages Diplomacia en trois exemplaires (dont deux pour offrir) :


Diplomacia - Antologia de um Sambista fut la reconnaissance tardive d’un légendaire sambiste bahianais. Cet album n'était pas destiné à être posthume mais, hélas, Batatinha n'en vit pas le lancement. Alors que sonne l’heure de gloire des pépés caïds cubains du genre Compay Segundo, Ibrahim Ferrer and co, rendons un hommage à celui qui fut le grand "diplomate" de Bahia : Batatinha. Mais Batatinha n’était pas un diplomate au sens propre, comme a pu l'être Vinicius de Moraes. Batatinha avait élevé lui la diplomatie au rang d’art de vivre. La diplomatie en tant que dignité et courtoisie. Quant à poète, il l’est largement autant que l’auteur de "Felicidade" et, comme le remarque si justement Cid Teixeira dans le livret, nombre de poètes officiels donnerait tout pour avoir écrit de tels vers :

"Meu desespero ninguém vê / Sou diplomado em matéria de sofrer"
("Personne ne voit mon désespoir, je suis diplomate en matière de souffrance ").

Ces vers-là et beaucoup d'autres mais toujours avec les mots les plus simples.

Car le grand talent de Batatinha est d'avoir su se mettre dans la peau de l'homme de la rue, du Bahianais anonyme et d'exprimer avec la plus grande émotion les peines qu'il cache derrière un sourire ou un pas de samba. Batatinha mieux que quiconque aura su évoquer cette énigme bahianaise, cette fameuse diplomatie qui est le secret de cette Terra da felicidade. Le thème est récurrent dans nombre de ses chansons, la vie est imitation, illusion, ironie. Et si l'on ne veut pas pleurer, mieux vaut sourire de la tristesse. Et s'oublier dans la danse, comme dans le refrain de "Direito de sambar" par exemple : "É proibido sonhar então me deixe o direito de sambar" (Il est interdit de rêver alors je m'accorde le droit de danser le samba).

En deux ou trois occasions, les thèmes sont franchement plus légers. Sur "Bêbê diferente", le vieil homme est irrésistible quand il se raconte en bébé jouisseur, biberonneur précoce d'aguardente et se vantant d'être déjà l'égal de son père. Ou encore sur "De revolver não", où on l'entend entouré de ses vieux potes, dont Riachão, tous bien rigolards à l'évocation d'histoires de pêcheurs.

On retrouve aussi bien entendu sur cet album "Hora da razão", certainement son morceau le plus connu et très fréquemment repris, de Caetano à Timbalada.

Quant à l'enregistrement lui-même, cette réception de l’ambassadeur est un succès. Le gratin est de la fête : Caetano, Gil, Chico Buarque et Bethânia, rien que ça. Tous y vont de leur hommage en reprenant, à chaque fois magnifiquement, une chanson du maître.

Pour l'accompagnement, le bon goût et la discrétion sont de mise. Très respectueux, Paquito et Jota Velloso ont réalisé un enregistrement remarquable de finesse et de dépouillement, invitant parfois un violoncelle ou une flûte pour accompagner les indispensables guitares et pandeiro. Sans oublier la fidèle caixa de fosforos de Batatinha, sa boîte d’allumettes qui discrètement pose le rythme du morceau. Et c'est l'art de Batatinha d'accommoder les choses ou les mots les plus simples pour en tirer la plus grande émotion.

O.C., 1999
_____________________

Dix ans plus tard, les mots pour décrire Batatinha n'ont pas changé. En cherchant des témoignages et des récits sur son compte, j'ai découvert que c'est toujours sa simplicité qui est évoquée pour décrire l'art de Batatinha. Au premier rang de ces témoignages, celui de Maria Bethânia, bien sûr, dont on retrouve quelques mots manuscrits au dos de la pochette de l'album Samba da Bahia, enregistré en 1975, album que Batatinha partageait avec ses collègues Riachão et Panela :


"Gosto de Batatinha, como gosto da luz da lua, do som do tamborim, do samba em tom menor, das coisas tristes et simples.
Batatinha pra mim, é uma pessoa rare : um artista
"
("J'aime Batatinha comme j'aime la lumière de la lune, le son du tambourin, le samba en ton mineur, les choses tristes et simples.
Batatinha pour moi est une personne rare : un artiste").

Paulinho da Viola, dont la modestie est aussi grande que le talent, le tenait lui aussi en très haute estime (Batatinha lui a, de son côté, dédié le morceau "Ministro do Samba") :
"felicidade para aqueles que têm o privilégio de estar perto dele e conhecê-lo. Eu o coloco ao lado de um Nelson Cavaquinho e um Cartola... Batata, sinto um prazer imenso em ser seu amigo..."
("Quel bonheur pour ceux qui ont le privilège d'être proche de lui et de le connaître. Je le place aux côtés d'un Nelson Cavaquinho ou d'un Cartola... Batata, je ressens un plaisir immense à être ton ami").

Bel hommage de Paulinho da Viola qui met Batatinha sur le même plan que Cartola. Hélas, Batatinha n'a jamais eu la notoriété et la reconnaissance qu'il aurait méritées. C'est injuste mais n'est-ce pas malheureusement le sort de nombreux sambistes ? Même en ayant son heure de gloire, le sambiste retombe ensuite vite dans l'oubli. Même Cartola, le plus grand d'entre tous, a connu pareille infortune. Après avoir été surnommé le "Divino" dans les années trente, quand il était adoré par la bonne société carioque et admiré par Heitor Villa-Lobos, le fondateur de la Mangueira aura attendu 1974 pour enregistrer son premier disque solo, alors qu'il a déjà la soixantaine bien sonnée. Il aura fallu la rencontre avec Marcus Pereira après un anonymat d'une vingtaine d'années. Batatinha a lui aussi rencontré son Marcus Perreira. Ils étaient deux et s'appelaient Paquito et Jota Velloso.

Il faut rappeler que même si leurs collègues cariocas sont fréquemment tombés dans l'oubli, jamais la plupart des sambistes bahianais n'auront atteint leur célébrité. Batatinha, par exemple, n'a jamais voulu quitter Salvador pour Rio. Ainsi de cette belle assemblée, ironiquement surnommée sur la photo, le "Ratpack bahianais", aucun n'aura connu de réelle heure de gloire nationale. Même si c'est un collègue de Rio, le grand Jamelão de la Mangueira, qui le premier enregistra une composition de Babatinha. "Jajá da Gamboa" en 1954. Il en fit même un succès. Il s'agit d'un titre assez atypique puisque très enjoué, alors que son répertoire est en grande partie constitué de chansons tristes, contant les aventures d'un malandro, le Jajá en question.

De gauche à droite : Edil Pacheco, Riachão, Walmir Lima, Batatinha, and Ederaldo Gentil

Batatinha n'a jamais vraiment vécu de sa musique. Né à Salvador en 1924, le jeune Oscar da Penha est obligé de commencer à travailler très jeune. Il rentre comme office boy au journal Diário de Notícias mais évoluera par la suite, comme auxiliaire typographique, puis graphiste. Une profession qu'il exercera toute sa vie, devenant même fonctionnaire des presses officielles, l'Imprensa Oficial de Salvador. Cet emploi de graphiste ne l'empêchera pas de mener la vie de bohème avec ses collègues et ses amis sambistes.

Son premier surnom fut Vassourinha, en référence à un sambiste carioca célèbre de l'époque et qu'admirait le jeune Oscar. Au début des années quarante, il alla voir Antônio Maria, qui dirigeait alors la Rádio Sociedade da Bahia, et lui interpréta "Inventor do Trabalho". Son nouveau (et définitif) surnom de Batatinha lui est venu de ce même Antônio Maria qui l'appela ainsi lors d'un passage radio. Dans l'argot de l'époque, un "Batatinha", (une petite patate, littéralement) désignait un type bien. Ce qu'il était assurément.

Quelques mois avant sa mort, Batatinha fut invité à enregistrer en duo avec Silvia Torres, une de ses compositions, "Pra Todo Efeito", sur l'album de cette dernière, produit par Carlinhos Brown. Sa voix y était déjà terriblement fatiguée. Heureusement, on ressent bien moins cette impression sur les titres de Diplomacia qu'il chante.

Paquito et Jota Velloso (neveu de Caetano et Bethânia) racontent cependant que Batatinha était déjà malade quand ils se sont lancés dans ce projet. Celui était d'offrir à Oscar da Penha, dit Batatinha, la reconnaissance qu'il méritait de son vivant. Ce projet s'était imposé à eux en réaction à l'omniprésence de l'axé qui reléguait la samba traditionnelle à la confidentialité. Et donc aussi ses plus illustres représentants bahianais. Ils ont réalisé un vrai travail patrimonial en s'entretenant avec Batatinha pendant de longs mois. C'est un véritable collectage de son répertoire qu'ils ont ainsi réalisé. Ils furent très étonnés de découvrir que Batatinha n'avait même pas déposé ses compositions. Plus encore, il ne les avait même pas notées dans un cahier. Tout était là, dans sa mémoire. Aussi, lors de ces séances demandaient-ils à Batatinha de leur chanter son répertoire. Ce qu'il faisait en s'accompagnant de cette simple boîte d'allumettes qu'il utilisait pour composer ! De ces retranscriptions, ce sont environ soixante-dix chansons qui ont été sauvés de l'oubli. Paquito et Jota Velloso précisent que ce répertoire est disponible à qui souhaiterait l'interpréter. C'était leur souhait, leur mission : faire connaître l'art de cet auteur.

Quelques années plus tard, Paquito et Jota Velloso renouvelèrent l'expérience en offrant un album au bien vivant Riachão, sur le même principe d'inviter quelques grands artistes à reprendre quelques pièces de son répertoire. On retrouvait là encore Caetano, mais aussi Tom Zé, Dona Ivone Lara ou Carlinhos Brown... Mais quand Batatinha incarnait une samba triste et pleine d'émotion, Riachão est un joyeux drille débordant d'énergie malgré son âge avancé. Les deux faces de la médaille du samba bahianais.

Batatinha est sa face d'ombre, celui qui chantera ces moments de tristesse, ces occasions ratées que l'on garde au chaud du coeur, à l'image de "Toalha da Saudade". Il se souvient comment, lors du précédent carnaval, il a gardé la serviette avec lequel une belle jeune fille s'est essuyé le visage. La jeune fille a disparu. Il lui reste ce morceau d'étoffe et le souvenir de sa beauté. Seul remède à sa saudade : aller danser le samba !

"Tenho ainda guardada
como lembrança do carnaval que passou
Uma toalha bordada que na escola
um lindo rosto enxugou (Eu tenho)
Tenho ainda guardada
como lembrança do carnaval que passou
Uma toalha bordada que na escola
um lindo rosto enxugou

É a toalha da saudade
da minha infelicidade
Não me vai ornamentar
E pra não sofrer desilusão
nem passar decepção
Eu vou sambar
"

L'album-hommage Diplomacia a visiblement rempli son rôle. Deux documentaires consacrés à Batatinha ont depuis été réalisés. Le premier, Batatinha Poeta do Samba, par Marcelo Rabelo, le second, Batatinha e o Samba Oculto da Bahia, par Pedro Abib.

La bande-annonce de Batatinha Poeta do Samba, qui permet d'écouter un extrait de son morceau "Imitação".


Un extrait du documentaire Batatina e o Samba Oculto da Bahia, où bien sûr on retrouve Maria Bethânia qui fut réellement la première à faire découvrir son œuvre au reste du pays


A sa mort, son joyeux compère Riachão donna de lui une belle définition : "uma cabeça cheia de cabelos brancos e cada fio uma nota musical". Une tête pleine de cheveux blancs et, dans chacun d'eux, une note de musique.

Puisque je m'associe à la mission de Paquito et Jota Velloso dédiée à faire connaître l'œuvre de Batatinha, je vous propose, plutôt qu'un lien pour télécharger l'album, en voici un qui indique les accords du morceau "Direito de Sambar". Ca peut aussi vous occuper pour les vacances...

Batatinha, "Direito de Sambar"



vendredi 30 juillet 2010

Célébration de Vinícius et ses Afro Sambas

Levons notre verre en hommage à Vinícius de Moraes ! Saravah !!!

Alors que ces dernières semaines je ré-écoutais assez fréquemment Os Afro Sambas, depuis que j'avais découvert la reprise de "Tempo de Amor" par Seu Jorge, sur son album avec Almaz, j'avais complètement oublié de mentionner le trentième anniversaire de la mort de Vinícius de Moraes, décédé à 67 ans le 9 juillet 1980.

Marcus Vinícius da Cruz de Melo Moraes : poète et diplomate. Authentique poète. Authentique diplomate. Avant de devenir l'auteur avec Jobim et Baden Powell de tous ces standards indémodables de la musique brésilienne. Figure centrale et fondatrice de la bossa nova. Vinícius de Moraes a toujours collaboré avec des gens beaucoup plus jeunes que lui. Jobim, Baden Powell, Toquinho le fidèle, ou Maria Bethânia, encore toute gamine quand elle chantait avec lui, etc. Il leur a apporté sa maturité, une expérience de la vie qui donne toute sa profondeur et sa gravité aux nombreuses chansons qu'il a écrites.

Le bonhomme ne faisait pas dans la demi-mesure. Pas du genre à s'économiser. Généreux, excessif, il avait l'alcoolisme assumé et joyeux. Et parmi tous les alcools, il a voué une adoration indéfectible au whisky. Au point d'avoir fait cette grande déclaration : "le whisky est le meilleur ami de l'homme, c'est du chien en bouteille" ("O Whisky é o melhor amigo do homem… whisky é cão engarrafado").

Si le thème d'Os Afro Sambas est la spiritualité afro-brésilienne, l'enregistrement se déroula stimulé par cet adjuvant dévastateur. Dans un état d'ivresse qui devait favoriser la transe mystique. Avec Baden Powell, le whisky, ils le buvaient par caisse ! Déjà, trois ans plus tôt, en 1963, Baden et Vinícius s'étaient enfermés près de trois mois dans l'appartement de ce dernier. Ils composèrent vingt-cinq morceaux tout en se descendant vingt caisses de whisky Haig & Haig, paraît-il rentrées au Brésil par la valise diplomatique. Un journaliste brésilien calcula que cela représentait donc 0,8 caisse par chanson. Dans ce genre de comptabilité, un chercheur (un vrai, un sérieux, même si je n'ai aucune idée de son nom) fit une étude sur la consommation d'alcool chez les philosophes : il en ressortait qu'il fallait en moyenne environ une bouteille de vin par page à un philosophe français...

"Vinícius de Moraes est le plus grand fils de pute machiste", dixit Tom Zé. Peut-être. Lui, se décrivait comme "le Blanc le plus Noir du Brésil". Ce qui à l'époque devait littéralement outrager la bourgeoisie nationale, toute engoncée dans ses préjugés. Plus encore que sa pièce Orfeu da Conceição, qui inspira le film Orfeu Negro de Marcel Camus, c'est justement sur Os Afro Sambas, enregistré en 1966, que se révèle le "cœur noir" de Vinícius (si vous me passez l'expression). C'est au moins un superbe témoignage de sa découverte du candomblé. Au début des années soixante, un Bahianais lui offrit un disque Samba de Roda e Candomblés da Bahia qui l'impressionna beaucoup. Il le fit écouter à Baden Powell. Et il commença à s'intéresser à cette religion dont la richesse et la complexité le fascinaient. Il se mit également à fréquenter les terreiros en compagnie de Baden Powell. Celui-ci également avait déjà été fasciné par la découverte de cette musique lors d'un séjour bahianais. Mais si Baden Powell était fasciné, ce n'était pas tant pour la dimension mystique de cette musique que pour la beauté de ses harmonies.

Cette plongée au cœur des racines culturelles noires du Brésil donna une réelle inspiration à Vinícius et Baden. Inspiration qui illumine ces salutations aux orixas, Iemanjá, Xangô, Exu... De ces sessions, naquit cet album empreint de spiritualité, où figurent peut-être également les plus beaux textes de Vinícius sur l'amour. Justement parce que même l'amour y prend une dimension spirituelle.

Outre le fait que Baden Powell ait à cette époque étudié le chant grégorien avec Moacyr Santos, qui y percevait des similitudes avec les cantiques aux origines africaines, cette intensité religieuse tient aussi à la présence de quatre sœurs bahianaises (blanches) lors de l'enregistrement : Cyva, Cybele, Cynara et Cylene, soit le Quarteto em Cy. Leurs voix ferventes sont une véritable épreuve pour qui voudrait se définir comme mécréant. Oui, oui, je sais de quoi je parle. Ecoutez ne serait-ce que "Bocochê" ou "Canto de Xangô" pour vous en convaincre. A ces voix enchanteresses se greffent six percussionnistes pour reproduire la puissance rythmique des musiques du candomblé.

Pour illustrer le caractère spontané de l'enregistrements des Afro Sambas, l'interprétion du "Canto de Ossanha" en est une merveilleuse illustration. Baden Powell est à la guitare. Vinícius chante et le refrain est repris en chœur par l'assemblée de jeunes gens assis aux pieds des musiciens. Peut-être s'agit-il du Coro Misto qui participa à l'enregistrement de l'album, composé de proches et d'amies du duo. Peu importe, il s'en dégage un enthousiasme et une fraîcheur irrésistibles. Irrésistibles ! Et, bien sûr, Vinícius tient son verre à la main ! Allez, "vai, vai, vai, vai" !!!


Vinícius de Moraes avait toujours attribué au génie de Baden Powell la beauté de cet album. Mais, pour lui, il importait surtout que ressorte de son enregistrement l'ambiance spontanée et joyeuse qui les animait alors. En 1990, toujours avec le Quarteto em Cy mais sans Vinícius décédé dix ans plus tôt, Baden Powell ré-enregistra Os Afro Sambas, au plus fidèle possible de la version originale dont il regrettait la faible qualité du son, enregistrée en deux pistes en 1966. La qualité technique de la prise de son est certes meilleure mais la magie s'est quelque peu évaporée. Les Afro Sambas vues du côté de Baden Powell, c'est un autre sujet. Dont nous parlerons dans quelques semaines...


mardi 27 juillet 2010

L'authenticité ? Diplo s'en fout...


Pitchfork vient de mettre en ligne une longue interview de Diplo. Y a-t-il témoin plus avisé que Wesley Pentz, alias Diplo, pour parler de la globalisation culturelle, de la diffusion des musiques du ghetto à travers le monde, de la manière dont il se sert des sponsors sans réticence éthique ? De la façon dont les jeunes branchés vont s'encanailler sur le baile funk ? Du cool et des chasseurs de cool ? Diplo sillonne en permanence la planète. Il n'est même plus jet-lag, juste un témoin privilégié et lucide de ce qui fait tourner les dancefloors du monde.

DJ, producteur, fondateur du label Mad Decent, ex de M.I.A., alors que sort un nouvel EP de Major Lazer, Diplo a toujours plusieurs casseroles sur le feu, plusieurs cordes à son arc. Alors que pour de nombreux DJs, crate-diggers maniaques, le bonheur est d'être enfermé dans le sous-sol d'un vieux disquaire, entourés de piles poussiéreuses de vinyls prêtes à s'écrouler (cf. la scène avec DJ Shadow dans le documentaire Scratch !), Diplo appartient à une autre école. Il n'écume pas les bacs à disques, à la recherche d'un obscur vieux 45 tours, en quête du break parfait, non, lui est à l'affût de ce qui bat, ce qui émerge dans n'importe quelle périphérie du monde moderne. Ancré dans son époque. Parmi les plus notables faits d'armes de Diplo, il faut lui reconnaître d'avoir contribué à populariser le baile funk en dehors du Brésil. Ce qui était une musique des ghettos, apparue dans les favelas cariocas, était devenu un style en vogue dans les clubs branchés de toutes les métropoles. Ce trajet anthropologique du baile funk est un phénomène commun à la plupart des musiques populaires. Elles touchent un nouveau public dans un contexte plus paisible et permette à celui-ci de s'encanailler sur des musiques encore brutes. Une thématique à laquelle j'ai consacré un chapitre de mon ouvrage L'Âme-Sueur (1998) mais que je ne vais pas développer ici.

Je ne vais pas plus rentrer en quelques lignes dans une analyse fouillée de ce que peut représenter aujourd'hui Diplo. Mais on ne peut que souligner qu'il sera toujours perçu par certains comme le "white boy who stole the soul". Par sa façon de s'approprier les musiques du ghetto, le baile funk donc, ou plus récemment le dancehall avec Major Lazer, Diplo est un maillon essentiel de la grande chaîne de la chasse au cool, le cool étant ce carburant vital des industries de la mode et du divertissement. Il en est tout à fait conscient : "a lot of people are bothered by me being white and doing stuff like this. I keep doing this stuff. I think I'm good at it".

Le Baile-Funk, du ghetto pour le ghetto, et au-delà
Concernant le baile funk, il revient ici sur la façon dont le style s'est développé, à partir de la Miami Bass, pour aboutir à cet hybride typiquement carioca. Tout en relevant la structure de ce marché, résolument à l'écart, en circuit fermé, du ghetto pour le ghetto, ce qu'a déjà bien souligné Hermano Vianna, l'anthropologue brésilien y ayant consacré pas mal de recherches (voir, par exemple, "Funk et Culture Populaire carioca")

"Something like baile funk is so complex. It's just Miami bass, a subset of hip-hop. It's like evolution. Australia has crazy-ass marsupials because it's an island and they bred themselves into something weird. That's kind of what happened with baile funk. Miami bass got trapped there and became this strange, hybrid Brazilian thing. But the thing about funk was there wasn't an industry. For a while they were selling singles, but it was only in Rio. It was done on bootleg CDs. There was no giant hand helping to move it one way or another. It's just how kids wanted it, as raw as possible. And that's what's so interesting about that scene. I've never seen it develop like that anywhere else while I've been traveling.

The first time I went to Brazil, you couldn't hear that music anywhere but Rio. Maybe in São Paulo. What helped make it grow were people were playing it outside of Brazil. People in Brazil were like, we can play this now, it's not just ghetto music or black music, it's our music. It's cool-- white kids in Europe are dancing to it now. That helped it spread.

The same thing happened with samba. It was really ghetto stuff, then the records came out on Verve and they started fusing it with jazz and big band and stuff. Same thing happened with baile funk, except that it became ultra Backstreet Boys-style, easy-to-digest pop music after the first wave came back to Brazil. It's become really cheesy. I haven't liked it for the last four years. If you do go to Rio and you go back to the ghetto and you hear the parties promoted by the gangsters you can still hear it where it's pretty raw. Like any underground scene, when it gets too glossy, the whole thing collapses and then goes back underground".

M.I.A., l'ex et ses contradictions épinglées
Vous n'êtes probablement pas sans ignorer le fameux article "M.IA.'s Agitprop Pop" que Lynn Hirschberg a consacré à M.I.A. pour le New York Times. On pourrait parler d'un portrait à charge. La journaliste semble prendre un malin plaisir à pointer les contradictions de M.I.A. Que la rebelle ait épousé un fils à papa, héritier multimillionnaire de l'empire Seagram. Que ses prises de position sur la politique sri-lankaise soient caricaturales et ne fassent que jeter plus d'huile sur un feu déjà bien attisé. Ces contradictions de M.I.A. furent cristallisées par Lynn Hirschberg à travers l'anecdote des "frites à la truffe" et cette phrase qui tue : " 'I kind of want to be an outsider', she said, eating a truffle-flavored French fry". Ce qui a rendu M.I.A. hystérique : elle a même mis en ligne son propre enregistrement de la commande prise par la serveuse, pendant l'interview, afin de prouver que c'était, en fait, la journaliste qui avait commandé ces frites à la truffe par qui le scandale arrive !!!).


Interrogé sur le sujet, Diplo avait, explique-t-il à Pitchfork, déjà conseillé depuis un moment à M.I.A. de laisser tomber les sujets politiques. Et pour ceux que la politique intéresse, il conseillait sagement :
"If you want politics read Howard Zinn books or go to Ted.com. That's a way better fucking place to get your information from then M.I.A.'s album. If you want awesome music, buy her record".

Vendre son cool tout en pensant à demain
Diplo est un tastemaker, un défricheur qui va lancer des tendances. Il jouit de ce crédit auprès des marques qui vont utiliser son nom et sa notoriété pour colorer leur image. C'est de bonne guerre. C'est le jeu qu'il faut jouer aujourd'hui et il s'y est parfaitement adapté. Ce sont d'ailleurs des gros clients qui le sollicitent...
"You have to play the game to reach people these days. You're selling your cool to them so they can sell your music to people. It's a hard game to play and there are some sponsors we never work with for certain reasons. Then there are some people who we just happen to work with, like Red Bull, who have done fucking amazing things for us. They're helping us with the carnival party and workshops for kids. Even Diesel, they're helping us with our block party this year. I can't believe how much freedom they give us to do shit, and they barely get anything out of us, it seems".

Il suffit de faire attention et ne pas choisir la planche pourrie.
"But it is hard because those are the people who have the real media outlets. We just have the material. It's kind of weird. You have to be careful. (...) It's like stepping stones; you step on the wrong stone, you fall into the water".

J'avais lu un jour dans une critique que si Marc Bolan n'avait pas déjà pris le nom, Wesley Pentz aurait probablement choisi de s'appeler T. Rex plutôt que Diplo. Rapport à son comportement carnassier. Diplo est cependant conscient qu'il ne doit pas scier la branche sur laquelle il s'assied. Il est le pourvoyeur de rythmes du ghetto global pour les clubbeurs de la Terre entière. Il faut donc que les kids des ghettos-favelas-périphéries continuent d'inventer ces musiques afin que des gens comme lui se les approprient et les recyclent pour la jeunesse branchée du monde privilégié.
"You know the kids that are making the ghetto stuff I can't even reach are the ones that are inspiring me to play music for the other kids in the city they don't even know about. If I don't get those kids making music, there won't be an original kid DJing like me in five-to-10 years".

On comprend bien sûr que pour justifier sa position, la notion d'authenticité soit bannie de son vocabulaire. Qu'il s'agisse de celle de la musique, bien sûr, à une époque où des hybrides donnent naissance à d'autres hybrides et où, parfois, on ne parviendra même plus à identifier les sources ayant donner naissance à ces hybrides d'hybrides. Et, surtout, qu'il s'agisse de celle de son auteur. Oubliée la notion de street-cred', évacuée la légitimité. Ne reste plus que des formes malléables que l'on doit manipuler avec talent.

"There's no level of authenticity. When I started working in Jamaica, being some white guy going to Jamaica to tour, someone requested some cheesy house music and Chumbawamba. Who cares about authenticity now? It doesn't matter. All that matters is people are enjoying themselves. Authenticity--that word doesn't exist in my vocabulary anymore".

lundi 26 juillet 2010

Umbillical, une douceur d'afro-pop bahianais

Le cadeau exclusif du Dr. Funkathus pour les vacances, introuvable sur le www !!!

Umbillical pourrait être le disque de l'été ! L'album de vos vacances. Enfin, il aurait mérité d'être l'album de l'été 1999 ou 2000, à l'époque de sa sortie. Le genre de truc sympa, léger, "ensoleillé". Et c'est déjà pas mal ! La vocation d'un blog musical est de faire connaître et partager l'œuvre d'artistes parfois méconnus ou injustement ignorés du grand public. Donc : exceptionnellement, nous ne nous contenterons pas du texte, comme vous pourrez le constater en bas de page...

OK, OK, je vous vois venir : avec cette pochette, vous allez penser que j'exhume un vulgaire boys band brésilien. Ce serait mal connaître le Dr. Funkathus. Car voici réunis ici trois des plus grands percussionnistes bahianais issus de l'école du Candéal. Trois musiciens ayant grandi sous l'aile de Carlinhos Brown. Si vous avez déjà vu Brown en concert, vous aurez probablement remarqué Boghan Costa et Léo Bit-Bit sur scène à ses côtés. Quant à Gustavo di Dalva, il était sur le port de Mèze, pour accompagner Gilberto Gil lors de son passage au festival de Thau, hier soir le 24 juillet, comme il était déjà là, en 2005, lors de son concert au Zénith de Montpellier.

En 1999, trois grands noms du monde de la percussion bahianaise se réunissent et fondent un groupe. Soit Gustavo di Dalva + Boghan Costa + Léo Bit-Bit = Umbillical. Un truc calibré pour faire un carton. Une sorte de super-groupe, à moins que ce ne soit un "sous-groupe", au sens de groupe ethnique, comme s'amusait à le dire Caetano à propos de ses Doces Barbaros. Toujours est-il que, comme dans les Doces Barbaros, on retrouve des liens de famille entre les membres d'Umbillical : Boghan Costa et Léo Bit-Bit sont frères (j'avais cru un moment, en écoutant Fernando Trueba parler de son film Le Miracle du Candéal, que Léo était le frère de Carlinhos Brown. Trueba s'était visiblement trompé ).

Umbillical, une tentative réussie d'afro-pop typiquement bahianaise. C'est-à-dire à la fois ancré dans le funk à la sauce locale et doucement sucré. A la fois rythmé et mélodique, accessible, qui prend parfois les airs d'une musique axé de qualité... Bon, certains vont déceler une incompatibilité fondamentale entre les deux termes, "axé de qualité", un oxymore presque ! Disons simplement que cet album d'Umbillical pourrait être l'exception qui confirme la règle, tant le genre est effectivement marqué par les productions vulgaires enregistrées au kilomètre. Ce n'est pas faire injure aux Bahianais de le dire, nombre d'entre eux, pour peu qu'ils soient alternatifs ou que sais-je, détestent l'axé !

Certes, Umbillical joue une musique sans aspérités ni dissonances... Mais avec un groove infaillible. Leur côté pop s'exprime par ces voix plutôt douces, ces mélodies sucrées, pour utiliser la terminologie commune. Mais, attention, ici, doucement sucré ne signifie pas dégoulinant et mielleux. On reste dans de plus digestes proportions.

Umbillical joue du funk. A sa façon. Umbillical joue du funk. Tout simplement. Ecoutez "Astral". Ecoutez "Vim pra te buscar". Ecoutez "Com Ela", etc.

Mais quand j'enfourne la galette dans mon ordinateur afin de l'encoder en mp3, GraceNote CDDB, la base de données d'iTunes qui vous donne instantanément les titres des morceaux, le nom de l'album et des artistes, ce coup-ci reste muette. Umbillical ? Inconnu au bataillon. Sur internet non plus, quasiment rien. Incroyable !

Ce CD est un cadeau de mes amies soteropolitanas Goli et Nadja. Elles m'avaient dit que c'était un groupe qu'avait lancé Brown mais que ça avait été un fracasso. Malgré tous les espoirs qu'il portait. Il avait bien été signé chez Sony, sous le label Epic, mais voilà, l'album a fait flop.

Il date de 1999. Cette année-là, à Salvador, j'avais réalisé une interview de Carlinhos Brown. Le lendemain, il me fit visiter son quartier général du Candéal : les studios Ilha dos Sapos, le Candyall Guetto Square et l'école Pracatum. En croisant Claus Jake, un musicien du groupe Rumbaiana, Brown le prit à témoin pour m'expliquer le manque d'ambition de la plupart des productions bahianaises. On ne prend plus le temps de bien enregistrer, de bien jouer ! Quand une prise n'est pas bonne, trop souvent on s'en contente plutôt que de la refaire ! Quelques instants plus tôt, dans le studio, j'avais justement été témoin de son exigence en la matière. Deux percussionnistes s'escrimaient sur une piste du prochain album de Timbalada. Brown, jamais satisfait, leur fit recommencer un grand nombre de fois leur partie.

Brown avait soutenu Umbillical, même si son nom ne figure nulle part sur les crédits de l'album. Mais des moyens dignes de ce nom avaient été débloqués pour que l'enregistrement soit de qualité. Si vous regardez le générique, vous comprendrez vite. La plupart des titres sont produits par le regretté Ramiro Musotto, un beau gage de qualité. On retrouve même le "maestro" Jaques Morelenbaum au violoncelle et aux arrangements de cordes sur un titre ("Consulado", loin d'être le meilleur de l'abum, ceci dit). Peut-être leur avait-il fait un prix d'ami ? Sur l'autre morceau comportant des cordes ("Com Ela"), les arrangements classieux sont de Lincoln Olivetti, un nom qui ne passera pas inaperçu aux amateurs de groove brésilien. On trouve également sur l'album des orchestrations qui ne mégotent pas : cuivres en bonne section, percus à profusion, basse qui funke à donf', guitares qui savent hausser le ton à bon escient.

Le projet témoigne aussi de ce que les percussionnistes bahianais savent faire autre chose que chauffer les peaux de leurs tambours. Cette démonstration est une des grandes ambitions de Brown. C'est pour cette raison que, dans son école de musique de Pracatum, il insiste pour que les élèves musiciens se voient enseigner l'harmonie et la composition. Même s'ils sont trop vieux pour avoir fréquenter les bancs de Pracatum, les membres d'Umbillical donnent une illustration des vœux de Brown sur ce terrain. Le répertoire est ici le leur, Gustavo di Dalva et Boghan Costa se partageant les compositions. Les voix sont les leurs et, ma foi, très correctes dans ce registre doux et caressant.


Avec cette mise en avant du trio, c'est l'affirmation que les percussions sont bel et bien passées de la cuisine au salon. Une expression qui illustre la reconnaissance artistique qu'ont enfin obtenu les cultures noires brésiliennes et dont Carlinhos Brown demeure l'exemple le plus fort, tant sa musique témoigne d'une rupture esthétique.

Umbillical faisait partie de cette nouvelle scène qui, au début des années 2000, trouvait son inspiration dans la richesse rythmique de la musique bahianaise. Si Brown en est la figure tutélaire, d'autres artistes ont creusé cette voie féconde de l'afro-pop. Si EletroBenDodô, le premier album de Lucas Santtana, est le chef d'œuvre qui allait donner à cette approche son manifeste afro-tropicaliste du troisième Millénaire, avec les mêmes ingrédients et mêmes racines, une veine plus légère trouvait à s'exprimer à travers Davi Moraes ou... Umbillical. L'attachement de ces derniers aux racines est explicite par le nom même du groupe : le lien "maternel" à ces racines. Comme si Umbillical se refusait à couper le cordon. Comme si, par cet attachement, se justifiait la douceur festive de sa musique : maternelle.

Même si la musique d'Umbillical peut ressembler à celle de Brown, sur le versant pop-festif de son œuvre, l'ambition artistique d'Umbillical est forcément plus modeste. Mais nous offre quelque chose de léger et réjouissant pour (ou en attendant) les vacances. Le genre de musique qui vous donnera envie de danser ou qui rendra vos corvées ménagères plus supportables. Ecoutez Umbillical et voyez comme votre coup de balai se fait soudain plus léger. Ecoutez Umbillical où vous voulez mais si vous êtes assis, probablement que, très vite, de la tête vous dodelinerez, du pied vous battrez la mesure, et des épaules ondulerez en rythme. Et si vous êtes debout, contentez vous de suivre vos pieds et le mouvement de vos hanches. Attention toutefois, ces refrains, aussi inoffensifs qu'ils paraissent, risquent également de vous trotter dans la tête à l'improviste.

Malgré l'échec commercial d'Umbillical, nos compères, s'ils se sont faits connaître en accompagnant Carlinhos Brown, ont depuis acquis une notoriété internationale. Leur CV est long comme le bras. Outre leurs participations aux albums des plus grandes stars brésiliennes, on les retrouve à collaborer aussi bien avec le Cubain Roberto Fonseca qu'avec le Sénégalais Cheikh Lô, etc... Boghan est probablement le premier nom qui vient à l'esprit d'un producteur s'il entend donner une couleur de percus' brésiliennes à un album. Actuellement, Boghan et son frère Léo se sont lancés dans le projet Bitgaboot mais n'ont, semble-t-il, pas encore sorti d'album sous ce nom.

Il me semble juste de donner une nouvelle chance à Umbillical de rencontrer le public. Leur musique vous fera du bien. Alors, exceptionnellement, vu que cet album est passé complètement inaperçu et qu'il est véritablement introuvable, je m'autorise pour la première fois sur ce blog à le proposer en téléchargement.

Bien entendu, si messieurs Boghan, Léo ou Gustavo, ou leurs représentants, s'opposaient à ce que j'offre une chance à leur musique d'être enfin connue, je retirerais immédiatement le lien, question d'éthique, de déontologie, etc...

Umbillical est donc prescrit comme un élixir de choix par le bon Dr. Funkathus. Idéal pour faire la fête. Ou, plus modestement, pour passer un coup de balai dans la bonne humeur. Votre intérieur sera reconnaissant à Boghan, Léo et Gustavo.


1. Suando a camisa
2. Astral
3. Consulado
4. Vou Ai
5. Vim pra te buscar
6. Com Ela
7. Vem amar
8. Conheci uma garota
9. Sendo conquistado
10. No cantinho

PS : Bon, c'est vrai qu'elle est pas terrible la pochette.

samedi 24 juillet 2010

Grand d'une grandeur latente

"Qui sait si, cessant de fumer, je serais devenu l'homme idéal et fort que j'espérais ? Ce fut peut-être ce doute qui me cloua à mon vice : c'est une façon commode de vivre que de se croire grand d'une grandeur latente."

Italo Svevo, La Conscience de Zeno
(cité, en exergue de son roman No Smoking, par Will Self)

vendredi 23 juillet 2010

Casuarina à Lavérune, les jeunes pousses prennent le samba par les racines

Ce soir, c'est samba au château de Lavérune. Toujours dans le cadre du festival de Radio France et des concerts gratuits de Musique dans l'Agglo, Casuarina vient balancer sa samba nouvelle génération mais profondément enracinée dans la tradition.

Casuarina, l'apprentissage du samba par la vie de bohème
Casuarina est un groupe de jeunes Cariocas, habitués à faire la bringue dans le quartier bohème de Lapa, qui s'est approprié avec brio le samba le plus classique. Comme son père Lenine, João Cavalcanti, leader non officiel du groupe, a grandi en écoutant du rock. Jusqu'à ce qui fut une révélation pour tant et tant de jeunes Brésiliens : Nação Zumbi, le groupe de Chico Science, qui avait su se réapproprier les musiques régionales pour mieux les dynamiser. Si Nação Zumbi fut une étincelle, Casuarina ne s'est pas pour autant lancé dans une relecture électrique du samba, avec force guitares électriques, mais a opté pour une approche 100% acoustique.

On savait Lénine "orchidolâtre" (cultivateur passionné d'orchidées), le fiston est lui aussi branché sur le règne végétal puisque Casuarina est le nom d'un arbre (de la famille des casuarinacées, et toc). Ce qui est une métaphore de la vocation du groupe : à la fois plonger aux racines et s'ouvrir aux feuillages et fruits de la nouvelle saison. Si Caetano Veloso disait "j'aime bien les racines mais je préfère les fruits", on n'aura aucun doute que nos jeunes pousses pencheront plutôt vers l'autre extrémité de l'arbre.

Par association d'idées, je me faisais la réflexion qu'il était peu courant de voir sur scène des artistes de père en fils. Je crois bien que la seule fois où cela m'est arrivé, c'était justement avec les Veloso. J'ai souvent vu Caetano en concert. Puis une fois son fils Moreno. J'ai déjà eu l'occasion de voir plusieurs fois Lenine, c'est au tour de son fils João Cavalcanti. Mais là où le père est félin, le fils est plutôt bon ours.

Casuarina n'est pas un représentant du samba de morro, le plus authentique. Il est celui du renouveau du samba auprès de la jeunesse de la classe moyenne. De même que Noel Rosa, dans les années trente, Casuarina permet au samba de toucher un nouveau public. Issu d'une famille bourgeoise, Noel Rosa vivait sa vie de bohème en la brûlant par les deux bouts, sa constitution fragile en fit un météore inoubliable, emporté à vingt-six ans par la tuberculose. Ses compositions sont restées et avec elle l'ouverture sur un autre milieu que celui d'origine du samba, jusqu'alors presque exclusivement noir et pauvre, à l'exception des quelques encanaillés qui en avaient fait leur étendard festif. Comme tant d'autres musiques populaires, le samba a emprunté le processus sociologique habituel. Né dans un milieu populaire marginalisé et stigmatisé, c'est l'étape bohème qui sera une charnière lui permettant par la suite de toucher le grand public.

J'ignore l'exact contexte sociologique dans lequel Casuarina a développé son approche du samba dans le Brésil contemporain. João Cavalcanti établissait récemment un état des lieux du samba dans Vibrations (n° 125) : "hormis le carnaval et quelques manifestations, la samba a été pendant vingt ans réservée au ghetto, sans aucune exposition médiatique. Même des chanteurs comme Zeca Pagodinho ou Beth Carvalho galéraient".

L'histoire du samba est faite de hauts et de bas, de cycles. João Cavalcanti justifie l'approche de Casuarina au regard de cette histoire et explique que le titre de leur deuxième album, Certidão, était le "certificat de naissance du groupe" : "jusqu'en dans les années 1920, vous risquiez la prison si vous étiez pris avec un pandeiro, et puis la samba a été mise sur un piédestal, elle est devenue un monument intouchable. C'était aussi une façon de dire qu'il n'est pas nécessaire de naître et grandir dans le morro pour avoir la légitimité de jouer cette musique. Pas besoin du mythe".

Casuarina entend bien faire (re)découvrir ses racines musicales à la jeunesse brésilienne. Si dans les années trente, le samba offrait un joyeux moyen pour s'encanailler, le genre a aujourd'hui perdu de son caractère sulfureux. Et nos garçons ne cherchent d'ailleurs pas à endosser une panoplie de malandro qui ne ferait d'eux que des petits poseurs branchés. Ils n'ont pas besoin de cela, n'ont pas à se justifier.

Comment faire danser les chaises ?
Encore une fois, hier soir, comme lors du concert d'Anthony Joseph à Cournonsec, comme probablement à tous les concerts de la manifestation Musique dans l'Agglo, des rangées de chaises sont alignées devant la scène. Toutes occupées. Mais cette disposition laisse imaginer que ça va demander deux fois plus de boulot au groupe pour faire danser le public. Devant la passivité des seniors locaux installés sur les chaises, Casuarina ne s'affole pas. Comme l'Espagne lors de la récente finale de la Coupe du Monde, il continue à jouer son jeu. La patience allait finir pour porter ses fruits, et le groupe trouver l'ouverture qui fera venir danser la foule au pied de la scène. L'immobilité du public étant au samba ce que le comportement des bouchers hollandais est au beau jeu dans le football, une insulte.

Derrière les tenues indéterminées, non-look total, qui pourraient être celles de n'importe qui sur cette planète, sorte de globalisation par le terne, s'oppose heureusement le contraste d'une identité culturelle très forte et enracinée. A les voir ainsi vêtus, baskets, jeans, t-shirt, tout juste pourrait-on leur suggérer de faire comme Seu Jorge et d'aller se faire tailler une belle chemise sur mesure par Walter Alfaiate, sambiste et tailleur.

Casuarina, sans frime, imprime sa cadence. Reconnaissant, il prend comme de coutume la peine de remercier qui de droit. Mon ami Juremir a coutume de déclarer que "pour un Bahianais, dire Bahia c'est déjà de la poésie". A entendre João Cavalcanti, au milieu du chapelet de remerciements qu'il débite, répéter le nom de la commune accueillant le concert, on se demande presque si, pour un Carioca, répéter plusieurs fois "Lavérune, Lavérune, Lavérune", en essayant de le prononcer comme il faut à la française, était déjà de la poésie.

Sur scène, le répertoire du groupe se frotte aux standards et avance en terrain connu. "É Isso Aí" de Sidney Miller pour ouvrir le bal, "Disritmia" de Martinho da Vila, "Na Baixa do Sapateiro" d'Ary Barroso auquel fait suite un medley Dorival Caymmi enchaînant "Maracangalha / Samba da Minha Terra / Rosa Morena / Vatapa", annoncé en disant qu'au Brésil les bébés connaissent les sambas de Dorival Caymmi avant même de savoir parler et marcher, un hommage à Portela, une afro-samba de Vinicius et Baden Powell, "Canto de Ossanha", le "Chiclete com Banana" de Jackson do Pandeiro, histoire de rappeler les origines familiales du Pernambouc, etc... On avance en terrain connu mais l'exécution est impeccable, le plaisir de jouer palpable.

Sans faire les beaux, sans querelles d'ego, sans danser ni chercher à "ambiancer" lourdement, simplement en jouant bien une des musiques les plus enthousiasmantes qui existe sur cette Terre, les gars de Casuarina, avec humilité, sobriété et cohésion, parviennent à "triompher". Au gré des morceaux, le public danseur a pris le dessus et tant pis si les mémés ne peuvent plus voir la scène, la vue bouchée par les corps en mouvement. Bien sûr, le public compte son lot de Brésiliens dont quelques danseuses qui savaient vraiment "samber". Dommage quand même que les rangées de chaises n'aient pas été disposées quelques mètres plus en retrait de la scène. Histoire d'avoir plus d'espace pour bouger, n'être pas cantonné sur les côtés de la scène ou serré sur une étroite bande de trois mètres entre la scène et les personnes assises. Qu'importe après tout : devant la densité est festive. Belle soirée, qui fut aussi l'occasion de retrouver quelques bons amis.

jeudi 22 juillet 2010

Prince appartient à ceux qui se lèvent tôt


Ce matin, je m'étais mis en tête d'acheter Courrier International, histoire de lire l'interview de Prince et récupérer 20Ten, son nouveau CD, offert avec le journal.

Vers 9h du matin, mon marchand de journaux habituel me dit qu'il avait déjà vendu tous ses exemplaires. Quelques instants plus tard, j'en essaie un autre toujours dans mes parages faubouriens. Idem. Dévalisé.

Il m'a fallu aller vers le centre ville et écluser deux autres marchands de journaux avant d'en trouver un qui ait encore un exemplaire de Courrier en stock. L'opération est un énorme succès et le journal pouvait légitimement s'en féliciter : "nous sommes ravis, c'est du jamais vu pour nous ! A dix heures, plus de mille kiosques avaient déjà tout vendu, c'est assez incroyable". Dès la fin de matinée, c'est plus de 130 000 exemplaires de Courrier International qui s'étaient vendus !

L'album ? Pas encore écouté. J'en reparlerai le cas échéant. Mais si je voulais absolument me procurer ce numéro collector, c'est aussi en raison du long article qui lui était consacré, "Cinq Heures avec le Prince de Paisley Park".

Pour le Het Nieuwsblad de Bruxelles, Hans-Maarten Post a eu la chance de rencontrer la star dans son domaine. Bien sûr, il n'eut pas le droit de prendre la moindre photo ni d'enregistrer les propos du maître de maison. Si la description de ces moments ne correspondaient déjà à la légende de Prince, on mettrait sérieusement en doute la bonne foi du journaliste. En effet, certains scènes sont tout bonnement surréalistes. Le journaliste est ainsi convié le soir à ce qui lui est présenté comme une grande fête à Paisley Park. Grande fête absolument déserte si ce n'est quelques belles femmes en tenue de soirée. Cela ne fait pas mentir la réputation de reclus de Prince mais fait toujours son petit effet quand vous lisez le récit de ce genre de situation.

Plus tôt dans la journée, Prince entraîna le journaliste devant une télé. "Viens. Je voudrais te montrer quelque chose". Il lance un enregistrement d'une émission de David Letterman pour se caler sur un passage où apparaît Janelle Monáe en live. "Regarde, tant qu'il y aura des chanteuses comme elle qui feront surface, je ne me fais pas de souci". Et hop, adoubée par le Prince, la Monáe, et ce n'est pas pour avoir le gabarit miniature en commun !!!


Au final, cette opération est peut-être la plus matinale de toute la carrière du génie de Minnéapolis !

mercredi 21 juillet 2010

Vampire Weekend : l'intriguante pochette vaut-elle 2 millions de $ ?

Lors de la sortie de Contra, le deuxième album de Vampire Weekend, nous avions parlé de sa pochette. Et de son détail intriguant : la jolie jeune femme sur la photo présentait la particularité d'avoir les pupilles dilatées. Vous me direz que ce n'est peut-être que le grossier procédé qui vise à corriger les yeux rougis par le flash. Mais, là, vous perdez toute la poésie et le mystère de la chose. Excusez-moi de vous le rappeler.


Depuis, j'avais cru lire que la photo datait de 1983 et que la jeune femme avait été identifiée. A la sortie de l'abum, Ezra Koenig, leader de VW, s'était contenté de déclarer au magazine Pitchfork : "I don't want to give away all the details about the photo just yet, but I learned that she's now living in Malibu."

En fait, elle ne vit pas à Hawaï mais, plus simplement, à Fairfield, dans le Connecticutt. Et, surtout, l'histoire vient de prendre un tour beaucoup moins drôle pour les membres du groupe. On a ainsi appris que cette jeune fille s'appelait Kirsten Kennis. Que la photo avait été prise en 1983. Elle n'est plus une jeune femme et elle réclame aujourd'hui 2 millions de $ au groupe pour son utilisation abusive ! Vampire Weekend avait pourtant acheté le cliché au photographe Tod Brody pour un montant, semble-t-il, de 5000 $. Mais Kirsten Kennis prétend que sa signature cédant les droits était un faux.

Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, Ann Kirsten Kennis eut une carrière de mannequin. Pour autant, la photo concernée n'est pas tirée d'une session professionnelle. La photo, un simple polaroïd, fut prise par quelqu'un de sa famille, probablement sa mère. Comment donc un cliché de famille se retrouve-t-il à illustrer la pochette d'un des groupes les plus hype du moment ? D'après l'avocat de l'ex-jeune femme aux pupilles dilatées, sa mère prenait beaucoup de photos et avait pris l'habitude de les revendre par lot, genre pour 5 $ la centaine, dans des ventes de charités ou autre. Même s'ils ignorent comment la photo a pu se retrouver entre les mains du photographe Tod Brody, c'est la piste qu'ils envisagent. "Her mother was a chronic Polaroid snapshot taker, and used to sell whole archives of photographs to these shops, five bucks a hundred or whatever. Her mother may have given away to a charity bazaar a whole ream of photographs. We just really don’t know… She has no idea how that photograph got into the photographer’s hands".

Une version contestée par Tod Brody qui continue d'affirmer avoir lui-même pris cette photo en 1983 et l'avoir toujours eu en sa possession depuis...

C'est sa fille qui la première découvrit la photo de sa mère sur l'album de Vampire Weekend : "Hi, Mom, see your picture?". On peut imaginer sa surprise ! N'empêche, même si elle peut s'estimer lésée, que son droit à l'image n'ait pas été respecté, elle est tout de même rentrée dans l'histoire du rock pour la postérité. Car, quelles que soient les circonstances ayant amené Vampire Weekend à choisir son visage pour illustrer leur album, il est évident que Kirsten Kennis incarne remarquablement l'univers du groupe et son élégance discrète.


Sinon, comme le relevait le Village Voice, quand Kirsten Kennis déposa sa plainte, le seul commentaire d'Ezra Koenig sur Twitter ce jour-là fut : ";)"

vendredi 16 juillet 2010

Elizeth Cardoso, la "Mère de toutes les chanteuses brésiliennes"

En matière de commémoration, 2010 pourrait être considéré comme l'année Elizeth Cardoso. Doublement. Elle est née, il y a quatre-vingt dix ans aujourd'hui, le 16 juillet 1920, et nous a quitté, il y a vingt ans, le 7 mai 1990. A cette date du 7 mai, ici-même, nous rendions hommage à la "Divina", à la "mãe de todas as cantoras brasileiras", la mère de toutes les chanteuses brésiliennes, comme le disait d'elle Chico Buarque.

D'elle, on disait qu'elle pouvait tout chanter. De sa voix, on disait qu'elle brillait de la lumière de la lune, qu'elle était "enluarada".

De sa technique vocale, elle disait simplement à Herminio Bello de Carvalho qui, lors d'une visite à l'hôpital quelques jours avant sa mort, lui demandait son secret : "a vondade de cantar", l'envie de chanter.

Cette envie de chanter l'habitait depuis l'enfance, comme en témoigne la biographie que lui a consacré Sérgio Cabral. Dès cinq ou six ans, la petite mulata montait sur scène, défilait pour le carnaval... A seize ans, grâce à Jacob do Bandolim, elle fut découverte et signée par Rádio Guanabara pour chanter dans un programme hebdomadaire.

Mais cette vocation précoce ne l'a pas empêché d'avoir des débuts difficiles. Ainsi avant de vivre de son art, elle a été contrainte d'exercer toutes sortes de petits métiers, dont celui qu'elle pratiqua le plus longtemps : taxi-girl ! Je précise bien que ce métier n'a rien à voir avec les taxis, son activité consistant à danser avec les clients des boîtes et autres dancings. A être leur cavalière moyennant rétribution. Lesquels clients achetaient en général leur lot de danses pour la soirée et se voyait poinçonner une unité à chaque fois qu'ils se lançaient, le temps d'une danse ,avec une de ces taxi-girls d'emprunt.

Ce n'est qu'à trente ans qu'Elizeth Cardoso commença à enregistrer. Elle ne s'arrêtera plus, sa discographie comportant une quarantaine d'albums. La plupart consacrée à l'amour, thématique principale de son œuvre.

La carrière d'Elizeth Cardoso couvre un demi-siècle. Tout ce que le Brésil compte de grands musiciens l'aura un jour ou l'autre approché, côtoyé, admiré. Et le plus souvent, ce sont des liens qui ont traversé le temps. Pixinguinha, Cartola, Dorival Caymmi, Jacob do Bandolim, Vinícius de Moares et Tom Jobim, etc... Même João Gilberto qui lui suggéra pourtant de chanter de manière plus feutrée "Chega de Saudade", devait apprécier son art. On les voit ainsi ensemble dans cet extrait de Pista de Grama, un film de 1958.


Mais quelle injustice que ce temps qui passe et laisse place à l'oubli ! Car qui aujourd'hui écoute encore Elizeth Cardoso ? A part moi, du moins ! Même au Brésil, Sérgio Cabral est parfois obligé de rappeler qui elle était quand il s'adresse à un public jeune. Dans cet océan d'indifférence et d'amnésie collective, je me souviens avoir été surpris de la découvrir mentionnée dans le roman de Murakami Ryû, Les Bébés de la consigne automatique. Hashi, un des deux bébés abandonnés, devenant musicien, dit à un moment préférer "Clara Neumaus à Elizetti Cardoz" (sic). Derrière cette orthographe, malmenée probablement par le traducteur, ignorant l'existence de notre grande dame, on aura bien sûr reconnu notre Elizeth. Car au Japon, elle était également une grande star. C'est d'ailleurs là-bas que lui fut diagnostiqué le cancer qui finira par l'emporter, alors qu'elle pensait que les douleurs intestinales qui la gênaient depuis longtemps n'étaient qu'un ulcère. Les médecins lui conseillèrent alors d'annuler toutes les dates de sa tournée. Ce qu'elle refusa. Elle honora tous ses engagements. Même s'il est de bon ton de louer le courage des grands malades, celui d'Elizeth Cardoso a, paraît-il, forcé l'admiration de ses compatriotes. Jusqu'à la fin, la scène resta un lieu de joie auquel elle ne renonça jamais.

A l'occasion du vingtième anniversaire de sa mort, Sérgio Cabral a justement vu ré-édité sa biographie Elisete Cardoso - Uma vida. Journaliste vétéran des musiques brésiliennes, Cabral était également un ami de longue date d'Elizeth Cardoso. L'orthographe ? Oui, il a choisi Elisete pour le respect du portugais, plutôt qu'Elizeth qu'elle adoptera assez vite comme nom d'artiste, alors que son état civil est... Elizette. On peut en lire le premier chapitre sur le site de l'édition brésilienne de Rolling Stone, ici, chapitre qui revient principalement sur l'enfance et les débuts de notre jeune mulâtre. Où, pour l'anecdote, on apprend que son premier amoureux, était le frère de Carmen Miranda, Oscar Miranda, dit Tatá, à un âge où elle aimait se décrire comme une "namoradeira". Et où elle commençait à accumuler les expériences qui donneraient tant d'émotion à ses interprétations d'un répertoire presque exclusivement romantique. Et qui finirait par lui donner une "voix d'expérience, affûtée par la patine de la vie", ainsi que l'écrivait Vinícius, quelque temps après qu'ils aient enregistré, en 1958, cette première borne de la bossa nova, Canção do Amor Demais. Un album que nous avions déjà longuement évoqué ici-même...

Elizeth ne fut pas seulement la Divina, elle a aussi été surnommée, excusez du peu : la Fiancée du Samba-Canção (A Noiva do Samba-Canção), la Lady do Samba, la Machado de Assis de la Sérénade, la Mulata Maior, la Magnifica, l'Enluarada.

Certes, sur la plupart de ses disques, les arrangements avec leurs cordes encombrantes de rigueur, ont pris un coup de vieux, mais l'émotion de sa voix reste intacte .

La voici interprétant "Ingratidão" dans le film É Fogo Na Roupa (1952). On remarquera la légèreté de ses pas de danse lors de son entrée en scène.


Outre quelques albums ré-édités, ou de vagues compilations, les amateurs pourront encore trouver à télécharger un grand nombre d'albums originaux, convertis du vinyl en format mp3 (voire FLAC), sur le blog majeur qu'est Loronix (hélas défunt mais toujours en ligne). Grésillements garantis.

Anthony Joseph & The Spasm Band à Cournonsec

Pendant le festival de Radio France, nous avons droit à une belle série de concerts gratuits répartis sur les communes de l'agglomération de Montpellier. Hier soir, Anthony Joseph & The Spasm Band étaient de passage à Cournonsec. Concert gratuit et en plein air, à la nuit tombée.

Nous avions déjà fait le récit enthousiaste de son passage au JAM l'hiver dernier, lequel récit avait même été repris, à ma grande fierté, sur le blog du Spasm Band lui-même. Cette fois-ci, le propos sera plus bref et les photos plus nettes.

La surprise, en arrivant sur l'esplanade où devait se dérouler le concert, fut de voir les rangées de chaises bien alignées cinq mètres devant la scène. Sur les chaises, un public assez "senior" et probablement du village. L'avantage d'un concert gratuit, c'est que cela permet au public de découvrir de nouveaux artistes. Ou, réciproquement, aux artistes de toucher un nouveau public. Peut-être nos pépés-mémés cournonsécois avaient-ils lu le Midi Libre du jour qui consacrait un article à l'événement titré "Anthony Joseph : le groove à son plus charnel". Il faut préciser que, localement, Anthony Joseph a été adopté depuis son passage fracassant lors de l'édition 2009 du festival Fiest'à Sète. Ensuite, il est revenu casser deux fois la baraque lors de fameuses Cosmic Groove Sessions hivernales.


Toujours est-il que face à cette nombreuse assemblée, je me demandais comment notre bonhomme allait faire pour chauffer ce public inhabituel. Je savais de quoi il était capable en matière d'énergie contagieuse mais là, dans cette configuration, je pensais que ce n'était pas gagné d'avance. Pourtant, tout est allé très vite. Au bout de cinq-dix minutes, Anthony Joseph expliqua simplement que ce n'était pas tellement une musique à écouter assis. Et la vague bondit, l'espace entre les sièges et la scène fut instantanément comblée par la partie du public qui voulait danser.




Tout ça se concluant, lors du rappel, par la traditionnelle invitation à monter sur scène dans une joyeuse et bordélique communion. Une façon d'étayer les propos de Patrick Labesse dans Le Monde de ce jour (édition du 16 juillet), qui revient sur sa prestation au festival Les Suds d'Arles : "Epoustouflantes d'énergie, les prestations de ce diable d'homme au charisme ravageur sont une expérience peu banale".

Merci à Pierre pour les photos !

jeudi 15 juillet 2010

Janelle Monaé : la Pompadour et les prolétaires

Janelle Monaé continue de faire parler d'elle. Alors que nous annoncions la sortie de The ArchAndroïd, son premier album, dès le 12 mai dernier, nous nous étonnions depuis de ne pas avoir pas vu l'album chroniqué dans Vibrations (alors que même Les Inrocks lui avait consacré une pleine page très élogieuse).

Ce n'était pas un oubli ou un mépris de la rédaction, juste une manière de reculer pour mieux sauter, puisque Miss Monaé fait la couverture de leur numéro de l'été, au titre de révélation de l'année. Le Dr. Funkathus estime ce choix éditorial tout à fait justifié. Le talent de Janelle Monaé ne fait aucun doute. Elle est une artiste ambitieuse et la diversité de styles brassés sur son album témoigne justement de ce talent.

Sa détermination ne fait également aucun doute. Son énergie est au service de son seul but, sa réussite artistique. Si son physique est celui d'une femme-enfant, il se dégage d'elle une force étonnante. Une apparence verrouillée qui ne laisse aucune place à la faiblesse. Est-ce parce que dans cet album-concept, elle endosse le rôle d'une androïde ? On sent que la demoiselle possède une véritable carapace.

La première couche de cette carapace en question étant bien sûr son look étonnant. Bien sûr, quand on la découvre, on ne peut qu'être frappé par l'originalité de celui-ci, avec nœud-pap' de rigueur et banane protubérante.

Certains pourraient s'en arrêter là. Pareille coiffure intrigue. Le site féminin Pure Trend propose même à ses lectrices des conseils pour la reproduire : "Je veux la même banane que Janelle Monaé". On peut y lire cette phrase horrible : "Janelle Monae, c'est une voix, un style mais avant tout une coiffure". La pauvre est "avant tout une coiffure" !!!
Pas bégueule, elle donne quand même des "conseils hypissimes pour maîtriser la coiffure iconique d'une it-girl. Leçon de coiffure par Janelle Monae Herself" (sic)...

Si ça vous intéresse malgré tout :


Si vous avez eu la patience de regarder cette brève vidéo, vous aurez donc noté que cette banane-chignon n'est pas une "Pompadour", ni une "Elvis", mais une "Monaé". Eh oui, tant qu'à faire, elle a donné son nom à sa coiffure. Et Mademoiselle Monaé prévient ses éventuelles imitatrices, il faut avant tout de la patience pour se coiffer de la sorte.


Mais cela n'empêche pas le naturel capillaire de reprendre le dessus. Comme lors de son récent passage à la Maroquinerie, le 5 juillet dernier. Dans une si petite salle, c'était bien évidemment à guichets fermés qu'eut lieu le concert. Le site de Vibrations propose un compte-rendu de ce spectacle très attendu. Janelle Monaé, tout en revendiquant son indépendance, se fond dans la tradition américaine du show-biz : c'est une grande pro. Tout est en place, carré, réglé, impeccable.

Comme le décrit Lysiane Ngoye pour Vibrations, "une interprétation personnelle guitare-voix pleine d’émotion de Smile de Charlie Chaplin sera le seul véritable moment où Miss Monae se montrera vulnérable, avant de repartir de plus belle avec le fameux Tightrope et sa mise en scène Jamesbrown-esque avec pas de danses fluides et fin de plateau à genoux, cape sur le dos. Il faut reconnaître qu’en plus de posséder une voix de rossignol, la demoiselle a un sens du rythme implacable".

A lire les commentaires postés sur leur site, on constate que certains des veinards ayant assisté au concert regrettent cette mise en place trop millimétrée : "aucune place à l’imprévu si ce n’est ce chignon qui se défaisait souvent". C'est probablement un faux procès qui lui est fait là. C'est ignorer que le professionnalisme des entertainers américains s'accommode assez mal de l'approximation et de l'improvisation.

Le Bon Tempo propose un petit résumé de ce premier concert parisien. Et même si elle a la pompadour qui part en vrille, elle assure grave.


Et plutôt que de juste se demander comment reproduire la coiffure de Janelle, peut-être serait-il plus intéressant de connaître le sens qu'elle donne à son look, ce qu'elle explique pour Vibrations...

"Je porte un uniforme noir et blanc pour la classe ouvrière. Ma mère était concierge, mon père conduisait des camions-poubelles, mon beau-père travaille actuellement dans un bureau de poste, ce qui fait que je suis liée à ce monde. (...) J'ai été femme de ménage avant d'aller à l'école, afin de me faire assez d'argent pour suivre mes études universitaires. Donc je comprends et je me sens liée avec ceux qui triment chaque jour, et ils doivent être motivés. Ils ont besoin d'être motivés et d'être inspirés, car ils essaient de créer quelque chose à partir de rien, et il s'agit de leur rendre hommage, ainsi qu'à mes ancêtres, à ceux qui ont travailler vraiment dur pour y arriver". (Vibrations n° 126)


Cependant, de l'interview qu'elle a accordée à Vibrations, la partie la plus surprenante est quand surgit un peu de mystère là où on s'y attend le moins. Interrogée sur le lieu de tournage du clip de "Tightrope", le Palace of the Dogs, elle répond très sibylline : "c'est un sanatorium. Je ne peux cependant pas vraiment en parler car il existe toujours et j'y ai été patiente. J'ai signé un papier dont les clauses m'empêchent de révéler tout ce qui s'y passe, les gens qui y sont et pourquoi ils y sont, mais j'y ai enregistré de la musique". Et si le journaliste la relance et lui demande de dire pourquoi elle a enregistré là-bas, la réponse est sans la moindre ouverture : "non, je ne peux pas".
Pourquoi donc être allée filmer là-bas si le lieu est si secret ? Si ce n'est bien sûr pour justement attirer l'attention. Quelle raison l'a amenée à en être une patiente ? Y a-t-elle signé un pacte ? Et lequel ? Est-ce avec le diable en échange d'une carrière de star ? Y est-elle devenue une cyborg, une androïde ? Dans pareille situation, l'imagination sera toujours plus belle que la réalité.