vendredi 30 avril 2010

L'artiste comme "business partner" (Mécénat 3ème partie))

Carlinhos Brown s'apprête à sortir un album et partir en tournée avec l'appui de la marque brésilienne de cosmétiques Natura, Dâm-Funk célèbre les 50 ans de Dr. Martens en reprenant un titre de The Human League. Deux exemples de l'actualité du mécénat.

On le sait, l'industrie du disque est en crise, les ventes en chute libre. Selon l'IFPI et son annuel Recorded Industry in Numbers, le marché mondial affiche une baisse de 7% de ses revenus en 2009... Le coupable est tout trouvé : c'est la faute au téléchargement pirate, bien sûr. C'est ce que nous répètent les majors. A les écouter, on a l'impression que ces récents bouleversements, tant technologiques que dans les pratiques qui en découlent, ont saccagé une formule qui fonctionnait depuis la nuit des temps. Erreur. La possibilité d'enregistrer de la musique est toute neuve, elle date seulement d'un peu plus d'un siècle. C'est seulement depuis cette formidable invention que l'on peut vendre des supports sur lesquels étaient gravés la musique.

La musique, elle, remonte à la nuit des temps et les gains fantastiques générés par la vente d'enregistrements musicaux n'est finalement qu'une parenthèse dans l'histoire de l'économie de la musique.

Pour pallier cet évident manque à gagner, certains conseillent donc aux musiciens de retourner à leur "vrai métier" : la scène. On leur suggère de repartir sur la route, de monter des tournées, d'enchaîner les concerts. On les assure que le public viendra les voir et les fera vivre. Avec ce petit plus : un échange véritable avec celui-ci. Petit hic pour le public, conséquence de cette nouvelle orientation, une inflation du prix des places pour certains artistes jouissant d'une notoriété certaine. Autre hic, pour les musiciens celui-là : la pénurie de dates et de salles, et de public...

De plus, sur ce secteur de l'organisation de concerts, festivals et tournées, on assiste à une concentration du marché dans les mains de quelques géants. Christophe Davy, directeur de Radikal Productions et programmateur de festivals, notamment du Printemps de Bourges, en dresse un constat désabusé : "nous étions un secteur d'artisans. Aujourd'hui, le milieu est investi par des groupes cotés en Bourse" (Le Monde, 25 et 26 avril). Emblématique de cette évolution, Live Nation. Isabelle Gamsohn, la directrice de sa branche française cherche pourtant à rassurer son monde, en particulier ceux qui craignent pour la diversité : "le but n'est pas d'attirer des artistes en faisant de la surenchère, mais de trouver des idées nouvelles, de faire de l'artiste un véritable "business partner" et de faire profiter certains de notre réseau international" (Le Monde, ibid.).

En attendant une hypothétique "licence globale", ou l'invention d'une "taxe Tobin" prélevée aux FAI et reversée intégralement aux ruinés de la dématérialisation, les musiciens ont besoin de ré-inventer leur métier ou, plus trivialement, de se trouver de nouvelles sources de revenus.

Ré-inventer ou se tourner vers un débouché aussi vieux que "faire tourner le chapeau" : trouver des mécènes.

Il ne s'agit plus trop de princes et de monarques éclairés. Dans nombre de pays, il ne s'agit pas non plus d'argent public ni de commandes d'Etat, des pays pour qui un Ministère de la Culture "à la française" appartient à une science-fiction. Précisons juste que, concernant Carlinhos Brown, il a su rendre ses projets attractifs pour des nombreuses ONG internationales, voire même de l'UNESCO. Ces structures n'agissent pas dans une logique "marchande". A la différence du mécénat privé.

Le mécénat privé ! Rien de tel pour redorer son blason à peu de frais que de chercher à profiter de l'image et de la notoriété de certains artistes pour espérer que cela déteigne sur celles de l'entreprise. Acquérir un prestige certains en créant une fondation dédiée aux arts, sponsoriser des artistes...

Dans les deux exemples évoqués ici, une action culturelle est donc aussi l'occasion pour ces marques de communiquer, rappeler l'histoire de la marque et ses valeurs.

Ainsi, Dr. Martens fête ses cinquante ans en proposant à dix artistes de reprendre dix titres emblématiques de l'esprit punk-rock. Mais cela ne saurait suffire, un site est créé. Un véritable petit documentaire d'une dizaine de minutes est mis en ligne afin de retracer l'histoire de cette marque devenue un emblème de la culture britannique.

voire

Pour Natura, on trouve le programme de mécénat musical, Natura Musical, présenté sous forme de "manifeste". Manifeste ? Euh, à regarder les images, on trouverait presque plus juste de parler de "film publicitaire".


Mais les artistes n'ont pas de réticences à avoir. Après tout, sans mécènes le patrimoine de l'humanité serait bien moindre. Il y a toutefois un risque évident : être associés à des valeurs défendues par l'entreprise et qu'ils ne partageraient pas.

L'histoire de Doc Martens sur le site de la marque selon Martin Roach, auteur par ailleurs du livre Dr. Martens : The Story of an Icon, possède une bien curieuse façon de se démarquer de la "tyrannie des marques". Le problème avec les marques, c'est qu'elles dictent un comportement. Elles vous offrent peut-être le must-have de la saison mais vous n'avez rien d'autre à faire qu'à tendre votre argent, explique Roach. Et d'enchaîner avec cet argument-massue qui renvoie aux origines du mot "marque" (brand, en anglais) : c'est ce qu'on appose sur le bétail.

"The problem with 'brands' is that they dictate. They might offer the must-have item of the season, but they design it, shape it, form it and sell it. You have no say other than handing over your money. Look at the word : 'brand'. That's what they do to cattle.

Rebel.


Create your own brand."

Bel effort avec ces sauts de ligne pour asséner le fin mot de l'histoire. Avec 42 millions de kilomètres de son fameux fil jaune utilisés chaque année pour coudre ses semelles, Doc Martens ne vous traite pas comme du bétail. Non, ce serait faire insulte aux punks ayant permis à la marque d'acquérir sa notoriété que de le laisser croire. Pourtant, la conclusion de l'historique de Dr. Martens proposé par Martin Roach est assez édifiante :

"The best form of rebellion is individualism. Thinking For Yourself".

Certes l'indépendance d'esprit et le sens critique sont nécessaires mais, mauvais esprit aidant, on serait presque tenté de faire un rapprochement avec le dernier paragraphe d'Anthem, un roman d'Ayn Rand, cette philosophe et romancière adulée des néo-libéraux et des libertariens. Chez Ayn Rand, l'ennemi, c'est le collectif, dont l'Etat serait une manifestation. Elle y oppose un individualisme qu'elle qualifie d' égoïsme rationnel.

"Et ici, sur le portail de ma forteresse, je graverai dans la pierre le mot qui doit être mon phare et mon étendard. Le mot qui ne mourra pas, même si nous devons tous périr dans la bataille. Le mot qui ne mourra jamais sur cette terre, car il en est le coeur, le sens et la gloire.
Le mot sacré : EGO"
(Ayn Rand, Anthem, 1938)

Il faut bien admettre, en terme d'ego, les musiciens sont rarement en reste. Les artistes en général non plus. Mais, de l'anarchisme punk ne risque-t-on pas de glisser vers sa version néo-libérale, le libertarianisme ?

On le sait, être "tendance" est primordial pour une marque. L'ouvrage de John Leland, Hip : The History, consacre un chapitre, "It's like punk rock, but a car", à cette quête permanente. La poursuite du hip, par définition toujours fuyant, mérite qu'on lui consacre des efforts importants, que l'on lance des bataillons de cool hunters à ses trousses : "hip is a trick to make people think they’re rebelling when they’re just buying stuff" (p. 286). Le hip est un truc pour faire croire au gens qu'ils sont des rebelles quand ils se contentent d'être des consommateurs. Promis, une prochaine fois, on remontera jusqu'à l'Ecole de Francfort pour inscrire ce type d'arguments dans une histoire des idées.

Pour aujourd'hui, revenons simplement à l'excellent bouquin de John Leland. Il y cite un article de Thomas Frank ("Why Johnny Can't Dissent") à propos de certains executives branchés : "They're hipper than you can ever hope to be because hip is their offical ideology, and they're always going to be there at the poetry reading to encourage your 'rebellion' with a hearty 'right on, man!' before you even know they're in the auditorium. You can't outrun them, or even stay ahead of them for very long; it's their racetrack, and that's them waiting at the finish line to congratulate you on how outrageaous your new style is, on how you shocked those stuffy prudes out in the heartland" (ibid. p. 286).

L'extrait de l'article de Thomas Frank, par ailleurs auteur de The Conquest of Cool, souligne le fait que cette catégorie de cadres, que l'on trouvera notamment dans les agences de comm' ou de pub, sont sincèrement des addicts de la branchitude. C'est leur "idéologie", dit-il. D'accord, ils bossent comme des dingues mais, au moins, ont-ils les thunes pour se payer ce qui est tendance.

Alors, oui, certainement, que les types chez Doc Martens écoutent réellement les Noisettes, Buraka Som Sistema ou Dâm-Funk, ainsi que les autres artistes choisis pour fêter le cinquantenaire de la marque. Certainement que les dirigeants et cadres de Natura sont des fans de Marisa, Arnaldo ou Brown...

S'il ne faut pas être bridé par des principes éthiques peut-être obsolètes, s'il faut reconnaître dans le mécénat, du point de vue de l'artiste, l'inusable et toujours efficace stratégie du "Cheval de Troie", il faut aussi en rappeler les limites : ce sont encore une fois les artistes bénéficiant déjà d'une notoriété "rentable" qui en bénéficient le plus, ceux qui sont déjà considérés comme des "business partners".

Mais, pour conclure sur une note pratique et positive, laissons la parole à Carlinhos Brown qui, il y a une dizaine d'années, quand je le rencontrais à Salvador, me disait son impératif de pragmatisme (je posterai un de ces quatre l'intégralité de cet entretien).

"Nous n’avons pas seulement des responsabilités vis-à-vis de notre plaisir personnel qui est de chanter. Je n’ai pas besoin d’être payé pour chanter ou même que l’on me donne quoi que ce soit. Je chante, j’ai du plaisir à chanter et, en plus, je suis payé pour ça. Peut-être qu’avec cet argent, je vais transformer le monde non seulement par mes paroles mais aussi par l’attitude. Critiquer ne suffit pas. Critiquer Chirac ne sert à rien si on n’a pas d’actions à côté. Quel genre de citoyen du monde suis-je qui ne fais que se plaindre par des pamphlets ! Et dis simplement : « je veux la paix, je veux la paix ! ». Et je suis en train de manifester, d’agresser la police ou d’être agressé par la police ! L’action, c’est différent. Une chose est de demander, l’autre est d’agir. Notre génération veut agir. Et agir est une façon de réagir. Je ne peux pas penser qu’à ma survie. Il faut aussi que je collabore avec des choses qui ne sont pas bonnes. Il y a une partie du monde qui a fréquenté les universités en se plaignant à partir de bases théoriques et non pratiques. Or aujourd’hui, le monde a besoin de choses pratiques et non théoriques".

mardi 27 avril 2010

Dâm-Funk pour les 50 ans de Doc Martens (Mécénat 2)

Quel est le point commun entre Jean-Paul II, le Dalaï-Lama et Sid Vicious ? Tous ont porté des "Docs". Voici le genre d'anecdote indispensable que Doc Martens se plaît à colporter pour affirmer l'ampleur de sa notoriété.

Les "Docs" fêtent leurs cinquante ans. C'est donc l'occasion pour la marque de faire parler d'elle. Et l'occasion pour nous de poursuivre notre série sur les liens entre musique et mécénat. L'histoire de Dr. Martens étant, à son insu, très liée à celle de la musique, la marque a donc sollicité dix artistes en leur proposant de faire une reprise de leur choix parmi un répertoire marqué par les années punk et new wave.

La sortie de ces covers s'étalera sur tout l'année, histoire de faire durer le buzz. Le dernier en date, et troisième de la série, à s'être collé à l'exercice est le californien Dâm-Funk. Il propose pour l'occasion une reprise du "Things That Dreams Are Made Of" de The Human League. Une vidéo bien zarb'... C'est le minimum si on veut avoir une caution artistique et ne pas donner l'impression de trivialement faire du marketing.

Damon Riddick, alias Dâm-Funk, a attendu près de vingt ans avant de sortir son premier album, Toeachizown. Comme il le raconte à Vibrations, pendant longtemps il a été chauffeur routier. Il se souvient que, dans la cabine de son poids-lourd, il écoutait de la musique pendant ses voyages... "J’ai des souvenirs très précis de trajets nocturnes à travers Los Angeles. J’écoutais Larry Heard, la house de Chicago, Loose Ends, toutes les productions des années quatre-vingt-dix qui me semblaient abouties, en rêvant secrètement qu’un jour les gens pourraient aussi découvrir ma musique. J’avais pris également l’habitude d’écouter les enregistrements que j’avais fait le jour ou la nuit d’avant. Quand je repense à cette période, je me rends compte à quel point ça m’a appris à ne jamais laisser tomber. Je ne me suis jamais battu pour que ça arrive, c’est vraiment venu tout naturellement. Certains pensent qu’il est nécessaire de faire du coude pour pouvoir se faire entendre, mais ce n’est pas du tout dans ma mentalité. Je pense que la seule chose importante c’est de rester intègre sans chercher à imiter ce qui est cool à un moment donné. Surtout, il faut laisser tout le temps nécessaire pour arriver à maturation".

A quelqu'un d'aussi intègre on ne va pas reprocher de s'être vendu au Dr. Martens... Surtout si, comme il le dit, son "but est de réintroduire le respect dû aux musiciens de funk".

lundi 26 avril 2010

Carlinhos Brown et Natura Musical (Mécénat 1)


Cela faisait un sacré bail que nous étions sans nouvelles de Carlinhos Brown. On sait qu'il a été très occupé par son projet de Musée du Rythme, dans sa ville de Salvador. L'annonce de son passage à Angoulême, le 22 mai, pendant le festival Musiques Métisses, laissait espérer une tournée, voire un nouvel album...

Il semblerait que sa seule date française soit celle-ci. Quant à l'album, il en annonce bien un sur son site officiel. Mais difficile d'en savoir pour le moment grand chose si ce n'est qu'il appartiendrait à la série Natura Musical.

Natura est une marque de cosmétiques brésilienne qui joue la carte verte du développement durable et du commerce équitable. Comme vous vous en doutez, le Dr. Funkathus est loin d'être un expert en cosmétiques. Il note juste que sur le blog de "Mademoiselle Bio", quelques dames s'en échangent des vertes et des pas mûres concernant la marque, laquelle a visiblement développé un système de vente directe à domicile style Tupperware, quant à savoir si ses produits sont bios ou simplement naturels (sans paraben, etc...). On se gardera bien de porter un jugement sur le sujet, d'autant que c'est uniquement l'implication de Natura dans le mécénat culturel qui nous intéresse ici...

Depuis 2005, Natura a lancé le projet Natura Musical qui soutient les artistes, pour l'enregistrement d'albums et l'organisation de tournées. Ce sont quelques uns des plus prestigieux musiciens brésiliens qui ont bénéficié de cet appui : Marisa Monte, Lenine, Arnaldo Antunes, CeU, et cette année Vanessa da Mata et Carlinhos Brown rejoignent cette belle compagnie.

En attendant l'album de ce dernier, une vidéo a été mise en ligne. Bon, rien de fondamentalement nouveau. Juste du très classique : la caméra emboîte le pas de Brown et le suit dans les rues du Candéal, au Candyall Guetho Square, s'invite dans son studio. Mais c'est toujours sympa de voir notre touche-à-tout entouré de cet invraisemblable bric-à-brac d'instruments. Et puis, j'avoue que j'aime bien revoir ces lieux qu'il m'avait fait visité il y a maintenant une bonne dizaine d'années.


Coïncidence, aujourd'hui justement, à mes étudiants en Tech'Son, je commençais une série de cours d'esthétique du Son sur Brown et sa capacité à faire feu de tout bois, musique de tout objet. Pour illustrer sa démarche fondée sur la récup' et le recyclage, qu'il théorise en expliquant que "les boîtes de conserve sont les pianos du Tiers-Monde", je leur projetais le film que lui avait consacré Claude Santiago, Bahia Beat, avant que nous ne voyions la semaine prochaine des extraits du Miracle du Candéal, le film de Fernando Trueba.

Ici même, on revient très vite sur Brown et son Museu do Ritmo

samedi 24 avril 2010

Jacques Schwarz-Bart et Stephanie McKay en amoureux dans Paris

Jacques Schwarz-Bart vient de sortir Rise Above, son nouvel album. Peut-être le plus "américain" à ce jour, puisqu'on n'y retrouve plus les joueurs de gwo-ka qui donnaient leur couleur particulière à ses deux derniers essais, Soné Ka La et Abyss.

Cela fait peut-être longtemps qu'il vit à New York mais c'est dans les rues de Paris qu'on le retrouve ici, en compagnie de sa femme Stephanie McKay, qui interprète ce très catchy "Feel So Free".

"Brother Jacques" et "That Girl Steph" nous offrent cette jolie balade printanière. Une mélodie qui trotte vite dans la tête, un accent charmant pour les parties en français... Mignon, sans que cela soit péjoratif...

vendredi 23 avril 2010

Le 23, Jour de Jorge

Le 23 avril, on fête Saint-Georges. Ce jour est celui de Jorge, Jorge Ben. Bien sûr. Lui, plutôt que n'importe quel autre. Il faut dire que l'ami a beaucoup œuvré à son appropriation, certes, mais aussi à la célébration de ce glorieux prénom, ainsi qu'à celle de quelques uns de ces plus illustres représentants de l'Histoire. Ce que nous allons voir en évoquant quelques chansons dédiés aux "Jorges" de son répertoire.

D'ailleurs, regardez ci-contre, il va jusqu'à porter l'image du Saint terrassant le dragon sur son t-shirt !

Et puis, c'est grâce à lui que j'ai su que Saint-Georges était originaire de Cappadoce. J'ai depuis toujours été fasciné par sa chanson "Jorge de Capadócia" (que j'ai d'abord découvert dans la reprise qu'en faisait Caetano Veloso sur Qualquer Coisa) sans même faire le rapprochement avec Saint-Georges. Il y avait là toute la dimension mystico-ésotérico-historique de son univers, univers où même les footballeurs deviennent des personnages de légende.

Sans comprendre, à l'époque, toutes les nuances des paroles, j'étais projeté dans une sorte de péplum épique, au cœur d'un désert tout en rudesse. C'est parfois de cette incapacité féconde à comprendre le sens de certains mots, conséquence de lacunes linguistiques, que va surgir cette mise en branle de notre imagination, laquelle nous projette dans une rêverie qui possède parfois la netteté de certains rêves. Ainsi nous entendrons dans la musique des mots une image d'une poésie sublime qui risque, malheureusement, d'être un contresens total par rapport à ce qu'avait voulu exprimé leur auteur. Et, quelques années plus tard, peut-être, aurons-nous la déception, en feuilletant un dictionnaire ou en discutant avec des amis brésiliens, de constater que le sens original était beaucoup plus terre à terre. Là où, de ces quelques mots inconnus, avait surgi un horizon fantastique ne subsiste plus que la banalité...

De banalité, il n'en est pas question avec ce "Jorge de Capadócia". J'avais bien compris le sens des paroles mais j'avais néanmoins raté l'évidence, ce Georges de Cappadoce est bel et bien celui qui sera sanctifié et aura vaincu le dragon.

Mais, avant d'aller plus loin, parenthèse : un petit rappel de la légende de Saint-Georges...
"Né à Lydda, en Cappadoce, de parents chrétiens, Georges, officier dans l'armée romaine, traverse un jour une ville terrorisée par un redoutable dragon qui dévore tous les animaux de la contrée et exige des habitants un tribut quotidien de deux jeunes gens tirés au sort. Georges arrive le jour où le sort tombe sur la fille du roi, au moment où celle-ci va être victime du monstre. Georges engage avec le dragon un combat acharné ; avec l'aide du Christ, il finit par triompher. la princesse est délivrée et, selon certaines versions, dont celle de la Légende dorée, le dragon, seulement blessé, lui reste désormais attaché comme un chien fidèle" ("bio" succinte que l'on retrouve copié-collé à tour de bras sur la toile et dont j'ignore l'origine exacte).

A travers le triomphe de Georges sur le dragon, il faut voir la victoire de la Foi sur le Mal, c'est ainsi qu'a été couramment interprété le mythe.

Maintenant, le texte de Jorge Ben. Celui-ci a pour narrateur un soldat appartenant à la même compagnie que ce Georges de Cappadoce. Comme protégé par l'aura de celui-ci, il se sent invincible : ses ennemis ont beau avoir des pieds, ils ne pourront le rattraper, ils ont beau avoir des mains, ils ne pourront l'atteindre, ont beau avoir des yeux, ils ne pourront le voir. Même en rêve ne pourront lui faire le moindre mal. Maintenant qui est Ogam ? C'est là la parcelle de mystère qui demeure...

Jorge Ben, "Jorge de Capadócia", Solta O Pavão (1975)






"Jorge sentou praça na cavalaria
E eu estou feliz porque eu também sou da sua companhia
Eu estou vestido com as roupas e as armas de Jorge
Para que meus inimigos tenham pés, não me alcancem
Para que meus inimigos tenham mãos, não me peguem, não me toquem
Para que meus inimigos tenham olhos e não me vejam
E nem mesmo um pensamento eles possam ter para me fazerem mal
Armas de fogo, meu corpo não alcançará
Facas, lanças se quebrem, sem o meu corpo tocar
Cordas, correntes se arrebentem, sem o meu corpo amarrar
Pois eu estou vestido com as roupas e as armas de Jorge
Jorge é de Capadócia, viva Jorge!
Jorge é de Capadócia, salve Jorge!
Perseverança, ganhou do sórdido fingimento
E disso tudo nasceu o amor
Perseverança, ganhou do sórdido fingimento
E disso tudo nasceu o amor
Ogam toca pra Ogum
Ogam toca pra Ogum
Ogam, Ogam toca pra Ogum
Jorge é da Capadócia
Jorge é da Capadócia
Jorge é da Capadócia
Jorge é da Capadócia
Ogam toca pra Ogum
Ogam toca pra Ogum
Jorge sentou praça na cavalaria
E eu estou feliz porque eu também sou da sua companhia
Ogam toca pra Ogum
Ogam toca pra Ogum
Jorge da Capadócia
"

Ce premier exemple mis de côté, rien qu'en se référant aux chansons dédiés aux "Jorges", on pourrait retracer à travers l'œuvre de Jorge Ben sa propre maturation d'artiste. Ou, au moins, son évolution de parolier car, musicalement, sa mixture était, dès ses débuts, une pure barre de dynamite. Ainsi sur ce fantastique album de 1965, Big Ben, le morceau "Jorge Well" semble une évidente allusion à George Orwell. Pourtant, rien dans les paroles ne semblent évoquer les thèmes développés dans ses ouvrages par l'auteur de 1984. On se contente ici du minimum syndical. Pas loin du niveau zéro, il faut bien le reconnaître. L'alibi de l'anglais aura bon dos pour ce "Come and dance with me / I dance very well / Because I am Jorge Well".

Jorge Ben, "Jorge Well", Big Ben (1965)






"Mama
Mama
Mama
Take it easy, girl
I am here
Take it easy, girl
I am Jorge Well
Come on, my baby
Take it easy, my girl
Just you wait for me
I am here
Please, it's me
Come and dance bossa nova
Come and dance with me
I dance very well
Because I am Jorge Well
Ask it, my mama
Ask it, my mama
Take it easy, girl
I am here
Take it easy, girl
I am Jorge Well
"

Nous pénétrons par contre au cœur de notre sujet avec "Domingo 23", extrait de l'album Ben, en 1972. Ici, il est bel et bien question de Saint-Georges. C'est un morceau de 23 Avril, jour de la Saint-Georges. On commence dès lors à réaliser que rarement un artiste aura autant fait corps et matière avec son prénom que Jorge Ben. Y compris en faisant du 23 son chiffre fétiche. Le texte en lui-même ne révèle rien de particulier, il revient simplement sur les attributs de Saint-Georges, façon image d'Epinal. Le 23, "É dia de Jorge" et c'est déjà pas mal...

Jorge Ben, "Domingo 23", Ben (1972)






"É dia de Jorge
É dia dele passear
Dele passear
No seu cavalo branco
Pelo mundo prá ver
Como é que tá
De armadura e capa
Espada forjada em ouro
Gesto nobre
Olhar sereno
De cavaleiro, guerreiro justiceiro
Imbatível ao extremo
Assim é Jorge
E salve Jorge viva viva viva Jorge
Pois com sua sabedoria e coragem
Mostrou que com uma rosa
E o cantar de um passarinho
Nunca nesse mundo se está sozinho
E salve Jorge
E salve Jorge
Domingo 23
É dia de Jorge
É dia dele passear
No seu cavalo branco
Pelo mundo prá ver
Como é que tá
De armadura e capa
Espada forjada em ouro
Gesto nobre
Olhar sereno
De cavaleiro, guerreiro justiceiro
Assim é Jorge
E salve Jorge viva viva viva Jorge
Pois com sua sabedoria e coragem
Mostrou que com uma rosa
E o cantar de um passarinho
Nunca nesse mundo se está sozinho
"

Avec le titre suivant, on passe carrément dans une autre dimension. L'album lui-même est une pièce particulière de l'œuvre de Jorge Ben : Africa Brasil . Une pure bombe. Un album qui mérite de figurer dans n'importe quel Top 100 des musiques du Vingtième Siècle, tous styles confondus. Entre les deux termes du titre, visant à établir une évidente connection entre l'Afrique et le Brésil, il manque juste celui qui fait leur conjonction : Funk. Cet album est unique dans sa tension, sa force brute, sa synthèse de samba et de funk, comme le titre qui suit en témoigne. Jamais Jorge Ben n'aura chanté aussi rauque qu'ici, quand il crie "Voa, Jorge, Jorge voa". Et ce break de percus sur la fin !

Quant au texte lui-même, il est emblématique de l'évolution de Jorge Ben. Tout en restant fondamentalement populaire, il va glisser vers une complexité qui prend la forme d'un réalisme fantastique. Références ésotériques et mythologiques fournissent les thèmes développés par Jorge Ben. Mais, même du quotidien, comme sur "A Historia de Jorge", le titre proposé ci-dessous, peut surgir une magie qui, pourtant, semble naturelle et ordinaire. Celle-ci ne sera pas sans rappeler, à sa façon, le Mr. Vertigo de Paul Auster.

C'est l'histoire d'un gamin qui a un copain, Jorge, qui sait voler. Bien sûr, quand il raconte ça, personne ne le croit. Jusqu'à ce que son pote Jorge accepte de faire un vol qui laisse tout le monde complètement espanté. Et celui qui ne vole pas crie à son ami "Vole Jorge mon ami, vole". Pas de jalousie, de l'émerveillement. Devrait-on comprendre par là que l'homme a besoin de mythes, qu'il s'agisse de saint, d'ange, de musicien voire de footballeur... Que le public a besoin de Jorge pour rêver ?

Jorge Ben, "A Historia de Jorge", Africa Brasil (1976)






"Ei, xará!
Ei, xará!
Ei, xará!
Olha, essa é a história de um menino
Que tinha um amigo que voava
E Jorge se chamava
Ninguém acreditava no menino não voava
Quando ele dizia que tinha um amigo
que falava, brincava e até voava
Todo mundo dele caçoava
Um dia Jorge soube de tudo
E voou para toda gente ver
O espanto foi geral
E o menino que não voava feliz da vida gritava:
Voa, Jorge!
Voa, Jorge!
Voa, Jorge, voa
Voa, Jorge, Jorge voa
Voa bem alto, Jorge
E traz uma estrela pra mim
Jorge amigo meu
Meu amigo Jorge
Jorge amigo anjo
Anjo amigo Jorge
Voa bem alto, Jorge
E traz uma estrela pra mim
Jorge amigo anjo
Voa, Jorge, Jorge voa
"

Ah, j'oubliais. Le dernier trip "jorgien" de Ben Jor aura été de s'identifier à George Washington. Dans le cadre d'une émission de MTV Brasil, Eu Queria Ser où il s'agit pour des personnalités de dire quel personnage elles auraient aimé être, c'est en effet à George Washington qu'il a choisi de s'identifier. L'occasion de prendre la pose en costume d'époque, face et perruque enfarinées, pour une photo des plus étonnantes. Pourquoi George Washington, à ce propos ? D'abord par ce qu'il s'agit du premier Président des Etats-Unis, ardent défenseur de la démocratie. Mais aussi pour le côté Dead Prez : parce que c'est lui dont l'effigie figure sur les billets de 1$, dit Jorge Ben Benjor. Nous prendrons la liberté d'ajouter une raison supplémentaire à ce choix étonnant : il s'agit d'un George, et le Ben est très attaché à son prénom...

Les 60's de Jorge Ben : Samba Novo et Cool Absolu (Re-Post)

Pour la Saint-Georges, un hommage à Jorge Ben avec ce texte écrit, en 2008, pour une émission de Goutte de Funk (@ Divergence-FM)...


Il était inévitable qu'un jour Goutte de Funk se penche sur l'oeuvre du grand Jorge Ben. Nous lui accorderons rien moins que trois émissions, une véritable trilogie. La première aujourd'hui consacrée à ses débuts et à ses albums des années 60. La seconde partie, dans quelque temps, sera consacrée aux 70's de Jorge Ben, assurément sa période la plus funky. Enfin, un troisième volet sera consacrée à son influence majeure à travers des reprises de ses chansons par ses pairs, à travers les styles et les époques. Cette dernière étape clôturera la démonstration et établira que l'oeuvre de Jorge Ben est probablement la plus fédératrice de toute la musique brésilienne.

Jorge Ben , "Mas que nada"
Pour situer Jorge Ben à ceux qui croiraient peut-être ne pas le connaître, commençons par "Mas que nada", à la fois parce qu'il s'agit de son premier succès et parce qu'il demeure probablement son titre le plus connu, ne serait-ce que par son utilisation par Nike dans des films publicitaires, notamment au moment de la Coupe du Monde 1998, avec le spot de la Seleção jouant au ballon dans un aéroport. Et là, tout le monde se dira : "bon sang mais c'est bien sûr" ! (Même si la version utilisée est celle du Tamba Trio, si mes souvenirs sont bons.)

Le Ben
A l'origine de la bossa nova et d'un style qui révolutionnera la façon de placer sa voix pour tous les chanteurs brésiliens. Surtout, c'est dans la batida de sa guitare, sa rythmique, dans laquelle on retrouve l'écho des tambours de sa Bahia natale, que João Gilberto impose son style.L'oreille fine, le jeune Jorge Ben tombe sous le charme de ce style si novateur. Parce qu'il était harmoniquement difficile à reproduire, Jorge Ben se concentre sur la batida, s'en inspire pour créer la rythmique la plus dévastatrice qui soit. Son jeu marquant par exemple les basses, au point qu'il n'y a ni bassiste ni contrebassiste sur certains de ses premiers enregistrements, sa seule guitare posant le groove.

Et, déjà, premier disque, premier succès : "Mas que nada". Pourtant, à ce moment-là, le jeune Jorge Ben n'est pas encore sûr de ce qu'il souhaite faire. Carioca de Madureira, quartier populaire, le jeune Jorge Duílio Ben Zabella Lima de Menezes n'était pas destiné à devenir musicien, malgré le fait que ses parents aient été amis avec le grand sambiste Ataulfo Alves, ou bien que son père joua dans le groupe Cometas de Rio. Celui-ci rêvait de le voir devenir avocat, quand sa mère, d'origine éthiopienne, le voulait pédiatre. Lui, le Jorge, se voyait bien footballeur. En équipes de jeunes, il jouait d'ailleurs pour le prestigieux Club de Regates du Flamengo, le Fla. Pour l'anecdote, signalons que Jorge Ben fait partie de la Génération 1942, incroyable pour la musique brésilienne. Pensez qu'en 1942 sont nés, outre Jorge Ben, Caetano Veloso, Gilberto Gil, Paulinho da Viola et Tim Maia...

Au pandeiro, puis à la guitare, le jeune Jorge Ben fait en autodidacte son apprentissage de la musique. Fréquente d'autres musiciens. Arrive donc "Mas que nada". Porté par ce tube, le 1er album de Jorge Ben atteint très rapidement les 100 000 exemplaires vendus. Des débuts si fracassants que le jeune homme prend les choses avec désinvolture et a du mal à réaliser l'ampleur de la chose. Pour prendre la mesure de ces chiffres, il s'imagine le public du Maracana, chaque spectateur son album à la main pour comprendre à quel point le truc est énorme. Comme il le raconte lui-même : "le premier disque pour moi, c'était un truc comme ça... En vérité, je suis entré dans la musique parce que je traînais dans le milieu de la musique. Un truc de copains qui étaient musiciens, tu comprends. Mais ce n'était pas ce que je souhaitais. A tel point que mon premier succès n'était pas quelques chose qui m'intéressait beaucoup. On me disait que j'étais le premier chanteur à vendre 100 mille disques au Brésil. Là, j'ai commencé à imaginer un Maracana avec chacun des spectateurs avec mon disque à la main. Là, ça devenait super" ("O primeiro disco pra mim foi uma coisa assim... na verdade, eu entrei na música porque eu estava no meio musical. Coisa de amigos que eram músicos, entende? Mas não era o que eu queria. Tanto que no meu primeiro sucesso era uma coisa que não me interessava muito. Falavam que eu era o primeiro cantor aqui que vendia 100 mil discos. Eu ficava imaginando o Maracanã lotado, cada um com um disco meu na mão. Achava legal").

Les débuts sont fracassants, il est une évidence, se pose avec l'assurance de celui qui incarne le cool absolu de son temps. Pour le comprendre, il n'est qu'à voir les pochettes de ses débuts : Samba Esquema Novo et Ben é Samba Bom. Sur la première, il gratte sa guitare en équilibre sur une jambe, sur l'autre en pull casual, qui ne déparerait pas sur les épaules d'un mod british d'alors, il n'a même plus besoin de guitare, il lui suffit de claquer des doigts, fixant l'objectif avec ce regard de cool absolu.

Sans se lancer dans une grande analyse causale chère à Max Weber, effectuons alors un rapide flashback pour montrer que les choses auraient pu tourner différemment. Zeca Louro, l'humble perroquet faisant office de bloggeur sur Loronix, rapporte l'anecodte suivante, du temps où le jeune Jorge Ben avait une idole. Il profita du passage de celle-ci au Beco des Garrafas, le célèbre club de Rio qui servit de berceau à la bossa nova, pour lui proposer ses chansons. Laissons Orlann Divo, l'idole en question, raconter l'affaire : "Well there's a funny story about Jorge Ben. One day I was playing at Bottles on the Beco das Garrafas and the owner of the Plaza Club Oliveira Filho, came up to me and said : "Orlann, that's a kid outside who says he's written some songs for you". I was quite curious so I went out and there was this kid you know, Jorge Ben, very very young and he took the guitar and started playing "Por Causa de Voxe" and "Mas Que Nada", you know with that same singing through the nose style; singing voh-shay instead of voh-say. Well I was flattered but I thought they were fantastic and said : "Kid you gotta record them yourself". He said : "Oh no MR Divo, I wrote these songs for you, Im not a singer!" And I said : "hey kid Look at me I wasn't a singer either and look at me [laughs]!" Some while later I heard that Armando Pittigliani from Philips had signed him up and the next thing you know "Mas Que Nada" is selling millions all around the world! But, in truth I had just recorded my first LP and I didn't' think I could take his songs and not record them. But he found his own voice and that's great. He ended up covering one of my songs!"
Heureusement donc qu'Orlandivo (ou Orlann Divo) n'était pas un chacal. Il ne s'est pas approprié les chansons en condamnant le jeune Jorge à rester dans l'ombre et l'a, au contraire encouragé à trouver sa voie (sa voix, aussi).

"Sacundin sacunden", la batida dévastatrice
Plus plausible, on peut tout de même imaginer que le talent du bonhomme aurait quoi qu'il en soit éclaté au grand jour. Car avant d'être un grand chanteur, Jorge Ben s'impose par son jeu de guitare. Il faut dire qu'il invente un style radicalement nouveau. Littéralement un Nouveau Schéma de Samba : un Samba Esquema Novo, du titre de son premier album, titre qui claque comme le manifeste d'une révolution esthétique. Il a beau parler dans "Mas que nada" d'une samba de "preto velho", de vieux Noir, sa samba est sacrément modernisée.
"Quand j'ai inventé cette batida, je l'ai nommée "sacundin sacunden", puis à l'époque de la Jovem Guarda, c'est devenu "jovem samba" et, plus tard, "sambalanço" ", expliquait Jorge Ben pour décrire les débuts de ce qui allait être connu au Brésil sous le nom de suingue ou samba-rock. ("Quando eu inventei essa batida, chamava de sacundin sacunden, depois, na época da jovem guarda, virou jovem samba, e, mais tarde, sambalanço").
Avec Jorge Ben et sa "batida peculiaríssima", comme l'écrivait le journaliste Silvio Essinger, on voit le passage du 2/4 au 4/4. Alors que le rythme de samba est traditionnellement joué en 2/4 binaire, se développe alors un compas quaternaire en 4/4, directement venu du rock ou de la soul music américains.

Le Ben lui-même raconte comment la maison de disques semblait assez perplexe devant son style et ne sachant quelle étiquette lui coller : " "On aime beaucoup et tout et tout, mais on a un problème. La direction aime bien aussi mais c'est que le producteur musical ne sait pas ce que c'est, c'est pas du samba, il ne sait pas ce que c'est". Alors j'ai dit : "bon, mais c'est du samba". ("Nós gostamos e tudo, mas tem um problema aqui... a diretoria gostou, mas é que o produtor musical não consegue... ele não sabe o que é isso aqui, não é samba, ele não sabe o que é". Aí eu falei "bom, mas é samba").

Jorge Ben considère bien qu'il s'agit de samba, comme en témoignent les titres des ses premiers albums : Samba Esquema Novo, déjà cité, Ben é Samba Bom, ou encore Sacundin Ben Samba. Pourtant, sa musique est si inhabituelle qu'il ne trouve pas de musiciens de samba capables de l'accompagner dans cette direction inédite. C'est de ce constat préalable, qu'il se fit alors accompagner de musiciens venus du jazz, plus souples et capables de le suivre dans son Sacundin... Lesquels étaient justement ses amis, JT Meirelles, ou Luiz Carlos Vinhas pour ne citer qu'eux, des figures majeures de la jeune scène jazz brésilienne.
"Vraiment, les gens du samba ne savaient pas m'accompagner avec ma façon de jouer de la guitare et chanter. Alors, comme j'avais quelques amis par là, qui eux étaient dans le jazz, j'ai pris contact avec eux. Ils avaient un groupe qui jouait au Beco das Garrafas et qui s'appelait Meirelles Copa Cinco. Je leur a montré ce que je faisais, ils ont adoré et on a commencé à jouer. (...) C'est comme ça que j'ai enregistré mon premier album avec ce groupe de jazz. Et ça a été super." ("Aí, realmente, o pessoal do samba não tinha uma leitura, não sabiam me acompanhar, do jeito que eu tocava no violão e cantava. Aí, como eu tinha uns amigos lá, que eram mais para o jazz, entrei em contato com eles, uma banda que tinha lá no "Beco das Garrafas", que chamava "Meirelles Copa Cinco". Mostrei pra eles e eles adoraram, começamos a tocar. Eles fizeram... o pessoal do samba não teve uma leitura fácil, e eu gravei meu primeiro disco com essa banda de jazz. E foi legal.")

Cette influence jazz est marquante à l'écoute. Sur son 4ème album Big Ben, de 1965, cet appui jazz est tout aussi manifeste. Si la patte de Jorge Ben est sa manière phénoménale de planter un groove en deux coups de cuiller à pot par un intro rythmique à la guitare, sur cet album, c'est un fantastique drumming qui est mis en avant dans le mix. Alors qu'on sait que Dom Um Romão officiait sur le premier album, qu'Edison Machado a également été batteur dans la formation de JT Meirelles, la fiche technique de Big Ben n'indique pas les musiciens qui participèrent aux sessions de l'album. Après avoir cherché l'info sur internet, je reviens bredouille et ignore toujours le nom du batteur de Big Ben : peut-être un certain Reizinho, d'après Marcelo Cruz, du blog SacundinBen, sans que lui-même en ait d'ailleurs la certitude. Comme ses trois précédents albums, Big Ben est produit par Armando Pittigliani. Outre ses musiciens, comme nous venons de le voir, Jorge Ben a su se faire épauler par des personnes de talent. Pittigliani était, en effet, considéré alors comme l'un des meilleurs producteurs du pays (en 1965, 1966 et 1967, il fut élu meilleur producteur par l'Association des Critiques d'Art de São Paulo). Je ne me lasse tellement pas de cet album que nous allons en écouter trois extraits ce soir : "Na Bahia Tem", "Lalari-Olala" et "Agora Niguém Chora Mais".

Jorge Ben, "Lalari-Olala", Big Ben (1965)

Sacundim et Sacundém, les saints...
Comme le disait Lucas Santtana, un des artistes à découvrir de la nouvelle scène brésilienne, au moment de la mort du Godfather : "James Brown a une très grande importance dans la formation groovesque de ma main droite. Autant que Jorge Ben". Voilà, la messe est dite, Ben et Brown, c'est bel et bon, la Trinité du Groove n'avait que deux têtes certes, mais si à cela s'ajoute le 4/4 : 1 + 1 + 4/4 = 3 = la Trinité du Groove, cqfd, découverte théologique majeure du Dr. Funkathus, pour vous servir (les années d'austère exégèse commencent à porter leurs fruits).

La batida de Ben est si phénoménale qu'un type aussi talentueux que Gilberto Gil pense arrêter la musique quand il l'entend, ainsi que le rapporte Caetano Veloso dans Verdade Tropical, son livre autobiographique revenant sur ses années tropicalistes :
"Gil était un passionné de Jorge Ben depuis ses années de jeunesse à Bahia. Un soir, alors qu'il donnait un concert dans un club de Salvador, il déclara qu'il arrêtait de composer et qu'il ne chanterait plus aucune de ses propres compositions, depuis qu'un type appelé Jorge Ben venait de surgir et qu'il faisait déjà tout ce que lui aurait du faire. Moi qui aimait Jorge Ben pour son originalité et son énergie, je n'admettais pas qu'un talent musical comme celui de Gilberto Gil fasse silence en révérence à celui-ci. Par-dessus tout, il me semblait presque choquant que Gil, bien plus doué pour les harmonies que moi, dise qu'il préférait tout abandonner à cause d'un musicien infiniment plus primaire que lui. Bien que je trouve son geste radical et passionnément généreux, je ne pouvais partager ses motivations. Je l'attribuais en partie (et je crois que je n'avais pas complètement tort) à des raisons raciales. Jorge Ben n'était pas seulement le premier grand auteur noir depuis les débuts de la bossa nova (un titre qui aurait pu aussi revenir à Gil), il était aussi le premier à en faire un déterminant esthétique." (Verdade Tropical, pp. 196-197, traduit approximativement par bibi).

Car outre des rythmiques à faire se trémousser une assemblée de croque-morts, Jorge Ben introduit une dose d'africanité dans la musique brésilienne par le biais de certaines références. Ainsi sur "Chove Chuva", un des succès de son premier album, ce qui pourrait sembler, si l'on n'y prête attention, n'être qu'une série d'onomatopées : "Sacundim, Sacundém, Imboró, Congá, Dombim, Dombém, Agouê, Obá", est en fait l'énumération d'une série de saints (Sacundim et Sacundém), de guerriers (Dombim, Dombém ) ou de divinités (Obá est la déesse nagô de l'amour) auxquels le narrateur de la chanson adresse sa prière pour que la pluie cesse de mouiller son amoureuse. Mais il faut vraiment s'appeler Jorge Ben pour oser déranger un pareil chapelet de divinités pour un motif aussi dérisoire.

Je dois par ailleurs confesser ne pas disposer d'assez d'éléments biographiques pour savoir si ses directes origines éthiopiennes, par sa mère, ont joué un rôle. D'autant que les références qu'il utilise sont les plus habituelles des cultures afro-brésiliennes et n'ont aucun rapport avec ce qui pourrait provenir de la Corne de l'Afrique.

Par contre, il est important de rappeler que si le Brésil est considéré comme le "Pays du Métissage", ce qui le distingue d'un autre grand pays du Nouveau Monde ayant aussi pratiqué l'esclavage, la stigmatisation des cultures et populations noires y demeure forte. D'ailleurs, sans cynisme, on pourrait considérer le métissage brésilien comme une forme de Real Politik : le petit royaume du Portugal d'alors, vidé de sa population masculine, dispersée au gré des conquêtes, savait bien qu'il n'y avait pas trente-six moyens de peupler ces terres immenses.

Si les préjugés ont la vie dure en ce début de Troisième Millénaire, il faut bien se dire que la situation était encore plus délicate au début des années soixante. Et si c'est un natif de Montpellier qui avait établi ce qui allait servir de base à la première Constitution brésilienne, Auguste Comte, fondateur du Positivisme, c'est un natif de Nîmes qui a grandement contribué à montrer toute la richesse et la complexité des religions afro-brésiliennes, considérées jusqu'alors comme de primaires superstitions par l'élite du pays : Roger Bastide, anthropologue, qui a passé la majeure partie de sa carrière académique à l'Université de São Paulo. Et s'il est aujourd'hui assez commun d'invoquer les orixas dans une chanson, l'énumération faite par Jorge Ben doit donc être comprise comme une affirmation, et peu importe alors les motifs dérisoires qui y président. Au même titre que la plupart des artistes noirs brésiliens, Jorge Ben aura d'ailleurs à subir une forme de dévalorisation de son travail.

D'où la nécessité d'établir que son influence est aussi grande que celle de Jobim, dont le répertoire n'a pas eu, lui, à souffrir d'un manque de légitimité. C'est une forme d'unanimité qui devrait suffire à démontrer l'importance de Jorge Ben. Dans la tension des années soixante, les scènes musicales étaient cloisonnées et, comme dans toute chapelle, l'intolérance et les rejets des autres courants étaient virulents. Pourtant, entre la bande de la bossa nova, celle des Yéyés de la Jovem Guarda, puis, ensuite celle des Tropicalistes, un seul artiste allait se montrer apprécié par chacun de ces courants : Jorge Ben le fédérateur. Ce qui est illustré par sa participation aux différents programmes télé enregistrés par chacun de ces courants, O Fino da Bossa, avec Elis Regina et Wilson Simonal, Jovem Guarda, présenté par Roberto et Erasmo Carlos, ou encore l'éphémère Divino, Maravilhoso des Tropicalistes.

Concernant les Tropicalistes, mouvement mené par Caetano Veloso, Gilberto Gil, Tom Zé, etc..., ils vont parfois même jusqu'à considérer Jorge Ben comme un des leurs. Caetano Veloso écrit d'ailleurs : "un enregistrement de Jorge Ben contenait toutes nos ambitions. Il s'agit de "Se Manda", un hybride de baião et de marcha-funk, chanté et joué avec une violence salutaire et une modernité pop naturelle qui nous remplissait d'enthousiasme et d'envie". Jorge Ben n'a jamais été hippie mais il a su évoluer, introduire une dimension presque expérimentale dans certaines de ses chansons, comme dans cet étonnant "Descobri que sou um anjo" que nous écoutons ce soir. Un titre qui date de 1969 et d'un album tout simplement intitulé Jorge Ben, où la pochette nous montre une toile représentant Jorge Ben avec sa guitare dressée, décorée de l'écusson du Flamengo, alors que l'arrière-plan mêle silhouettes féminines et végétation. Après avoir été accompagné du groupe The Fevers en 1967 pour son album O Bidu - Silencio no Brooklyn (qui contient le fameux "Se Manda" mentionné par Caetano), cette fois-ci Jorge Ben a eu la bonne idée de jouer avec le Trio Mocoto. João Parahyba, un des membres du trio, racontait il y a quelques années à un journaliste de Libération : "Quand Jorge nous a vus jouer ensemble, il voyait pour la première fois trois percussionnistes qui jouaient différemment, comme un trio de guitares. Nous avons joué avec lui ce soir-là, puis le lendemain et on ne s'est plus arrêté." Leur collaboration débuta un an plus tôt, en 1968, quand le trio accompagna Jorge Ben pour le titre "Charles Anjo 45" à l'occasion du Festival Internacional da Canção. On considère souvent que le samba-rock tient là son origine. João Parahyba se souvient : "nous faisions un suingue qui avait une qualité musicale. C'était une modernisation du samba. Nous sentions que nous étions à demi-avanguardistes ! On voulait faire une sorte de tropical jazz mais ça s'est transformé en suingue" ("Fazíamos um suingue com qualidade musical. Era uma modernização do samba. Sentíamos que éramos meio vanguarda! A gente queria fazer algo como um tropical jazz, mas acabou virando o suingue").

En cette période de dictature, Jorge Ben fait l'éloge d'un Robin des Bois des favelas, le Charles Anjo 45 en question. Cette sorte de malandro à conscience sociale, brigand au grand coeur, ce "défenseur des faibles et des opprimés", fêté par le peuple des favelas, compense les défaillances de l'Etat. Les années soixante de Jorge Ben se terminent avec un titre aussi explosif que celui-ci, dernière plage de son dernier album de la décénnie. Un titre que Caetano enregistra quelque temps avant d'être arrêté et contraint à l'exil en compagnie de Gilberto Gil, et que sa maison de disques préféra ne pas sortir de crainte que la dictature n'y voit une provocation, à cause du parallèle qui s'établirait entre le fameux Charles Anjo 45 de la chanson et Caetano lui-même... Jorge Ben restera lui au Brésil, il chantera même un message de soutien à l'exilé Caetano, en compagnie de sa soeur Maria Bethânia : "Mano Caetano". Sa conscience sociale ira grandissante, comme nous le verrons prochainement dans le volet consacré à ses funky 70's.

Enfin, pour conclure, laissons la parole à un universitaire brésilien spécialiste de l'étude de la musique populaire de son pays, auteur d'une anthologie des 50 meilleurs albums de ces cinquante dernières années, le pourtant très intransigeant Luiz Américo Lisboa Junior : "Viva seu Jorge Ben ou Benjor, voce que já esta com todos os méritos na galeria dos grandes de nossa canção popular, continue com seu balanço, pois ele já é eterno. Sacundim, sacundem!".

jeudi 22 avril 2010

Le Centenaire de Jenny Alpha

Aujourd'hui, Jenny Alpha, née le 22 avril 1910, fête son centenaire. La chose est suffisamment rare pour que l'on marque l'événement. Pendant longtemps, j'ignorais tout de cette dame. Mais, déjà, par la grâce d'une seule chanson, j'étais sous le charme.

Il y a une quinzaine d'années, époque où je pratiquais encore assidument le crate digging, j'avais trouvé un double album de vieilles biguines, calypsos, boléros et autres biguines wabap : Antillaisement Vôtre... "Biguines-Salsa" (Succès des Années 1950-1959). Une "bonne pioche" que cette compilation de haute tenue, malgré l'absence de livret (on était clairement aux antipodes de l'exemplaire travail patrimonial de Frémeaux & Associés en la matière). Tout de suite, quelques titres se détachaient d'un ensemble sans fausse note. Parmi eux, en premier lieu, la fameuse chanson de Jenny Alpha, "Douvan Pote Doudou".

Jenny Alpha et l'Orchestre Sylvio Siobud, "Douvan Pote Doudou" (1953)






Les années passaient, j'écoutais toujours régulièrement "Douvan Pote Doudou", surtout à la belle saison, mais j'ignorais toujours tout de son auteur. Curieux d'autres enregistrements de cette artiste, je googlais parfois Jenny Alpha. La moisson était alors bien maigre. Elle avait visiblement tourné avec un groupe appelé Les Pirates du Rythme, tandis que les morceaux figurant sur ma compil' avaient été enregistrés avec l'Orchestre de Sylvio Siobud. Puis, en 2005, je découvrais qu'elle venait d'être honorée du titre d'Officier des Arts et des Lettres par le Ministre de la Culture de l'époque, Bernard Donnedieu de Vabres. Depuis, en janvier 2009, elle a même été promue Chevalier de la Légion d'Honneur.

Jenny Alpha bénéficiait d'une reconnaissance tardive et j'apprenais qu'elle n'avait été qu'une chanteuse "occasionnelle", l'essentiel de sa carrière s'étant dédié au théâtre. En 2008, j'ai eu l'occasion de voir Un Siècle de Jenny, un documentaire lui étant consacré où on la découvrait pétillante d'esprit et pleine d'énergie. Elle méritait bien cet hommage car elle est un témoin passionnant de son époque, aux premières loges, pour en raconter certains temps forts et raconter ses rencontres avec certains de ses acteurs majeurs.

Née dans une famille aisée et cultivée, Jenny Alpha est arrivée à Paris de sa Martinique natale à dix-neuf ans, pour faire ses études à la Sorbonne afin de devenir professeur de lettres. Elle aura vite fait de croiser tout le monde des arts et des lettres. Parmi eux, les fondateurs du mouvement de la Négritude, Aimé Césaire (qui était un copain d'enfance de ses frères), Léopold Sédar Senghor et Léon Gontran Damas. Comme elle le confiait à RFI, il y a quelques années : "Aimé Césaire était un ami d’enfance de mes frères. Ils allaient en classe ensemble. Je l’ai parfois croisé. Mais c’est à Paris que j’ai connu de près tous les trois chantres de la négritude. Césaire, bien sûr, mais aussi Senghor et Damas pour lequel j’éprouvais une très grande sympathie. Pour moi, c’est celui qui va demeurer. C’était un écorché vif, mais il était doué d’une sensibilité étonnante ! Ces trois garçons venaient souvent chez Mme Miton au boulevard du Temple où mes parents m’avaient laissée en pension. Ils évoquaient parfois leurs combats en faveur de la dignité du peuple noir. Je peux dire que j’ai connu la négritude à ses débuts".

Elle croise également Duke Ellington qui la prend dans ses bras et lui dit : "you look like my sister", comme le mentionnait le ministre dans son allocution (ah, si on m'avait dit que je citerais un jour Donnedieu de Vabres !). Francis Picabia lui tire le portrait. Pendant la guerre, elle entre dans la résistance, etc... En 1947, Paul Lemagny la choisit comme modèle pour le timbre qui représente la Martinique.

Puis, sur le tard, c'est une carrière au théâtre au service du grand répertoire qui lui vaut d'être aujourd'hui ainsi honorée. Elle, à qui on disait après-guerre, alors qu'elle voulait entrer au Conservatoire d'Art Dramatique, "qu’il n’y a pas de rôle pour les Noirs dans le répertoire classique".

Mais, ici, peu nous importe Sophocle, Shakespeare, Corneille, Brecht, Genet, ou Césaire : nous n'avons jamais vu Jenny Alpha sur scène. Par contre, "Douvan Pote Doudou" reste un de mes titres fétiche, titre qui a bénéficié d'une nouvelle jeunesse en 2008. Le pianiste David Fackeure lui proposa, en effet, d'enregistrer un nouvel album où elle reprendrait ses anciens titres, dont celui-ci, mais aussi "La Sérénade du muguet", qui donna son titre au projet. Outre les versions contemporaines, on trouvait les enregistrements de 1953 de "La Sérénade du muguet" et de "Douvan Pote Doudou". Si son charme est bien sûr un peu désuet, la chanson garde toujours sa même grâce mélancolique, chanson où accompagnée d'une guitare qui jazze, le chant de Jenny Alpha possède une saudade caressante, que ne renierait pas un interprète brésilien, pour "doloter vou".

mercredi 21 avril 2010

Guru, mort d'un maître

"A lot of rappers got flavor, and some got skills
But if your voice ain’t dope, then you need to chill"
(Gang Starr, "Mostly The Voice")

Keith Elam, plus connu sous le nom de Guru, vient de décéder d'un cancer, à 47 ans. Il était depuis une vingtaine d'années une figure majeure du rap. Tant sur le versant strictly hip hop que dans l'ouverture sur le jazz, sa plume et son flow étaient acérés. Sa collaboration avec DJ Premier, sous le nom de Gang Starr, demeurera un duo de référence, au même titre qu'Eric B. & Rakim, pour son ancrage sur les fondamentaux micro/platines. En parallèle, Guru inaugura la série Jazzmatazz, projet qui œuvrait à la création d'une musique Hip-Hop/Jazz encore relativement inédite.

Il se révéla au grand public, en 1990, par sa participation, avec Gang Starr, à la B.O. du film de Spike Lee, Mo' Better Blues, où figurait leur morceau "Jazz Thing". Un titre qui inscrit, en revisitant l'histoire du jazz, le rap dans l'histoire plus large de la musique noire américaine.

"Now there's young cats blowin'
And more and more people, yes they will be knowin'
Jazz ain't the past, this music's gonna last
and as the facts unfold, remember who foretold
The 90's, will be the decade of
a jazz thing
"



Son héritage est celui de cette ouverture. Il faut s'en souvenir alors que l'idiome Hip-Hop/Jazz est devenu un style si fécond aujourd'hui. De même qu'il faut retenir son attachement à des valeurs et à des thèmes conscious, à rebrousse-poil des dérives commerciales de ses contemporains. Guru, dont le nom était supposé être un acronyme pour Gifted Unlimited Rhymes Universal, était un type intègre. D'où les soupçons d'authenticité qui pèsent sur la lettre qu'il aurait laissé. Lettre où "il" (?) renie violemment son ancien complice DJ Premier, pour confier à son partenaire Solar la gestion de son "héritage". Personne ne semble croire un instant que Guru puisse en être l'auteur : à qui profite le crime ?

Le Hip Hop a perdu un maître.

Pour lire la lettre...
Son obituary dans le New York Times...

dimanche 18 avril 2010

La Girafe ? Casher indeed !

Comme souvent dans l'histoire des découvertes, celle-ci se fit un peu par hasard. Mais le verdict du Rabbin Shlomo Mahfoud fut sans appel : la girafe est casher. Il y a quelque ironie à envisager la chose si on se rappelle que le personnage de girafe le plus marquant de ces dernières années est juive new-yorkaise et complètement hypocondriaque (ainsi que dépressive et froussarde). Vous aurez bien entendu reconnu Melman dans Madagascar.

En 2008, une équipe de vétérinaires dirigée par le Professeur Zohar Amar fut dépêchée pour soigner une girafe du plus grand zoo d'Israël, le Safari Park de Ramat Gan. Une mesure de routine, examiner un échantillon du lait de la girafe, provoqua ce verdict prononcé par le rabbin : "Indeed, the giraffe is kosher for eating". Pourquoi ? Tout simplement car le lait de la girafe caille. Une condition indispensable du cacherouth, le code alimentaire du judaïsme, pour déterminer si un aliment est "convenable" pour la consommation.

Concernant les animaux vivant sur terre, sont considérés "purs" les animaux ayant les sabots fendus et ruminant leurs aliments. La girafe remplit toutes ces conditions. Ainsi, non seulement son lait mais aussi sa viande est casher.

Seul bémol pour le Rabbin Shlomo Mahfoud, il demeure juste le problème de l'abattage rituel, à ce jour jamais pratiqué sur une girafe.

Ceci posé, pour le Dr. Yigal Horowitz, vétérinaire en chef du zoo, cette révélation rabbinique ne devrait pas lancer une nouvelle mode alimentaire. Comme il l'explique, ce qu'a déclaré le rabbin Mahfoud "ne veut pas dire que soudainement, nous assisterons à une ruée vers les produits alimentaires à base de girafe. Cela ne veut pas dire que, demain, nous allons nous mettre à boire du lait de girafe ou manger de la soupe au cou de girafe. Après tout, c'est un animal en voie de disparition". ("this did not mean there would suddenly be a surge in demand of giraffe food products in Israel. This does not mean that tomorrow we are going to drink giraffe milk or eat soup made from giraffe necks. After all, this is an animal in danger of extinction"). Après tout, c'est un animal en voie de disparition !

C'est bon, Melman, y'a rien à craindre, tu peux descendre...

samedi 17 avril 2010

Sharon Jones : I Learned The Hard Way en vidéo

Si c'est surtout grâce à ses prestations scéniques incendiaires que Sharon Jones et les Dap-Kings se sont forgés une réputation, leur nouvel album se dote d'un outil de promotion supplémentaire pour l'accompagner : une vidéo. C'est peut-être devenu incontournable mais, cette fois-ci, le groupe de Brooklyn bénéficie d'un vrai petit film pour faire connaître sa musique. Un film où on reconnaît Lee Fields, un autre chanteur Daptone, et où on retrouve une ambiance tout aussi rétro que la musique des Dap-Kings.

On y découvre une Sharon Jones convaincante en actrice : rien que pour son entrée en scène furibarde dès le premier plan, ce clip vaut d'être vu. Convaincante en actrice, est-ce vraiment une surprise ? Elle rappelait récemment au Village Voice qu'elle participa à une pièce Off-Off Broadway, alors qu'elle avait une petite vingtaine d'années, et qu'elle n'avait aucun effort à faire pour que les larmes coulent selon les besoins du rôle : "there was one scene, where my mama was crying, and I had to get on my knees. And I was like, 'Please don't take my mama.' And the tears—I was like, 'Oh, I'm crying for real.' And everybody was like : 'Oh, my God, she's really crying.' ". Convaincante Miss Jones. Mais si son nouvel album s'intitule I Learned The Hard Way, c'est en raison d'une rupture douloureuse où, cette fois-ci, les larmes n'étaient pas simulées.



Pour l'anecdote, en 2007, Sharon Jones a déjà obtenu un petit rôle dans le film The Great Debaters, de et avec Denzel Washington, où elle interprétait une chanteuse...

vendredi 16 avril 2010

Tribeqa cherche la Rose

Sur l'arc-en-ciel des Qolors, Tribeqa commence par le rose...

Nous l'annoncions il y a quelques jours, le nouvel album de Tribeqa est arrivé. Toujours sur le label Underdog Records : à peu près ce qui se fait de mieux en France dans l'univers des musiques ayant une parenté proche ou lointaine avec le funk. Pour ne citer qu'eux, Juan Rozoff ou CongoPunQ font partie de l'écurie.

Si le "parrain" du groupe Magic Malik ne fait pas partie de ce nouveau voyage musical, de nouveaux invités ont embarqué pour accompagner l'équipage nantais dans la poursuite de ses explorations afrocentrées. Participent à ce Qolors : Blake Worrel (Puppetmastaz) Mauikaï, Wamian Diara et Kadi Coulibaly, pour donner de la voix; ainsi que Geoffroy Tamisier (Mukta) à la trompette.

Avant de revenir prochainement plus en détail sur l'album, voici "Rose", la première vidéo à en être extraite. Sur ce titre, discrètement mais sûrement, Tribeqa prend des couleurs brésiliennes. On y entend en effet des voix s'interrogeant pour savoir où est passée Rosa, cet amour. "Onde esta Rosa ? Cadê Rosa ?". La dominante est toujours acoustique avec le balafon de Josselin Quentin toujours au centre, les platines de "Djo" qui gratouillent et chatouillent, et ces Brésiliens qui cherchent Rosa... Le tout ressemble définitivement à du... Tribeqa !



A signaler un petite interview du groupe sur l'Adikt Blog...

jeudi 15 avril 2010

Le cou de la girafe est... court (une approche goetho-phénoménologique du sujet)

A première vue, quand on regarde une girafe, ce qui nous frappe, bien sûr, c'est la longueur étonnante de son cou. Et pourtant, il faut toujours se méfier des évidences et des apparences. Coupant court aux idées reçues, Craig Holdrege, fondateur du Nature Institute à New York, affirme le contraire : selon lui, le cou de la girafe serait plutôt court. Le Nature Institute a fait sa devise du conseil de Thoreau : "the question is not what you look at - but how you look and wether you see" (la question n'est pas de savoir ce que vous regardez - mais comment vous regardez et si vous voyez). En ayant ce conseil en tête, regardez à nouveau la girafe et posez-vous la question : a-t-elle vraiment un si long cou ? N'est-il pas un peu trop... court ?

Tout n'est, après tout, qu'une question de point de vue. Dans son livre, The Giraffe’s Long Neck: From Evolutionary Fable to Whole Organism, l'ambition de Craig Holdrege est de régler leur compte à la fois au Darwinisme et au Créationnisme... Rien moins. Grâce à son approche goetho-phénoménologique (goethean-phenomenological approach, sic), l'auteur cherche à montrer les limites des diverses interprétations évolutionnistes sur le cou de la girafe. La girafe a un long cou pour se nourrir du feuillage des arbres dans une savane aride serait, selon lui, une interprétation réductrice. La girafe a un long cou pour pour que les mâles puissent s'affronter dans la conquête des femelles serait, selon lui, une interprétation réductrice. La girafe a un long cou pour garder l'équilibre dans sa course serait, selon lui, une interprétation réductrice.

Il faut, dit Holdrege, appréhender l'animal dans toute sa complexité, dans une perspective holistique. Et alors, on réalisera qu'en fait le cou de la girafe est plutôt... court. En effet, lorsqu'elle doit boire, la girafe est obligée d'écarter les jambes pour atteindre le sol. Ce n'est pas le cas des antilopes, ni même de l'okapi, proche cousin de la girafe. Ce n'est pas non plus le cas de l'éléphant, ce "géant flexible" (pour reprendre le titre d'un autre livre de Craig Holdrege) qui, comme la girafe, possède un cou court, mais compense par sa trompe, ce qui lui permet de boire sans avoir à se pencher. Non, vraiment, seule la girafe est ainsi obligée d'écarter les jambes et se pencher pour boire, ce qui atteste bien que son cou est court.

L'auteur est étonné que personne n'ait insisté sur ce fait. Peut-être, dit-il, parce selon d'autres perspectives, en fait toutes les autres perspectives sauf celle où la girafe se désaltère, le cou de la girafe est effectivement long. Mais n'insister que sur la longueur de ce cou, c'est en fait "passer à côté de la réalité de la girafe".

Laissons le mot de la fin à Craig Holdrege :
"In sum: the whole project of explaining the evolution of an animal by abstracting from the whole leads to unsatisfying, speculative ideas on the one hand, and to conceptual dissolution of the unity of the organism on the other. A more adequate understanding requires that we first investigate the organism as a whole and how its members interrelate and interact within the context of the whole organism and its environment".

Pour ceux qui souhaiterait approfondir la question : The Giraffe's Long Neck : From Evolutionary Fable to Whole Organism (2005) au format PDF.

mardi 13 avril 2010

Une visite du studio Daptone avec Gabriel Roth, a.k.a Bosco Mann

Sharon Jones & The Dap-Kings n'étant pas programmés sur Montpellier, plutôt que de parler du concert au Trabendo de ce soir auquel nous n'assisterons pas, on ferait mieux de revenir un instant sur leur son et son principal artisan, Gabriel Roth.

Si Sharon Jones est l'évidente vedette de l'aventure, sans Gabriel Roth, rien de tout cela ne serait arrivé. Il est, avec Neal Sugarman, le fondateur du label Daptone. Et, au sein des Dap-Kings, il tient la basse sous le nom de Bosco Mann, petit moustachu au fond de la scène, imperturbable clé de voute de l'édifice groovesque des Dap-Kings.

Mais outre ces deux activités déjà essentielles, de patron de label et de bassiste, Gabriel Roth a une autre casquette encore plus importante : il est le producteur des groupes Daptone et a su imposer une signature sonore très particulière, participant à ce mouvement qui revient vers l'analogique et abandonne le digital. Ainsi, même s'ils n'aiment pas qu'on les qualifie de "rétro", ils ont quand même tendu le bâton pour qu'on leur colle ce qualificatif.

Le magazine Sound On Sound est allé à sa rencontre afin qu'il nous propose un rapide tour du propriétaire et explique ses méthodes de travail.

Gabriel Roth a d'abord été membre des Soul Providers qui sortait ses disques sous le label Desco (il était également guitariste au sein d'une précédente mouture d'Antibalas). Après qu'il ait fermé boutique et que le groupe ait fait sécession, il est parti fonder Daptone avec le saxophoniste Neal Sugarman, du groupe Sugarman 3. Les compères ont réussi à trouver un local à Bushwick, une vieille maison de briques, dans un quartier de Brooklyn qui échappe encore à la gentrification, à l'embourgeoisement.

Une fois les locaux trouvés, encore fallait-il les aménager. Le studio Daptone, surnommé House of Soul, a été réalisé par les membres du label, en adeptes convaincus du DIY, chacun mettant la main à la pâte avec, par exemple, les Budos Band tombant les cloisons ou Sharon Jones se chargeant de tendre les câbles électriques. Bel esprit d'équipe.

Gabriel Roth n'est pas un "idéologue" du son vintage. S'il enregistre sur bandes et travaille en 8 ou 16 pistes, c'est juste parce qu'il trouve que ça sonne mieux ainsi."Show me a computer that sounds as good as a tape machine and I'll use it". Il se décrirait plutôt comme un minimaliste pragmatique. Ainsi n'utilise-t-il qu'un ou deux micros pour enregistrer la batterie. De même avec la section de cuivres. Les trois Daptones Horns jouent donc live, face à un seul micro, placé à un peu plus d'un mètre d'eux, afin que leur son puisse déjà se mélanger avant de l'atteindre. "What you want to do with horns is let them mix themselves. Give them enough room for the sounds to blend before they hit the microphone. The sound you want really is coming from the musicians, and when guys have played together for a while it's not a strain to get a good sound".


Autre approche radicale du son chez Daptone, Roth propose une balance très tranchée, "beatlesque" comme le suggère Sound On Sound, en mettant la batterie à gauche et la basse à droite. Le maître des lieux donne l'explication de ce choix : "It's kind of like when you're in a restaurant and they have music playing through speakers in the ceiling but where you're sitting you can only hear one side of the stereo. It gives a lot of space down the middle for vocals". Voilà : ça laisse plus d'espace au centre pour la voix, CQFD !

La visite continue, en vidéo cette fois-ci :



A lire, "Soul Reviver", le portrait très fouillé que Saki Knafo consacre à Roth pour le New York Times...

lundi 12 avril 2010

Sharon Jones, à la dure, à la longue, à l'ancienne

Sharon Jones & The Dap-Kings seront demain soir sur la scène du Trabendo, à Paris. Alors qu'ils viennent de sortir leur quatrième album, I Learned The Hard Way, un article du Village Voice , sorti la semaine dernière, dresse le portrait de cette diva soul quinquagénaire. Rappelons qu'en quelques années, le groupe de Brooklyn est devenu la référence suprême en matière de soul à l'ancienne. Avec eux, la presse a commencé à évoquer la retro soul, en opposition à la nu soul apparue quelques années plus tôt. Tout ça n'est qu'une tentative vaine pour mettre une étiquette sur une musique, en général réfutée par les artistes concernés. Comme le dit Neal Sugarman, pilier du groupe et du label Daptone, Sharon Jones et son groupe ne sont pas rétros, ils sont "romantiques".

Miss Jones a choisi un titre judicieux pour ce nouvel album : "j'ai appris à la dure". Car la reconnaissance dont elle bénéficie aujourd'hui avec son groupe s'est construit à l'ancienne. Avant de le récolter, ce succès, ils en ont semé les graines partout sur les routes de ce vaste monde. Et surtout, ces graines qu'ils ont planté sur leur passage, ils les ont arrosées d'hectolitres de sueur. Mouillant le maillot sur n'importe quelle scène pour se faire une réputation, là encore, à l'ancienne : par le bon vieux bouche-à-oreille et les recommandations enthousiastes des vrais amateurs de la chose funk à leurs amis. Alors, "à la dure" et "à l'ancienne", Sharon Jones & The Dap-Kings ont su tracer leur route vers une reconnaissance méritée.

Il y a encore trois ans, en 2007, Oliver Wang décrivait bien, sur son fameux site Soul Sides, cette différence de traitement dont Sharon Jones pouvait souffrir en comparaison du phénomène d'alors, Amy Winehouse. La comparaison s'imposait car la jeune Anglaise avait emprunté son groupe, les Dap-Kings, à Sharon Jones pour enregistrer Back To Black et les embauchant dans la foulée pour sa tournée.
"Would Winehouse seem as intriguing if not for her British + Whiteness? Coincidentally, I recently interviewed none other than Sharon Jones, who rightfully deserves recognition as the pioneering retro-soul singer for our era, and though she had nothing negative to say about the woman who's currently touring with the band she normally rocks with, Jones did note that she finds it disappointing that she's never enjoyed the same level of media attention as a lot of these new soul singers coming out of the UK (most of whom, notably, are young, handsome/pretty and White).
The fact that Jones is a Black woman in her 50s does make a difference here - in being seen as more authentic, she's also less a novelty (though her age does put her into a different generation entirely) and thus less likely to have a platoon of publications trying to profile her with the same fervor that Winehouse as enjoyed". (Il faut préciser qu'Oliver Wang écrivait cela avant que la notoriété d'Amy Winehouse explose pour des raisons extra-musicales et qu'elle devienne abonnée à la Une des tabloïds et soit traquée avec la même obstination sordide que Britney.)

Les choses n'ont pas toujours été simples pour Sharon Jones. Voyons justement ce que nous apprenait l'article du Village Voice. On y apprenait avec surprise qu'à 53 ans, elle habitait encore chez sa mère. Ou plutôt, qu'elle était retournée vivre chez elle, à la suite d'une rupture amoureuse. "But it's all for the better. I wouldn't be able to keep an apartment and travel and do what I do. And I wasn't seeing jack-crap in 2000. There was nothing, so thank God I was living with my mother". Dans l'article du Voice, on découvre également la liste de métiers improbables qu'elle a exercé avant de devenir chanteuse : vendeuse, gardienne de prison, assistante dentaire, vigile dans le quartier de Red Hook où, pour tromper l'ennui, elle dégommait les rats avec un pistolet à plombs... Tout ça après une brève carrière théâtrale off Broadway où sa vocation pour la scène était déjà évidente. Quant à la musique, c'est en chantant dans les mariages qu'elle a commencé à gagner ses premiers cachets. Précision : italiens, les mariages. "I was one of the first blacks to sing in an Italian wedding band. I started the trend. Right after that, when we started making money, bands started hiring black singers".

Aussi quand elle donne pour titre I Learned The Hard Way à ce quatrième album, on admettra bien volontiers qu'au niveau du vécu, ce choix n'a rien d'usurpé. Mais la roue tourne et pour Sharon Jones, la patience commence à payer. Depuis son précédent album 100 Days, 100 Nights, elle et les Dap-Kings commencent à voir leur réputation sortir du seul circuit des aficionados de soul et funk. Doit-on voir dans le prix des places pour leur concert du 13 avril, sur la scène du Trabendo, une conséquence de cette nouvelle notoriété. Les places sont à... aïe mamma mia ! 38 euros. Alors qu'il en coûtait quasiment deux fois moins pour les voir les années précédentes. Mais, malgré cette inflation, nul doute que les veinards qui seront dans la salle vont se régaler. Sharon Jones et les Dap-Kings sur scène ne font pas les choses à moitié. Ils la jouent à l'ancienne, à la dure.