mercredi 13 mai 2009

Arty Arto : Interview exclusive d'Arto Lindsay (Archives)

Les Rencontres Chorégraphiques de Seine Saint-Denis programment ces jours-ci Muscle, une création signée Richard Siegal (collaborateur de William Forsythe) et Arto Lindsay.

C'est le deuxième larron qui ici éveille notre curiosité. Et si cela peut nous surprendre de le voir à l'affiche d'une pièce de danse contemporaine, en aucun cas cela ne nous déroutera tant l'horizon d'Arto Lindsay est large et sans cesse renouvelé. C'est un horizon, un vrai, qui répond à la définition d'un horizon, à savoir une ligne imaginaire qui s'éloigne à mesure que l'on s'en approche. Et cela correspond assez bien à la curiosité de notre bonhomme, à son insatiable goût pour l'expérimentation.
Le principe de la pièce semble, d'après le communiqué de presse, de convoquer deux modes d'improvisation : "amener la danse au niveau d'intensité de la musique, et obliger la musique au travail d'articulation requis par la danse", le tout entre sérieux et autodérision.
Si les explications de Richard Siegal m'ont paru bien confuses, j'ai remarqué que du côté d'Arto, quel que soit le projet, il demeure toujours quelque écho du Brésil, comme ici cet extrait du "Samba da Minha Terra" de Dorival Caymmi.

Nous profitons donc de cette occasion pour ressortir du tiroir une interview que j'avais réalisé au printemps 2000, la veille de son passage sur la scène du festival Banlieues Bleues. Car l'usage de cet espace est aussi de permettre la remise à jour de nombreuses archives qui me semblent encore aujourd'hui dignes d'intérêt et méritent d'être disponibles pour qui en aura la curiosité.

Arto Lindsay donc. A ce jour, le musicien le plus intello que j'ai pu interrogé, un type ouvert, curieux, très sympa, pétillant d'esprit. Ce jour-là, par exemple, il s'étonnait qu'à la différence de la sociologie, la psychanalyse n'ait, à sa connaissance, que très peu étudier le rapport à la musique. Le lendemain soir, lors de son concert, il vidait la moitié de la salle en quelques chansons. Probablement, la partie du public qui venait au spectacle parce que le festival est connoté "jazz" et qu'il est de bon ton de s'y montrer, sans pourtant être prêt à envisager que le dit "jazz" puisse s'émanciper de son carcan de "bon goût". Les guitares saturées et discordantes d'Arto ne furent pas donc pas du goût de ces personnes. S'il a passé l'âge des provocations futiles, et que le but de la manœuvre n'était pas de clairsemer son audience, il en fallait cependant plus pour lui faire perdre son aplomb.
Retour donc sur cet entretien en grande partie consacrée à la part brésilienne de cet "intello dansant".

Alors que le Brésil vient de (mal) fêter ses 500 ans à Porto Seguro, rencontre avec Arto Lindsay, le plus Brésilien des musiciens américains. Après une jeunesse passée dans l’état de Pernambouc et une carrière dans l’avant-garde new-yorkaise, entre punk et jazz, il a brillamment contribué au son des nouvelles musiques brésiliennes, au gré de ses collaborations avec Caetano Veloso, Carlinhos Brown, Marisa Monte, etc., et de ses propres albums.



Après votre carrière avant-gardiste, depuis que vous avez commencé à chanter, vous êtes devenu plus Brésilien pour les gens ?
Arto Lindsay : Oui, c’est bien dit, je suis devenu plus Brésilien… pour les gens. Mais selon moi, l’influence de mon travail avant-gardiste était déjà brésilienne. La pop brésilienne des 60’s était très avant-gardiste. De même que les Beatles. Avec l’influence du free-jazz, de Stockhausen ou de Jimi Hendrix, c’est ce qui m’a façonné tout autant que ce qui se passait au Brésil avec Jorge Ben ou les Tropicalistes. Quand j’ai commencé à faire de la musique à New-York, tout cela est revenu naturellement.

En quelque sorte, vous êtes aussi un pionnier des nouvelles musiques brésiliennes. Que pensez-vous de cette scène qui mélange l’électronique et les rythmes régionaux ?
A.L. : C’est vrai qu’il y a quinze ans, on a fait un paquet de ces trucs que font les jeunes aujourd’hui. Et qu’on l’a fait bien mieux qu’eux (rires). Car ce n’est pas suffisant de prendre un peu de ci et un peu de ça. Il faut en faire quelque chose. C’est pour cela que Chico Science était vraiment LE type. Carlinhos Brown est un de mes meilleurs amis, ce qu’il fait est incroyable mais si vous jugez d’un point de vue purement artistique, c’est véritablement Chico Science qui a fait les choses les plus incroyables car son travail était complètement synthétique. Il a pris des guitares heavy-metal et funk, il a pris ces trucs locaux comme le maracatu, il a pris le hip-hop et l’a relié à cette vieille tradition brésilienne du repente et il a fait de tout ça quelque chose qui n’était aucune de ces choses-là. Il a simplement fait de la musique. Alors qu’aujourd’hui, si vous prenez des chanteurs indiens, que vous mettez un beat techno ou hip-hop et une section de cordes, ça donne souvent une chose qui n’en est pas une. C’est trop post-moderne, les correspondances sont trop évidentes. Ce n’est pas assez «séparé» et ce n’est pas assez «ensemble».

L’an dernier, Brown insistait beaucoup sur la dimension «organique» de son travail, pensez-vous que cette dimension soit nécéssaire pour que «ça tienne ensemble» ?
A.L. : Oui, certainement. Brown est brillant et cette dimension organique est présente dans ses spectacles et dans son projet global. Car c’est très social et relié à une tradition messianique du Nordeste. La pauvreté, un système quasiment féodal, une relation mystique au catholicisme, ces figures qui mènent le peuple, tout ce que fait Brown vient de là. À Bahia, il a construit cet endroit immense pour les concerts, il a construit un studio incroyable, il a Timbalada, Os Zarabes, Lactomania, son propre groupe. Pendant le Carnaval, c’est incroyable, vous croyez qu’il y a cinq Brown parce qu’il est vraiment partout. Maintenant, il faut traduire tout ça en disque et j’espère que son prochain album sera vraiment organique.

Quelles étaient les ambitions particulières de Prize, votre dernier album ?
A.L. : C’était juste de faire un nouvel album…

Vous gardez une continuité d’un album à l’autre…
A.L. : Oui, j’ai une position difficile car les gens attendent toujours quelque chose de nouveau alors que, pour mes propres raisons organiques, j’ai simplement envie de continuer, d’être meilleur chanteur, meilleur compositeur. Cela produit une tension.

La première fois que je vous ai entendu chanter, j’ai trouvé l’influence évidente de Caetano. Mais son dernier album studio Livro témoignait de la réciproque et de ce que vous aviez apporté à son «son». Est-il toujours votre principale influence brésilienne ?
A.L. : Il est définitivement une immense influence et je travaille dur pour lui rendre la faveur. Il est facile pour moi d’admettre son influence, d’autant que je suis venu après. Par contre, pour lui, c’est difficile de seulement envisager l’inverse parce que son projet est historique dans la musique brésilienne et dans la place qu’elle a dans le monde. Je crois que les gens sur-estiment mon influence sur lui. Il faut se souvenir à quel point son travail a pu être avant-gardiste et, de plus, à différentes époques. Caetano comme chanteur est inégalable. Il est là avec Al Green, Curtis Mayfield, João Gilberto, les plus grands… Mais au niveau du son lui-même, je crois bien qu’il y a eu un petit quelque chose.

Olivier Cathus
Paru dans Cultures en Mouvement n° 28 (juin 2000)