mercredi 25 mars 2009

Campagne de Salubrité Publique

Pantalonnade n°1 :

La pantalonnade est une réalité sociale. Malgré le grand sérieux affiché par nos institutions et nos dirigeants, nous ne pouvons qu'être frappé par les multiples manifestations de ce phénomène dont nous rappelons la définition : "discours fallacieux, mise en scène hypocrite".
Pour les uns, la pantalonnade sera considérée comme une arme d'aliénation massive. Pour d'autres, c'est juste une preuve que "le ridicule ne tue pas".
Nous épinglerons donc les pantalonnades, telles des médailles en chocolat, au revers de leurs auteurs.

Voici donc le premier épisode de cette traque :

Je cite Libé : "Dans l’avion qui le mène à Yaoundé au Cameroun, le pape Benoît XVI a déclaré ce mardi que le problème du sida ne «peut pas être réglé» par la «distribution de préservatifs». «Au contraire, leur utilisation aggrave le problème».

Nul doute que le Souverain Pontife mérite bien son surnom de Benoît XIII et III. A ses propos, je n'ai qu'un seul remède à prescrire :



C'est le message de la British Humanist Association, au départ affiché sur quelques bus londoniens, qui désormais semble prendre un tour international. A quand la France ?

Requiem Sympho-Delic-Soul pour le Démiurge du Son Motown

(Hommage à Norman Whitfield)
GdF # 3.1 - Septembre 2008


Play-List
The Temptations, "Plastic Man",  Masterpiece (1973)
Gladys Knight & the Pips, "I Heard It Through The Grapevine", Everybody Needs Love (1967)
Marvin Gaye,  "I Heard It Through The Grapevine", In The Groove  (1968) 
Edwin Starr , "War", War & Peace (1970)
Edwin Starr, "You've Got My Soul On Fire"  (1973)
The Temptations, "I Can't Get Next To You", Puzzle People (1969)
The Temptations, "I Need You", 1990 (1973)
The Temptations, "Papa Was A Rolling Stone", All Directions (1972)
The Temptations, "1990", 1990 (1973)
The Undisputed Truth, "Ball of Confusion", The Undisputed Truth (1971)
The Temptations, "Hurry Tomorrow", Masterpiece (1973)
The Temptations, "Let Your Hair Down", 1990 (1973)
The Jackson 5, "Hum Along and Dance", Get It Together (1973)
The Undisputed Truth, "Tazmanian Monster", Smokin'  (1979)
Rose Royce, "Car Wash", Car Wash (1976)
Dorival Caymmi, "É Doce Morrer no Mar", Canções Praieiras (1954)
Dorothy Ashby, "The Moving Finger", The Rubaiyat Of Dorothy Ashby (1970)

Bonsoir, pour sa rentrée, Goutte de Funk va se consacrer presque exclusivement à l'inventeur de la psychedelic soul au sein du label Tamla Motown : Norman Whitfield.

Dans cette nouvelle grille des programmes divergente, Goutte de Funk s'allonge d'une demi-heure et glisse un peu plus vers le nocturne, ce qui est tout à fait pour nous réjouir, le moment étant le plus propice aux bonnes vibrations de ce calibre. Sans aller jusqu'à évoquer le "régime nocturne", cher à l'anthropologue Gilbert Durand, on avancera que si les vertus curatives de la Goutte de Funk sont tout aussi actives en début de matinée, pour prévenir les attaques au moral risquant de survenir plus tard dans la journée, pour moi, humble Dr. Funkathus, il est infiniment plus délicat d'être dans la bonne disposition d'esprit pour pratiquer ce type d'intervention aux aurores (à moins de retourner me coucher quelque temps après)...

Et que nous réserve aujourd'hui cette rentrée radiophonique ? Encore une fois, Goutte de Funk va se consacrer à un hommage à quelques géants venant de nous quitter ces dernières semaines. L'émission se veut pourtant de bonne humeur et ne demanderait finalement qu'à débiter ses élucubrations sans conséquences entre deux bonnes tranches de groove, mais les nécros s'accumulent comme le calcaire au fond de ma cafetière. C'est un peu inévitable, me direz-vous, le funk ayant fêté ses 40 ans en 2007, ses légendes vivantes commencent à se faire rare. 

Derniers membres en date du Funkin' in Heaven and Hell All-Stars Club, pas des moindres : Isaac Hayes, le 10 août, et Norman Whitfield, le 16 septembre. C'est à l'œuvre de ce dernier nous allons accorder la majeure partie de cette émission de rentrée sur Divergence-FM.

La presse a assez largement repris l'information et consacré des hommages qui, pour brefs et médiocres qu'ils soient, témoignaient néanmoins de l'importance de ces artistes. Ainsi, eu égard à l'immense carrière d'Isaac Hayes comme musicien, il m'a semblé disproportionné, dans des articles aussi courts, d'accorder autant de place à ses activités de "doubleur" dans South Park. La portion était encore plus congrue pour Norman Whitfield. Et, pire encore, nulle part je n'ai vu annoncé le décès de Dorival Caymmi, le 16 août dernier. Outre la vibrante évocation que nous lui réserverons dans quelques instants, je suis certain que, sur nos ondes, Araponga rendra à Caymmi l'hommage qui lui est du.

Nous reviendrons dans une prochaine émission sur Isaac Hayes, histoire de célébrer le tranquille basculement de Goutte de Funk vers cet horaire plus tardif, histoire de fêter la nuit et ses nourritures terrestres avec la musique d'Isaac Hayes. Mais ce soir, nous consacrons le Gros Morceau, ce qui pourrait devenir le titre d'une rubrique, à Norman Whitfield.

Norman Whitfield, "qui ça ?". C'est malheureusement ce que demanderait la majorité de nos concitoyens. Si mon élan quantitativo-positiviste avait du temps à perdre, il bloquerait les issues de la rue de la Loge, entre la Comédie et la place Jaurès, délimiterait un tronçon de plage à Palavas, renouvellerait l'expérience en mille autres lieux, et interrogerait les gens pris dans les mailles pour, j'en suis persuadé, invariablement obtenir les mêmes résultats, désolants quant à la culture musicale de nos compatriotes : si sur ces échantillons, pris au hasard, un seul petit % connaissait Norman Whitfield, je serais soulagé et pourtant, je doute même que cela soit le cas...

Eh oui, c'est dur d'être un démiurge plutôt qu'un frontman à minettes... Ce soir, nous allons donc, modestement, contribuer à réparer cette injustice et rendre à cet impérial producteur ce qui lui revient.

Régulièrement, depuis des années, je m'interrogeais : comment se fait-il qu'aucun artiste de la nouvelle génération n'ait été déloger la légende Norman Whitfield de sa retraite. Je restais persuadé que son sens visionnaire des architectures musicales saurait donner un relief inédit au travail de ses jeunes contemporains. J'étais alors certain qu'il aurait bénéficié, pour l'occasion, d'une couverture médiatique digne de ce nom, qu'il aurait été re-découvert et aurait coulé ses vieux jours auréolé d'une gloire tardive auprès du grand public. Hélas, cela ne sera pas. Il ne nous reste donc que la rétrospective pour l'évoquer ici. Quant à la gloire, nulle inquiétude, les amateurs de la chose funk et soul l'ont depuis longtemps accueilli dans leur sanctuaire et l'Histoire, quant à elle, sait reconnaître ceux qui laissent une trace plus profonde qu'une crotte de lapin. Et sa place dans l'Histoire est majeure, rien moins que l'invention du son de la Tamla-Motown deuxième période, la Motown 2.0 comme on dirait maintenant, à savoir la psychedelic soul, une façon bien à lui de le remettre en prise avec son temps.

Né en 1940, Norman Whitfield est décédé le 16 septembre 2008, de complications liées au diabète. Une maladie dont Nick Tosches, qui en souffre lui-même, prophétisait qu'aux Etats-Unis, elle allait devenir un fléau plus meurtrier encore que le sida. Natif de New York, le jeune Norman suit sa famille à Détroit, Michigan. Présent quasiment depuis les débuts de la Motown, il fut repéré dès ses 19 ans pour sa détermination à intégrer le label par son fondateur, Berry Gordy, et en a gravi les échelons avant d'en devenir une des personnalités les plus influentes. 

Otis Williams, une des voix des Temptations, le connaissait déjà avant la Motown et racontait qu'il produisait un effet certain sur la gente féminine : "You know Norman and I go back even further than Motown, because I first got to know Norman back in 1958 when he was with Popcorn Wylie and the Mohawks. I tell you, even back then he stood out in the crowd. We'd play these dates and I'd watch the women watching him, going 'Oh my God, look at the light skinned one on the end' and the girls were going ga-ga over him even then!" Dans la logique de division du travail qui caractérise le label, il est embauché pour participer à l'écriture des chansons. Il appartient également au Service Qualité qui sélectionne les morceaux qui seront publiés. Il connaissait donc déjà tous les rouages du label avant d'y acquérir le rôle éminent que l'on va évoquer ce soir.

"I Heard It Through the Grapevine" en vagues successives...
Norman Whitfield avait beau faire partie de l'équipe du Quality Control, ce n'est pas pour autant qu'il avait "carte blanche" pour choisir les morceaux qui devaient sortir en singles. Les péripéties liées à ce qui allait devenir un titre-phare de l'aventure Motown, "I Heard It Through the Grapevine", sont révélatrices de l'obstination de Whitfield mais aussi du mode de fonctionnement du label. Les réunions du Quality Control avaient lieu tous les vendredis matins pour décider des sorties de la semaine suivante. Les choix se faisaient par un vote tout ce qu'il y a de démocratique. Certains étaient bien sûr plus égaux que d'autres. Au moins concernant Berry Gordy qui, lui, possédait un droit de veto.

Avant de devenir un tube interprété par Gladys Knight & The Pips, le titre subit trois rebuffades. Norman Whitfield, qui avait écrit le morceau avec Barrett Strong, était convaincu de son potentiel commercial. Il en enregistra une première version, interprétée par Smokey Robinson & The Miracles. Elle ne passa pas le cap du Quality Control. Cela ne fit pas baisser les bras à notre homme. Il embaucha alors les Isley Brothers pour un nouvel enregistrement qui... connut le même sort que le premier. D'autres auraient certainement baissé les bras, pas lui, toujours persuadé de tenir là un hit en puissance. Il la proposa cette fois-ci à Marvin Gaye et choisit d'en ralentir la cadence. Berry Gordy n'était toujours pas convaincu.

Pas démonté, animé de la même conviction, Norman Whitfield en enregistra alors une quatrième version, interprétée cette fois-ci par Gladys Knight & The Pips, des "seconds couteaux" de la Motown, originaires d'Atlanta, toujours au cours de l'année 1967. Il leur accorda quelques semaines pour parfaire leurs arrangements vocaux, après que Marvin Gaye ait quand même passé deux mois sur la sienne, ce qui témoigne si besoin est du soin apporté à la production. La version cette fois-ci uptempo pouvait sonner assez "sudiste", inspirée notamment par le "Respect" d'Aretha Franklin... Ca y est, cette fois-ci, c'était la bonne. Et encore, ce ne fut pas sans mal que Gordy céda. En effet, selon l'article Wikipédia consacré à cette chanson, Norman Whitfield dut prendre Berry Gordy entre quatre yeux et le "séquestrer" pour lui faire écouter cette dernière mouture. (Cette émission ayant été diffusée en septembre, en en reprenant aujourd'hui le texte, je ne peux qu'être frappé par le parallèle avec l'actualité récente, qui abonde de cadres dirigeants séquestrés par leurs employés touchés par des plans sociaux. Mais j'ignore bien si Berry Gordy le fut au sens propre par Norman Whitfield. Auquel cas, on conseillera à tous les travailleurs tentés par la perspective de faire subir pareil sort à leur patron, de se démarquer des paroles d'un autre tube composé par Norman Whitfield : "Ain't Too Proud to Beg" !). 

Quoi qu'il en soit, si le titre bénéficia d'une sortie en 45 tours, cela fut sans gros effort promotionnel. Les Pips durent s'appuyer sur leur réseau de disc-jockeys amis de par le pays pour obtenir que le disque soit diffusé sur les radios. Avec succès, puisque le morceau grimpa jusqu'au n°1 des charts R&B, le 25 novembre 1967 et devint en quelques semaines le single le plus vendu par Motown à ce jour.

Cela ne suffisait pas encore à Norman Whitfield. In extremis, il obtint que la version de Marvin Gaye sur son nouvel album, In The Groove. Et ce fut "I Heard It..." qui fut le plus diffusé par les disc-jockeys, plutôt que le single officiel de l'album, "You". Si le flair artistique de Berry Gordy fut pris à défaut sur ce coup-là, il n'en fut pas de même de son sens des affaires. Aussi la sortie en single fut-elle décidée. La version de Marvin Gaye devint donc, à son tour, après celles des Pips, n°1 des charts R&B et disque Motown le plus vendu (détrôné plus tard par le "I'll Be There" des Jackson 5).

Bien des années plus tard, félicité pour le son "révolutionnaire" de ce morceau, comparé à du "vaudou moderne" lors d'une interview, le journaliste lui demanda s'il avait eu l'impression de créer quelque chose de très particulier. Marvin Gaye eut l'honnêteté de reconnaître qu'il n'y était pour rien : "J'étais trop jeune pour réagir ainsi et je ne me considérais pas encore comme un artiste. Je me contentais de faire tout mon possible pour qu'on puisse tirer quelque chose des chansons que j'interprétais, pour qu'on puisse en faire des disques. J'étais en studio avec Norman Whitfield, un producteur très doué qui travaillait aussi avec les Temptations à l'époque. Il m'a montré une voie que je croyais adéquate et je me suis lancé" (Les Inrockuptibles n° 25, 1990).

Et, bien sûr, dans toutes ces versions, ce sont les Funk Brothers qui jouent derrière !

Motown et le nouvel esprit du temps
Un signe de l'importance que prit Norman Whitfield au sein de la Motown s'illustre par le fait qu'il prit les rennes des Temptations, qui étaient la plus belle vitrine du label, sa garantie d'excellence absolue. Le brain en plus, c'est un peu comme quand on dit de Ribéry qu'on lui "a donné les clés de l'équipe de France", Berry Gordy avait donné à Norman Whitfield les clés des Temptations, et par extension la direction artistique du label.

La ligne claire qui avait imposé le succès commercial du label commençait à apparaître un peu trop aseptisée au regard de l'agitation de ces années-là : James Brown inventait le funk stricto sensu et balançait ses morceaux comme autant de bâtons de dynamite, Jimi Hendrix révolutionnait le language de la guitare et se voyait adulé par un public rock et blanc, Sly osait un hybride de soul et de rock pour inventer son funk nerveux, sans parler de la bande de déjantés menés par George Clinton qui avaient abandonné le doo wop pour le funk psychédélique, embarqués dans un gros trip d'acide. La Motown avait pris un sacré coup de vieux. Il fallait la remettre en prise avec le zeitgeist de ces années d'effervescence. La tache fut principalement confiée à Norman Whitfield. Et c'est dans le rôle de producteur qu'il put s'épanouir et rayonner. Il ne se contenta pas de suivre le goût du jour, il imposa sa vision. 

Norman Whitfield et son compère parolier Barrett Strong furent une des paires de compositeurs les plus inspirés de la Tamla Motown. On leur doit l'ouverture du label sur des thèmes plus sociaux et politiques. Mais le duo savait aussi trousser des love songs qui ne reculait pas devant l'hyperbole. Ainsi ce "You've got my soul on fire", ici interprété par un Edwin Starr au bord de l'apoplexie. Et que dire de ce "Can't get next to you" : "je peux bâtir un château à partir d'un seul grain de sable, je peux faire naviguer un bâteau sur la terre ferme mais ma vie n'est pas complète si je ne peux être près de toi".

C'est cependant par son ouverture sur des thèmes en prise avec les changements sociaux que la paire Whitfield/Strong parvint à être en résonance avec le climat de l'époque. Encore aujourd'hui, certains de ces refrains gardent toute leur acuité. "War", l'hymne pacifiste en réaction à la guerre du Vietnam, interprété par Edwin Starr, est un titre qui aurait pu prendre un sérieux tour d'actualité ces derniers mois. Heureusement, si le gouvernement américain s'apprête à verser 700 milliards de $ dans son système bancaire, cela laissera moins de marge aux projets belliqueux. On doit en faire péter le Champomy du côté de Téhéran.

Les tensions raciales sont évoquées sans tabou, mais toujours avec la volonté de cross-over qui caractérise l'aventure Motown depuis ses origines, comme l'illustre les paroles de "Message From a Black Man", composé pour les Temptations :

"No matter how hard you try
You can't stop me now
No matter how hard you try
You can't stop me now
Yes, my skin is black
But that's no reason to hold me back
Oh think about it, think about it,
Think about it, think about it
Think about it, think about it, think about it.

I have wants and desires just like you
So move on aside cause i'm a-comin' through
Oh no matter how hard you try you can't
Stop me now
No matter how hard you try you can't stop me now.

Yes, your skin is white
Does that make you right
Walk on and think about it, think about it
Think about it, think about it
Think about it, think about it, think about it.

This is a message, a message to y'all
Together we stand divided we fall
Black is a color just like white
Tell me how can a color determine whether
You're wrong or right
We all have our faults yes we do
So look in your mirror (Look in the mirror)
What do you see? (What do you see?)
Two eyes, a nose and a mouth just like me.

Oh your eyes are open but you refuse to see
The laws of society were made for both
You and me
Because of my color I struggle to be free
Sticks and stones may break my bones
But in the end you're gonna see my friend

Say it … (No matter how hard you try you can't stop me now)
Say it … (No matter how hard you try you can't stop me now)
Say it loud! I’m Black and I’m Proud!
(No matter how you can’t stop me now.)
Say it loud! I’m Black and I’m Proud!
(No matter how you can’t stop me now.
)"

Qui a dit qu'une pop song n'avait rien à dire ? Parvenir à faire un tube d'une chanson qui décrit les structures familiales mises à mal par l'absence du père est, reconnaissons-le, sacrément osé (surtout quand l'intro instrumentale s'éternise plus de 4 minutes avant que les voix n'entrent en scène). Car c'est bien cela le sujet de "Papa was a Rolling Stone". La démission paternelle n'est pas propre aux familles noires américaines, comme l'ont montré les travaux de l'anthropologue Oscar Lewis, mais elle est inscrite ici dans ce contexte particulier à travers la figure emblématique du rolling stone, vagabond, magnifique ou complètement paumé selon le point de vue, buveur et coureur de jupons. La chanson raconte les interrogations d'un jeune garçon concernant cette figure paternelle qu'il ne connaît que par les rumeurs négatives circulant sur son compte et qui somme sa mère de lui dire la vérité sur cet homme. 


"It was the third of September.
That day I'll always remember, yes I will.
'Cause that was the day that my daddy died.
I never got a chance to see him.
Never heard nothing but bad things about him.
Mama, I'm depending on you, tell me the truth.

And Mama just hung her head and said,
"Son, Papa was a rolling stone.
Wherever he laid his hat was his home.
(And when he died) All he left us was ALONE."
"Papa was a rolling stone, my son.
Wherever he laid his hat was his home.
(And when he died) All he left us was ALONE."

Well, well.

Hey Mama, is it true what they say,
that Papa never worked a day in his life?
And Mama, bad talk going around town
saying that Papa had three outside children and another wife.
And that ain't right.
HEARD SOME talk about Papa doing some store front preaching.
TalkIN about saving souls and all the time leeching.
Dealing in debt and stealing in the name of the Lord.

Mama just hung her head and said,
"Papa was a rolling stone, my son.
Wherever he laid his hat was his home.
(And when he died) All he left us was ALONE."
"Hey, Papa was a rolling stone.
Wherever he laid his hat was his home.
(And when he died) All he left us was ALONE."

Hey Mama, I heard Papa call himself a jack of all trade.
Tell me is that what sent Papa to an early grave?
Folk say Papa would beg, borrow, steal to pay his bill.
Hey Mama, folk say that Papa was never much on thinking.
Spent most of his time chasing women and drinking.
Mama, I'm depending on you to tell me the truth. Mama looked up with a tear in her eye and said,
"Son, Papa was a rolling stone. (Well, well, well, well)
Wherever he laid his hat was his home.
(And when he died) All he left us was ALONE."
"Papa was a rolling stone.
Wherever he laid his hat was his home.
(And when he died) All he left us was ALONE."

"I said, Papa was a rolling stone. Wherever he laid his hat was his home.
(And when he died) All he left us was ALONE.
"

Nous pourrions multiplier les exemples de chansons où critique sociale et justesse sociologique s'expriment sous forme de portraits sans fards de l'Amérique noire. On n'oubliera pas de dire : "Merci Barrett". En effet, l'apport de Barrett Strong est primordial dans cette longue série de chefs d'œuvre composé par le duo, car c'est bel et bien lui qui écrivait les paroles. 

L'Ambition du grand-œuvre
Mais, outre les thèmes abordés, Norman Whitfield se chargea de faire exploser le carcan Motown par des architectures sonores toujours plus ambitieuses. Les morceaux acquirent des longueurs inhabituelles, fréquemment autour d'une dizaine de minutes. Les arrangements sollicitaient aussi bien des sections de cordes que des percussions, voire des boîtes à rythmes, ce qui au début des années 70 était carrément novateur, tandis que de nouveaux guitaristes comme Dennis Coffey ou Melvin Ragin initiaient le son Motown aux délices furieux de la pédale wah wah. Le tout sonnait à la fois plus funk et psyché, d'où le terme psychedelic soul qui allait désormais coller au travail de Norman Whitfield. Personnellement, je préférerais que l'on parle de Symphodelic Soul car il traduit l'ambition de notre homme. En effet, Whitfield travaillait à son grand-œuvre, peaufinant ses compositions en les faisant enregistrer par différents interprètes, comme nous l'avons déjà expliquer à travers l'exemple du morceau "I Heard it Through the Grapevine". A ce titre, rien n'est plus révélateur de cette démarche que son travail avec le trio The Undisputed Truth. Composé à l'origine de Joe Harris, Billie Rae Calvin et Brenda Joyce, le groupe est monté de toutes pièces par Whitfield. N'ayant pas la notoriété des Tempts, il a les mains libres pour expérimenter avec eux son répertoire. Il est en effet très frappant de constater que celui-ci est quasiment le même que celui de leurs glorieux partenaires de label : "Papa was a Rolling Stone", "Ball of Confusion", "Smiling Faces...". Ce qu'enregistrait les Temptations était donc interprété également par The Undisputed Truth. Là où l'on trouvait une certaine similarité entre les versions, on serait alors tenté de parler d'esquisse, de brouillon. Sinon, d'expérimentations, de recherches...

Parce que les Temptations étaient le groupe-phare de la Motown, c'est par le biais de leur collaboration que les productions de Norman Whitfield firent vite autorité. C'est une dizaine d'albums qu'il réalisa pour le groupe entre With a Lot O' Soul, en 1967, et 1990, en 1973. Les Temptations abandonnèrent vite leurs costumes pour des chemises à fleurs, chaque membre du groupe pouvant se distinguer et n'étant plus tenu de porter la même tenue uniforme que ses partenaires. Tous, par contre arboraient, désormais une coupe afro du meilleur effet.
La photo ci-contre date de 1973. Elle est extraite du verso de la pochette  de Masterpiece et elle illustre un point de non-retour. Le groupe vécut très mal le fait que leur producteur apparaisse plus gros qu'eux sur la photo. Nous disions que Norman Whitfield était cantonné, de par son rôle, à être un homme de l'ombre. Cela ne l'empêchait pas d'avoir une haute idée de son rôle et de grandes ambitions quant à son travail. La photo est une belle métaphore du démiurge qui tient sa créature dans son esprit.

Interrogé en 2001, Otis Williams, un des membres d'origine du groupe, avait toujours quelque mal à digérer la chose et en garde une certaine rancœur : "Vous parlez de quelqu'un qui voulait tout contrôler et qui se comportait de façon quasiment dictatoriale en studio, avec des idées arrêtées, très rigides, sur ce qu'il voulait. A l'époque de Masterpiece, on a commencé à se sentir comme Norman Whitfield & The Temptations, comme si notre travail sur l'album n'était qu'un ajout. Ca vous donne une idée de l'ego du gars, que sa photo soit plus grosse que la nôtre !" ("You are talking about a man who was into control and almost dictatorial in the studio, with very rigid ideas about what he wanted and how he went about getting it. (...) It was about that time that we began to see ourselves as Norman Whitfield and the Temptations, that our work on the album was almost an afterthought. It gives you an idea of the ego of the man that his image should be bigger than ours, but as I said earlier we had a tremendous run of success with Norman and I'm not about to knock that"). 

Ayant quitté la Motown quand le succès commençait à le fuir, Norman Whitfield monta son prore label, Whitfield Records, en 1973, afin de poursuivre ses expériences soniques. Il entraîna donc sa créature (The Undisputed Truth) dans l'aventure, mais aussi Edwin Starr, Junior Walker ou Rose Royce. Du son sympho-delic qui fit sa renommée, il glissa plus avant vers le funk et le boogie dans sa version modernisée disco.
Déjà, cette même année, alors qu'il était encore sous contrat avec le label de Berry Gordy, il signa deux titres de l'album G.I.T. (Get It Together) des Jackson 5. Deux titres à rallonge comme il savait si bien en produire : "Mama I Got A Brand New Thing (Don't Say No)" et "Hum Along and Dance". Pour ce dernier titre, emmené par les lead-vocals de Jackie et Tito, on a droit à 8 minutes 38 de pure folie où la batterie marque le break et reste omniprésente : pas de la gnognotte sirupeuse, du gros funk qui déchire.

S'il grapilla encore quelques hits de ci, de là, les années 70 post-Motown demeure la partie de son œuvre qui est la moins connue. Certes, il n'invente plus le son qui caractérise son époque, il n'est plus celui qui sait "what time it is", mais pourtant, les amateurs de funk peuvent continuer à s'abreuver jusqu'à plus soif dans ses productions d'alors tant leur groove reste infaillible. On illustrera ce soir cette période par le terrible "Tazmanian Monster" (quel titre !?), interprété par ses fidèles Undisputed Truth, mais aussi par le célèbre "Car Wash" de Rose Royce. Le titre fait partie de la B.O. du film éponyme. Est-ce sa dernière véritable heure de gloire ? En tout cas, en 1977, le film était en compétition au Festival de Cannes et Norman Whitfield reçut à cette occasion le Prix de la Meilleure Participation Musicale. A-t-il foulé le tapis rouge et monté les marches, je l'ignore mais nous resterons sur cette image plutôt que d'évoquer ses démêlés avec le fisc... Et l'on continuera de rêver à ce qu'il aurait pu réaliser comme architecture sonore, qui soit plus qu'un simple écrin, pour la voix de nos interprètes contemporains. Est-il idiot de se dire qu'un album de, au hasard, Erykah Badu produit par Norman Whitfield, ça aurait pu avoir de la gueule ?


Dorival Caymmi, son esprit flotte encore au bord de nos rivages

Ici même, bien que sa musique soit pourtant à mille lieues du funk, nous souhaitons vivement rendre un hommage à Dorival Caymmi, tant il occupait une place si particulière dans le cercle très restreint de mon Panthéon personnel. L'œuvre de Caymmi est fondatrice d'une partie de la musique brésilienne contemporaine, bahianaise en particulier. João Gilberto le citait comme sa référence absolue, plus importante encore que celle de Jobim, dont il aura pourtant donné aux chansons les traits qui traverseront les époques. Bahianais comme lui, il retrouve derrière sa trompeuse simplicité, l'identité de son peuple. Caymmi, l'homme, sous ses airs débonnaires, sa réputation de paresseux, était un sage. Bahianais, installé depuis les années quarante à Rio, il a su donner de "son peuple", le portrait le plus touchant, avec le même amour que son grand ami le romancier Jorge Amado. De son vivant, il avait déjà une place à son nom dans le village de pêcheurs d'Itapoã, en bordure de Salvador, tant il a littéralement immortalisé son ambiance, la rudesse de la vie de ses hommes de la mer dans son album Canções Praieiras. Itapoã, d'où l'on voit encore les plus rudimentaires des jangadas partir en mer. Caymmi, pourtant, la mer il l'admirait par la contemplation avant tout, d'ailleurs il ne savait même pas nager.



Mais si nous ressentons, le besoin de lui rendre hommage, c'est aussi que son esprit nous a visité. Cet été, j'eus un jour la soudaine et irrépressible impulsion d'écouter quelques unes de ses chansons, ce que je n'avais pas fait depuis plusieurs mois. Il s'agissait justement des Canções Praieiras qui me touchèrent alors en cet instant avec une forte émotion. En particulier, "E Doce morrer no mar" ("il est bon de mourir en mer"). Le lendemain matin, j'appris qu'il venait de mourir la veille, à 94 ans. L'esprit de cet homme était si fort, que dans ses derniers souffles, il circula ainsi jusqu'à nous. Ce fut une impression troublante. A posteriori bien sûr. Pour finir l'histoire, quelques jours après, j'appris que Stela Maris, sa femme depuis 1939, venait également de s'éteindre, exactement une semaine plus tard.

Dorival Caymmi ne composa en tout et pour tout qu'une centaine de chansons de toute sa vie. Mais nombre d'entre elles sont devenues des standards que, comme c'est souvent le cas, vous connaissez peut-être sans en savoir l'origine ni l'auteur. Il en va ainsi de l' "âme des poètes" qui pourtant nous accompagne par-delà les ans.

Introuvable autrement que par compilations interposées, ou interprétée par d'autres artistes (à moins d'aller fouiner sur Loronix), sa discographie sera enfin ré-édité, par le biais d'un de ces mécénats si répandus au Brésil. Cette fois-ci, c'est la marque de cosmétiques Natura qui, par le biais de son projet richement doté, Natura Musica, s'y colle. L'autre volet majeur du programme est une nouveauté, au milieu de toutes ces commémorations : le premier album studio de Lenine depuis 6 ans, Labiata. On connaissait l'auteur-compositeur, l'interprète, on découvre aujourd'hui l' "orquidólatra", tel que lui-même s'auto-définit, puisque la labiata qui donne son titre à l'album est le nom d'une variété d'orchidée. "C'est une fleur d'une grande adaptabilité, elle peut être cultivée aussi en altitude qu'en plaine. C'est une fleur délicate mais très robuste et résistante. Elle est comme la musique brésilienne, elle ne meurt jamais", raconte un Lenine très en verve sur le sujet. Car notre "orchidolâtre" écolo en cultive lui-même une grande variété dans sa serre. 




Les goûts musicaux, le profil psychologique et le vin

Pour finir, nous allons faire un test : exceptionnellement, nous allons trinquer à distance. D'habitude, à Divergence, il y a toujours au moins une bouteille de vin entamée qui traîne, ou un vieux cubi. Car, en effet, pour que cette expérience soit une réussite, il importe que le vin ne soit pas d'une qualité extraordinaire, point besoin d'un grand cru. Un vin ordinaire, un bon petit vin de table correct comme nous avons la chance d'en trouver si nombreux dans la région, fera l'affaire. Un test point trop onéreux, donc...

Vous avez peut-être lu de brefs compte-rendus d'une étude d'Adrian North, chercheur de l'Université Heriot-Watt d'Edimbourg, sur les rapports entre la personnalité et les goûts musicaux. L'étude, pour qu'elle puisse prétendre à une quelconque pertinence, avait fait les choses en grand et North avait donc interrogé plus de 36 000 personnes (36518 pour être précis) sur leurs goûts musicaux (à choisir parmi 104 genres différents, pour être précis). Vous-même pouvez y participer en vous rendant sur son site (www.peopleintomusic.com). Libé avait ainsi titré son article "Les Fans de metal sont des êtres très délicats". Je ne connais pas ce qu' Adrian North a constaté de la personnalité des amateurs de funk, par contre, sachez que, selon le résumé de L'Express, les amateurs de soul "décrochent le jackpot: ils sont, selon l'étude, créatifs, extravertis, doux, bien dans leur peau et ont une bonne estime d'eux-mêmes". Ravi de l'apprendre.

Une des grandes conclusions de cette recherche serait : à travers la musique choisie, on cherche à dire au monde quelque chose sur soi. Bel effort, la souris ainsi accouchée se porte bien. Son géniteur aussi puisque Adrian North a également réalisé une autre étude sur l'influence de la musique : comment elle change la perception que l'on peut avoir d'un vin. Réalisée à une plus petite échelle (environ 250 personnes), elle ne possède aucune valeur scientifique mais fut commandée par la marque de vins chilienne Montes, probablement une de ces entreprises dont Jonathan Nossiter dénonce le goût facile et "mondialisé".

Nous en prendrons néanmoins prétexte pour trinquer à cette nouvelle année de Goutte de Funk. Nous choisirons pour le test de cette dégustation un titre de Dorothy Ashby. La harpiste de jazz a consacré, en 1970, un étonnant album aux Rubbâ'iyat d'Omar Khayyâm (1048-1131), l'ode au vin du grand poète persan. Outre la harpe, elle joue aussi du koto sur ce disque et le fait groover comme personne.

Quittons-nous donc sur un de ces avisés quatrains du vieux sage Khayyâm :

"Ô toi qui ne bois pas de vin, ne blâme pas ceux qui s'enivrent
Entre l'orgueil et l'imposture, pourquoi vouloir tricher sans fin ?
Tu ne bois pas, et puis après ? Ne sois pas fier de l'abstinence
et regarde en toi tes péchés. Ils sont bien pires que le vin."


Sam Cooke, ou Comment Devenir le plus Grand Chanteur Soul de tous les Temps

GdF #2.8 - Avril 2008
Goutte de Funk @ Divergence-FM

Play-List :
Sam Cooke, "A Change Is Gonna Come", (Ain't That) Good News (1964)
Sam Cooke, "Mean Old World", Night Beat (1963)
Sam Cooke, "Nobody Knows The Trouble I've Seen", Night Beat (1963)
Sam Cooke, "Another Saturday Night", (Ain't That) Good News (1964)
Sam Cooke, "Chain Gang", Swing Low (1960)
Sam Cooke, "Having A Party", Portrait Of A Legend 1951-1964 (1962)
Sam Cooke, "Everybody Loves To Cha Cha Cha", Hit Kit (1959)
Sam Cooke, "Only Sixteen", Hit Kit (1959)
Sam Cooke, "(I Love You) For Sentimental Reasons", Hit Kit (1959)
Sam Cooke, "Summertime", Sam Cooke (1958)
Sam Cooke, "You Send Me", Sam Cooke (1958)
Sam Cooke & The Soul Stirrers, "I'll Come Running Back To You", The Complete Specialty Recordings Vol. 3 (1956)
Sam Cooke & The Soul Stirrers, "Happy In Love", The Complete Specialty Recordings Vol. 3 (1956)
Sam Cooke & The Soul Stirrers, "Come And Go To That Land (Take 1 Alternate)", The Complete Specialty Recordings Vol. 2 (1953)
Sam Cooke & The Soul Stirrers, "Jesus Gave Me Water", The Complete Specialty Recordings Vol. 1 (1951)
Sam Cooke & The Soul Stirrers, "Pray (Incomplete)", The Complete Specialty Recordings Vol. 2 (1955)
Sam Cooke & The Soul Stirrers , "Jesus, I'll Never Forget", The Complete Specialty Recordings Vol. 2 (1954)
Sam Cooke, "Soul", Portrait Of A Legend 1951-1964
Sam Cooke, "(What A) Wonderful World", Portrait Of A Legend 1951-1964 (1959)

Bibliographie :
Peter Guralnick, Dream Boogie : The Triumph of Sam Cooke,

A l'heure de la télé-réalité et des programmes pour devenir une nouvelle vedette, pour tous ceux qui se rêvent déjà en haut de l'affiche mais ne finiront par tomber que de la hauteur d'un strapontin, Goutte de Funk propose de vous aviser en vue d'un développement personnel de grande ampleur, illustré par l'exemple édifiant de Sam Cooke.

Aujourd'hui, 1ère étape : mangez des eskimos
Donc, vous voulez chanter. Voici alors le conseil de Goutte de Funk pour devenir la Nouvelle Soul Star : commencez par manger des eskimos. J'ai bien dit des eskimos, pas des cônes, ni des cornets. Vous me direz, ça tombe bien, les beaux jours arrivent. Rien d'une corvée là-dedans, pas de discipline trop astreignante....

Prenez exemple sur le plus grand chanteur soul de tous les temps et mangez des eskimos. N'oubliez pas de garder les bâtons. A partir de la vingtaine, vous pouvez commencer à pratiquer. Plantez-les bien alignés dans le sol, si vous êtes en appartement un simple pot de fleur fera l'affaire. Et là, faites comme Sam Cooke à l'âge de neuf ans, dites-vous : "c'est mon public. Je vais chanter pour ces bâtons. Ca me prépare pour mon futur".

Maintenant, concernant les étapes suivantes, on en reparlera. Et si, sur la base de ce premier conseil, vous devenez effectivement la nouvelle soul star, rassurez-vous, Goutte de Funk ne vous demandera aucun pourcentage. Simplement, pas d'ingratitude, pensez à remercier le bon Dr. Funkathus pour sa science empirique et, surtout, surtout, rendez le plus vibrant des hommages à Sam Cooke.

Maintenant si vous n'avez pas de talent, réjouissez-vous au moins de ce que les salles de bains ont déjà une bonne acoustique.

Au programme du jour, nous évoquerons donc celui qui est peut-être le plus grand chanteur soul de tous les temps. Dream Boogie : The Triumph of Sam Cooke, la biographie que lui a consacré Peter Guralnick, nous offrira toute la matière de cette émission. Aujourd'hui, pourtant, rares certainement sont ceux que le citerait comme référence suprême en la matière. Nul doute que la postérité a offert à Otis Redding ou Marvin Gaye plus de notoriété, mais pourtant leur carrière a pris la sienne pour modèle initial.

Il n'y a aucune actualité autour de Sam Cooke, si ce n'est que personnellement je viens de lire le Guralnick, mais qu'importe, Goutte de Funk n'a pas la contrainte de coller à l'instant présent. Et, pourtant... Sam Cooke n'a pas d'actualité mais, à bien y réfléchir, son charisme pourrait trouver un écho dans une figure marquante de la scène politique américaine. Dans la manière de vouloir s'imposer à l'ensemble de la société américaine, sans rien renier de son identité, en cherchant bien, on pourrait trouver quelques similitudes avec la figure de Barack Obama, en tête dans la course à l'investiture du côté des Démocrates. La récente gaffe (?) d'Hillary Clinton annonçant qu'elle continuerait à se battre pour être prête au cas où, comme Bobby Kennedy, Obama serait assassiné, comme Sam Cooke l'a été pour un sordide malentendu, en dit long sur la résistance au changement d'un pays marqué en profondeur par ses clivages. Malgré tout, c'est bel et bien une forme de changement radical qu'incarne le sénateur de l'Illinois, peut-être pas au niveau politique, on s'en doute, mais au niveau symbolique, par une véritable rupture vis-à-vis de préjugés séculaires.

Certes, on pourra toujours n'y voir qu'une stratégie de calcul électoral, mais l'ambition de Barack Obama est avant tout d'être considéré pour lui-même et non pour le fait d'être Noir. De même, avec cinquante ans d'avance, en plein mouvement pour les Droits Civiques, Sam Cooke incarnait une forme radicale de cross-over, alors même que dans la forme ses chansons et leurs arrangements pouvaient paraître empreintes de concessions. Sam Cooke, à sa façon, va tomber des barrières, la première en abandonnant le gospel pour se lancer dans une carrière profane, la deuxième en visant le succès pop, c'est-à-dire à être apprécié aussi bien du public blanc que du public noir. "You have to be universal", avait-il coutume de dire...

Si les circonstances troubles de sa mort jettent leur ombre, Sam Cooke fut pourtant un homme de la lumière, une personnalité rayonnante et positive qui pourrait finalement être la parfaite antithèse de l'image la plus courante d'un chanteur de soul. Jamais Sam Cooke n'aurait mis "ses tripes sur la table", comme on pourrait imaginer qu'un chanteur soul devrait le faire pour exacerber la tension émotionnelle jusqu'à son climax. Sam Cooke chantait, tout simplement, de la plus belle et élégante des manières.

Enfance et débuts
A lire, le très complet ouvrage de Peter Guralnick, on a très vite l'impression d'être en face d'un enfant paré de toutes les qualités, y compris celle d'être sympa. On est même à deux doigts de l'hagiographie.

L'anecdote des bâtons d'eskimos est racontée par son jeune frère L.C.. Sam avait alors 9 ans et voyait déjà loin : "Je ne travaillerais jamais 9-to-5 car dès que tu commences, le système est conçu pour te contraindre à toujours continuer à travailler sans échappatoire : tout ce que tu vas faire, c'est vivre d'un jour de paie à l'autre, et à la fin de la semaine t'es fauché, cassé... J'ai 7 ans, lui 9, et il me parle du "système". "Eh, Sam, mais alors qu'est-ce que tu vas faire si tu ne vas pas travailler ?". Il a dit : "je vais chanter et je vais me faire un paquet de fric". Et c'est exactement ce qu'il a fait" (cf. Guralnick, Dream Boogie, p. 7).


Né en 1931 et issu d'une famille originaire du Mississipi, fils d'un révérend, Sam Cooke grandit dans un environnement religieux et musical. Si très tôt, il semble posséder une inébranlable confiance en lui, nul doute que l'environnement familial, chaleureux et stimulant y fut pour beaucoup. Ses parents Charles et Annie Mae, s'ils n'ont jamais privilégié n'importe lequel de leurs enfants plutôt qu'un autre, tous étant leur fierté, ont toujours reconnu que Sam possédait l'étincelle qui le rendait plus brillant...

Famille nombreuse et soudée, les Cook incarnaient la devise "Un pour Tous, Tous pour Un" : si vous cherchiez des noises à l'un d'eux, c'est toute la tribu que vous aviez sur le dos. Famille accueillante : les copains des enfants étaient toujours les bienvenus à la maison et invités à partager les bons petits plats de Mama Cook. La famille jouissait d'une certaine stabilité, le révérend Cook tirait fierté de pouvoir toujours nourrir une famille de dix personnes et de montrer sa réussite par l'acquisition de biens matériels : limousines, télé, radio... Ce qui n'était en rien contraire à ses principes religieux. Les perspectives de développement n'étant pas assez bonnes en restant sur Chicago, il reprit son bâton de pélerin et être un révérend itinérant, sorte de prêcheur freelance de la Church of Christ (Holiness).

Sam, gamin futé
L'anecdote célèbre rapporte qu'il avait embauché quelques copains pour aller arracher les poteaux de clôture au fond des jardins du voisinage, et qu'après qu'il les ait faits débiter par les garçons, il allait le revendre comme bois de chauffage aux mêmes voisins, qui n'y ont vu que du feu (c'est le cas de le dire). Son jeune frère L.C. raconte qu'il se comportait en vrai patron : ce n'était ni lui qui allait arracher les clotures, ni les débiter en petit bois, mais par contre, il encaissait la moitié des bénéfices de chacun !

Loin d'être un voyou, Sam était au contraire un enfant curieux. Son insatiable appétit de livres remonte ainsi à l'enfance. Ses frères et soeurs le décrivent comme un garçon ayant toujours quelque chose à dire, ou à faire, mis consacrant également beaucoup de temps à la lecture. Bon élève, les livres le captivaient en lui ouvrant de nouveaux horizons, lui faisant découvrir des lieux qui lui étaient fermés mais qu'il espérait pouvoir fréquenter un jour. Bien qu'ouvertement ambitieux, il réussissait pourtant à ne pas susciter de jalousie et d'être considéré comme le camarade idéal.

Sam lisait, dessinait beaucoup. Par contre, il n'avait guère de le temps pour les jeux de ballon car cela l'aurait éloigné de sa mission : chanter. Et tout le temps, il chantait.

Leur révérend de père organisa une chorale dont les uniques membres étaient sa nombreuse progéniture. Ils l'accompagnaient partout sous le nom de Singing Children. Assez vite, il leur confia les engagements qu'il ne pouvait honorer, permettant à la famille d'engranger des cachets supplémentaires. Les retours étaient si positifs que partout où les enfants passaient, on lui disait que la prochaine fois, il n'avait qu'à les renvoyer une nouvelle fois à sa place.

Les aînés se mariant ou commençant à travailler, les Singing Children s'arrêtèrent. Pas Sam, qui rejoignit les frères Richards qui faisaient partie d'un groupe de jeunes de son âge, les Highway QC's. Plus ou moins dirigé par le père du bariton, M. Copeland. Highway QC's, parce qu'ils fréquentait la Highway Missionary Baptist Church et parce que M. Copeland n'était pas bon en orthographe. En effet, quand il fallut ajouter quelque chose à Highway, il proposa QC. Et quand on lui demanda à quoi correspondait ces initiales, il répondit sans la moindre hésitation "Quiz Kids". Un des membres lui fit remarquer la chose : le bariton en était gêné pour son père. Mais on garda quand même QC parce que ça sonnait bien.

Sam est le plus impliqué, si tous aimaient chanter, lui y passait tout son temps. Il avait son objectif sur le long terme...

Le transfert : des QC's aux Soul Stirrers
Poussés par le talent et le sérieux de Sam, les QC's acquièrent vite une sacrée réputation sur le circuit gospel. Leur jeunesse ramène un nouveau public dans les églises. Attirer les jeunes à l'église serait même le plus incroyable de leur réussite. Bobby Womack, qui à douze ans, eut l'occasion de l'entendre dans ce cadre, raconte : "Sam brought a whole new element to gospel. He started bringing young people into the churche to the point where it was like a rock 'n' roll show, chicks pulling up their dresses, and he's going out in the crowd and rubbing some girl's leg while he's singing, and she jump straight up in the air !" (P. Guralnick, Dream Boogie, p. 142).

J.W. Alexander, leader des Pilgrim Travellers, avait déjà repéré Sam Cooke alors que celui-ci n'était âgé que d'une quinzaine d'années. Quand il le vit, tout de suite, il sentit l'évidence : "ce mec est une perle", se dit-il. Il allait garder un œil sur son évolution et, quelques années plus tard, il deviendrait son plus fidèle associé et conseiller.

Son bac en poche, Sam se dédie plus intensément encore à la musique. Il découvre la vie sur la route et ses plaisirs. Les filles, innombrables, les accueils et les invitations à dîner dans les familles, en même temps que la découverte de la ségrégation dans le sud. Cette dernière incite à la fraternité, la Brotherhood of disaccommodation : du fait de la rareté des hotels réservés aux Noirs, voire même des épiceries, un réseau et une solidarité se développent. Cela consiste le plus souvent à manger et dormir chez l'habitant. A défaut, on s'entasse pour dormir (à 6, s'agissant des QC's) dans la voiture ! Dans ces quelques lieux ouverts aux Noirs, on croise fréquemment d'autres artistes, voire des sportifs, et des liens se nouent dans l'entraide.

Les anecdotes abondent où les jeunes gens arrivés de la ville du Nord, ici Chicago, se heurtent au provincialisme raciste des anciens Etats confédérés, réalisent qu'ils sont surveillés et suivis par la police locale. Sam, le bon garçon, fit même de la prison. A 19 ans, il fut condamné à 90 jours d'enfermement dans une sorte de maison de redressement pour avoir confié un ouvrage "obscène" à une copine lycéenne. Si la peine était sévère, elle était assouplie par le fait que les QC's étaient autorisés par le directeur de l'établissment à venir répéter dans la prison. Mais la blessure est profonde pour Sam. Il pensait être celui qui ne serait jamais pris, pour son charme, sa bonne présentation et son éducation alors qu'il réalise qu'il était, en fait, considéré comme le premier nègre venu par le juge et la police. Comme lorsque, quelques semaines plus tard, il fut pris en train de boire à une fontaine marquée "Whites Only". Quelques années plus tard (1958), il fit même un bref séjour en prison pour "fornication and bastardy", sur la plainte d'une des filles qui réclamait leur enfant comme étant de lui.

Pour les QC's, le métier rentre dans la confrontation aux galères diverses. La plus marquante sera l'évaporation dans la nature de leur manager, poursuivi pour des arnaques à la location immobilière, et même pour le kidnapping d'une veuve dont il gérait les affaires, et qui ne fut retrouvée qu'un mois plus tard. Les jeunes garçons tombent de haut quand il prennent conscience de ces dures réalités.

Ils sont soutenus dans l'adversité par RB Robinson, des Soul Stirrers, qui les aide et les fait répéter. Cette connivence et les liens ainsi créés avec ce groupe majeur de gospel font que, quand Rebert H. Harris, le lead des Soul Stirrers quitte le groupe, on propose à Sam de le remplacer. Petite précision, les quartets de gospel d'alors comptent plus souvent 5 ou 6 membres que 4 ! Autre précision, c'est J.W. Alexander, devenu entretemps directeur artistique de Specialty Records, qui est à l'origine de la proposition.

Trahison ! Mais comment refuser pareille proposition, pareille promotion. Et pourtant, peut-être que les QC's, avec un peu de patience, auraient détrôné les Stirrers, qui commençaient même à devenir jaloux des jeunots. Pragmatique, le Révérend Cook conseille à son fils de sauter le pas car, après tout, ce n'est pas de chanter du gospel qui allait réellement sauver des âmes. Le gospel ici, c'était avant tout un boulot, et autant qu'il soit bien payé.

Rejoindre les Soul Stirrers offre enfin à Sam l'opportunité d'enregistrer. Mais Art Rupe, le boss de Specialty Records, qui a un contrat avec le quartet, est au début sceptique sur la jeunesse du bonhomme. En effet, les Soul Stirrers sont déjà mûrs, pas des gamins mais de vrais pros. Il s'agit d'un groupe très soudé et discipliné qui consacre énormément de temps aux répétitions et avait, en interne, mis en place un système d'amendes pour les membres qui manqueraient d'assiduité et de sérieux.

La ferveur des performances
Le gospel vire assez facilement en véritable musique de transe où les fidèles captivés vont commencer à "parler en langues". Comme l'écrit Guralnick, c'est une "sweat-soaked catharsis that gospel music offered up night after night for the modest price of admission in churches and auditoriums in city across the land" : une catharsis trempée de sueur, le funk littéral, que l'on peut s'offrir pour la modique somme d'admission dans les églises.

La figure centrale du public gospel était surnommée Sister Flute. Le terme désigne les femmes qui allaient être parmi les premières à manifester les signes d'exaltation, d'agitation, et qui auront un effet contagieux sur les autres fidèles. Pourtant, "we were making up songs to make people shout and nobody was saved"...

Bien qu'il ait l'habitude de se produire en public avec depuis l'enfance, au sein de la fratrie des Singing Children, les débuts sur scène avec les Soul Stirrers sont difficiles pour le jeune Sam, en particulier face à des screamers du style des Five Blind Boys of Mississipi ou des Pilgrim Travellers de J.W. Alexander. C'est une véritable humiliation pour Sam, quand le public réclame encore Harris. Il faut dire qu'il avait alors tendance à effacer son propre style : "Sam started as a bad imitation of Harris". Plus tard, dans le monde du R&B, Sam Cooke commencera aussi par connaître semblables déconvenues, quand, par exemple, il sera mis à mal par la comparaison avec Jackie Wilson, le temps d'une tournée, où le style plus sauvage de ce dernier ramasse la monnaie au détriment de Sam, qui n'a pas pour habitude de beaucoup bouger sur scène.

Le grand saut
La carrière de Sam Cooke va prendre son véritable essor avec le passage à la musique profane. J.W Alexander, qui sera son associé et homme de confiance, sentait bien l'incroyable potentiel de la chose : "the young girls would scream, the old women would scream. In the churches. What if Sam were singing about love".

Quant à Sam lui-même, cela faisait déjà un moment qu'il griffonnait des petites chansons pop. Pendant les tournées, il les testait (même si ne connaissait guère alors que 3 accords à la guitare) sur les filles de passage, plusieurs à la fois, dans ses chambres d'hotels pleines de filles. Mais il n'avait pas que les filles à l'esprit quand il leur chantait ses compositions, il était persuadé que "there's money in songwriting" (cf. p. 137)...

Robert "Bumps" Blackwell, l'A&R de Rupe, convainc Sam que chanter de la pop ne signifie pas pour autant abandonner la religion. Rupe lui-même, en bon marchand, et même s'il aime beaucoup le gospel, n'y est pas opposé. Il faut dire aussi que pour un producteur, c'était une sécurité d'embaucher un chanteur de gospel : "gospel singers sang". Ce n'était pas comme de prendre un jeune à qui il faudrait tout apprendre, là, il y avait déjà une qualité musicale rassurante pour un producteur.

Quand il franchit le pas, en 1956, il choisit malgré tout de sortir son disque, "Lovable", sous le nom de Dale Cooke. Mais avec une voix si caractéristique, personne ne fut dupe. Tout le monde savait que c'était Sam. Ce fut presque un deuil pour le public gospel.

Il faut dire qu'outre sa voix si identifiable, Sam Cooke possédait une véritable marque de fabrique, son célèbre "whoa-oho-oh-oh-oh" yodelé qu'il pouvait glisser où bon il lui semblait (mais toujours au meilleur endroit) dans n'importe quelle chanson. Pourtant, c'est par accident qu'il découvrit cette marque de fabrique. Lors d'une scène avec les Soul Stirrers, il attaqua un morceau un poil trop haut, trop haut pour sa voix. Aussi, quand il arriva à la plus haute note, il ne pouvait l'atteindre alors il l'étira, la "plia" : "he bent it", "he just floated under" (ibid. p. 94).

Ses fameux mélismes étaient la marque de Sam. Certes, il était loin d'être le seul à les pratiquer. Peter Guralnick précise que Bill Millar, un musicologue, a été compter jusqu'à 22 notes sur une seul syllabe chez Clyde McPhatter, un chanteur qui passa un temps par les Drifters ! 

Quant au yodel "whoa-oho-oh-oh", véritable marque de fabrique, il ne fallait pourtant pas quiconque d'une maison de disques vienne à lui suggérer d'en placer un dans une chanson.  Il s'opposait en disant qu'un "whoa-oho", il fallait le sentir et que ce n'était pas un gadget qu'on met n'importe où (ibid. p 212).

L'aisance vocale de Sam est si éblouissante que les commentaires vont jusqu'à dire qu'il pourrait même se contenter de c hanter l'annuaire téléphonique : "he could sing the telephone book " (cf. p242). Une fois pourtant, il chanta faux sur scène. En 1958, une fois, il eut l'oreille quelque peu trompée pour après avoir diverti des filles en jouant sur une guitare désaccordée tout l'après-midi, dans sa chambre d'hotel. Le saxophoniste Bob Tate raconte : "I walked in, and there was Sam with five or six women in all states of undress, and he wes entertaining them. I said to Sam, 'Man, why don't you tune that thing up ?'". Ce qu'il ne prit pas la peine de faire, ne voulant pas être distrait dans son show privé. Jusqu'à ce que le soir venu, son oreille soit effectivement affectée d'avoir jouer sur une guitare désaccordée (ibid. p 263).

Pour en revenir à sa nouvelle carrière hors gospel, malgré le scandale, Sam ne fait pas machine arrière. Pour se lancer en solo, il se comporte avec les Stirrers comme avec les QC's, c'est-à-dire qu'il esquive et ne les prévient pas vraiment, fuit l'annonce de son départ. C'est considéré comme une trahison, mais Sam ne veut pas d'hypocrisies, il sait que ce ne sont pas des saints non plus...

Le succès de Harry Belafonte est une inspiration pour Sam Cooke à l'aube de sa carrière profane, et pas seulement pour l'influence calypso. La bonne présentation de celui-ci, qui ruine les stéréotypes sur les Noirs, est un modèle qu'il fait sien. Il cultive un look BCBG "Ivy League" du meilleur goût. Il faut, en effet, ne pas avoir l'air menaçant pour le Blanc, sinon il ne laisserait jamais sa fille dans les parages... Sam Cooke cultive donc cette élégance et cette distinction qui lui permette de dire : "when they see me, I'm the perfect american boy. That's all they can say about me". Pour autant, jamais il ne s'est renié : il fut ainsi un des premiers artistes noirs de premier plan à cesser de se défriser les cheveux.

Et jamais il ne s'est cantonné à un public particulier. D'où ses ambitions dans le cinéma, comme Harry Belafonte. D'où son envie de réussir dans le mainstream, comme Frank Sinatra. Peut-être est-ce à cause de ces directions que lui fut parfois reproché son image trop lisse, ses arrangements trop académiques. Qu'importe, le succès était bien au rendez-vous. En 1958, il décroche son premier tube avec "You Sent Me", qui atteint très rapidement le million de copies, puis sur la durée les deux millions. Pour percer et obtenir des hits, Sam Cooke se tourna en 1960 vers le duo de producteurs de RCA, Hugo Peretti et Luigi Creatore.

Hugo et Luigi étaient cousins. Ils formaient une équipe de hit-makers pour le moins pittoresques. Hugo, aux faux-airs de David Niven, était pianiste classique de formation. Quant à Luigi, avant de se lancer dans la panoplie du producteur, il rédigeait des discours au sein de l'ONU, bossait en freelance dans la pub, avant d'écrire des paroles pour des disques pour enfants. Le show biz restait pour eux une vaste blague et ils ne perdaient jamais une occasion de s'amuser. Jamais à cours de farces, quand un visiteur était invité à entrer dans leur bureau, ils le recevaient, à sa plus grande surprise, en équilibre sur la tête, un héritage de leur pratique du yoga. Ils produisaient des tubes sans se prendre au sérieux : "we weren't making art, we were making records to sell". Mais ils s'éclataient en le faisant. Ils racontent même que parfois ils fermaient la porte de leur bureau, tellement ils rigolaient. Des fous rires pour rien de particulier, c'est juste qu'ils s'amusaient comme des petits fous.

Indépendance et contrôle artistique
En même temps qu'il cherchait le succès le plus large qui soit, Sam Cooke n'a eu de cesse de s'affranchir des labels. C'est d'ailleurs pour cette quête d'indépendance qu'il reste un pionnier. A ce titre, la présence du fidèle J.W. Alexander à ses côtés est plus qu'un point d'ancrage. Leur complicité et la confiance qui règne entre eux, donne de l'assurance à Sam. C'est ensemble qu'ils fondent SAR Records. Sam avait l'esprit d'entreprise et apprenait au gré de sa carrière à gérer tous les aspects, toutes les étapes. Cherchant à préserver son indépendance, il envoyait par exemple son frère Charles dégoter lui-même des dates de concert, en s'arrêtant dans les endroits qui leur semblaient propices, tout simplement. 

Il faut rappeler qu'à cette époque, les artistes passaient tout leur temps, ou presque, sur la route. La scène toujours, où il faut se montrer généreux. La route, Sam connaît depuis ses jeunes années, pour l'avoir pratiquée comme chanteur de gospel. Les cadences restent les mêmes. Il connaît aussi tous les bons coins, les bonnes tables, où aller faire la fête après le spectacle. Crume, son compère des Soul Stirrers, n'en revenait pas : "every night after the show, Sam knew someplace to go. And I don't mean just one or two nights of the week, I mean every night. No matter how big or small the town was, Sam could find them after-hours joints, even way out in the country. He just knew so many people, and he remembered every one, even if he didn't see them from one year to the next. (...) He never got tired" (ibid., pp. 135-136). Avec le price of fame à payer : de nombreux cas de grossesse !

Cet inlassable élan festif n'empêche pas Sam de continuer à lire. Partout, toujours, Sam Cooke est entouré de livres. Même en tournée, sur la route, il est un lecteur passionné, assidu. Au temps des Soul Stirrers, il dit ainsi à Crume, alors nouveau venu dans le groupe : "Crume, damnit, you're with the Soul Stirrers now, you got to read something educational, you got to put those damn comic books away" (ibid., p. 140). La rencontre du DJ Magnificent Montague (Nathaniel M), collectionneur de tout ce qui se rapporte à l'histoire des Noirs aux Etats-Unis, est importante. C'est lui qui réalise cette interview restée célèbre où il demande à Sam de lui fredonner en huit mesures ce que la soul représente pour lui, avant de reprendre la parole et de s'adresser à ses auditeurs avec ces mots, après ces quelques secondes de murmure enchanteur : 
"and time finds its soul / All I can say to you, darling, is : 'Sam Cooke's yours, he'll never grow old"
Leur rencontre compte pour Sam car c'est Montague qui conseille Sam dans ses lectures, quand celui-ci cherchait également à se documenter sur cette histoire, à lui aussi rassembler une bibliothèque d'auteurs noirs. C'est ainsi le poème "We wear the mask", de Paul Laurence Dunbar, qui influence "Laughing and clowning". James Baldwin est l'auteur préféré de Sam Cooke. Cela nourrissait l'inspiration de Sam Cooke et trouverait à s'exprimer de la plus belle manière quand il écrira "A Change is gonna come", alors que jusque-là il avait privilégié les thèmes assez légers, même s'il possédait un indéniable sens de l'observation et une grande habilité pour décrire les choses avec les mots les plus simples.

Sam est reconnu comme un "Black entrepreneur", c'est aussi en cela que son parcours a suscité l'admiration. Il était un précurseur, un des premiers artistes noirs à vouloir prendre en main les rennes de sa carrière. Non content de sortir ses propres disques, il est également éditeur, producteur et patron de label. Parmi ses succès de producteur, le "It's All Over Now" de Bobby Womack occupe une place particulière puisque le titre deviendra presque un standard. Notamment grâce à la reprise qu'en firent les Rolling Stones, quelques semaines à peine après sa sortie, et dont la version est même plus célèbre que l'original. Cela fit naître une vraie frustration chez le jeune Bobby Womack, alors âgé d'une vingtaine d'années. Ca lui mettait les nerfs et il ne manquait pas de critiquer Mick Jagger : "c'est qui ce type, c'est même pas un chanteur". Sam Cooke, lui, avait du flair et il répondait à son poulain quelque chose comme : "détrompe-toi, fiston. Ces gars-là vont devenir énormes". Il avait du flair aussi pour reconnaître les bonnes trouvailles de son poulain en tant que compositeur. Il n'hésitait d'ailleurs pas à lui repiquer quelques idées. Là encore, Bobby Womack devenait furax quand il découvrait que Sam lui "piquait" un morceau. Il le menaçait alors de plaquer SAR Records pour rejoindre James Brown. Ce qui faisait bien rire Sam Cooke, persuadé de toutes façons que le jeune Bobby était encore en apprentissage et que sa verve de compositeur n'était pas prêt de sa tarir, et il lui répondait : "Okay, I'm taking your shit, but I'm doing you better than James Brown would. At leat I'll fuck you with grease. James'll fuck you with sand" (en gros : oui, je te baise mais, moi, au moins j'y met de l'huile tandis que James Brown te baiserait à sec", ibid., p. 488).

Les destins de Sam Cooke et Bobby Womack resteront liés longtemps. Y compris de la plus troublante des façons après la mort de Sam, en des territoires de l'inconscient que le moindre shrink en herbe, qu'il soit lacanien ou freudien, rêverait d'explorer. En effet, Bobby Womack épousera sa veuve Barbara, ira même jusqu'à porter ses vêtements et, carrément sordide, à donner au fils né de cette union, le prénom du garçon de Sam et Barbara, qui s'était tragiquement noyé dans la piscine familiale à l'âge de cinq ans : Vincent. Les liens entre les Cooke et les Womack se poursuivirent avec le mariage de Cecil, jeune frère de Bobby, et de Linda, la fille aînée de Sam et Barbara.

Sam Cooke a le flair. Et aussi l'ambition, soutenue par une confiance en son talent en béton. "I have the natural desire to be recognized as being 'the best there is' in my chosen field, and for obtaining the material things that such recognition brings. But in my case it goes even deeper than that" ("j'ai le désir naturel d'être reconnu comme 'le meilleur qui soit' dans la catégorie que j'ai choisie, et d'obtenir les biens matériels qu'une telle reconnaissance apporte. Mais dans mon cas, ça va même bien au-delà de ça", ibid. p. 336). Il a envie d'être reconnu à sa juste valeur par tous, sans distinction de classe ni de couleur : "you have to be universal", avait-il coutume de dire.



It's been a long time coming
La tension grimpe dans le sud alors que le mouvement pour les droits civiques se développe. Quand des groupes de R&B passent en concert, la police se montre plus présente, intimidante. Là où les audiences sont mixtes, elle tend des cordes dans la salle, pour séparer les Noirs des Blancs. La position de Sam est inconfortable, "it's a hard spot to be in, knowing what the situation is and pretending everything is great", confiait-il à Bobby Womack : comment ne pas donner l'impression aux siens qu'il s'éloignait d'eux tout en continuant à séduire le public blanc ? Il y parvenait cependant, restant toujours proche de la rue, ne craignant pas les embrouilles : "this is where I come from, and if I get scared to come down here, then I'm in trouble" (ibid. p. 486).

Cette prise de conscience des problèmes raciaux qui touchent son pays mûrit pour aboutir au texte bouleversant de "A Change is gonna come". C'est à J.W. Alexander qu'il la chanta pour la première fois, comme étonné lui-même de cette chanson si différente de tout ce qu'il avait pu écrire jusqu'alors. Il la lui chanta plusieurs fois, en s'accompagnant simplement à la guitare, ému et excité à la fois. Avant de finir par dire : "I think my daddy will be proud" (ibid. p. 541). Il convient bien sûr de reproduire les paroles, évidemment :



C'est hélas à titre posthume que cette chanson entrera à la postérité...

"Lady, you shot me"
Nous n'allons pas nous attarder sur sa fin tragique, citons sobrement Wiki : 
"Sam Cooke est mystérieusement retrouvé mort le 11 décembre 1964 dans un motel californien. L'enquête des autorités, impliquant la propriétaire de l'établissement et une prostituée, a officiellement abouti à la conclusion d'un meurtre excusé par la légitime défense. Le chanteur, furieux de la disparition de sa compagne d'un soir, aurait effrayé et violenté la responsable du motel à un point qu'elle fut excusée d'avoir usé de son arme à feu pour se protéger.
Le flou entourant le règlement de l'histoire a largement encouragé la polémique autour d'une mort qui choqua profondément la communauté afro-américaine".

Ce soir-là, Sam Cooke amena la jeune Elisa Boyer dans un motel sordide. Alors qu'il était passé à la salle de bains, elle s'éclipsa de la chambre et dira plus tard qu'il avait essayé de la violer. Il semble plus probable qu'elle l'ait tout bonnement dépouillé (il avait l'habitude de toujours se promener avec de grosses sommes d'argent en liquide). D'où sa colère. La réaction de panique de la veilleuse de nuit du motel qui lui tira dessus à bout portant. Et ces derniers mots de Sam Cooke : "Lady, you shot me".

Une histoire idiote, une tragédie, un malentendu, une embrouille minable provoquèrent donc la mort d'un des plus grands artistes de son temps. A trente-trois ans, comme l'autre. La sensation de gâchis est terrible. A la différence de bien des artistes tourmentés, Sam Cooke semblait être plutôt du côté de la lumière. Plus de quarante ans après, on reste frappé par le décalage entre sa vie et sa personnalité et les conditions de sa mort. Ca ne colle pas.

Aujourd'hui, il reste sa voix, unique, légère, claire. La plus élégante qui puisse être.

Les 60's de Jorge Ben : Samba Novo et Cool Absolu

Trilogie Jorge Ben - 1ère partie
GdF#2.5 - Février 2008
Goutte de Funk @ Divergence-FM

Il était inévitable qu'un jour Goutte de Funk se penche sur l'oeuvre du grand Jorge Ben. Nous lui accorderons rien moins que trois émissions, une véritable trilogie. La première aujourd'hui consacrée à ses débuts et à ses albums des années 60. La seconde partie, dans quelque temps, sera consacrée aux 70's de Jorge Ben, assurément sa période la plus funky. Enfin, un troisième volet sera consacrée à son influence majeure à travers des reprises de ses chansons par ses pairs, à travers les styles et les époques. Cette dernière étape clôturera la démonstration et établira que l'oeuvre de Jorge Ben est probablement la plus fédératrice de toute la musique brésilienne.

Jorge Ben , "Mas que nada"
Pour situer Jorge Ben à ceux qui croiraient peut-être ne pas le connaître, commençons par "Mas que nada", à la fois parce qu'il s'agit de son premier succès et parce qu'il demeure probablement son titre le plus connu, ne serait-ce que par son utilisation par Nike dans des films publicitaires, notamment au moment de la Coupe du Monde 1998, avec le spot de la Seleção jouant au ballon dans un aéroport. Et là, tout le monde se dira : "bon sang mais c'est bien sûr" ! (Même si la version utilisée est celle du Tamba Trio, si mes souvenirs sont bons.)

Les 50 ans de la bossa nova
Elizeth Cardoso, "Outra vez"

Pour situer le contexte dans lequel Jorge Ben a fait ses débuts, rappelons que la bossa nova fête en 2008 ses cinquante ans. En effet, c'est en 1958 que sort le 45t de João Gilberto, "Chega de Saudade", moment fondateur s'il en est. Mais 1958, c'est aussi et d'abord l'année qui voit paraître un album considéré comme une borne au sein de l'histoire musicale brésilienne, un album qui fête donc ses cinquante ans en 2008 : Canção do Amor Demais d'Elizeth Cardoso.
Au-delà de quelque connotation pop qui lui colle à la peau, la notion de songwriting prend tout son sens dans la musique populaire brésilienne, laquelle a toujours accordé une importance capitale à l'écriture de chansons et a donné le statut de standards à nombre de titres signés aussi bien par des artistes célèbres que par des compositeurs obscurs. Jorge Ben est à ce titre unique. Notre propos consiste à établir que son importance dans l'histoire de la musique brésilienne, en tant que créateur de standard, maître du songwriting, est au moins aussi grande que celle d'Antonio Carlos Jobim.

Jobim est l'homme qui a composé ce qui allait devenir la plupart des standards de la bossa nova. Principalement en collaborant avec Vinicius de Moraes, qui était jusqu'alors poète et diplomate. C'est donc en 1958 que leur chansons étaient pour la première fois enregistrées sur un album leur étant exclusivement consacré : ce chef d'oeuvre d'Elizeth Cardoso, Canção do Amor Demais. Celle que les Brésiliens surnommaient la "Divina" rassembla à cette occasion 13 titres du répertoire de Jobim et Vinicius de Moraes. Plus encore que sa propre sa carrière d'interprète qui allait suivre, Vinicius confessait que cette période de l'enregistrement de l'album par Elizeth Cardoso restait un des moments forts de sa vie, notamment par la complicité qui le liait à Jobim, comme il en témoignait dans la chanson "Carta ao Tom 74", écrite avec Toquinho : "Rua Nascimento Silva 107, voce ensinando pra Elizete as canções de Canção do Amor Demais/Lembra que tempo feliz ai, que saudade/Ipanema era só felicidade/era como se o amor morresse em paz". 

Jobim était également en charge des arrangements et la guitare était confiée à João Gilberto sur 2 titres, "Chega de saudade" et "Outra vez". C'est d'ailleurs l'apparition de ce dernier qui rend l'album historique. Luis Americo Jr. rapporte que pendant les séances d'enregistrement, encore tout jeune mais déjà acariâtre, il se permit ainsi de suggérer à la Divina d'interpréter "Chega de Saudade" sur un ton plus intimiste. La grande dame préféra le faire à son idée, "à l'ancienne" dira-t-on rétrospectivement. Et Dieu sait que finalement elle a bien fait. "Outra Vez", le titre que nous écoutons ce soir l'illustre, tant elle y fait la démonstration d'un chant parfait, 1 minute 53 qui contiennent déjà une forme de quintessence de tout ce qui fait l'incroyable richesse de la musique brésilienne. On préférera même sa version, à l'interprétation qu'en donne João Gilberto lui-même, tout à son murmure magnifique. Et signalons à ce propos que la grande dame ne lui tint pas rigueur de ces commentaires puisque, comme le rappelle fort à propos Zeca Louro de Loronix, João Gilberto accompagnait toujours Elizeth Cardoso sur son album Naturalmente, l'année suivante.

Les amateurs et les curieux se précipiteront sur Loronix, le meilleur blog musical du monde, une mine d'or sans fond pour tout ce qui a trait aux LPs do Brasil des décennies passées, pour y découvrir les albums de la Divina introuvables commercialement et certains de ceux de João Gilberto. Les années de travail dans l'ombre de centaines de scientifiques et d'ingénieurs, durs à la besogne, les stratagèmes machiavéliques de l'armée américaine afin de dominer le Monde, et tous les faisceaux technologiques ayant été déployés et nécessaires pour l'invention de l'internet, toute cette débauche de matière grise et d'énergie se justifie ne serait-ce que parce qu'elle permit à Loronix de voir le jour. Et ça, c'est déjà du bonheur.

On pourra trouver toutes les qualités à Elizeth Cardoso, à l'origine était João Gilberto. A l'origine de la bossa nova et d'un style qui révolutionnera la façon de placer sa voix pour tous les chanteurs brésiliens. Surtout, c'est dans la batida de sa guitare, sa rythmique, dans laquelle on retrouve l'écho des tambours de sa Bahia natale, que João Gilberto impose son style.

Le Ben
L'oreille fine, le jeune Jorge Ben tombe sous le charme de ce style si novateur. Parce qu'il était harmoniquement difficile à reproduire, Jorge Ben se concentre sur la batida, s'en inspire pour créer la rythmique la plus dévastatrice qui soit. Son jeu marquant par exemple les basses, au point qu'il n'y a ni bassiste ni contrebassiste sur certains de ses premiers enregistrements, sa seule guitare posant le groove.

Et, déjà, premier disque, premier succès : "Mas que nada". Pourtant, à ce moment-là, le jeune Jorge Ben n'est pas encore sûr de ce qu'il souhaite faire. Carioca de Madureira, quartier populaire, le jeune Jorge Duílio Ben Zabella Lima de Menezes n'était pas destiné à devenir musicien, malgré le fait que ses parents aient été amis avec le grand sambiste Ataulfo Alves, ou bien que son père joua dans le groupe Cometas de Rio. Celui-ci rêvait de le voir devenir avocat, quand sa mère, d'origine éthiopienne, le voulait pédiatre. Lui, le Jorge, se voyait bien footballeur. En équipes de jeunes, il jouait d'ailleurs pour le prestigieux Club de Regates du Flamengo, le Fla. Pour l'anecdote, signalons que Jorge Ben fait partie de la Génération 1942, incroyable pour la musique brésilienne. Pensez qu'en 1942 sont nés, outre Jorge Ben, Caetano Veloso, Gilberto Gil, Paulinho da Viola et Tim Maia...

Au pandeiro, puis à la guitare, le jeune Jorge Ben fait en autodidacte son apprentissage de la musique. Fréquente d'autres musiciens. Arrive donc "Mas que nada". Porté par ce tube, le 1er album de Jorge Ben atteint très rapidement les 100 000 exemplaires vendus. Des débuts si fracassants que le jeune homme prend les choses avec désinvolture et a du mal à réaliser l'ampleur de la chose. Pour prendre la mesure de ces chiffres, il s'imagine le public du Maracana, chaque spectateur son album à la main pour comprendre à quel point le truc est énorme. Comme il le raconte lui-même : "le premier disque pour moi, c'était un truc comme ça... En vérité, je suis entré dans la musique parce que je traînais dans le milieu de la musique. Un truc de copains qui étaient musiciens, tu comprends. Mais ce n'était pas ce que je souhaitais. A tel point que mon premier succès n'était pas quelques chose qui m'intéressait beaucoup. On me disait que j'étais le premier chanteur à vendre 100 mille disques au Brésil. Là, j'ai commencé à imaginer un Maracana avec chacun des spectateurs avec mon disque à la main. Là, ça devenait super" ("O primeiro disco pra mim foi uma coisa assim... na verdade, eu entrei na música porque eu estava no meio musical. Coisa de amigos que eram músicos, entende? Mas não era o que eu queria. Tanto que no meu primeiro sucesso era uma coisa que não me interessava muito. Falavam que eu era o primeiro cantor aqui  que vendia 100 mil discos. Eu ficava imaginando o Maracanã lotado, cada um com um disco meu na mão. Achava legal").

Les débuts sont fracassants, il est une évidence, se pose avec l'assurance de celui qui incarne le cool absolu de son temps. Pour le comprendre, il n'est qu'à voir les pochettes de ses débuts : Samba Esquema Novo et Ben é Samba Bom. Sur la première, il gratte sa guitare en équilibre sur une jambe, sur l'autre en pull casual, qui ne déparerait pas sur les épaules d'un mod british d'alors, il n'a même plus besoin de guitare, il lui suffit de claquer des doigts, fixant l'objectif avec ce regard de cool absolu.

Sans se lancer dans une grande analyse causale chère à Max Weber, effectuons alors un rapide flashback pour montrer que les choses auraient pu tourner différemment. Zeca Louro, l'humble perroquet faisant office de bloggeur sur Loronix, rapporte l'anecodte suivante, du temps où le jeune Jorge Ben avait une idole. Il profita du passage de celle-ci au Beco des Garrafas, le célèbre club de Rio qui servit de berceau à la bossa nova, pour lui proposer ses chansons. Laissons Orlann Divo, l'idole en question, raconter l'affaire : "Well there's a funny story about Jorge Ben. One day I was playing at Bottles on the Beco das Garrafas and the owner of the Plaza Club Oliveira Filho, came up to me and said : "Orlann, that's a kid outside who says he's written some songs for you". I was quite curious so I went out and there was this kid you know, Jorge Ben, very very young and he took the guitar and started playing "Por Causa de Voxe" and "Mas Que Nada", you know with that same singing through the nose style; singing voh-shay instead of voh-say. Well I was flattered but I thought they were fantastic and said : "Kid you gotta record them yourself". He said : "Oh no MR Divo, I wrote these songs for you, Im not a singer!" And I said : "hey kid Look at me I wasn't a singer either and look at me [laughs]!" Some while later I heard that Armando Pittigliani from Philips had signed him up and the next thing you know "Mas Que Nada" is selling millions all around the world! But, in truth I had just recorded my first LP and I didn't' think I could take his songs and not record them. But he found his own voice and that's great. He ended up covering one of my songs!"
Heureusement donc qu'Orlandivo (ou Orlann Divo) n'était pas un chacal. Il ne s'est pas approprié les chansons en condamnant le jeune Jorge à rester dans l'ombre et l'a, au contraire encouragé à trouver sa voie (sa voix, aussi).

"Sacundin sacunden", la batida dévastatrice
Plus plausible, on peut tout de même imaginer que le talent du bonhomme aurait quoi qu'il en soit éclaté au grand jour. Car avant d'être un grand chanteur, Jorge Ben s'impose par son jeu de guitare. Il faut dire qu'il invente un style radicalement nouveau. Littéralement un Nouveau Schéma de Samba : un Samba Esquema Novo, du titre de son premier album, titre qui claque comme le manifeste d'une révolution esthétique. Il a beau parler dans "Mas que nada" d'une samba de "preto velho", de vieux Noir, sa samba est sacrément modernisée.
"Quand j'ai inventé cette batida, je l'ai nommée "sacundin sacunden", puis à l'époque de la Jovem Guarda, c'est devenu "jovem samba" et, plus tard, "sambalanço" ", expliquait Jorge Ben pour décrire les débuts de ce qui allait être connu au Brésil sous le nom de suingue ou samba-rock. ("Quando eu inventei essa batida, chamava de sacundin sacunden, depois, na época da jovem guarda, virou jovem samba, e, mais tarde, sambalanço").
Avec Jorge Ben et sa "batida peculiaríssima", comme l'écrivait le journaliste Silvio Essinger, on voit le passage du 2/4 au 4/4. Alors que le rythme de samba est traditionnellement joué en 2/4 binaire, se développe alors un compas quaternaire en 4/4, directement venu du rock ou de la soul music américains. 

Le Ben lui-même raconte comment la maison de disques semblait assez perplexe devant son style et ne sachant quelle étiquette lui coller : " "On aime beaucoup et tout et tout, mais on a un problème. La direction aime bien aussi mais c'est que le producteur musical ne sait pas ce que c'est, c'est pas du samba, il ne sait pas ce que c'est". Alors j'ai dit : "bon, mais c'est du samba". ("Nós gostamos e tudo, mas tem um problema aqui... a diretoria gostou, mas é que o produtor musical não consegue... ele não sabe o que é isso aqui, não é samba, ele não sabe o que é". Aí eu falei "bom, mas é samba").

Jorge Ben considère bien qu'il s'agit de samba, comme en témoignent les titres des ses premiers albums : Samba Esquema Novo, déjà cité, Ben é Samba Bom, ou encore Sacundin Ben Samba. Pourtant, sa musique est si inhabituelle qu'il ne trouve pas de musiciens de samba capables de l'accompagner dans cette direction inédite. C'est de ce constat préalable, qu'il se fit alors accompagner de musiciens venus du jazz, plus souples et capables de le suivre dans son Sacundin... Lesquels étaient justement ses amis, JT Meirelles, ou Luiz Carlos Vinhas pour ne citer qu'eux, des figures majeures de la jeune scène jazz brésilienne.
"Vraiment, les gens du samba ne savaient pas m'accompagner avec ma façon de jouer de la guitare et chanter. Alors, comme j'avais quelques amis par là, qui eux étaient dans le jazz, j'ai pris contact avec eux. Ils avaient un groupe qui jouait au Beco das Garrafas et qui s'appelait Meirelles Copa Cinco. Je leur a montré ce que je faisais, ils ont adoré et on a commencé à jouer. (...) C'est comme ça que j'ai enregistré mon premier album avec ce groupe de jazz. Et ça a été super." ("Aí, realmente, o pessoal do samba não tinha uma leitura, não sabiam me acompanhar, do jeito que eu tocava no violão e cantava. Aí, como eu tinha uns amigos lá, que eram mais para o jazz, entrei em contato com eles, uma banda que tinha lá no "Beco das Garrafas", que chamava "Meirelles Copa Cinco". Mostrei pra eles e eles adoraram, começamos a tocar. Eles fizeram... o pessoal do samba não teve uma leitura fácil, e eu gravei meu primeiro disco com essa banda de jazz. E foi legal.")

Cette influence jazz est marquante à l'écoute. Sur son 4ème album Big Ben, de 1965, cet appui jazz est tout aussi manifeste. Si la patte de Jorge Ben est sa manière phénoménale de planter un groove en deux coups de cuiller à pot par un intro rythmique à la guitare, sur cet album, c'est un fantastique drumming qui est mis en avant dans le mix. Alors qu'on sait que Dom Um Romão officiait sur le premier album, qu'Edison Machado a également été batteur dans la formation de JT Meirelles, la fiche technique de Big Ben n'indique pas les musiciens qui participèrent aux sessions de l'album. Après avoir cherché l'info sur internet, je reviens bredouille et ignore toujours le nom du batteur de Big Ben : peut-être un certain Reizinho, d'après Marcelo Cruz, du blog SacundinBen, sans que lui-même en ait d'ailleurs la certitude. Comme ses trois précédents albums, Big Ben est produit par Armando Pittigliani. Outre ses musiciens, comme nous venons de le voir, Jorge Ben a su se faire épauler par des personnes de talent. Pittigliani était, en effet, considéré alors comme l'un des meilleurs producteurs du pays (en 1965, 1966 et 1967, il fut élu meilleur producteur par l'Association des Critiques d'Art de São Paulo). Je ne me lasse tellement pas de cet album que nous allons en écouter trois extraits ce soir : "Na Bahia Tem", "Lalari-Olala" et "Agora Niguém Chora Mais".

Sacundim et Sacundém, les saints...
Comme le disait Lucas Santtana, un des artistes à découvrir de la nouvelle scène brésilienne, au moment de la mort du Godfather : "James Brown a une très grande importance dans la formation groovesque de ma main droite. Autant que Jorge Ben". Voilà, la messe est dite, Ben et Brown, c'est bel et bon, la Trinité du Groove n'avait que deux têtes certes, mais si à cela s'ajoute le 4/4 : 1 + 1 + 4/4 = 3 = la Trinité du Groove, cqfd, découverte théologique majeure du Dr. Funkathus, pour vous servir (les années d'austère exégèse commencent à porter leurs fruits). 

La batida de Ben est si phénoménale qu'un type aussi talentueux que Gilberto Gil pense arrêter la musique quand il l'entend, ainsi que le rapporte Caetano Veloso dans Verdade Tropical, son livre autobiographique revenant sur ses années tropicalistes :
"Gil était un passionné de Jorge Ben depuis ses années de jeunesse à Bahia. Un soir, alors qu'il donnait un concert dans un club de Salvador, il déclara qu'il arrêtait de composer et qu'il ne chanterait plus aucune de ses propres compositions, depuis qu'un type appelé Jorge Ben venait de surgir et qu'il faisait déjà tout ce que lui aurait du faire. Moi qui aimait Jorge Ben pour son originalité et son énergie, je n'admettais pas qu'un talent musical comme celui de Gilberto Gil fasse silence en révérence à celui-ci. Par-dessus tout, il me semblait presque choquant que Gil, bien plus doué pour les harmonies que moi, dise qu'il préférait tout abandonner à cause d'un musicien infiniment plus primaire que lui. Bien que je trouve son geste radical et passionnément généreux, je ne pouvais partager ses motivations. Je l'attribuais en partie (et je crois que je n'avais pas complètement tort) à des raisons raciales. Jorge Ben n'était pas seulement le premier grand auteur noir depuis les débuts de la bossa nova (un titre qui aurait pu aussi revenir à Gil), il était aussi le premier à en faire un déterminant esthétique." (Verdade Tropical, pp. 196-197, traduit approximativement par bibi).

Car outre des rythmiques à faire se trémousser une assemblée de croque-morts, Jorge Ben introduit une dose d'africanité dans la musique brésilienne par le biais de certaines références. Ainsi sur "Chove Chuva", un des succès de son premier album, ce qui pourrait sembler, si l'on n'y prête attention, n'être qu'une série d'onomatopées : "Sacundim, Sacundém, Imboró, Congá, Dombim, Dombém, Agouê, Obá", est en fait l'énumération d'une série de saints (Sacundim et Sacundém), de guerriers (Dombim, Dombém ) ou de divinités (Obá est la déesse nagô de l'amour) auxquels le narrateur de la chanson adresse sa prière pour que la pluie cesse de mouiller son amoureuse. Mais il faut vraiment s'appeler Jorge Ben pour oser déranger un pareil chapelet de divinités pour un motif aussi dérisoire.

Je dois par ailleurs confesser ne pas disposer d'assez d'éléments biographiques pour savoir si ses directes origines éthiopiennes, par sa mère, ont joué un rôle. D'autant que les références qu'il utilise sont les plus habituelles des cultures afro-brésiliennes et n'ont aucun rapport avec ce qui pourrait provenir de la Corne de l'Afrique. 

Par contre, il est important de rappeler que si le Brésil est considéré comme le "Pays du Métissage", ce qui le distingue d'un autre grand pays du Nouveau Monde ayant aussi pratiqué l'esclavage, la stigmatisation des cultures et populations noires y demeure forte. D'ailleurs, sans cynisme, on pourrait considérer le métissage brésilien comme une forme de Real Politik : le petit royaume du Portugal d'alors, vidé de sa population masculine, dispersée au gré des conquêtes, savait bien qu'il n'y avait pas trente-six moyens de peupler ces terres immenses.

Si les préjugés ont la vie dure en ce début de Troisième Millénaire, il faut bien se dire que la situation était encore plus délicate au début des années soixante. Et si c'est un natif de Montpellier qui avait établi ce qui allait servir de base à la première Constitution brésilienne, Auguste Comte, fondateur du Positivisme, c'est un natif de Nîmes qui a grandement contribué à montrer toute la richesse et la complexité des religions afro-brésiliennes, considérées jusqu'alors comme de primaires superstitions par l'élite du pays : Roger Bastide, anthropologue, qui a passé la majeure partie de sa carrière académique à l'Université de São Paulo. Et s'il est aujourd'hui assez commun d'invoquer les orixas dans une chanson, l'énumération faite par Jorge Ben doit donc être comprise comme une affirmation, et peu importe alors les motifs dérisoires qui y président. Au même titre que la plupart des artistes noirs brésiliens, Jorge Ben aura d'ailleurs à subir une forme de dévalorisation de son travail. 

D'où la nécessité d'établir que son influence est aussi grande que celle de Jobim, dont le répertoire n'a pas eu, lui, à souffrir d'un manque de légitimité. C'est une forme d'unanimité qui devrait suffire à démontrer l'importance de Jorge Ben. Dans la tension des années soixante, les scènes musicales étaient cloisonnées et, comme dans toute chapelle, l'intolérance et les rejets des autres courants étaient virulents. Pourtant, entre la bande de la bossa nova, celle des Yéyés de la Jovem Guarda, puis, ensuite celle des Tropicalistes, un seul artiste allait se montrer apprécié par chacun de ces courants : Jorge Ben le fédérateur. Ce qui est illustré par sa participation aux différents programmes télé enregistrés par chacun de ces courants, O Fino da Bossa, avec Elis Regina et Wilson Simonal, Jovem Guarda, présenté par Roberto et Erasmo Carlos, ou encore l'éphémère Divino, Maravilhoso des Tropicalistes.

Concernant les Tropicalistes, mouvement mené par Caetano Veloso, Gilberto Gil, Tom Zé, etc..., ils vont parfois même jusqu'à considérer Jorge Ben comme un des leurs. Caetano Veloso écrit d'ailleurs : "un enregistrement de Jorge Ben contenait toutes nos ambitions. Il s'agit de "Se Manda", un hybride de baião et de marcha-funk, chanté et joué avec une violence salutaire et une modernité pop naturelle qui nous remplissait d'enthousiasme et d'envie". Jorge Ben n'a jamais été hippie mais il a su évoluer, introduire une dimension presque expérimentale dans certaines de ses chansons, comme dans cet étonnant "Descobri que sou um anjo" que nous écoutons ce soir. Un titre qui date de 1969 et d'un album tout simplement intitulé Jorge Ben, où la pochette nous montre une toile représentant Jorge Ben avec sa guitare dressée, décorée de l'écusson du Flamengo, alors que l'arrière-plan mêle silhouettes féminines et végétation. Après avoir été accompagné du groupe The Fevers en 1967 pour son album O Bidu - Silencio no Brooklyn (qui contient le fameux "Se Manda" mentionné par Caetano), cette fois-ci Jorge Ben a eu la bonne idée de jouer avec le Trio Mocoto. João Parahyba, un des membres du trio, racontait il y a quelques années à un journaliste de Libération : "Quand Jorge nous a vus jouer ensemble, il voyait pour la première fois trois percussionnistes qui jouaient différemment, comme un trio de guitares. Nous avons joué avec lui ce soir-là, puis le lendemain et on ne s'est plus arrêté." Leur collaboration débuta un an plus tôt, en 1968, quand le trio accompagna Jorge Ben pour le titre "Charles Anjo 45" à l'occasion du Festival Internacional da Canção. On considère souvent que le samba-rock tient là son origine. João Parahyba se souvient : "nous faisions un suingue qui avait une qualité musicale. C'était une modernisation du samba. Nous sentions que nous étions à demi-avanguardistes ! On voulait faire une sorte de tropical jazz mais ça s'est transformé en suingue" ("Fazíamos um suingue com qualidade musical. Era uma modernização do samba. Sentíamos que éramos meio vanguarda! A gente queria fazer algo como um tropical jazz, mas acabou virando o suingue").

En cette période de dictature, Jorge Ben fait l'éloge d'un Robin des Bois des favelas, le Charles Anjo 45 en question. Cette sorte de malandro à conscience sociale, brigand au grand coeur, ce "défenseur des faibles et des opprimés", fêté par le peuple des favelas, compense les défaillances de l'Etat. Les années soixante de Jorge Ben se terminent avec un titre aussi explosif que celui-ci, dernière plage de son dernier album de la décénnie. Un titre que Caetano enregistra quelque temps avant d'être arrêté et contraint à l'exil en compagnie de Gilberto Gil, et que sa maison de disques préféra ne pas sortir de crainte que la dictature n'y voit une provocation, à cause du parallèle qui s'établirait entre le fameux Charles Anjo 45 de la chanson et Caetano lui-même... Jorge Ben restera lui au Brésil, il chantera même un message de soutien à l'exilé Caetano, en compagnie de sa soeur Maria Bethânia : "Mano Caetano". Sa conscience sociale ira grandissante, comme nous le verrons prochainement dans le volet consacré à ses funky 70's. 

Récemment, Jorge Ben a tendance à se prendre pour George Washington, dans le cadre d'un programme de MTV Brésil, Eu Queria Ser, où il s'agit pour des personnalités de dire quel personnage elles auraient aimé être, c'est en effet à George Washington qu'il a choisi de s'identifier. L'occasion de prendre la pose en costume d'époque, face et perruque enfarinées, pour une photo des plus étonnantes. Pourquoi George Washington, à ce propos ? D'abord par ce qu'il s'agit du premier Président des Etats-Unis, ardent défenseur de la démocratie. Mais aussi pour le côté Dead Prez : parce que c'est lui dont l'effigie figure sur les billets de 1$, dit Jorge Ben Benjor. Nous prendrons la liberté d'ajouter une raison supplémentaire à ce choix étonnant : il s'agit d'un George, et le Ben est très attaché à son prénom pour des raisons qui dépassent l'affectif, on verse là dans les motifs ésotérico-numérologiques, motifs que nous retrouverons donc dans le prochain volet de notre trilogie Jorge Ben.

Enfin, pour conclure, laissons la parole à un universitaire brésilien spécialiste de l'étude de la musique populaire de son pays, auteur d'une anthologie des 50 meilleurs albums de ces cinquante dernières années, le pourtant très intransigeant Luiz Américo Lisboa Junior : "Viva seu Jorge Ben ou Benjor, voce que já esta com todos os méritos na galeria dos grandes de nossa canção popular, continue com seu balanço, pois ele já é eterno. Sacundim, sacundem!".